Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/18
(18ème Livraison.)
Planche 69.
TOMBEAU DE MADAME FRÉMONT.
On voit ce monument, en entrant dans le cimetière, à gauche, sur le bord de l’allée des tilleuls, et derrière l’atelier de marbrerie (anciennement Orangerie.) Il se compose d’une pyramide triangulaire, portée sur trois pieds de lion engagés dans la pierre qui lui sert ; de base, et qui elle-même est posée sur un socle. Le haut du monument se termine par une boule d’amortissement. Sur la face à droite, on lit :
A gauche, on lit cette inscription latine dont nous avons cru devoir donner la traduction :
Traduction :
Planche 70.
TOMBEAU DE MADAME DEYSSAUTIER.
On arrive à ce monument, en prenant, dès
l’entrée dans le cimetière, le chemin tournant,
comme pour aller au tombeau du Dragon (Voyez
le no 39 du plan.) Il se trouve au midi du bosquet
de tilleuls, au bout de la contr’allée, à droite, et
adossé à la charmille. Il est d’un genre égyptien,
en marbre blanc veîné, avec un fronton circulaire,
et orné, dans son tympan, d’une couronne de
lierre, nouée avec un ruban, symbole d’une étroite
union. Ainsi que la couronne, les deux oreillons
sont décorés de palmettes sculptées. Le fronton
est surmonté d’une urne en marbre noir, qui est
souvent entourée, ainsi que les oreillons, d’une
couronne d’immortelles. Les lettres de l’inscription sont dorées.
Ce tombeau, avec un petit jardin, bien entretenu et planté de quatre cyprès, est entouré d’une balustrade en fer.
On jouit dans cet endroit d’une vue charmante. On n’y entend aucun bruit, et le silence, si favorable à la méditation, n’est interrompu que par les chants mélodieux du rossignol.
Planche 71.
TOMBEAU DE MARGUERITE LOUISE.
Ce tombeau d’un bon style, et construit en pierre, se trouve dans le vallon à droite en entrant. Les noms de Marguerite Louise sont la seule inscription que l’auteur de ce Recueil y ait vue. La personne qui l’a fait graver a sans doute voulu avoir le privilège de la douleur et des larmes.
Planche 72.
TOMBEAU DE MADAME COLBERT
FRAGMENT
Extrait des Nuits d’Young.
(cinquième nuit.)
Suis-moi, Lorenzo, viens ; lisons ensemble sur la pierre qui couvre ta chère Narcisse… Quel traité de morale sublime elle tient ouvert ! Que son langage muet est pathétique ! Quels orateurs peuvent toucher comme elle une âme sensible ? L’éloquence des paroles peut nous émouvoir ; mais que ses images sont faibles et mortes auprès des impressions vives et profondes dont la vue de cette pierre nous pénètre ! Avec quelle force elle parle à nos yeux ! Que de leçons renfermées dans la date que j’y vois gravée !…
Demande-lui si la beauté, si la jeunesse, si tout ce qui est aimable est de longue durée ! Homme, ose donc désormais compter sur la vie ! À peine puis-je rencontrer un tombeau qui renferme un corps plus jeune que le mien et qui ne me crie, viens… et dans le monde entier que trouvé-je qui me rappelle et m’attache à la vie ?
Le monde et ses plaisirs imposteurs ne m’en imposent plus. (Ce n’est que dans la tristesse que l’homme sait les apprécier.) Les pièges que le vice me tendait sous les fleurs sont découverts ; la vertu laisse tomber son voile et je peux contempler tous ses charmes.Comme la vie s’écoule devant moi ! Je vois les hommes tomber comme la feuille de l’automne : les objets de leurs désirs me paraissent aussi légers, aussi vils que la poussière qui s’élève sous leurs pas. Plus je considère la vie, plus elle me paraît vaine.
Et pourquoi frémir à la pensée de la mort ? Ce passage n’est pas si terrible que nous l’imaginons. Ingénieux à nous créer des alarmes, nous nous tourmentons de nos chimères ; nous nous formons un fantôme ; nous lui donnons des traits menaçans, et bientôt oubliant qu’il est notre ouvrage, notre peur l’anime, nous frissonnons à ses pieds et nous ne pouvons plus lever les yeux sur lui sans pâlir de terreur.L’image infidèle que nous formons d’après nos conjectures, n’a presque aucune ressemblance avec l’original. Et quel peintre a pu saisir les véritables traits de la mort ? Ce tyran ne se repose jamais un instant. La crainte agite le pinceau dans nos mains tremblantes. L’imagination exagère, l’ignorance charge le portrait de ses ombres, et la raison s’en épouvante.
Où est-elle la mort ? Toujours future ou passée ; dès qu’elle est présente, elle n’est déjà plus. Avant que l’espérance nous abandonne, le sentiment est mort. Pourquoi nous remplir de noirs présages ? Quand nous sommes frappés nous recevons le coup, mais sans en sentir la douleur. La cloche funèbre, le drap mortuaire, la bêche, le tombeau, la fosse humide et profonde, les ténèbres et les vers, tous les fantômes qui s’élèvent sur le soir de la vie et obsèdent le vieillard, sont la terreur des vivans. Victime de sa folle imagination et malheureux par son erreur, l’homme invente une mort qui n’est point celle que la nature a faite, et par la crainte d’une seule, il en éprouve mille. Écartons d’une main courageuse ces simulacres trompeurs. La tombe est hermétiquement fermée ; il n’en transpire aucun secret chez les vