Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/10

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DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 37, 38, 39, 40.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 37.

TOMBEAU de Madame VERNIER.


Ce tombeau n’est composé que d’une dalle de pierre de liais, formant fronton à orillon ; il est placé à l’entrée de l’allée des tilleuls, à gauche, en montant au château. Pour y arriver, il faut prendre la route à gauche en entrant, et traverser la pelouse. Il se trouve au deuxième rang des tilleuls.



CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 38.

TOMBEAU de Mademoiselle ÉLISA.


Ce tombeau représente un sarcophage à orillon, construit en pierre de liais. Les faces principales et les faces latérales, sont ornées de pilastres entre lesquels sont placées des tables en marbre noir enfoncées de huit lignes, sur lesquelles sont gravées en lettres d’or les inscriptions.

Ce tombeau est entouré d’arbres, d’arbustes et de fleurs d’espèces choisies. À l’un des orillons est suspendue une couronne de rose ; à l’autre extrémité, une guirlande de fleurs naturelles serpente sur ledit tombeau.

À la tête du monument on a placé une petite roche de la hauteur d’un siège. C’est là que madame de ***, va plusieurs fois par semaine, pleurer, se recueillir et prier pour sa chère Élisa. J’ai eu occasion de l’y rencontrer quelquefois, lorsque je venais m’y occuper à dessiner des tombeaux. Je l’y ai vue souvent seule, quelquefois avec une jeune personne qui paraissait partager sa douleur et ses regrets. Je les ai vues, après avoir, les yeux baignés de larmes, adressé leur prière au ciel pour leur chère Élisa, s’occuper à orner sa tombe de fleurs nouvelles.

Le jour où je fus témoin de cette scène attendrissante, je m’occupais à dessiner un monument construit entièrement en marbre. (Je donnerai ce monument dans les livraisons suivantes.) Ces dames, s’approchèrent de moi, et l’une d’elle m’apprit que ce tombeau que je dessinais était celui de sa fille aînée, sœur d’Élisa, laquelle était mère de plusieurs enfans.

Sur un des pilastres, du côté de l’inscription, on lit au crayon :


À ÉLIZA.

Élisa, tendre fleur qu’un matin vit éclore
Et qu’un soir a vu se flétrir,

Vierge simple et modeste, hélas ! si jeune encore
Est-il possible de mourir ?
Seize printems à peine embellissaient ta vie,
Déjà mille vertus en présageaient le cours.
Ah ! faut-il Élisa, que la mort t’ait ravie,
Quand pour toi commençait la saison des amours.
Élisa… Mais pourquoi, par une plainte amère,
Sans cesse accuser le destin,
Tout passe, meurt, et telle une fleur printanière,
Elle n’a brillé qu’un matin.
Élisa, cher objet de regrets et d’alarmes,
Repose, dors en paix, ta mère, chaque jour
Vient ici t’apporter le tribut de ses larmes,
Gage trop faible, hélas ! d’un immortel amour.

2 décembre 1811.

CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 39.

TOMBEAU DE M. A. D. CHAUDET.


Ce tombeau d’un artiste distingué, se voit en entrant à droite par la grande porte du cimetière, près le mur de clôture. Il est construit en marbre blanc veiné. Le premier socle sur lequel il est, est en pierre. Il est entouré d’une balustrade en treillage de neuf pieds de long sur neuf pieds de large.

M. J. Brulk, en visitant les tombeaux du Cimetière de Vaugirard, son Cicéron lui fit remarquer celui du statuaire CHAUDET ; après avoir fait l’éloge des talens distingués de cet artiste célèbre, et rendu justice à la modeste composition du monument qui lui est élevé, ajoute… « Devant ce monument repose (confondu dans la foule de ceux dont la charité seule a fait les frais d’enterrement) un compositeur célèbre, J. L. Dussek, mon compatriote, l’homme que ses talens, son désintéressement et la bonté de son cœur firent estimer de son vivant ; l’homme que la maison des riches, des puissans, recherchait, qui charma tant de fois les salons de nos jolies Parisiennes. Eh ! bien, cet homme n’a pas trouvé un ami qui honorât sa cendre du plus faible souvenir. »

J. BRULK.
Extrait de la Gazette de France du 26 Août 1813.

CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 40.

TOMBEAU de Madame JACQUES.


Ce tombeau, qui se voit à gauche en entrant, et adossé au mur de clôture près de l’encoignure, est érigé avec goût. Il est composé d’une dalle de pierre de liais, sur laquelle on a sculpté deux torches funéraires qui sont bronzées, ainsi que les lettres de l’épitaphe. La pierre tumulaire est décorée d’un fronton à orillon en marbre noir, dont les ornemens sont gravés et dorés. Ce fronton est surmonté d’une petite pyramide, sur laquelle est adossée une urne cinéraire en relief, prise dans la même masse.

La pyramide qui est faite en pierre de château Landon, qui est aussi belle, aussi polie que le marbre même, est souvent couronnée de fleurs des différentes saisons, surtout le jour de la fête de la défunte, ainsi que la plupart des familles le font aux tombeaux de leurs parens ou de leurs amis.


À MADAME DELILLE.


Ô toi, de tous les biens le plus cher à mon cœur,
Qui m’adoucis les maux, m’embellis le bonheur,
Dont la raison aimable et la sage folie,
Quand du crime légal les sanglans attentats
Jetaient autour de nous les ombres du trépas,
M’ont tant de fois, dans ma mélancolie,
Consolé de la mort et presque de la vie !
Reçois l’hommage de ces vers,
Douce distraction de mes chagrins amers.
À qui, de mon plus cher ouvrage,
Plus justement pourrais-je offrir l’hommage !
Le sujet t’avait plu, ma Muse l’embrassa,
Et cet ouvrage commença
Que cette époque m’intéresse ?
Le jour même où pour toi commença ma tendresse,
Ce jour, un seul regard suffit pour m’enflammer,
Car te montrer, c’est plaire, et te voir, c’est t’aimer.
Ô par combien de douces sympathies
Nos ames étaient assorties !
Pour le malheur même pitié,
Même chaleur dans l’amitié,
Même dédain pour la richesse,
La même horreur pour la bassesse,
Mêmes soins du présent, même oubli du passé,
Dont bientôt de notre mémoire
Tout, hormis tant d’amour, peut-être un peu de gloire,
Va pour jamais être effacé.
Dans les revers même constance,
Surtout la même insouciance
De l’impénétrable avenir
Que dis-je ? avec la mort et sa lugubre escorte,
De loin je crois le voir venir :
Déjà l’essaim des maux vient frapper à ma porte ;
Le temps, dont je ressens l’affront,
Déjà sur moi portant ses mains arides,
De ses ineffaçables rides
Laboure mon visage et sillonne mon front.
Qu’importe, si je puis, dans mon heureuse ivresse,
Reprendre quelquefois et ma lyre et mes chants ?
Mais je n’ai plus ces sons touchans
Qu’embellissait encor ta voix enchanteresse :
Jadis mes vers présomptueux

Chantait de l’Univers les nombreux phénomènes,
Les frais vallons, les monts majestueux,
Des bataillons armés le choc tumultueux,
Des volcans embrasés les fureurs souterraines.
Et le volcan bien plus impétueux
De nos discordes inhumaines.
Quelquefois déployant de plus riantes scènes,
Je prêtais aux jardins de plus riches couleurs,
Je guidais un ruisseau, je plantais un bocage,
Et des austères lois, de leur vieil esclavage,
J’affranchissais les bois, j’émancipais les fleurs ;
D’autres fois, dans la paix des domaines champêtres,
Poète du hameau, j’enseignais à leurs maîtres
L’art d’y nourrir l’antique honneur,
De vivre heureux où vivaient leurs ancêtres.
Et de répandre autour d’eux leur bonheur ;
Mais aujourd’hui, des arts, de la nature,
Vainement j’oserais essayer la peinture,
Sur mes yeux se répand un nuage confus ;
Et comment peindre encor ce que je ne vois plus ?
Le dieu brillant du jour et de la lyre,
Qui rarement daigne encor me sourire,
N’est plus pour moi, dans ce triste Univers,
Le dieu de la lumière, hélas ! ni des beaux vers.
Les Muses à mes vœux autrefois si dociles,
Quand jeune encor je vivais sous leur loi,
Se montrent déjà difficiles,
Même quand je chante pour toi.
Déjà de mon aride veine
Les nombres cadencés ne coulent qu’avec peine.
Écoute donc, avant de me fermer les yeux.
Ma dernière prière et mes derniers adieux.
Je te l’ai dit : Au bout de cette courte vie,
Ma plus chère espérance et ma plus douce envie,
C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau ;
À l’ombre d’un vieux chêne ou d’un jeune arbrisseau :
Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte,
Que la religion y répande l’eau sainte,
Et que de notre foi le signe glorieux,
Où s’immola pour nous le Rédempteur du monde,
M’assure en sommeillant, dans cette nuit profonde,
De mon réveil victorieux.
Là, quand le ciel voudra que je succombe.
Dans le repos des champs place mon humble tombe,
Tu n’y pourras graver ces titres solennels

Qui survivent aux morts, et qu’au sein des ténèbres
Emporte dans l’horreur de ses caveaux funèbres
L’incorrigible orgueil des fragiles mortels :
Au lieu de ces honneurs suprêmes,
Du néant vaniteux emphatiques emblèmes,
Place sur mon tombeau quelqu’un de ces écrits
Que ton goût apprécie et que ton cœur inspire,
Que tu venges par un souris
Des insultes de la satire.
Quand le céleste Raphaël,
Aux pieds de l’éternel, pour chanter ses louanges.
Alla se réunir à ses frères les anges,
Et retrouver ses modèles au ciel,
Sur la tombe précoce où périt son jeune âge,
Il ne reçut point en hommage
Ces nobles attributs, ces brillants écussons,
Qui d’une race illustre accompagnait les noms,
Mais ce tableau fameux, son plus sublime ouvrage,
Du Christ transfiguré, majestueuse image,
Par la victoire aux Romains enlevé,
Et de ses derniers jours chef-d’œuvre inachevé.
Quel ornement pompeux, quelle riche hécatombe
Eût égalé des tributs si flatteurs !
Un si touchant trophée attendrit tous les cœurs,
Et la Gloire, en pleurant, lui vint ouvrir sa tombe.
Je suis bien loin d’avoir les mêmes droits ;
Mais lorsque de la mort j’aurai subi les lois,
Pour rendre hommage à ma cendre muette,
Sur mon cercueil arrosé de tes pleurs,
Rends à mes vers l’honneur qu’on fit à sa palette,
Un vieil accord unit le peintre et le poète :
Les beaux arts sont amis, et les Muses sont sœurs.
Dans ma retraite ténébreuse,
Si tu m’aimes, viens aussi quelquefois
À ma tombe silencieuse
Faire ouïr cette douce voix,
Dont la grâce mélodieuse
Et la justesse harmonieuse
Rendront jaloux les Amphions des bois.
Ne crains pas d’y chanter les airs mélancoliques
De ces Arions italiques
Qui des sons modulés t’enseignèrent les lois ;
J’aimai toujours leurs accords pathétiques.
Peut-être à tes sons gémissans
Ma muse encor rendra quelques tristes accents ;

Car, tu le sais, cette aimable déesse
Qui s’empara de moi quand je reçus le jour,
La Poésie, à la vive allégresse
Préfère, pour former sa cour.
Et la Mélancolie, et la douce Tristesse,
Filles rêveuses de l’Amour.
Ô de mon sort, souveraine maîtresse !
Je leur vouai mon cœur en te donnant ma foi ;
Et tout ce que les Dieux ont d’une main féconde
Versé de biens et de plaisirs au monde
N’égale pas l’espoir d’être pleuré par toi.
Que des Muses audacieuses,
Dans leurs rimes ambitieuses,
Rêvent leur immortalité :
Moi, je n’aspire plus qu’à la tranquillité
De la rustique sépulture,
Où doit bientôt à la nature
Se rendre ma fragilité.
Toi, viens me voir dans mon asile sombre ;
Là, parmi les rameaux balancés mollement,
La douce illusion te montrera mon ombre
Assise sur mon monument.
Là, quelquefois plaintive et désolée,
Pour me charmer encor dans mon triste séjour,
Tu viendras visiter, au déclin d’un beau jour.
Mon poétique mausolée ;
Là, tu me donneras, en passant, un soupir
Plus doux pour moi qu’un souffle du Zéphir ;
Par toi ces lieux me seront l’Élisée ;
Le ciel y versera sa plus douce rosée,
L’ombre y sera plus fraîche, et les gazons plus verts ;
Les vents plus mollement caresseront les airs ;
Et, si jamais tu te reposes
Dans ce séjour de paix, de tendresse et de deuil,
Des pleurs versés sur mon cercueil
Chaque goutte, en tombant, fera naître des roses.

Extraits de ses œuvres.

J. DELILLE
DESCRIPTION

DU

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS,

DIT MAISON DU PÈRE LACHAISE.



À l’extrémité du faubourg Saint-Antoine, en face de la barrière d’Aulnay, s’élève une colline, dernière branche de la montagne de Belleville ; à l’ouest, elle est bornée par des éminences et des vallées fertiles, plantées de vignes et d’arbres fruitiers ; à l’est, elle s’abaisse vers le chemin de Montreuil ; au nord, elle est contiguë à ces hauteurs qui bornent l’horizon des voyageurs qui se rendent à Vincennes, et forment dans la belle saison un long rideau que les yeux se plaisent à parcourir depuis la barrière du Trône jusqu’à cet antique et vénérable château des rois de France.

Aucun des sites qui environnent Paris n’est plus pittoresque, et n’offre aux regards une scène aussi vaste, aussi variée, aussi imposante, pas même les cimes de Montmartre et de Belleville. Au nord, il est vrai, la vue ne découvre rien, mais quel riche coup d’œil que celui qui embrasse l’immense territoire compris entre cette colline, l’orient, le midi et l’occident ! rien ne lui échappe, depuis la capitale du royaume qui se déploie majestueusement en demi-cercle, jusqu’aux maisons de plaisance qui s’élèvent sur les coteaux de Meudon, de Bagneux, de Villejuif, et sur ceux dont la Marne baigne le pied.

Mont-Louis est situé à mi-côte, dans une position charmante, et tout-à-fait agréable : c’est une fort jolie maison de campagne que le Roi Louis XIV fit construire, sur la fin du dix-septième siècle, pour le Père Lachaise son confesseur[1]. C’est-là où ce Père venait se recueillir et se délasser dans les momens de loisir que lui laissaient, et la direction de la conscience du Roi, et les affaires ecclésiastiques dont il était chargé. Après sa mort, cette maison est demeurée aux jésuites de la maison professe auxquels elle servait de maison de campagne. L’édifice, d’une architecture simple et noble, est construit sur le penchant de la colline qui, depuis les troubles de la fronde, reçut le nom de Mont-Louis. Ce fut sur cet emplacement que Louis XIV et sa cour furent témoins de la bataille de Saint-Antoine, donnée le 6 juillet 1652. Le Roi était alors âgé de 9 ans : ses légions, commandées par l’illustre Turenne, réduisirent à l’obéissance les bataillons de ses sujets révoltés. Une révolution avait élevé les murs de Mont-Louis, une autre révolution a fait de ce beau local un cimetière.

Tâchons de peindre ces lieux à qui le temps a fait éprouver de si grands changemens. Sur le devant de la maison, on voyait une terrasse ornée d’arbustes odoriférans, et accompagnée de berceaux de verdure : elle offrait autrefois, en plusieurs endroits, de charmans lieux de repos. On arrive à cette terrasse par une avenue de tilleuls en pente douce, formant berceau. Au bout de cette allée, sur la droite, et près de la maison se trouve encore aujourd’hui un charmant bosquet au milieu duquel est une autre allée de tilleuls. C’est sous le feuillage de cette allée silencieuse, où les oiseaux font de leurs branches touffues le trône de leurs plaisirs, que l’on a construit le tombeau du chantre des Jardins (J. Delille), entouré modestement d’une petite grille en fer, posée sur un soubassement en pierre[2]. Près de l’enceinte de ce tombeau, on voit celui d’A. T. Brognart, architecte du cimetière. Sur le côté gauche, une longue allée, bordée d’arbres et de charmilles, se terminait à l’orient par un salon que le feuillage rendait impénétrable aux rayons du soleil. Sur le côté gauche de cette même allée on trouve le petit bois pittoresque de Haute-Futaie ou de la Fidèle (nom de la fontaine qui est au coin de ce bois), qui est d’un aspect religieux. Ce petit bois est remarquable par quelques grands tombeaux qui couvrent des caveaux. On y voit entre autres des tombes, des fûts de colonne surmontés d’urnes funéraires et autres monumens. À droite de la même allée et vis-à-vis le petit bois ou la fontaine la Fidèle, on trouve de chaque côté une route pittoresque bordée de loin en loin d’arbres et de buissons formés d’arbustes, de roses sauvages et de touffes odoriférantes. Cette route aboutit par la perspective aux allées de Vincennes, et de là on découvre sur l’un des côtés une vue charmante de la capitale, du faubourg Saint-Antoine, et d’une partie des riches campagnes du midi. À l’issue de cette dernière une autre allée formant berceau se prolonge au nord, et conduit à un enfoncement circulaire sur son plan, pratiqué dans le mur, où quiconque voulait se retirer pour se livrer à une paisible méditation, y était facilement engagé par le silence et l’obscurité du lieu. Sur le derrière de la maison était le parterre, dont une pièce d’eau entretenait la fraîcheur ; il était terminé par un verger planté de tous les arbres fruitiers qui naissent dans les environs de la capitale. Au-dessous de la terrasse s’étendait un long tapis de gazon, à l’extrémité duquel commençait le jardin potager. De chaque côté, à l’orient et à l’occident, la vue se portait sur des vignes qui ont été arrachées. Au milieu de ce vignoble s’élevaient de nombreux poiriers, pruniers, amandiers et abricotiers. Enfin, on peut s’imaginer toutes les beautés, tous les agrémens champêtres que le confesseur d’un grand monarque, membre d’une société célèbre et puissante, avait pu rassembler dans un tel séjour. Sans doute cette retraite conserva tous ses charmes long-temps après la mort du Père Lachaise ; et même les personnes qui eurent le bonheur d’en devenir les propriétaires après l’extinction de la société à laquelle elle avait appartenu, y en ajoutèrent de nouveaux.

Mais, ô vicissitude des choses humaines ! ô puissance des révolutions qui, en ébranlant les empires, ne respectent pas même quelques arpens de terre cachés sur leur surface, la maison de campagne du Père Lachaise est devenue un cimetière ! Une partie de ses bosquets et de ses berceaux de verdure ont été détruits pour faire place aux tombeaux, ou conservés pour servir à l’ornement de ce champ mortuaire. Plus de compagnies pour visiter ses jardins que celles qui viennent répandre des larmes sur les tombes. Plus de chars que ceux dans lesquels les ministres du trépas y transportent et les morts et ceux de leurs parens qui ont bien voulu les accompagner jusqu’à leur dernière demeure. Plus de portier pour dire, il n’est pas visible, ou il n’y est pas, mais un concierge qui peut répondre : Il y a ici des milliers de propriétaires ; ils y sont tous et n’en sortiront jamais. Grands du monde, hommes opulens qui vous glorifiez au milieu de vos campagnes de ce que vous appelez vos terres, qui vous a dit qu’un jour une grande bataille ne les jonchera pas de cadavres, et qu’on ne creusera pas dans vos jardins des fosses pour les y enterrer[3] ?

Après avoir fait la description de la maison du Père Lachaise, telle qu’elle était à peu près il y a plusieurs années, je vais faire celle du cimetière qui la remplace.

Mont-Louis est entouré d’un vaste et superbe enclos qui contient 2,400 toises de tour, ou une lieue de France. Sa superficie est de 51 arpens, y compris le terrain et les bâtimens.

Ce cimetière n’a point le genre terrible et effrayant de ceux que l’on voyait autrefois ; mais la variété des sites, la fraîcheur des ombrages, cet isolement parfait et une noble et douce tranquillité qui règne en tous lieux, annoncent que c’est bien là le séjour du repos. Point de miasmes putrides, point d’exhalaisons à redouter, c’est un vaste jardin pittoresque où de superbes allées et des routes sinueuses, des groupes d’arbres, des masses d’arbustes de différentes espèces viennent ajouter à la beauté, à la grandeur du site. L’ombre propice des feuillages, l’inégalité du terrain, les points de vue intérieurs et extérieurs, tous les accidens de la nature y sont ménagés, combinés et produits avec art. Aux mois de mai et de juin on y respire l’odeur embaumée des violettes, des lilas, seringas, chèvrefeuilles, et autres arbustes odoriférans.

On entre dans cette vaste enceinte entourée de murs[4] par une porte cochère d’une couleur obscure. On traverse d’abord une grande cour, où sont situés le logement du concierge et celui du portier, et qui conduit au cimetière. À peine a-t-on fait quelques pas que la vue d’une partie de tous ces tombeaux, qui blanchissent le sol et servent de nuances à la verdure, frappent d’étonnement ceux qui, pour la première fois, visitent ce séjour de la mort. Lorsqu’on a rappelé à soi son imagination errante sur ces tombeaux et qu’on a recueilli sa pensée, dans un moment de silence, à la vue de cette scène de deuil, de tous ces lugubres objets, de tous ces trophées de la mort, on ne peut retenir ses soupirs ; on ne peut s’empêcher de gémir sur ces débris entassés du plus noble des êtres sensibles, et l’on s’écrie du fond de l’âme avec le mélancolique Hervey : « Ô Adam, qu’as-tu fait ! quelle désolation ta fatale désobéissance a répandue sur la terre ! Ô la désastreuse et inconcevable malignité du crime ! c’est lui qui a fait ce ravage dans l’espèce la plus parfaite qui soit sortie visible des mains du Créateur ! c’est lui qui a versé dans nos corps le venin qui les tue ! et il allait plonger l’âme dans les abîmes si le fils de l’Éternel ne se fut placé entre Dieu et sa victime. »

Avançons pas à pas, et si nous ne pouvons nous arrêter à chaque objet, à chaque sépulture, observons du moins l’ensemble et les principaux détails.

À droite est un enclos que les israélistes ont choisi pour le lieu de leur sépulture. On y voit plusieurs tombes et tombeaux sur lesquels sont gravées des inscriptions en langue hébraïque. À gauche est un bâtiment long qui servait autrefois d’orangerie ou serre chaude. Tout près on voit une petite allée de huit marronniers. Sous le dôme de feuillage qui résulte de l’entrelacement de leurs rameaux repose M. Reveillon à côté de son épouse dans une enceinte fermée par un treillage. On se détourne un peu vers l’ouest, et l’on entre dans une belle avenue de tilleuls, formant berceau, où règnent une obscurité profonde et un religieux silence, cette avenue conduit à mi-côte de la colline et sur la terrasse[5] située devant la maison. Avant d’arriver sur cette terrasse, dont les murs ont été reconstruits en 1810, et sur laquelle doit être élevée une pyramide à la place de l’édifice qu’elle supporte, on promène ses regards sur les deux côtés de l’avenue ; on aperçoit à droite plusieurs monumens épars sur le penchant de la colline et qu’environnent des bosquets. À gauche et près des arbres commence et se termine avec l’avenue, quatre rangs de tombes, de tombeaux de pierres tumulaires et de cippes, de colonnes, des monumens de toutes les formes. Lorsqu’on est parvenu à la hauteur de la terrasse il faut s’y arrêter un moment pour contempler la beauté du coup d’œil qui est enchanteur. On aperçoit toute la perspective de la capitale des Français, et l’on découvre les tours de tous les édifices qui dépassent la sommité des maisons.

On se retourne, et l’on quitte une vue admirable pour l’échanger contre un triste et touchant spectacle ! D’abord les regards se portent sur un grand nombre de tombeaux ombragés d’ifs et de cyprès, placés sur une seule ligne le long de la muraille de l’ouest jusqu’à celle qui enclos le cimetière au midi. Ce fut en l’an 12, veille de la Pentecôte (1804), que l’on a enterré le premier corps ; les funèbres arbustes qu’on y a plantés depuis, forment, par leur élévation, la plus lugubre perspective de ces modernes Céramiques. Une multitude de tombes y sont déjà ensevelies sous l’herbe, et la mousse en a fait disparaître presqu’entièrement les inscriptions ; d’autres se sont brisées, et les plantes végètent entre leurs fragmens.

Les fosses communes, qui sont de longues tranchées de près de six pieds de profondeur, s’étendent parallèlement à ce rang de sépulcres. Les fossoyeurs n’y placent point les cercueils les uns sur les autres, comme dans les autres cimetières, mais de suite jusqu’à ce que la place leur manque. Quand cela arrive, ils creusent une autre tranchée parallèle à la première, et successivement plusieurs fosses ont déjà été ainsi creusées et remplies plusieurs fois, tant les corps s’y consomment rapidement. Les sels dont s’est imprégné le terrain qui a dévoré les dépouilles qu’on lui a confiées, lui communiquent une telle fertilité que nulle part l’herbe n’est plus épaisse et d’une verdure plus éclatante. Une nouvelle allée, plantée de jeunes tilleuls, sépare le local destiné aux sépultures communes, d’une autre où s’élèvent quatre rangs de tombeaux séparés par de petits sentiers. Les diverses formes de ces nombreux monumens, les arbustes dont ils sont entourés présentent un coup d’œil unique dans son genre. À l’extrémité de ce vaste emplacement était situé un jardin fruitier et potager ; on l’a détruit depuis quelques années, afin de prolonger la nouvelle allée jusqu’au mur du boulevard sur lequel on a commencé à construire une belle porte par où les convois entreront.

En sortant de la terrasse du côté par lequel on est entré, on monte encore pour arriver sur le plateau de la colline. Après avoir fait quelques pas on est incertain un moment sur les objets que l’on doit visiter les premiers, car à gauche ce sont des bosquets ou plutôt un petit bois qui ombrage plusieurs tombeaux dont l’architecture est simple mais soignée. À droite on voit çà et là des monumens d’un genre plus relevé et d’un goût plus noble élevés sur des caveaux creusés pour servir de sépulture à des familles entières. Pour ne rien oublier on fait des excursions de l’un à l’autre côté, et après plusieurs allées et venues, on a lu la courte inscription placée sur le monument du poète Chénier, et on a examiné le buste de Fourcroy, le rustique tombeau de mademoiselle Contât, couvert de mousse et entouré de six orangers, celui de Grétry, et quelques autres plus ou moins remarquables.

On entre dans une sombre avenue qui conduit au monument érigé dans un enfoncement circulaire sur son plan, dont j’ai parlé plus haut, à mademoiselle Rivière, jeune personne de 14 ans. Cette belle allée de charmille formant berceau, est traversée par une longue et superbe avenue plantée de sycomores, dont les deux côtés sont garnis d’un rang de monumens tous dignes d’exciter la curiosité ; parmi lesquels on remarque celui qui sert de sépulture à la famille de Greiffuhlt, et celui de madame Guyot.

Sur le plateau de l’ouest, renfermé entre la maison et le mur de clôture septentrional, on a planté, à partir de la maison, deux allées de peupliers qui traversent l’avenue de sycomores, où l’on trouve un grand nombre de sépultures ; c’est le lieu le plus élevé de tout Mont-Louis. On se dirige ensuite à l’est, vers un bosquet où la colline commence à s’incliner. Là est un petit plateau que l’on nommait autrefois le Belvédère : il forme un carré ombragé de huit tilleuls, se trouve dans la plus belle situation, et avoisine un petit bosquet charmant qui retentit des sons mélodieux du rossignol. C’est sous l’ombrage de ces tilleuls que s’élève un beau sarcophage sous lequel reposent les restes du ministre Mestrezat. Près de là une simple pierre, légèrement inclinée, couvre la dépouille de madame Cottin, née Sophie Risteau, célébre par ses romans. Cet emplacement paraît avoir été choisi par les chrétiens de la religion réformée pour la sépulture de leurs païens ou de leurs amis. Il faut se reposer là quelques instans pour jouir du beau coup d’œil que présentent les vastes campagnes qui s’étendent à l’orient. La vue se porte d’abord sur une vaste plaine décorée de tous les charmes d’une belle nature, à laquelle l’art n’a prescrit aucune borne, et ouverte sans cesse à la curiosité du voyageur. De là l’on voit sur la gauche et dans le lointain les tours crénelées, la chapelle et le donjon de l’antique château de Vincennes[6].

On se détourne vers le midi, et l’on porte ses pas vers les catacombes de la famille Jacques de Lépine ; ensuite l’on revient sur le coteau que l’on remonte, et l’on suit la sommité jusqu’au plateau, ombragé, dans toute sa longueur par un double rang de tilleuls, que l’on nomme l’allée de Vincennes. Sous ce long et large berceau de verdure, où le calme et l’ombre vous invitent à une profonde méditation, plusieurs familles ont fait construire des caveaux où l’on remarque entre les monumens érigés, à son extrémité orientale, celui de la famille Jacquemart, dont la prévoyance de l’architecte a fait placer au pied des sarcophages de leur sépulture un banc de pierre. On examine ensuite avec le plus vif intérêt le tombeau de la famille Brochant, celui de la famille Moreau, et le cénotaphe du dragon Guillaume de la Grange, ainsi que plusieurs autres. La famille Fieffé, a fait placer aussi un autre banc à la porte de son caveau pour reposer les voyageurs qui veulent admirer la campagne, méditer sur la mort, et connaître comme la vie et le néant se touchent de près. L’obscurité, l’isolement et le silence font naître ici d’utiles réflexions dans le cœur des personnes qui aiment à se livrer à des idées mélancoliques ; cependant, le croira-t-on ? le spectacle des tombeaux ne suffit pas toujours pour mettre un frein à la dissipation de certains promeneurs des deux sexes que la curiosité y conduit.

En sortant de ce sombre asile on découvre à droite, de distance en distance, dans de petits vallons, des sarcophages, des tombes, des cippes, entourés d’arbustes et de fleurs. Près de là on voit la pyramide qui s’élève sur le caveau de la famille Bonommé. À gauche, la colline s’abaisse insensiblement jusqu’à la plaine. On aperçoit encore dans ce grand espace plusieurs monumens élevés au milieu de petits bosquets. On descend par l’avenue tournante, dite des Acacias ; en quittant cette dernière avenue on traverse le carrefour de l’étoile : on entre dans l’avenue tournante, dite des Peupliers ; on voit à droite et à gauche de cette avenue plusieurs rangs de tombeaux ainsi placés jusqu’à la porte de sortie du cimetière.

