Recueil de contes populaires slaves (traduction Léger)/XXVII

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Traduction par Louis Léger.
Ernest Leroux (p. 213-217).

XXVII

LE CHEVEU MERVEILLEUX

(CONTE SERBE)



Il y avait une fois un homme très pauvre qui avait beaucoup d’enfants ; il ne pouvait pas les nourrir, et plus d’une fois il avait pensé à les tuer plutôt que de les voir mourir de faim ; mais chaque fois sa femme l’en empêchait.

Une nuit, il vit en songe un enfant qui lui disait :

— Je sais que tu as voulu perdre ton âme en tuant tes enfants ; je sais aussi que tu es malheureux. Demain matin tu trouveras sous ton oreiller un miroir, un mouchoir rouge et un foulard brodé ; prends ces trois objets en cachette et n’en dis rien à personne, puis va-t’en dans la montagne. Tu y trouveras une rivière ; suis-en le cours jusqu’à ce que tu arrives à sa source ; puis tu trouveras une vierge brillante comme le soleil, les cheveux épars sur ses épaules, et nue comme un enfant nouveau-né. Prends garde de te laisser enlacer par ce monstre perfide ; ne dis pas un mot, car, si tu parles, elle te changera en poisson ou en quelque autre animal, et elle te mangera. Quand elle te dira de chercher sur sa tête, fais-le et examine bien ses cheveux ; tu en trouveras un qui est rouge comme du sang ; arrache-le et sauve-toi avec ; dès qu’elle s’en apercevra, elle se mettra à courir après toi ; jette-lui d’abord le mouchoir brodé, puis le foulard, puis le miroir pour ralentir sa course. Ensuite, vends le cheveu à quelque homme riche ; mais ne te laisse pas tromper : ce cheveu vaut des sommes immenses. Par ce moyen tu deviendras riche et tu pourras nourrir tes enfants.

Quand le pauvre homme se réveilla, il trouva sous son oreiller tout ce que lui avait dit l’enfant, puis il partit pour la montagne. Il rencontra la rivière et la suivit jusqu’à sa source. Il regarda et vit la vierge auprès d’un lac ; elle était en train d’enfiler les rayons du soleil pour en broder une toile faite avec des cheveux de jeunes gens. Dès qu’il la vit, il la salua ; elle se leva et lui demanda :

— D’où viens-tu, inconnu ?

Il ne répondit rien.

Elle lui demanda de nouveau :

— Qui es-tu ? Pourquoi es-tu venu ?

Elle lui fit encore bien d’autres questions ; il resta silencieux comme une pierre, indiquant seulement par gestes qu’il était muet et qu’il cherchait du secours. Elle lui dit de s’asseoir auprès d’elle, et, dès qu’il fut assis, elle lui tendit sa tête ; il se mit à chercher, et dès qu’il eut trouvé le cheveu rouge, il l’arracha et se sauva en courant de toutes ses forces. Elle s’en aperçut et se mit à courir après lui. Et lui, dès qu’il vit qu’elle allait l’atteindre, il jeta sur le chemin le mouchoir brodé, ainsi qu’on le lui avait dit : elle le ramassa, s’arrêta pour l’admirer. Pendant ce temps-là, il gagnait l’avance. La vierge ceignit le mouchoir autour de ses reins et se remit à courir. Quand il vit qu’elle allait l’attraper, il jeta le foulard rouge : elle s’arrêta de nouveau à regarder le foulard, et, pendant ce temps-là, il gagna encore sur elle un bon bout de chemin.

La vierge se mit en colère, jeta mouchoir et foulard, et se remit à courir. Quand il vit de nouveau qu’elle allait l’attraper, il jeta le miroir. Elle n’en avait jamais vu ; elle le ramassa, et, quand elle se vit dedans, elle crut que c’était une autre femme ; pendant qu’elle se regardait, l’homme s’enfuyait toujours, si bien qu’elle ne put le rattraper. Alors elle revint sur ses pas, et l’homme rentra chez lui sain et sauf et joyeux. Arrivé chez lui, il montra à sa femme le cheveu rouge et lui raconta tout ce qui lui était arrivé. Elle se mit à le gronder et à se moquer de lui ; mais il ne l’écouta pas et s’en alla à la ville pour vendre son cheveu. Toute espèce de gens et de marchands se rassemblèrent autour de lui : l’un offrait un ducat, l’autre deux, toujours en augmentant, si bien qu’on arriva bientôt à des centaines de ducats. L’empereur entendit lui-même parler de ce cheveu, appela l’homme, et lui offrit mille ducats de son cheveu ; il le lui vendit. Qu’était-ce donc que ce cheveu ? L’empereur le coupa dans sa longueur, du haut en bas, et y lut beaucoup de choses importantes qui s’étaient passées dans les temps anciens, depuis le commencement du monde.

Ainsi notre homme devint riche, et il put faire vivre sa femme et ses enfants.

Or, cet enfant qu’il avait vu en songe était un ange envoyé par le Seigneur Dieu, qui avait voulu secourir ce pauvre homme et découvrir des mystères qui n’avaient pas encore été révélés jusqu’alors.