Il y a cinq ans que le cimetière de Mont-Louis était bien moins aisé à parcourir qu’il ne l’est aujourd’hui. Un grand nombre d’arbres fruitiers ont été abattus pour y faire de belles allées bordées de tilleuls, de peupliers, d’acacias, de sycomores etc., qui est l’allée tournante dont nous venons de parler. À droite on a pratiqué sur le penchant de la colline cette belle avenue cailloutée et sablée, plantée en partie de peupliers et d’acacias, qui en ombrage le contour oriental et revient à l’occident, de manière que les chars peuvent maintenant arriver plus aisément jusqu’à cette hauteur, par cette allée tournante. Il faut ajouter à cet embellissement, qui était de toute nécessité, les travaux qui ont eu lieu pour soutenir les terres du côté de l’est, et empêcher les pluies de les faire ébouler. Sans doute, il en reste encore quelques-uns à exécuter qui se font actuellement pour l’entière facilité de la circulation des voitures et des piétons ; mais tel qu’il est, ce cimetière ne peut être comparé qu’à ceux que la superbe Athènes avait préparé : il offre le spectacle le plus intéressant pour le voyageur sensible qui, au milieu des tombeaux, trouve le site le plus champêtre, les promenades les plus solitaires, l’ombre propice, la verdure, les plus beaux points de vue, et le sujet de la méditation sur la mort, sur la beauté de la nature, et sur les tristes résultats des vains plaisirs, et des peines trop réelles de la vie.


DESCRIPTION
DU

CIMETIÈRE SOUS MONTMARTRE




Ce cimetière, placé entre la barrière Blanche et celle de Clichi, à une distance de cinquante pas du boulevard auquel il communique par un chemin pratiqué depuis peu à travers terre, est beaucoup moins étendu que celui de Mont-Louis, car il ne contient tout au plus que trois arpens, au lieu que le dernier en renferme cinquante-un. Comme le terrain qui le compose a été bouleversé par l’exploitation des carrières à plâtre, il présente des hauteurs et des enfoncemens qui sont devenus autant de vallons plantés d’ifs, de peupliers et autres arbustes ; il existe depuis quinze ans à peu près, et doit être regardé comme l’un des premiers cimetières établis hors des murs de Paris.

La muraille qui l’enclot est construite partie en pierre, partie en terre de pisé ; mais bientôt un côté de cette enceinte sera abattu pour l’agrandissement dont le cimetière a besoin du côté du nord, tant les tombes s’y pressent, et tant le terrain destiné aux fosses communes se rétrécit de jour en jour.

Sans entrer dans le cimetière on peut en voir tout l’ensemble à la fois. Si l’on monte sur une éminence voisine de la muraille du nord, les regards du spectateur ont pour premier point de vue, en s’abaissant, un vallon rempli de tombeaux et de pierres sépulcrales entre lesquels s’élèvent un grand nombre de peupliers dont l’ombrage, par l’obscurité qu’il répand, lui donne un aspect également triste et religieux. Comme c’est la première enceinte qui a été destinée aux monumens funéraires on n’y trouve plus de place, et déjà un grand nombre de tombes disparaissent sous l’herbe, sous les mousses, sous les débris de la végétation, sous les terres qui s’accumulent tout autour, de manière que les familles n’y pourront bientôt plus reconnaître les tombes des personnes qui leur ont appartenues.

À la gauche du spectateur, toujours placé sur l’éminence dont nous avons parlé, on aperçoit un plateau non moins peuplé que le vallon, de dépouilles humaines. Comme il ne s’y trouve aucun sentier, parce que les tombes y ont été placées sans ordre et sans alignement, il faut, dans cette confusion, faire un grand nombre de circuits pour arriver à l’une des extrémités. C’est à celle qui est bornée par la muraille septentrionale qu’ont été érigé les premiers monumens dignes d’être vus. On y en trouve trois ou quatre placés dans des balustrades où les arbustes et arbrisseaux qu’on y a plantés, forment tous ensemble un bosquet fort agréable dans le printemps, et que les curieux s’empressent de visiter. À l’extrémité méridionale du même plateau, on voit encore quelques monumens élevés au milieu d’un grand nombre de tombes horizontales ou de cippes qui ne portent qu’une simple inscription. Dans le nombre de ces tombes il en est qui sont entourées d’un treillage, et d’autres dont rien n’en défend les approches. Comme dans le vallon la destruction exerce là son empire quoiqu’il ne s’y trouve aucun arbre dont le feuillage puisse s’y amonceler sur la fin de l’automne, dans quelques années les plantes et les arbustes de ce plateau formeront un vaste bosquet avec ceux qui croissent dans les autres parties du cimetière.

En quittant ce lieu, les yeux se portent sur un emplacement situé entre le vallon dont nous avons déjà parlé et la porte ; il est occupé par plusieurs monumens, dont quelques-uns qui se trouvent sur le penchant du monticule, méritent d’être vus. De là on entre dans le chemin qui conduit au deuxième vallon, et à la fosse commune. À droite et à gauche s’élèvent plusieurs tombeaux formés de pierres placées d’une manière horisontale ou perpendiculaire : on s’aperçoit bientôt que le deuxième vallon n’a été disposé qu’après le premier pour recevoir des monumens. Tous y paraissent presque neuf, et plusieurs sont décorés d’ornemens qui pourraient figurer avec succès au cimetière de Mont-Louis. Ce local qui n’était, il y a six ans, qu’un véritable chaos où l’on creusait avec beaucoup de peine des fosses communes, est devenu, par le travail des fossoyeurs, un petit Élysée où les familles se disputent le bonheur d’élever des monumens à la mémoire des personnes que la mort vient de leur enlever. Déjà presque toutes les places sont occupées ; et le terrain qui s’élève à l’occident, est sur le point de l’être à son tour jusqu’à celui où l’on enterre la foule des morts dont aucune inscription ne conserve les noms.

De ce nouveau local on monte à une plate-forme située près de la muraille du midi. Là s’élèvent plusieurs sépulcres, qui sont l’ornement de ces lieux et que les curieux peuvent contempler avec intérêt. Dans peu ce plateau et la pente qui l’avoisine seront couverts à leur tour de tombes et d’autres monumens funèbres.

La fosse commune qui se renouvelle tous les cinq ou sept ans, quand les corps qui y sont enterrés le permettent, n’est qu’une tranchée peu longue, mais profonde de 12 à 15 pieds, aujourd’hui parallèle à la muraille de l’ouest. Le peu d’étendue du cimetière exige qu’on y place les cercueils les uns sur les autres. On pense bien que la terre à plâtre dans laquelle cette fosse est creusée a bientôt consumée les corps dont le dépôt lui a été confié.

DESCRIPTION
DES

CIMETIÈRES DE VAUGIRARD
ET DE SAINTE-CATHERINE.




La première fois qu’on entre dans le cimetière de Vaugirard, on ne peut s’empêcher d’être frappé du contraste qu’il offre avec l’arrondissement auquel il appartient. Un ancien marais où rien n’appelle les regards de l’observateur ; un carré long, plat, entouré d’une muraille construite de moellons apparens, ombragé de quelques marronniers et le faubourg Saint-Germain, habité par tant de familles opulentes et illustres, décoré d’un si grand nombre d’hôtels et de palais… Quelle opposition !

Ce cimetière, qui a la forme d’un carré, est situé entre les faubourgs de Sèvres et de Vaugirard, et dans le voisinage des deux barrières de ces noms, c’est-à-dire, au milieu des guinguettes où une partie du peuple de Paris va se délasser tous les dimanches des fatigues du travail. Le terrain est coupé en deux parties par un mur, et le tout contient à peu près quatre arpens. On y entre par deux portes opposées. La partie la plus étendue du cimetière commence près de la porte de la rue du faubourg de Vaugirard, et paraît destinée aux monumens funéraires qui déjà en couvrent plus de la moitié ; la partie la plus courte est réservée aux fosses communes. Le long des quatre murs on voit un grand nombre de monumens qui y sont adossés ou enclavés.

Si quelque chose devait ôter à l’aspect de ce cimetière une partie de sa tristesse, c’étaient les tombeaux et les arbrisseaux qui les entourent. Cependant, rien n’est plus vrai ; l’état d’abandon où les familles paraissent les livrer, établissent, dans l’enceinte où ils sont placés, une confusion, un désordre, un chaos que l’œil ne peut supporter. Ici c’est une balustrade dont les débris tombent sur celle qui l’avoisine ; là c’est un arbuste desséché qui entrelace hideusement ses rameaux, privés de vie et de feuillage, avec ceux d’un arbrisseau verdoyant. Un peu plus loin, on voit plusieurs tombes ou brisées, ou couvertes de mousse et débroussailles, et par tout les herbes parasites et sauvages qui déclarent la guerre aux sépulcres qui s’élèvent au-dessus d’elles. C’est en vain que le voyageur sentimental s’efforce de visiter les monumens élevés depuis quelques années ; il ne le peut faire sans marcher sur ceux d’une date plus récente, conséquemment sans violer la religion des tombeaux.

Nous dirons peu de choses du cimetière Sainte-Catherine, parce que ni sa situation irrégulière, ni les ornemens qu’il renferme ne présentent le sujet d’une intéressante description. Resserré dans un fond, et contigu à l’ancien cimetière de Clamart, il ne mérite d’être vu que pour quelques monumens un peu plus élevés et un peu mieux décorés que beaucoup d’autres enfermés dans son étroite enceinte, qui a à peu près deux arpens. Comme le terrain ne suffirait pas pour des fosses en longueur, on en a creusé une pour les sépultures communes, laquelle est un trou profond et couvert de planches dans lequel on descend les cercueils avec des cordes. On peut s’imaginer la quantité de miasmes putrides qui s’exhalent de cet antre ténébreux lorsque les fossoyeurs le découvrent pour recevoir un cercueil.


COUP D’OEIL HISTORIQUE


Sur les Funérailles, Sépultures, Tombeaux et autres Monumens funéraires des Peuples anciens et modernes.




Dans tous les temps et chez tous les peuples, l’amour, la reconnaissance, et même trop souvent la vanité, ont consacré les funérailles par des cérémonies augustes, touchantes et symboliques. Chez chaque peuple ces cérémonies diffèrent suivant le degré de sa civilisation, suivant ses mœurs et ses préjugés ; et chez tous elles paraissent fondées sur le sentiment intime de l’immortalité de l’ame et l’incertitude de sa destinée après sa séparation du corps.

De la, sans doute, est provenu le saint respect pour le lieu consacré aux inhumations, que les anciens nommaient le Champ du repos. L’on sera aisément convaincu de l’existence universelle de cette pieuse vénération pour la dépouille mortelle de l’humanité en jetant un coup d’œil sur les usages des peuples, tant anciens que modernes, les mieux connus à l’égard de leurs funérailles. Si parmi ces usages il s’en trouve de bizarres, d’extravagans, et même d’atroces, ce ne sont que des conséquences outrées dont on ne peut appliquer le blâme au principe d’où elles émanent.

Je vais donc faire connaitre rapidement ces usages au lecteur en commençant par les peuples que les monumens historiques des temps les plus reculés nous font connaitre.

Dès la plus haute antiquité, il y a eu des tombeaux, et l’on a rendu des honneurs particuliers à la cendre des morts. Nous lisons dans Homère que des jeux funèbres furent célébrés en l’honneur de Patrocle, d’Hector, et qu’un magnifique tombeau fut élevé à Achille sur le promontoire de Sigée. Daris de Phrygie, ou plutôt l’écrivain qui s’est caché sous ce nom, nous apprend que Priam et Hécube se rendaient, avec les princes et princesses de leur famille, une fois chaque année au tombeau d’Hector pour y offrir un sacrifice ; et nous lisons dans l’Enéide qu’Andromaque avait élevé en Grèce un tombeau ou cénotaphe auprès duquel elle se rendait souvent pour faire des libations à la mémoire d’Hector, son époux.

L’Égypte, qui passe pour avoir été le berceau de la philosophie, des sciences, des arts, et de la législation, est aussi le pays où la vénération pour les morts paraît avoir été portée au plus haut degré. Bien avant le siège de Troie, les Égyptiens se distinguaient des autres peuples par leur respect pour les morts. Ils prenaient des habits de deuil, et montraient surtout leur affliction en s’abstenant du bain et de la bonne chère pendant plus de quarante jours. Ils embaumaient les corps avec beaucoup de soin, prononçaient l’éloge funèbre de ceux auxquels ces dépouilles avaient appartenu, et qui, pendant leur vie, s’étaient distingués par la pratique de la vertu. Ces corps, ainsi préparés, étaient souvent gardés dans la maison de leur pieuse famille, qui, aux jours de fêtes, les plaçaient à sa table comme convives pour participer à la joie commune. Le respect pour ces précieux restes était tel, qu’un Égyptien trouvait de l’argent à emprunter en donnant pour gage le corps de l’auteur de ses jours, et même de son frère. Indépendamment de cet usage, pratiqué par les Égyptiens, il y avait un cimetière commun où aucun cadavre n’était admis qu’après un jugement public. Si le mort était convaincu d’avoir mené une vie scandaleuse, ou d’avoir commis quelque crime, on lui refusait une sépulture honorable, et on le jetait dans une espèce de voierie ou de fosse, qu’on nommait le Tartare.

Personne n’ignore que les pyramides, ces monumens indestructibles qui fatiguent le temps, ont été construites pour être le dernier asile de quelques monarques dont les règnes sont inconnus, ou sur lesquels on n’a que des conjectures vagues.

L’art des embaumemens n’a pas été pratiqué par les seuls Égyptiens ; on en trouve des vestiges chez plusieurs autres peuples, et tout le monde sait qu’il est encore en usage en Europe pour certaines personnes distinguées. Mais on sera bien aise d’apprendre que cet usage a eu lieu dans l’antiquité chez un peuple peu nombreux et assez obscur, qui le pratiquait avec beaucoup d’industrie. Les momies des Guanches, anciens habitans des Canaries, sont encore estimées des curieux, et peut-être autant recherchées que celles de l’Égypte.

Je passe donc à un autre peuple, voisin de l’Égypte, qui, pour avoir habité ce pays assez long-temps avant son établissement en Palestine, ne parait pas en avoir adopté un grand nombre d’usages.

Les Juifs enterraient les gens du peuple après avoir lavé leurs corps ; mais ils embaumaient les personnes de distinction et les enfermaient dans des sépulcres. On lit dans l’Écriture que le corps d’Aza, roi de Juda, fut mis sur un lit de parade rempli de parfums précieux auxquels on mit le feu ; et cette cérémonie était pratiquée aux funérailles de tous les rois de Juda.

Les Juifs, comme la plupart des autres peuples, se servaient de pleureuses gagées dont les lamentations étaient accompagnées du son triste et lugubre des flûtes. Ils conduisaient en grande pompe les morts au tombeau ; Moïse en fait une loi expresse. Parens, amis et serviteurs, tous étaient obligés d’assister au convoi.

Leurs sépultures étaient hors des villes et placées le long des grands chemins dans des champs ou des jardins. Les tombeaux étaient simples ; les plus riches étaient creusés dans la pierre, et surmontés d’un obélisque : il faut cependant en excepter celui de David, que Salomon lui fit ériger dans la ville de Jérusalem, avec la magnificence d’un puissant souverain.

Leur deuil était de soixante-dix jours pour les grands, et seulement de sept jours pour les particuliers. Pour le porter, ils se couvraient de cendre, se revêtaient de cilice, se privaient de tous les plaisirs, et jeûnaient rigoureusement.

Par une singularité remarquable, la religion ne paraissait entrer pour rien dans leurs cérémonies funéraires ; et bien loin que les prêtres y fussent appelés, il leur était défendu d’y assister, sous peine d’encourir une souillure légale. Tous les laïques qui s’y trouvaient étaient immondes jusqu’à ce qu’ils se fussent purifiés.

Les Juifs modernes suivent d’autres pratiques, dont je m’abstiendrai de parler, chacun étant à portée d’en prendre connaissance.

Les anciens Grecs, ce peuple si digne de notre admiration, tant pour l’excellence de son goût dans les arts, sa civilisation, son amour pour la liberté, que pour la majesté et la richesse de son langage, les Grecs regardaient les sépultures comme un devoir sacré recommandé par les dieux. Pictatis officium est mortuos sepetire, dit Pausanias. La croyance que leur avaient insinuée les poètes, premiers instituteurs de tous les peuples, que les âmes de ceux qui n’avaient pas reçu la sépulture restaient errantes sur le bord du Styx, sans pouvoir être admises à passer ce fleuve pour arriver à leur dernière destination, heureuses ou malheureuses, suivant leur mérite. Cette croyance sacrée ne leur faisait rien négliger pour rendre aux morts les derniers devoirs.

Ce ne fut que la première année de la guerre du Péloponnèse que les Athéniens donnèrent l’exemple des funérailles publiques dans les honneurs qu’ils rendirent à ceux de leurs guerriers qui avaient été tués ; honneurs qu’ils décernèrent à tous les autres qui périrent depuis dans cette longue guerre. On exposait d’abord les ossemens des morts pendant trois jours sous une tente. Lorsque chacun avait jeté sur ces glorieux restes des fleurs et des parfums, on les plaçait sur des chariots dans des cercueils de cyprès. Sur un autre chariot était un grand cercueil vide pour ceux dont on n’avait pu trouver les corps : on le nommait Cénotaphe. La marche en était lente, grave, religieuse ; on déposait ces ossemens dans le Céramique, vaste monument situé dans le plus beau faubourg de la ville. On élevait sur leurs tombeaux des colonnes sur lesquelles on gravait le nom de l’endroit où ces braves avaient été tués, et une courte inscription en leur honneur. Rien n’égala jamais en magnificence les funérailles d’Alexandre-le-Grand, ni celles de Philopémen, auxquelles assistèrent les habitans de toutes les villes des Achéens.

Enfin, chez ce peuple, un général eût plutôt renoncé au titre de vainqueur que de manquer à donner la sépulture aux soldats morts sur le champ de bataille. Tout officier infracteur de cette loi était puni d’une peine capitale, fût-il revenu victorieux.

Les Macédoniens avaient consacré le même principe, et Alexandre leur en donnait l’exemple. Achille fut à jamais flétri dans l’opinion publique pour avoir vendu le cadavre d’Hector, son ennemi. Une foule d’autres exemples, ainsi qu’un grand nombre de lois et de maximes des sages et des écrivains de cette nation éclairée, prouvent qu’elle n’a jamais négligé l’important et saint devoir du respect que l’on doit aux mânes de ceux qui ont parcouru leur carrière mortelle. L’usage était de brûler les corps ou de les enterrer. Je n’entrerai point dans les détails des cérémonies lugubres usitées en cette circonstance. Si ces cérémonies n’étaient pas les mêmes chez tous les peuples de la Grèce, elles supposaient toutes ou le sentiment de la douleur d’avoir perdu ce qu’on a de plus cher, ou la reconnaissance des services rendus à la patrie, ou le désir de perpétuer la mémoire et les exemples des gens de bien, ainsi que la croyance de leur passage à une vie meilleure. C’est probablement à la réunion de tous ces sentimens que certains personnages de la haute antiquité, célèbres et par leurs exploits et par d’éminens services rendus à l’humanité, ont dû les honneurs de l’apothéose, et peut-être les dieux supérieurs, eux-mêmes, n’étaient-ils que des hommes déifiés à une époque encore plus reculée.

Les Romains, ce peuple tellement religieux, que, suivant Cicéron, il ne devait qu’à sa piété sa conservation et ses succès, n’ont pas été inférieurs aux autres nations dans le respect dû aux morts et à leurs tombeaux.

Chez eux, il y avait deux espèces de funérailles : on brûlait les corps, ou on les enterrait ; cet usage avait lieu de même chez plusieurs autres peuples leurs contemporains.

Le premier honneur était réservé principalement aux grands et aux riches qui pouvaient faire les frais du bûcher ; et lorsqu’on voulait que leurs cendres ne fussent pas confondues avec celles des matières employées pour la combustion, on enveloppait le corps dans un linceuil d’amiante, que l’on sait être incombustible, ce qui augmentait considérablement la dépense. L’inhumation simple était réservée au reste du peuple. Les Romains portaient aux morts une telle vénération, que tout individu, quelle que fût sa qualité, qui se serait permis de leur faire insulte, était à l’instant condamné à perdre la vie.

L’on regardait comme un bonheur spécial de recevoir les derniers soupirs d’un agonisant ; et si quelqu’un mourrait en pays étranger, en l’absence d’un parent, la famille entière se croyait au comble du malheur, et faisait apposer sur le sarcophage cette triste épitaphe :

Parentes infelicissimi filio infelicissimo.

Lorsqu’un Romain était assez heureux pour mourir au sein de sa famille, ses plus proches parens lui fermaient les yeux, et tous ceux qui étaient dans la maison l’appelaient plusieurs fois par son nom à haute voix. Le mort ne répondant point, on lui ôtait l’anneau du doigt pour le lui remettre lorsqu’on le portait sur le bûcher. On le lavait avec de l’eau chaude, on le parfumait, et on lui mettait une robe blanche. Dans cet état, on le plaçait sur le seuil de la porte, les pieds tournés du côté de la rue ; et en signe de deuil on plantait un cyprès au-devant de la maison. Le mort restait ainsi exposé l’espace de sept jours, pendant lesquels les parens allaient dans le temple de la déesse Libitine acheter tous les objets nécessaires aux funérailles. Les sept jours étant écoulés, le corps était porté au bûcher si le défunt avait demandé d’être brûlé, ou bien au lieu de la sépulture s’il avait demandé à être inhumé.

Le convoi marchait avec un appareil lugubre, et le mort était porté, dans un cercueil découvert, par ses parens ou des gens qui remplissaient cette fonction. Si le défunt était un personnage grand, distingué ou remarquable par les emplois qu’il avait occupes où les services par lesquels il s’était distingué envers sa patrie, les sénateurs et les magistrats lui rendaient eux-mêmes ce devoir. Il était placé sur un lit orné de drap de pourpre, et on portait devant les marques de sa dignité, les dépouilles qu’il avait remportées sur l’ennemi, les images en cire de ses ancêtres, en un mot, tous les monumens de sa gloire. Ses affranchis, ses parens, ses amis et ses enfans, suivaient le lit funèbre. La marche commençait par un trompette et par les joueurs de flûtes, suivis d’un certain nombre de gens qui portaient des torches allumées : auprès du corps était un homme qui contrefaisait toutes les manières du défunt, et le cortège était fermé par des filles vêtues de blanc, qui avaient les cheveux épars, les pieds nus, et par des femmes gagées qui faisaient retentir l’air de leurs lamentations, et qui chantaient en pleurant les louanges du défunt.

Le convoi s’arrêtait dans la grande place de Rome, si le défunt était une personne de distinction, et là un de ses parens ou amis prononçait son éloge funèbre ; après quoi on se rendait au champ de Mars, où le corps devait être consumé sur un bûcher formé de pièces de bois aisé à s’enflammer, tel que l’if, le pin, le mélèze ; on le plaçait sur ce bûcher, vêtu de sa robe, ensuite on l’arrosait de liqueurs précieuses et odoriférantes, et on lui mettait dans la bouche une pièce de monnaie qu’il devait donner à Caron pour payer son passage au delà du Styx. Ensuite, les plus proches parens, tenant derrière eux un flambeau, et tournant le dos au bûcher, y mettaient le feu : lorsque la flamme commençait à s’élever, on y jetait les habits, les armes et autres effets du défunt, et tout ce qui lui avait été cher pendant sa vie. On immolait des bœufs, des taureaux, des moutons, qu’on livrait aussi aux flammes.

Lorsque le corps était brûlé, l’on renfermait soigneusement dans une urne, ses cendres et ses os, après les avoir lavés avec du lait et du vin. Le sacrificateur trempait des branches d’olivier dans l’eau lustrale, et en arrosait les assistans. Après cette cérémonie, une pleureuse disait à haute voix : I, licet. « Allez-vous-en, il vous est permis. » Alors, tous les assistans faisaient au défunt le dernier adieu, lui promettant de le rejoindre quand le destin aurait marqué leur dernière heure.

Les funérailles se terminaient ordinairement par un souper auquel étaient invités les parens et les amis du mort. Neuf jours après on faisait un autre festin, nommé le grand souper ; on y quittait les vêtemens noirs pour en prendre de blancs.

Les urnes dans lesquelles on renfermait les cendres et les os étaient de matière différente. Il y en avait de cuivre, d’or, d’argent, d’albâtre, de porphyre, de marbre et de terre cuite. On les chargeait plus ou moins d’ornemens de sculpture, d’inscriptions et d’épitaphes, selon l’opulence et la qualité des morts. On les plaçait dans des souterrains, et on les rangeait dans plusieurs niches disposées les unes sur les autres. Dans ces urnes cinéraires on mettait ordinairement de petites fioles de terre cuite ou de verre qui renfermaient les larmes que les pleureuses publiques et les parens versaient en abondance, tant aux funérailles qu’aux jours consacrés à pleurer les morts.

À l’égard de ceux dont on ne brûlait point les corps, on les mettait ordinairement dans un cercueil de terre cuite, que l’on plaçait dans les sépulcres sur des tablettes de pierres préparées à cet effet, ou, s’ils étaient des personnes de qualité, on les renfermait dans des tombeaux de pierre ou de marbre.

Les funérailles des simples particuliers se faisaient sans beaucoup de cérémonies, et l’on en faisait encore moins pour la classe inférieure du peuple, ainsi que pour les pauvres. On les portait au cimetière commun, nommé le Champ Esquilin, situé hors des murs, parce que par une loi expresse et très-sage il était défendu d’inhumer dans le sein des villes. Cet abus dangereux avait eu lieu dans les commencemens de la république, et il fut aboli, excepté à l’égard des empereurs, des vestales, et de quelques personnes illustres.

Je pourrais parler ici de la déification ou apothéose renouvelée de l’ancienne mythologie en l’honneur de certains personnages célèbres ou par leurs vertus, ou par leurs exploits militaires ; mais cet usage, fondé dans son origine sur la reconnaissance et l’admiration, dégénéra dans la suite en des abus grossiers et absurdes ; et bientôt la dépravation devint telle, que l’on ne rougit pas d’élever des temples ou d’établir des sacerdoces en mémoire ou de monstres qui avaient avili l’humanité par leurs désordres ou leurs cruautés, ou de femmes qui n’étaient célèbres que par leurs débauches, ou de favoris qui n’avaient sans doute mérité cette distinction que par des basses complaisances. Tirons donc le voile sur ces tristes écarts de la raison humaine qui ne prouvent que trop sa dégradation, lorsque, devenue esclave, elle est réduite à flatter et à adorer la main qui lui donne des fers.

Je garderai le même silence sur les fêtes, les spectacles et les jeux établis pour célébrer la mémoire des morts qu’on eût mieux honoré par des cérémonies simples, et surtout par l’imitation de leurs vertus. Ces détails d’ailleurs m’amèneraient à faire mention des combats horribles et sanguinaires des gladiateurs, que la corruption d’un peuple avili ajouta à la solennité des funérailles ; spectacle révoltant auquel, par un abandon incroyable de sa sensibilité naturelle, le sexe le plus délicat prenait un plaisir qui tenait de l’ivresse. Le respect dû à l’humanité doit détourner nos regards de scènes aussi dégoûtantes, et qui ne peuvent que déshonorer notre respect. À ce tableau raccourci des usages des peuples anciens les mieux connus, et dont l’histoire nous offre des notions plus certaines, je pourrais ajouter celui des usages des autres peuples leurs contemporains dont nous avons des connaissances ou des notices historiques : on y verrait qu’on n’en peut citer qu’un très-petit nombre pour lesquels les morts et les tombeaux n’aient pas été un objet de vénération. Les usages barbares et atroces de quelques-uns n’étaient peut-être, et ne sont encore chez quelques nations isolées, que l’excès de cette vénération mal entendue, et l’application superstitieuse d’un principe pur dans son origine, comme je l’ai déjà observé.

Si chez quelques nations l’on immolait sur le bûcher ou sur le tombeau des morts ses esclaves, et même des hommes libres compagnons d’armes d’un chef militaire, comme chez les Gaulois ; ou les épouses des défunts, comme chez les indiens anciens et modernes ; si l’on brûlait ou si l’on enterrait des habits, des meubles, de l’argent, c’est qu’on se figurait que ces objets étaient nécessaires aux décédés, soit pour les besoins, soit pour les plaisirs de l’autre vie.

« Les Germains ne mettaient aucun faste dans les funérailles ; seulement ils brûlaient sur un bûcher, composé d’un certain bois, les corps des hommes qui s’étaient illustrés parmi eux. Ils ne jetaient sur ce bûcher ni vêtemens ni parfums ; mais ils brûlaient les armes des morts, et quelque fois leur cheval. Les tombeaux étaient de gazon. Ces peuples méprisaient le luxe des monumens funéraires, comme un honneur pénible et coûteux, et même à charge aux morts. Ils étaient prompts à s’affliger et lents à se consoler. Il était honorable aux femmes de verser des larmes, aux hommes de conserver la mémoire de ceux que la mort avait enlevés. »

(Tac. Des mœurs des Germains.)

Les Francs, nos ancêtres, sortis de la Germanie, suivirent quelques-uns de ces usages avant d’avoir embrassé le christianisme ; ils enterraient le cheval avec le cavalier tout armé, témoin le tombeau de Childéric trouvé aux environs de Tournay en 1655, monument qui prouve ce que nous rapporte Tacite sur les sépultures des Germains. Ces peuples guerriers ne connaissaient d’autres délices que la guerre. Ils mettaient la suprême félicité de l’autre vie dans les exercices militaires ; leur grossière simplicité ne leur figurait pas d’autre jouissance que celle-là, et celle de boire dans le crâne de leurs ennemis, cette dernière opinion, enseignée par Odin, était reçue chez presque tous les peuples du nord.

César, dans ses Commentaires, nous instruit en peu de mots des cérémonies que les Gaulois observaient dans les funérailles. « Elles sont, dit-il, magnifiques et somptueuses. Ils brûlent, sur le même bûcher, les morts et tous les objets pour lesquels ils ont montré de l’attachement, même des animaux. Il n’y a pas long-temps qu’ils dévouaient aux mêmes flammes les esclaves et les cliens pour lesquels on savait que les morts avaient eu le plus d’affection. En cela, ils croyaient remplir un devoir de justice. »

(César. Comm. de bell.)

L’abrutissement avait porté les Massagètes, peuple Scythe, à massacrer, par un sentiment aveugle d’humanité, leurs parens accablés de vieillesse ; ils les faisaient cuire, puis les mangeaient, pensant que cette sépulture était la plus honorable puisqu’elle les incorporait avec leur postérité : ceux qui mouraient de langueur ou de maladie étaient estimés malheureux, et l’estomac des chiens était leur tombeau.

D’autres, par une compassion aussi mal entendue, les abandonnaient dans leur vieillesse, et les laissaient périr d’inanition dans leurs cabanes où ils devenaient la proie des bêtes féroces : ils croyaient par là les soustraire aux maux de la décrépitude.

Les Icthiophages jetaient leurs morts à la mer, ou dans les rivières, ou dans les étangs, par le motif sans doute que l’élément dont ils avaient tiré leur subsistance devait être pour eux le séjour le plus agréable.

Les Troglodites, sans donner aucune marque de douleur, les couvraient d’un tas de pierres jetées à l’aventure. Ils accompagnaient cette barbare cérémonie de signes de réjouissance fondée probablement sur le sentiment des misères de la vie, dont ils félicitaient les morts d’être délivrés.

Chez d’autres peuplades le jour du décès d’un des leurs était un jour d’allégresse, celui de la naissance un jour de deuil ; et cette pratique est peut-être plus philosophique que bien des gens ne seront portés à le croire.

Je ne puis résister à l’envie de mettre sous les yeux du lecteur un trait naïf et touchant d’une peuplade du nord de l’Amérique, qui prouve que, dans les coins les plus reculés du monde, ce respect pour les mânes est porté au point, qu’il est identifié avec l’amour de la patrie chez quelques nations les moins civilisées, et que dès lors on ne doit point le regarder comme un sentiment factice, mais comme une affection dictée par la nature.

Des députés d’une nation européenne se présentent devant les chefs de cette horde sauvage pour leur demander l’échange de leur territoire contre un autre sol qu’on leur désignait. « Si nous quittons notre terre natale, répondent ces chefs avec une sensibilité attendrissante, qu’en penseront les ombres de nos ancêtres ? dirons-nous à leurs cendres levez-vous, et suivez-nous ? vous sentez que cela est impossible. »

Français ! que cette leçon soit éternellement gravée dans vos cœurs ! et Vous, modernes Vandales qui avez ouvert et livré les tombeaux, foulé aux pieds et jeté au hasard les tristes dépouilles de vos aïeux, retirez-vous au fond de la Barbarie ! là, vous puiserez dans l’expérience, des principes que vous avez dédaigné de recevoir et d’adopter chez un peuple policé qui a eu le malheur de vous voir naître dans son sein, et de vous compter trop long-temps au nombre de ses membres.

Maintenant jetons un coup d’œil sur ce peuple jadis conquérant, l’effroi de l’ancien monde, et dont les opinions ayant prévalu sur une très-grande partie du globe, l’entretiennent encore dans l’ignorance et la stupidité. Personne n’ignore l’attachement des sectateurs de Mahomet à leurs principes religieux, regardant ce monde comme un caravenserai ou une hôtellerie où l’homme ne fait que séjourner, comme en passant : toutes leurs vues ne se tournent que vers cet autre monde, où les gens de bien boiront à longs traits dans la coupe inépuisable de la volupté, et où les méchans seront punis selon le degré de leur perversité. Rien d’étonnant dès lors dans les soins qu’ils se donnent pour ensevelir les morts, dans l’appareil de leurs convois, et leur respect pour les tombeaux.

Dès qu’un Mahométan est mort, on invoque sur lui le dieu de miséricorde, on lave son corps, on brûle des parfums pour chasser le diable et les mauvais esprits, on l’enveloppe dans un suaire de manière cependant qu’il puisse se mettre à genoux pour subir son jugement dans l’autre monde. Cette cérémonie est toujours accompagnée des lamentations, et des cris des femmes qui commencent le deuil, et annoncent une mort aux voisins.

L’opinion où sont les Mahométans que l’ame se rend la première au lieu de la sépulture, a introduit parmi eux l’abus des inhumations précipitées, dans l’idée que l’ame est dans un état de langueur étant séparée du corps. Ainsi, dès que le défunt est enseveli, et que le deuil que l’on fait autour de lui est fini, on le porte sur les épaules, ou à la mosquée pour y être inhumé s’il est riche, ou, s’il est pauvre ou dans un état de mendicité, on le transporte au cimetière. Le convoi est composé d’imans qui marchent les premiers : ils sont suivis des parens et des amis du mort. Le cortège arrivé dans l’enceinte destinée aux sépultures, on descend le cercueil dans la fosse, avec quelques sentences de l’alcoran, après que les imans lui ont fait les prières accoutumées. On n’y jette point la terre immédiatement, de crainte que son poids n’incommode le défunt. On pose une pierre sous la tête du mort pour la commodité de l’ange qui doit examiner sa vie, et pour lui donner un peu d’air on pose en travers de longues pierres qui forment une espèce de voûte sur le cadavre, en sorte qu’il est enfermé comme dans un coffre : on place ordinairement sur la tombe quelques attributs qui désignent la profession de celui qui y est inhumé. L’enterrement achevé, ses parens et ses amis viennent pendant plusieurs jours prier Dieu sur son tombeau. Le vendredi ils lui apportent à boire et à manger, et ces mets servent à la subsistance des pauvres, et même des animaux. Il est rare qu’un riche Mahométan meurt sans avoir fait quelque pieux legs pour lui servir de passe-port dans la vie future. L’un fonde une mosquée, l’autre un caravanserai pour loger gratuitement les voyageurs ; un autre ordonne des aumônes, etc.

En Turquie, il n’y a personne dont ce soit le métier de porter un corps mort au tombeau. Ce dernier devoir regarde ses voisins ou ses domestiques. La coutume est de porter le cercueil jusqu’à ce que quelqu’un présente l’épaule. La charité mahométane prescrit à celui qui rencontre un convoi, de porter la bière l’espace de dix pas au moins. Il n’est pas rare de voir des personnes de distinction descendre de cheval pour s’acquitter de cet office, et y remonter ensuite. On n’enterre jamais dans les mosquées, parce qu’on croit que les corps morts rendent impurs les endroits où on les dépose.

En pénétrant plus avant dans l’orient, on trouve un peuple célèbre par son antiquité. Les connaissances qu’on lui attribue, son industrie, et même la douceur de ses mœurs, font un contraste bien frappant avec ce que je vais en dire : on voit que je veux parler des Indiens : Les Indiens n’ont point de règles générales pour les funérailles ; quelques-uns jettent leurs morts dans le Gange, plusieurs les enterrent, d’autres les brûlent. Cette dernière coutume est en usage surtout parmi les bramines, la principale, la plus noble et la plus respectée de ses castes ; et personne n’ignore celui où sont les femmes de s’y faire brûler toutes vives avec le corps de leurs maris, en observant des cérémonies qui varient suivant les différentes contrées. À la vérité celles qui ont des enfans peuvent impunément se soustraire à ce sort inhumain ; mais celles qui n’en ont point, et qui s’y refusent, car elles n’y sont pas contraintes, sont déshonorées, et mènent une si misérable vie, que quelques-unes lui préfèrent le bûcher.

L’on assure cependant que ces actes de dévouement ou de désespoir, deviennent chaque jour plus rares dans l’Inde. Les Mahométans et les Européens qui y dominent font tout ce qui dépend d’eux pour faire disparaître un usage si révoltant pour l’humanité.

On attache sans doute un grand mérite à cette héroïsme de l’amour conjugal, puisque dans quelques endroits on s’empresse de charger la victime de lettres pour l’autre monde, qu’elle promet de remettre à leur adresse. Soit que les Indiens enterrent les corps ou qu’ils les brûlent, ils ont soin de les bien laver auparavant, et ensuite de les frotter d’huile : on voit à leurs enterremens des hommes qui précédent le mort en sonnant d’une longue trompette dont le bruit lugubre convient parfaitement à la cérémonie.

Les Chinois prennent le deuil pour trois ans : tant qu’il dure, ceux qui le portent ne peuvent exercer aucune charge publique. On change d’appartemens et de meubles ; on ne doit s’asseoir que sur un petit siège de bois ; on ne prend que des alimens grossiers, et l’on ne couche que dans de mauvais lits. Le blanc est la couleur du deuil. Les Chinois se croient heureux lorsqu’ils se sont procuré un bois très-dur et très-solide pour faire leurs cercueils. Ils s’occupent de cette dépense de fort bonne heure, pour avoir long-temps sous les yeux leur dernière demeure. Au prix du cercueil il faut ajouter les parfums, les fleurs, les cierges, les étoffes précieuses, les papiers peints, les musiciens, les pleureuses. Tous les amis et tous les parens sont invités à venir pleurer auprès du mort. Les enfans gardent souvent chez eux des années entières les corps de leurs pères. Ils ont soin d’enduire leurs cercueils d’un vernis, afin qu’il ne s’en exhale aucune mauvaise odeur. Pendant tout ce temps, ils leur présentent des mets, comme s’ils étaient en vie.

Le jour des funérailles, les parens et les amis s’assemblent, comme en Europe, dans la maison du mort, vêtus d’habits de deuil. Ils forment, avec les prêtres, le convoi funèbre, où l’on voit des images d’hommes, de femmes, d’éléphans, de tigres, etc. Les prêtres, et les personnes payées pour réciter des prières, marchent ensuite. À leur tête paraissent des hommes qui portent sur les épaules des encensoirs de cuivre. Les enfans du défunt suivent immédiatement son cercueil ; ils marchent à pied, appuyés sur un bâton. Après les enfans viennent les femmes dans une chaise couverte. Cette marche se fait au bruit des timbales, des tambours, des flûtes et de quelques autres instrumens. Lorsque le cercueil a avancé environ trente pas, on y jette une certaine quantité de terre rouge.

Chaque famille a son tombeau particulier sur une colline ou auprès. Les tombeaux sont ornés de figures et autres ornemens ; on y voit aussi des inscriptions et des épitaphes. Le terrain des sépultures est fort cher. Les pauvres qui ne peuvent se procurer ni cercueil, ni emplacement pour la sépulture de leurs parens, ou font brûler les corps, ou les font enterrer dans des cimetières qu’on leur accorde, sans aucune distinction.

Au Japon, on brûle les morts. Lorsqu’une personne de distinction est décédée, une heure avant qu’on emporte son corps de sa maison, ses parens et ses amis se rendent en habits de deuil dans l’endroit où il doit être brûlé. Les femmes s’y trouvent aussi, mais voilées. À la tête du convoi marche un bonze accompagné d’un certain nombre de ses confrères, tous en habit de cérémonie, et portant une torche allumée. Deux cents bonzes les suivent en invoquant à grands cris le dieu que le défunt avait adoré pendant sa vie. Ceux-ci sont accompagnés d’hommes à gages qui portent au bout de leurs piques des corbeilles de découpures de papier de diverses couleurs. En agitant leurs piques, ils font voltiger les papiers, pour signifier que le mort est arrivé au séjour des bienheureux. Viennent ensuite huit jeunes bonzes, divisés en deux bandes, qui portent de longues cannes à l’extrémité desquelles pendent des banderoles où on lit le nom de quelque divinité. Après cette première marche on voit avancer le cercueil porté par quatre hommes. Le mort est assis, la tête un peu penchée en avant et les mains jointes. Il est vêtu de blanc, et par-dessus ses habits il a une robe de papier faite des feuilles du livre où sont décrites les actions du dieu auquel il avait le plus de dévotion. Le cortège est fermé par ses enfans, dont le plus jeune porte à la main une torche allumée avec laquelle il doit mettre le feu au bûcher.

Pendant que le feu consume le corps, les enfans, ou les plus proches parens du mort, s’approchent d’une cassolette placée sur une table, y mettent des parfums, et prient. Cette cérémonie achevée, les parens et les amis du mort se retirent. Le peuple et les parens restent pour manger ou emporter les viandes. Le lendemain, les enfans, les parens et les amis retournent au même endroit pour recueillir les cendres et les os du mort ; ils les renferment dans une urne de vermeil qu’ils couvrent d’un voile précieux. Les bonzes s’y rendent aussi pour continuer leurs prières pendant sept jours. Le huitième on porte l’urne dans un lieu où on l’enterre sous une plaque de cuivre ou sous une pierre sur laquelle on grave le nom du mort, et celui du dieu qu’il a servi.

Les sauvages du Canada, et ceux qui habitent les vastes contrées arrosées par le Mississipi, procèdent à la sépulture des morts avec autant de magnificence qu’ils le peuvent. Ils les parent, leur peignent le visage et le reste du corps de différentes couleurs ; ensuite ils les déposent dans un cercueil fait avec des écorces d’arbre, dont ils polissent la surface avec des pierres ponces. Ils dressent une palissade autour du tombeau qui est toujours élevé à plusieurs pieds de terre. Lorsque le mort est enterré, ils font un festin où tout se passe avec tristesse. Les parens du défunt y gardent le silence ; la danse et le chant en sont exclus. Tous les convives font des présens aux parens, et les jettent à leurs pieds après leur avoir fait un compliment. Le deuil des femmes dure un an. Le père et la mère du mari mort ont soin de la veuve.

Nous ne devons pas oublier de dire que le mort est déposé dans sa dernière demeure, bien équipé et bien muni de provisions. On lui donne une chaussure neuve, un fusil, une hache, des colliers de porcelaine, un calumet, une chaudière, de la viande, du tabac, et un pot de terre rempli d’une bouillie de farine de froment. Si c’est un guerrier, on lui donne son arc et ses flèches.

Si je ne craignais de fatiguer le lecteur de détails plus ou moins bizarres, superstitieux et absurdes, il me serait aisé de passer ici en revue tous les peuples du globe ; mais on n’y verrait que l’application du principe dont je suis parti, modifié d’après les mœurs, les usages, les préjugés et les cultes des différentes nations. Au reste, il paraît que toutes celles qui n’ont embrassé ni le mahométisme, ni le christianisme, ont conservé ou peu changé leurs anciens usages ; ainsi elles doivent être mises au rang des peuples anciens, dont j’ai indiqué quelques-uns. Quiconque sera curieux de se convaincre plus amplement de ce respect universel pour les morts, en trouvera des preuves sans nombre dans l’histoire ancienne et moderne, dans les monumens, les ruines, et les relations des voyageurs.

On pourrait s’étendre à l’infini sur les funérailles des anciens ; mais nécessairement on ne ferait que répéter ce qui a été dit par une foule d’auteurs qui ont traité cette matière, et il est aisé de les consulter. Cette légère et faible esquisse des usages de quelques peuples ou civilisés ou barbares doit suffire pour le but que je me suis proposé, puisque je n’avais en vue que de prouver que le respect pour les morts date de la plus haute antiquité ; qu’il a eu lieu chez tous les peuples, quoique pratiqué sous des formes différentes, et que s’il s’est perpétué jusqu’à nous, c’est l’effet d’une pieuse et respectable tradition.

En effet nous voyons que les peuples modernes ne sont pas moins zélés que ceux qui les ont précédés dans cette vénération religieuse pour la dépouille mortelle de l’humanité. Les nations qui sont parvenues à un haut degré de civilisation, ont modifié cette vénération d’après leurs usages, leurs mœurs et le culte qu’ils observent, en y mêlant peut-être quelques abus aisés à réformer.

Le christianisme a fait disparaître les barbaries, les atrocités qui n’ont souillé que trop long-temps les funérailles des anciens. Quant aux peuples moins civilisés ou restés dans la barbarie, le tableau que la plupart nous présente de leurs obsèques fait toujours gémir la raison, et quelquefois affligent l’humanité ; cependant leurs cérémonies, je le répète, sont fondées sur un principe louable en lui-même, mais obscurci par l’ignorance et la brutalité.

Les anciens chrétiens, ayant d’autres maximes, ne regardaient la mort, que comme la porte de l’éternité. Ainsi, vivant bien la plupart, ils la souhaitaient plus qu’ils ne la craignaient, et ils s’affligeaient moins de la perte sensible de leurs parens et de leurs amis, qu’ils ne se réjouissaient de leur bonheur éternel et de l’espérance de les revoir dans le ciel. Ils ne comptaient leur mort que comme un sommeil, suivant le langage de l’écriture, et de là vient le mot cimetière, qui, en grec, ne signifie qu’un dortoir.

Pour mieux témoigner la foi de la résurrection, ils avaient grand soin des sépultures, ils ne brûlaient pas les corps comme les Grecs et les Romains, ils n’approuvaient pas non plus la curiosité superstitieuse des Égyptiens, qui les gardaient embaumés et exposés à la vue sur des lits dans leurs maisons.

Les anciens chrétiens enterraient les corps comme les Juifs ; après les avoir lavés ils les embaumaient, et y employaient plus de parfums, dit Tertulien, que les païens à leurs sacrifices. Ils les enveloppaient de linges très-fins ou d’étoffe de soie ; quelquefois ils les revêtaient d’habits précieux : ils les laissaient exposés trois jours, ayant grand soin de les garder, cependant, et de veiller auprès en prières.

Ensuite, ils les portaient au tombeau accompagnant le corps avec quantité de cierges et de flambeaux, et chantant des psaumes et des hymnes pour louer Dieu et marquer l’espérance de la résurrection. On priait aussi pour eux ; on offrait le sacrifice, et l’on donnait aux pauvres le festin que l’on nommait Agapes, et d’autres aumônes. On en renouvelait la mémoire au bout de l’an, et on continuait d’année en année, outre la commémoration que l’on en faisait tous les jours au saint sacrifice.

L’église avait des officiers destinés pour les enterremens, que l’on nommait fossoyeurs ou travailleurs, et qui se trouvent quelquefois comptés entre le clergé. On enterrait souvent avec les corps diverses choses pour honorer les défunts ou en conserver la mémoire, comme les marques de leurs dignités, les instrumens de leur martyre, des fioles ou des éponges pleines de leur sang, les actes de leur martyre, leur épitaphe, ou du moins leur nom, des médailles, des feuilles de laurier, ou de quelque autre arbre toujours vert, des croix, l’évangile. On observait de poser le corps sur le dos, le visage tourné vers l’Orient. Les païens, pour garder les cendres des morts, bâtissaient des sépulcres magnifiques le long des grands chemins, et partout ailleurs dans la campagne. Les chrétiens, au contraire, cachaient les corps, les enterraient simplement ou les rangeaient dans des caves, comme étaient auprès de Rome les tombes ou catacombes, dont nous parlerons ci-après.

Les cérémonies usitées parmi les chrétiens sont différentes selon leurs communions. Nous ne pouvons donner une description plus exacte de celles des catholiques romains, que celle que nous offre le Rituel.

Nos lecteurs voudront bien observer que nous ne parlons ici que des cérémonies généralement suivies avant le temps où la sépulture est devenue en France du ressort de l’autorité civile.

En général, lorsqu’il est temps d’aller chercher le corps du défunt pour le porter à l’église, on avertit au son de la cloche les prêtres et les autres ecclésiastiques qui doivent assister aux funérailles, afin qu’ils s’assemblent revêtus de leurs surplis et en bonnet carré, dans l’église paroissiale, ou dans quelque autre église, où ils feront leur prière ; ensuite le curé prend le surplis et l’étole noire. Ils partent pour aller chercher le corps. L’exorciste qui porte le bénitier marche le premier, puis le porte-croix, les autres membres du clergé ensuite, et le célébrant le dernier. Ils se rendent dans cet ordre à la maison du défunt, dont le corps doit être à la porte ou dans quelque appartement voisin, les pieds tournés vers la rue. Le cercueil est environné de quatre ou même de six cierges allumés, ordinairement de cire blanche. Lorsque le clergé est arrivé à l’endroit où le corps est déposé, le porte-croix se place derrière sa tête, et le célébrant aux pieds, ayant un peu derrière sa main droite, celui qui porte l’eau bénite. Les autres ecclésiastiques se rangent des deux côtés, pendant qu’on allume des cierges qu’on distribue au clergé. Le célébrant étant en face de la croix, le clerc qui porte l’eau bénite, lui présente l’aspersoir. Il le prend, et jette trois fois de l’eau bénite sur le corps en un même endroit, sans prier. Après avoir rendu l’aspersoir, il commence une antienne, et deux chantres entonnent aussitôt le De profundis, que les deux parties du chœur achèvent alternativement. À la fin on prononce ces paroles : Requiem œternamdona ci domine, et lux perpetua luceat ei. Ensuite on répète l’antienne Si iniquitates, etc., et tout de suite un chantre entonne le Libera me, etc., et l’on se met en marche vers l’église, le cercueil paraît immédiatement après le clergé. Les parens et les amis du mort suivent en habits de deuil, les premiers couverts de longs manteaux qu’on nomme pleureuses.

Lorsque le convoi est arrivé à l’église, on pose le cercueil dans la nef, si c’est un laïque, et dans le chœur, si c’est un prêtre. On met autour au moins quatre cierges allumés. Après avoir récité l’office des morts, en tout ou en partie, on dit la messe, si c’est le matin, pendant laquelle les assistans vont à l’offrande. Lorsqu’elle est achevée, le célébrant précédé du thuriféraire, du clerc qui porte le bénitier, du porte-croix, des céroféraires, et du chœur, se rend auprès du cercueil. D’abord, il lit la prière qui commence par les paroles, Non intres in judicium, etc. ; ensuite les chantres commencent le De profundis, et le chœur le continue. Après cela, le célébrant dit à haute voix Pater noster, et le clergé l’achève à voix basse. Alors le diacre présente l’aspersoir au célébrant qui asperge par trois fois le corps du défunt, aux pieds, au milieu, à la tête, en commençant par sa droite. Il rend l’aspersoir au diacre qui lui donne l’encensoir. Il encense trois fois le corps de chaque côté, ainsi qu’il l’a aspergé. L’encensement est suivi d’une courte prière, après laquelle on porte le corps à la sépulture, dans le même ordre qu’on a gardé en allant de sa maison à l’église. Les chantres commencent une antienne que le clergé continue lentement pendant le chemin ; on y ajoute quelques psaumes en cas d’éloignement. Quand on est arrivé vers la fosse, on se découvre, et l’on se range à peu près comme à l’église. Après que le cercueil a été posé sur le bord de la fosse, le célébrant la bénit par une prière dans laquelle il fait une commémoration générale des morts qui reposent dans cet endroit. Cette prière achevée, il asperge et encense encore trois fois le corps, et la fosse autant de fois. Ensuite, il commence l’antienne Ego sum resurrectio et vita, et on finit par le Requiem. Alors le célébrant fait pour la troisième fois la triple aspersion d’eau bénite sur le corps, sans y ajouter l’encensement : cette cérémonie est suivie d’une autre oraison, de l’antienne Si iniquitates, etc., et du De profundis. Ensuite on descend le cercueil dans la fosse. Quand il y est descendu, le célébrant y jette de la terre à trois reprises ; et les parens et autres personnes du cortège s’approchent pour jeter, chacun à leur tour, de l’eau bénite sur la fosse. Quand on fait les funérailles en un temps qui ne permet pas de célébrer la messe, la cérémonie est beaucoup plus simple ; elle ne consiste que dans l’aspersion et l’encensement du corps par un prêtre en surplis et revêtu d’une étole noire, et accompagné de deux clercs, dont l’un porte la croix, et l’autre le bénitier et l’encensoir.

Les cérémonies des Grecs modernes diffèrent peu, quant au fond, de celles des catholiques romains. Cependant, l’état de pauvreté où ils languissent, les empêchent d’y mettre beaucoup d’appareil. Avant de quitter le mort sur le bord de la fosse, où il a été porté dans un cercueil découvert, ses parens le baisent à la bouche ; c’est un devoir indispensable, fût-il mort de la peste.

Pour faire connaître à nos lecteurs le cérémonial observé par l’église grecque dans les funérailles, nous ne pouvons mieux faire que de leur mettre sous les yeux celui qui est en usage chez les Russes. Dès qu’un malade est décédé, on envoie chercher ses parens et ses amis. Ceux-ci se rangent autour du corps et pleurent. Des femmes qui se trouvent là lui demandent les raisons qu’il a eues de mourir. Comme il ne répond point, on commence par faire un présent de bière, d’eau-de-vie et d’hydromel au pope, ou prêtre, pour l’engager à prier pour le repos de l’âme du mort. On lave bien le corps ; et après l’avoir revêtu d’une chemise blanche, ou enveloppé d’un suaire, on lui met des souliers de cuir de Russie, et on l’étend dans le cercueil, les bras posés sur l’estomac en forme de croix. On couvre le cercueil d’un drap, ou bien du vêtement du mort ; mais on ne le porte à l’église qu’après l’avoir gardé huit ou dix jours. Le prêtre lui donne de l’encens et de l’eau bénite jusqu’au jour de l’enterrement.

Le convoi se fait dans l’ordre suivant : à la tête marche un pope qui porte l’image du saint que le mort a reçu pour patron dans son baptême. Il est suivi de quatre filles, proches parentes du défunt, ou de quelques femmes payées pour pleurer. Elles sont suivies de six hommes qui portent le corps sur leurs épaules. D’autres prêtres, qui marchent de chaque côté, l’encensent en chantant pour éloigner les mauvais esprits. Après eux viennent les parens et les amis, chacun un cierge à la main ; lorsqu’on est arrivé à la fosse, on découvre le cercueil, et on tient l’image du saint sur le mort, tandis que le prêtre fait les prières prescrites par la liturgie. Lorsqu’il a fini, les personnes qui composent le cortège disent adieu au défunt en baisant son cercueil. Le pope s’approche et lui met un passe-port dans la main. Ce passe-port est signé du métropolitain et du confesseur, qui le vendent plus ou moins cher, selon les facultés et la condition des personnes qui l’achètent. Il contient un témoignage de la bonne vie, ou du moins du repentir du mort. Quand un mourant a reçu la dernière bénédiction du prêtre, et qu’après sa mort il a son certificat dans sa main, on ne doute plus que saint Nicolas, à qui le pope l’a adressé, ne l’ait introduit dans le ciel. Enfin on ferme le cercueil, on le descend dans la fosse, et on prend en pleurant congé du mort pour toujours. On distribue souvent des vivres et de l’argent aux pauvres qui se trouvent près de la fosse ; mais un usage plus commun, c’est de noyer son affliction dans l’hydromel et dans l’eau-de-vie. On sait que les Russes et plusieurs nations, principalement du nord, ont conservé la coutume des repas après les funérailles ; mais il arrive trop souvent qu’on s’enivre dans cette triste circonstance en l’honneur des morts. Bien des Français même méritent le reproche de se livrer à une telle inconvenance : au moins, devraient-ils attendre quelques jours, et s’éloigner des endroits où sont inhumées les personnes dont la perte doit leur causer des regrets. Pendant le deuil, qui dure quarante jours, les Russes font trois festins funèbres, savoir : le troisième, le neuvième et le vingtième jour après la sépulture. Un prêtre, payé pour le soulagement de l’âme du mort, doit employer les quarante jours à prier pour lui soir et matin dans une tente dressée exprès sur son tombeau. On doit penser qu’on ne cherche pas tant de façons pour les funérailles des pauvres, qui, en tous pays, et dans tous les siècles, ont été enterrés sans nulle cérémonie.

Quant aux protestans, les cérémonies de leurs funérailles diffèrent suivant les sectes et les pays où cette religion est suivie, et sont beaucoup plus simples que celles des catholiques romains. Mais partout c’est un appareil lugubre, une marche imposante, et l’apparence d’une piété touchante, fondée sur la foi en une autre vie, et l’espérance de la résurrection. En plusieurs endroits, les ministres de la religion sont les ministres des obsèques ; et en d’autres, c’est le magistrat, surtout dans les pays où toutes les sectes sont tolérées. Dans ce cas chacune d’elles peut observer dans ses temples respectifs, ou au domicile du défunt, les rites de sa croyance, ainsi que cela se pratique aujourd’hui parmi nous. Il est vraisemblable que, dans quelques contrées protestantes du nord, on s’imagine que les morts prennent part aux plaisirs des vivans, puisque l’on y termine souvent les funérailles par des orgies qui finissent toujours par l’ivresse complète des parens et amis invités à la cérémonie, et que l’on diffère quelquefois de plusieurs mois pour pouvoir y rassembler de fort loin un grand nombre d’assistans. La rigueur du climat permet de conserver les cadavres sans courir les risques de la putréfaction.

Quoiqu’il existe beaucoup de sectes chrétiennes, autres que celles dont j’ai parlé, je m’abstiendrai de les citer, car elles se ressemblent presque toutes sur les principales circonstances de leurs obsèques.

Cependant je présume que l’on apprendra avec quelque intérêt que, dans certains cantons du Milanais, il régnait et règne peut-être encore un usage qui peut toucher les âmes sensibles. Quand un cadavre est consommé en terre, la famille à laquelle il appartient en fait laver les ossemens, les nettoie avec soin, et les dépose dans un lieu commun, empaquetés avec des rubans, et ornés de papier doré ou colorié. Chaque famille a sa layette pour y placer ce précieux dépôt qu’une inscription aide à reconnaître, et qu’elle visite tous les ans le jour de la fête des trépassés.

C’est ici le lieu de décrire les cérémonies funèbres pratiquées aujourd’hui parmi nous, et telles qu’elles sont prescrites, ou par les diverses lois, ou pour les usages des différentes communions établies en France.

Lorsqu’une personne est décédée, ses plus proches parens se rendent à la mairie de son arrondissement ou de sa commune, pour y faire la déclaration de son décès. L’officier public prend acte de cette déclaration, et envoie à la maison du défunt un chirurgien pour constater sa mort, et examiner le genre de maladie à laquelle il a succombé. On garde le corps près de vingt-quatre heures sur son lit de mort avant de l’ensevelir. Pendant cet intervalle, un des parens se transporte au chef-lieu de l’administration des convois pour prendre les arrangemens relatifs à la sépulture, et l’on envoie des billets d’invitation aux parens et aux amis du défunt. Si celui-ci est d’une condition aisée, on envoie un corbillard peint en noir, et surmonté d’un dais orné de franges et de plumets aux quatre coins, et attelé de deux, de quatre et même de six chevaux ; ce corbillard est suivi de plusieurs voitures peintes en noir, destinées aux parens et autres personnes du cortège. Les vingt-quatre heures écoulées, on vient prendre le cercueil placé sous la principale porte de la maison, ou à l’entrée des appartemens, et on le porte sur le corbillard. Le cortège se met en mouvement ; un commissaire des convois marche immédiatement après le corbillard, tenant à la main une baguette d’ébène, à une extrémité de laquelle est un pommeau d’ivoire. Les quatre porteurs marchent de chaque côté du corbillard. Le commissaire est suivi des proches parens qui ouvrent le deuil, et de tous ceux qu’on a invites à la cérémonie. Si le mort est de la religion catholique, on le transporte à l’église de sa paroisse, où l’on observe à son égard les cérémonies que nous avons décrites plus haut, après que le clergé est venu le recevoir à la porte. S’il est protestant, on le porte au temple de son arrondissement, où le ministre prononce son éloge funèbre, et adresse en même temps aux assistans des réflexions qui lui sont dictées par la circonstance. Les cérémonies religieuses achevées, tout le cortège prend le chemin du cimetière où le mort doit être enterré. Il est aujourd’hui assez ordinaire qu’une partie du clergé et le confesseur du mort l’accompagnent jusqu’à sa dernière demeure, si toutefois ses héritiers veulent faire cette dépense.

Lorsque le convoi est arrivé au cimetière, on dépose aussitôt le cercueil dans la fosse qui a été creusée pour lui, si les parens en ont fait l’acquisition de la préfecture du département. Le célébrant lui jette de l’eau bénite, et prononce quelques oraisons ; ensuite un parent ou un ami rappelle aux assistans, dans un discours, les bonnes actions et les vertus du mort. Les cérémonies terminées, les fossoyeurs couvrent le cercueil de terre, comblent la fosse, et chacun se retire chez soi. Le plus souvent les morts sont inhumés dans la fosse commune, sans prêtre et sans oraison funèbre ; et la tristesse des assistans est la seule chose qui indique qu’ils ont appartenu à l’humanité et au christianisme.

Avant l’année 1789, on enterrait les morts dans les églises, ou dans les cimetières situés dans l’enceinte des villes, malgré le danger reconnu qui en résultait pour la santé des vivans. Enfin, cet abus, contraire à l’usage qui se pratiquait anciennement, a été aboli, et des cimetières ont été établis dans la campagne. Déjà la capitale en compte deux du côté de la rive droite de la Seine : l’un au nord, celui de Montmartre ; et l’autre à l’est, celui de Mont-Louis. Il en est deux autres qui malheureusement se trouvent encore en dedans des barrières, et dont la situation doit être un sujet d’effroi pour tous ceux qui observent que presque aucun courant d’air ne vient dissiper les miasmes putrides qui s’en élèvent continuellement, surtout dans les chaleurs de l’été. Pourquoi ne ferme-t-on pas celui de Vaugirard, et n’a-t-on pas continué les travaux entrepris hors de la barrière du Mont-Parnasse pour l’établissement de celui dont on a déjà tracé l’enceinte ? ou plutôt, pourquoi n’a-t-on pas choisi un autre emplacement plus à l’occident dans la belle plaine de Mont-Rouge ?

Ne pourrait-on pas trouver sur la hauteur, où les guinguettes se sont accumulées, un terrain assez vaste pour en former un champ de sépulture, où les convois se rendraient par la barrière de Saint-Victor, afin de remplacer les cimetières de Clamart et de Sainte-Catherine ? Ce nouveau cimetière serait en regard de celui de Mont-Louis, et la disposition du terrain permettrait aux familles d’y élever un grand nombre de monumens, et d’y faire construire des caveaux.

Puisque nous en sommes aux monumens funéraires, nous pensons que nos lecteurs nous saurons gré de leur faire part des recherches que nous avons faites à ce sujet, avant de passer à ce que nous avons à dire sur ceux que l’on a élevés depuis quelques années dans les quatre cimetières de Paris, et dans d’autres endroits.

Par monumens funéraires, on entend les tombeaux, les sépultures, les mausolées, les sarcophages, les cénotaphes, les urnes, les colonnes tronquées, les pyramides, les obélisques, les cippes, les tables, élevés sur l’emplacement où un mort a été enterré. Dans les temps les plus reculés, un tombeau, en latin tumulus, n’était autre chose qu’une élévation de terre ou de gazon, un tertre formé au-dessus de la fosse où le mort avait été placé, et autour duquel on plantait des arbrisseaux et même des bosquets. Quelquefois c’était un amas de pierres au lieu de terre et de gazon. Dans la suite, on remplaça ce tumulus par un sépulcre où le corps était renfermé ; et ce sépulcre, qui d’abord eut la forme d’un coffre, devint ensuite un monument embelli par l’architecture et la sculpture. Les plus anciens monumens de ce genre sont les pyramides d’Égypte, le tombeau d’Achille, et celui que la reine Artémise éleva à Mausole, son époux. Ce magnifique sépulcre, qui passait pour une des sept merveilles du monde, fut l’ouvrage des quatre plus habiles architectes de la Grèce. Il avait quatre cent onze pieds de circuit, et cent quarante de hauteur, y compris une pyramide d’une égale élévation. On le nomma Mausolée, nom qui depuis a passé à tous les sépulcres d’une magnifique structure. Un autre monument de cette espèce est celui qu’Auguste fit ériger entre la voie Flaminia et le Tibre, pour sa sépulture et celle de sa famille. C’était un tertre élevé sur une base de marbre blanc, et couvert jusqu’au sommet d’arbres toujours verts. Sur la cime de ce tertre, il y avait une statue de bronze de cet empereur. En bas, on voyait son tombeau et ceux de ses parens ; derrière l’édifice, il y avait un vaste bosquet, avec de superbes promenades.

Les ornemens des tombeaux des Grecs ne consistaient ordinairement qu’en un fût de colonne, sur laquelle on gravait une inscription funèbre, nommée épitaphe. On sculptait ordinairement sur les tombeaux des filles une jeune vierge portant un vase rempli d’eau. On y gravait aussi des couronnes, si ceux qui y étaient renfermés en avaient remporté dans les jeux, ou en avaient obtenu des villes ou des peuples. Au lieu d’inscription, on gravait quelquefois les instrumens de l’art que le mort avait exercé ; souvent aussi des emblèmes qui désignaient leur caractère, ou enfin les symboles des choses qu’ils avaient le plus affectionnées.

Les Romains avaient trois sortes de tombeaux : le sépulcre, le monument, et le cénotaphe. Le sépulcre était le tombeau ordinaire où l’on avait placé le corps ou les cendres et ossemens du mort.

Le monument était un édifice plus ou moins élevé, construit pour perpétuer le souvenir d’une personne. On pouvait lui élever plusieurs monumens, mais elle n’avait qu’un sépulcre.

Le cénotaphe était un tombeau vide auprès duquel on faisait les funérailles de quelqu’un qui n’avait pu être enterré. Les citoyens qui avaient péri dans une bataille, dans un naufrage, ou dans une contrée éloignée, étaient l’objet ordinaire de ce simulacre des funérailles. On voit dans l’Histoire de l’expédition de Cyrus, par Xénophon, que les Grecs élevèrent un cénotaphe à ceux de leurs camarades qui avaient péri pendant la fameuse retraite des dix mille ; et Tacite nous apprend, dans ses Annales, que Germanicus rendit le même honneur aux légions de Varus, six ans après leur désastre en Germanie. On avait coutume d’appeler trois fois l’ame ou les mânes de celui à qui on consacrait un cénotaphe, pour l’engager à en venir prendre possession. On voit au cimetière de Mont-Louis un monument de cette espèce élevé par une tendre mère en l’honneur de son fils, jeune guerrier, tué dans les plaines de la Pologne, en 1807. C’est un cippe élevé d’un peu plus de cinq pieds (voy. la gravure), au sommet duquel on a placé dans une niche le buste de ce jeune héros.

Non-seulement la place occupée par le tombeau était consacrée par la religion, mais encore un certain espace à l’entour, ainsi que le chemin qui y conduisait. Si quelqu’un avait osé emporter des matériaux d’un tombeau, comme des colonnes ou des tables de marbre pour les employer à des édifices profanes, la loi le condamnait à une amende de dix livres d’or, applicables au trésor public, et l’édifice était confisqué.

Les Romains ornaient quelquefois leurs tombeaux de bandelettes de laine et de festons de fleurs ; mais surtout ils avaient soin d’y faire graver des ornemens qui servissent à les distinguer, tels que des figures d’animaux, des trophées militaires, des emblèmes, des instrumens, etc.

On plaçait les sépulcres dans les champs, dans les maisons, dans les jardins, au sommet ou au pied des collines, dans les temples, dans la ville, sur les chemins. C’était un crime que de vendre ou d’aliéner un tombeau, et c’était aussi un sacrilège d’usurper celui d’une autre famille, ou de s’en servir. Ces tombeaux étaient ordinairement de petits édifices bâtis en briques ou en pierres. Dans tout le pourtour intérieur étaient pratiquées des niches, dans chacune desquelles on pouvait placer deux ou trois urnes où l’on gravait des épitaphes. Lorsque le luxe se fut introduit à Rome, on construisit des bâtimens souterrains, composés de plusieurs appartemens dans lesquels il y avait aussi des niches pour placer les urnes sépulcrales. Ces chambres souterraines étaient ornées de peintures à fresque, de mosaïques, de reliefs en marbre, etc.

Pour les pauvres, les esclaves et les malfaiteurs, on les enterrait dans un endroit voisin de Rome, nommé les Esquilies.

Les premiers chrétiens, obligés de fuir les persécutions et de se cacher, et d’ailleurs menant une vie humble et détachée de ce monde, se gardaient bien d’élever des tombeaux ; c’était dans des grottes souterraines situées à neuf milles de Rome, et qu’on nomme Catacombes, qu’ils se faisaient enterrer. C’était là souvent leur asile pendant leur vie, et leur lieu de sépulture après la mort. Un grand nombre de martyrs y furent inhumés. Voici un extrait de ce qu’en dit le Père Mabillon dans son Itinerarium itaticum. « Ces catacombes ont deux à trois pieds de large, et ordinairement huit à dix pieds de haut. Ce sont comme des rues qui se communiquent, et dont plusieurs s’étendent jusqu’à une lieue de Rome, dans un espace de plus de six milles. Il n’y a ni maçonnerie, ni voûte, la terre étant assez compacte pour se soutenir d’elle-même. De temps en temps on rencontre de petites chambres pratiquées comme le reste des catacombes, sans jour et sans ouverture par le haut. Dans les deux côtés de ces rues, on plaçait les corps morts de haut en bas. Pour cela on faisait un trou de la longueur, de la largeur et à peu près de l’épaisseur des corps qu’on y plaçait. Comme les catacombes n’ont guère que huit à dix pieds de hauteur tout au plus, il n’y a presque partout que trois ou quatre rangs de ces tombeaux les uns au-dessus des autres. On les fermait avec des briques de terre cuite fort larges, fort épaisses, et quelquefois avec des morceaux de marbre cimentés d’une manière qu’on aurait peine à imiter de nos jours. Le nom du mort s’y trouve rarement. L’ouverture de ces catacombes se trouve dans le cimetière de Calliste, sur la voie Appienne. Tous ceux qui y sont enterrés ne sont pas, comme le croit le vulgaire, des saints et des martyrs. Il n’est pas même certain qu’on n’y ait pas enterré des payens. Les signes d’après lesquels on croit distinguer les premiers sont assez équivoques. La croix, la palme, le monograme de Jésus-Christ, les figures d’un bon pasteur et d’un agneau, que l’on trouve gravées sur les pierres des tombeaux, prouvent bien qu’elles ont servi à des chrétiens, mais non pas que ces chrétiens soient des saints ou des martyrs. » Ceux qui désireront à ce sujet des détails plus étendus, pourront consulter le Voyage dans les catacombes de Rome, par M. Artaud.

Outre ces catacombes, il en existe d’autres auprès de Naples. Il faut lire ce qu’en dit M. de Lalande dans son Voyage d’Italie.

Comme la coutume des Gaulois était de brûler les corps, tous les anciens tombeaux qu’on a trouvés en France, et qu’on y trouve encore de temps en temps, ne remontent pas à plus de treize ou quatorze siècles, époque de l’invasion des Gaules par les Francs. Ces tombeaux, qui sont de pierre, ont presque tous la forme d’un long coffre, comme on peut s’en assurer par celui de sainte Geneviève, et par d’autres qu’on voit en divers lieux. Ce ne fut que vers les douzième et treizième siècles que la coutume s’étant introduite assez généralement d’enterrer les morts dans les églises, on y éleva des sépulcres que la sculpture grossière de ce temps-là s’efforça d’embellir. Alors on vit paraître dans les chapelles et sur les murs, des emblèmes funèbres, les statues des morts ou couchées, ou agenouillées sur leurs tombeaux. Ceux qui ont vu les monumens de ce genre au Musée des Petits-Augustins, peuvent se faire une idée de tous ceux qui appartenaient à des familles distinguées. Comme ces monumens étaient fort coûteux, les morts dont la fortune ne permettait pas qu’on rendît ces honneurs à leur dépouille, mais qui pouvait suffire à leur procurer une sépulture particulière, étaient inhumés dans l’enceinte de l’église, dans une fosse que leur famille avait achetée, et que l’on couvrait d’une pierre sur laquelle on gravait leur épitaphe : ce qui s’est pratiqué jusque vers la fin du dix-huitième siècle, dans un grand nombre d’églises.

À mesure que l’architecture et la sculpture se perfectionnèrent, les monumens funèbres des princes et des grands devinrent, plus pompeux. Les voûtes sépulcrales de l’abbaye de Saint-Denis offrirent alors aux curieux de vrais chefs-d’œuvre, ainsi que plusieurs églises de la capitale et des autres villes du royaume. Ceux qui l’emportent par la beauté de leur exécution se voyaient au Musée dont nous venons de parler. Qui pouvait contempler sans admiration ceux de François Ier, de Diane de Poitiers, et du cardinal de Richelieu[7] !

L’emplacement qu’ils occupaient nous rappelle ce temps désastreux où une fureur sacrilège porta un certain nombre de Français à violer les asiles des morts, à disperser leurs ossemens, à briser leurs tombeaux, à détruire enfin tous les monumens élevés par la piété des familles à la mémoire des personnes qu’elles avaient chéries. Alors on vit une guerre d’une espèce toute nouvelle se déclarer contre ces objets vénérables, que leur destination aurait dû soustraire à la rapacité des méchans : alors on vit un spectacle qui n’avait jamais paru dans le monde, même chez les peuples les plus sauvages, une multitude acharnée contre de froides dépouilles, descendre le marteau à la main dans les retraites sépulcrales, ouvrir les tombes des rois et des grands hommes, insulter à leurs cadavres, et s’en faire un jouet, comme les bêtes féroces de leur proie lorsqu’elles en ont dévoré les chairs. Dès ce moment la religion des tombeaux disparut de la France, et peu s’en fallut que la doctrine aussi barbare qu’insensée de l’athéisme n’enlevât aux morts l’antique asile des cimetières, pour leur faire partager la sépulture des bêtes de somme. Au moins changea-t-on cette dénomination de cimetière, parce qu’elle signifie un endroit où l’on dort, pour adopter celle de champ du repos, dont la signification se rapproche de l’opinion contraire à la croyance d’une résurrection générale des corps. Dans l’embarras où se trouvaient les familles de se procurer des sépultures particulières où elles pussent consigner, par des monumens, leurs regrets pour les pertes qu’elles éprouvaient, elles introduisirent l’usage profane d’enterrer leurs morts dans des jardins, et autres endroits, ou exposés aux insultes publiques et particulières, ou dérobés à la surveillance du gouvernement.

Enfin arriva le moment où tous les souvenirs se portèrent avec horreur sur les profanations des tombeaux, où tous les vœux réclamèrent et des cérémonies funèbres, et des cimetières d’une étendue et d’une situation convenables, et la liberté d’élever des monumens. Dans la capitale, le chef du département, attentif à ce vœu, sollicita les lumières des hommes instruits et vertueux. Deux vastes emplacemens furent achetés, l’un à Montmartre, et l’autre à Mont-Louis ; une administration spéciale fut établie pour régler tout ce qui était relatif aux sépultures, et les familles purent se procurer des fosses particulières, et construire des sépulcres.

Depuis cette époque, la religion des tombeaux n’a pas cessé de faire des progrès, et les cimetières se sont embellis de monumens qui prouvent que les excès dont nous avons parlé plus haut ne doivent être attribués qu’à une multitude égarée par quelques hommes aussi étrangers à l’humanité qu’à la religion.

Si le spectacle des tombeaux, plus ou moins somptueux, que l’on élève chaque jour dans nos cimetières, donne une idée avantageuse de la piété des familles et de leur respectueux attachement pour la mémoire des morts, nous ne pouvons néanmoins nous empêcher de dire qu’il se glisse des abus jusque dans ces enceintes vénérables, où tout doit porter à la tristesse et commander la réflexion. Que les parens et les amis des morts y soient admis à visiter leurs tombeaux, rien n’est plus juste ; mais qu’aux cimetières de Montmartre et de Mont-Louis, on laisse errer, parmi les sépulcres, des personnes qui ne s’y rendent que par le motif d’une pure curiosité, qui y font, en se promenant, un objet de plaisanterie des inscriptions gravées sur les tombes, qui s’y permettent de rire aux éclats, en un mot qui s’y comportent comme dans une promenade toute profane ; rien sans doute n’est plus indécent. Pour empêcher cet abus, surtout au cimetière de Mont-Louis, il me semble qu’un inspecteur devrait être chargé, les dimanches, de surveiller les personnes qui en visitent les monumens.

Nous terminerons ce premier volume par la Fête des morts, dans une campagne, et nous continuerons, au second, le Coup d’œil historique sur les funérailles.


LA FÊTE DES MORTS,
DANS UNE CAMPAGNE.



Déja, du haut des cieux, le cruel sagittaire
Avait tendu son arc, et ravageait la terre ;
Les coteaux et les champs, et les prés défleuris,
N’offraient de toutes parts que de vastes débris.
Novembre avait compté sa première journée.
Seul alors, et témoin du déclin de l’année,
Heureux de mon repos, je vivais dans les champs.
Et quel poëte, épris de leurs tableaux touchans,
Quel sensible mortel, des scènes de l’automne
N’a chéri quelquefois la beauté monotone !
Oh ! comme avec plaisir la rêveuse douleur,
Le soir, foule à pas lents ces vallons sans couleur,
Cherche les bois jaunis, et se plait au murmure
Du vent qui fait tomber leur dernière verdure.
Ce murmure a pour moi je ne sais quel attrait.
Tout à coup si j’entends s’agiter la forêt,
D’un ami qui n’est plus, la voix long-temps chérie
Me semble murmurer dans la feuille flétrie.
Aussi, c’est dans ce temps que tout marche au cercueil,
Que la religion prend un habit de deuil ;
Elle en est plus auguste, et sa grandeur divine
Croit encore à l’aspect de ce monde en ruine.
Aujourd’hui, rarement un usage pieux,
Sa voix rouvrait l’asile où dorment nos aïeux.
Hélas ! ce souvenir frappe encor ma pensée.

L’aurore paraissait : la cloche balancée,
Mêlant un son lugubre aux sifflemens du Nord,
Annonçait dans les airs la fête de la Mort.
Vieillards, femmes, enfans, accourraient vers le temple,
Là, préside un mortel dont la voix et l’exemple
Maintiennent dans la paix ses heureuses tribus,
Un prêtre, ami des lois et zélé sans abus,
Qui, peu jaloux d’un nom, d’une orgueilleuse mitre,
Aime de son troupeau, ne veut point d’autre titre ;
Et des apôtres saints fidèle imitateur,
A mérité comme eux ce doux nom de pasteur.
Jamais dans ses discours une fausse sagesse
Des fêtes du hameau n’attrista l’allégresse.
Il est pauvre, et nourrit le pauvre consolé.
Près du lit des vieillards quelquefois appelé,
Il accourt, et sa voix, pour calmer leur souffrance,
Fait descendre auprès d’eux la paisible espérance :
« Mon frère, de la mort ne craignez point les coups ;
« Vous remontez vers Dieu, Dieu s’avance vers vous. »
Le mourant se console, et sans terreur expire.
Lorsque de ses travaux l’homme des champs respire,
Qu’il laisse avec le bœuf reposer le sillon,
Ce pontife sans art, rustique Fénélon,
Nous lit du Dieu qu’il sert les touchantes paroles.
Il ne réveille pas ces combats des écoles,
Ces tristes questions qu’agitèrent en vain
Et Thomas, et Prosper, et Pélage, et Calvin.
Toutefois, en ce jour de grâce et de vengeance,
À ses enfans chéris, que charmait sa présence,
Il rappela l’objet qui les rassemblait tous ;
Et loin d’armer contre eux le céleste courroux,
Il sut par l’espérance adoucir la tristesse.
« Hier, dit-il, nos champs, nos hymnes d’allégresse
« Célébraient à l’envi ces morts victorieux,
« Dont le zèle enflammé sut conquérir les cieux.

« Pour les mânes plaintifs, à la douleur en proie,
« Nous pleurons aujourd’hui ; notre deuil est leur joie.
« La puissante prière a droit de soulager
« Tous ceux qu’éprouve encore un tourment passager.
« Allons donc visiter leur funèbre demeure.
« L’homme, hélas ! s’en approche, y descend à toute heure.
« Consolons-nous pourtant ; un céleste rayon
« Percera des tombeaux la sombre région.
« Oui, tous ses habitans, sous leur forme première ?
« S’éveilleront surpris de revoir la lumière ;
« Et moi, puissé-je alors, vers un monde nouveau,
« En triomphe, à mon Dieu, ramener mon troupeau ! »
Il dit, et prépara l’auguste sacrifice.
Tantôt ses bras tendus montraient le ciel propice ;
Tantôt il adorait, humblement incliné.
Ô moment solennel ! ce peuple prosterné,
Ce temple, dont la mousse a couvert les portiques,
Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques,
Cette lampe d’airain, qui, dans l’antiquité,
Symbole du soleil et de l’éternité,
Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue,
La majesté d’un Dieu, parmi nous descendue,
Les pleurs, les vœux, l’encens, qui montait vers l’autel,
Et de jeunes beautés, qui, sous l’œil maternel,
Adoucissent encor, par leur voix innocente,
De la religion la pompe attendrissante ;
Cet orgue qui se tait, ce silence pieux ;
L’invisible union de la terre et des cieux ?
Tout enflamme, agrandit, émeut l’homme sensible ;
Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,
Où, sur des harpes d’or, l’immortel Séraphin
Aux pieds de Jéhovah chante l’hymne sans fin.
C’est alors que sans peine un Dieu se fait entendre ;
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre ;
Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir.

Mais du temple, à grands flots ? se hâtait de sortir
La foule, qui déjà, par groupes séparée,
Vers le séjour des morts s’avançait éplorée.
L’étendard de la croix marchait devant nos pas.
Nos chants majestueux, consacrés au trépas,
Se mêlaient à ce bruit précurseur des tempêtes ;
Des nuages obscurs s’étendaient sur nos têtes ;
Et nos fronts attristés, nos funèbres concerts,
Se conformaient au deuil et des champs et des airs.
Cependant, du trépas on atteignait l’asile.
L’if et le buis lugubre, et le lierre stérile,
Et la ronce, à l’entour, croissent de toutes parts ;
On y voit s’élever quelques tilleuls épars :
Le vent court en sifflant sur leur cime flétrie.
Non loin s’égare un fleuve, et mon ame attendrie,
Vit, dans le double aspect des tombes et des flots,
L’éternel mouvement et l’éternel repos.
Avec quel saint transport tout ce peuple champêtre
Honorant ses aïeux, aimait à reconnaitre
La pierre ou le gazon qui cachait leurs débris !
Il nomme, il croit revoir tous ceux qu’il a chéris.
Mais, hélas ! dans nos murs, de l’ami le plus tendre
On peut, l’œil incertain, redemander la cendre !
Les morts en sont bannis, leurs droits sont violés,
Et leurs restes sans gloire au hasard sont mêlés.
Ah ! déjà contre nous j’entends frémir leurs mânes.
Tremblons : malheur aux temps, aux nations profanes,
Chez qui, dans tous les cœurs, affaibli par degré,
Le culte des tombeaux cesse d’être sacré !
Les morts, ici, du moins, n’ont pas reçu d’outrage ;
lis conservent en paix leur antique héritage.
Leurs noms ne chargent point des marbres fastueux ;
Un pâtre, un laboureur, un fermier vertueux,
Sous ces pierres sans art, tranquillement sommeille.
Elles couvrent peut-être un Turenne, un Corneille,

Qui dans l’ombre a vécu de lui-même ignoré.
Eh bien ! si de la foule autrefois séparé,
Illustre dans les camps, ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l’univers idolâtre,
Aujourd’hui son sommeil en serait-il plus doux ?
De ce nom, de ce bruit, dont l’homme est si jaloux,
Combien auprès des morts j’oubliais les chimères !
Ils réveillaient en moi des pensées plus austères.
Quel spectacle ! d’abord, un sourd gémissement
Sur le fatal enclos erra confusément.
Bientôt les vœux, les cris, les sanglots retentissent ;
Tous les yeux sont en pleurs, toutes les voix gémissent.
Seulement j’aperçois une jeune beauté
Dont la douleur se tait, et veut fuir la clarté :
Ses larmes, cependant, coulent en dépit d’elle ;
Son œil est égaré, son pied tremble et chancelle ;
Hélas ! elle a perdu l’amant qu’elle adorait,
Que son cœur, pour époux, se choisit en secret ;
Son cœur promet encor de n’être point parjure,
Une veuve, non loin de ce tronc sans verdure,
Regrettait un époux, tandis qu’à ses côtés
Un enfant qui n’a vu qu’à peine trois étés,
Ignorant son malheur, pleurait aussi comme elle.
Là, d’un fils qui mourut en suçant la mamelle,
Une mère au destin reprochait le trépas,
Et sur la pierre étroite elle attachait ses bras,
Ici, des laboureurs au front chargé de rides,
Tremblans, agenouillés sur des feuilles arides,
Venaient encor prier, s’attendrir dans ces lieux
Où les redemandait la voix de leurs aïeux.
Quelques vieillards surtout, d’une voix languissante,
Embrassaient tour à tour une tombe récente ;
C’était celle d’Humbert, d’un mortel respecté,
Qui depuis neuf soleils en ces lieux fut porté.
Il a vécu cent ans, il fut cent ans utile.

Des fermes d’alentour le sol rendu fertile,
Les arbres qu’il planta, les heureux qu’il a faits,
À ses derniers neveux conteront ses bienfaits.
Souvent on les vantait dans nos longues soirées.
Lorsqu’un hiver fameux désolait nos contrées,
Et que le grand Louis, dans son palais en deuil,
Vaincu, pleurait trop tard les fautes de l’orgueil,
Humbert, dans l’âge heureux qu’embellit l’espérance,
Déjà d’un premier fils bénissait la naissance.
Le rigoureux janvier, ramenant l’aquilon,
Détruit tous les trésors qu’attendait le sillon :
Sur les champs dévastés la mort seule domine ;
Deux mois, dans nos climats, la hideuse famine
Courut seule et muette, en dévorant toujours.
Humbert désespéré, sa femme sans secours,
Voyaient le monstre affreux menacer leur asile :
Ils pleuraient sur leur fils, leur fils dormait tranquille.
Ô courage ! ô vertu ! renfermant ses douleurs,
Humbert, pour la sauver, fuit une épouse en pleurs,
Soldat, il prend le glaive, il s’exile loin d’elle ;
Mais du milieu des camps, sa tendresse fidèle
À sa femme, à son fils se hâtait d’envoyer
Ce salaire indigent, noble fruit du guerrier.
On dit que de Villars il mérita l’estime ;
Et même sous les yeux de ce chef magnanime,
Aux bataillons d’Eugène il ravit un drapeau.
La paix revint ; alors il revit son hameau,
Et pour le soc paisible oublia son armure.
Son exemple, éclairant une aveugle culture,
Apprit à féconder ces domaines ingrats ;
Ce rempart tutélaire, élevé par son bras,
Du fleuve débordé contint les eaux rebelles.
Que de fois il calma les naissantes querelles !
Lui seul para ces monts de leurs premiers raisins,
Et même il transplanta sur les mûriers voisins

Ce ver laborieux qui s’entoure en silence
Des fragiles réseaux filés pour l’opulence.
Tu méritais sans doute, ô vieillard généreux,
Les honneurs de ce jour, nos regrets et nos vœux !
Aussi le prêtre saint, guidant la pompe auguste,
S’arrêta tout à coup près des cendres du juste.
Là retentit le chant qui délivre les morts.
C’en est fait ! et trois fois, dans ces pieux transports,
Le peuple a parcouru l’enceinte sépulcrale !
L’homme sacré, trois fois y jeta l’eau lustrale,
Et l’écho de la tombe, aux mânes satisfaits,
Répéta sourdement : Qu’ils reposent en paix.
Tout se tut : et soudain, ô fortuné présage !
Le ciel vit s’éloigner les fureurs de l’orage ;
Et brillant, au milieu des brouillards entr’ouverts,
Le soleil, jusqu’au soir, consola l’univers.

Par M. Fontanes,


FIN DU TOME PREMIER.

  1. Le Père Lachaise fut général des jésuites : il était petit-neveu du Père Cotton, et d’une famille noble du Forez ; il fut nommé confesseur du roi en 1675. Après avoir dirigé la conscience de ce prince pendant 34 ans, il mourut le 20 janvier 1709, âgé de 85 ans.
  2. Voyez la description du tombeau de J. Delille, première livraison.
  3. Ces dernières paroles peuvent être regardées comme prophétiques, puisque cet ouvrage était composé, en grande partie, avant l’année 1813.
  4. Les murs de la partie du nord ont été crénelés pour offrir à nos guerriers une nouvelle défense contre les Russes. Malgré cette précaution, ils parvinrent à s’en emparer le 30 mars 1814 ; et pendant quelques jours ils y ont bivouaqué. Quelques tombeaux ont été frappés de leurs bouches à feu. En 1815, les murs dont les créneaux avaient été bouchés, ont été rouverts de nouveau.
  5. Cette terrasse est élevée de 65 pieds et quelques pouces plus haut que le sommet du pavé des nouveaux boulevards.
  6. Cette forteresse, dont il est beaucoup parlé dans l’histoire, sert actuellement d’arsenal ; et son donjon de prison d’état. Plusieurs régimens y sont casernés.
  7. Les monumens qui formaient le Musée des Petits-Augustins viennent d’être rendus, pour la plupart, aux différentes églises d’où ils avaient été tirés, et les autres placés dans le cimetière de Mont-Louis.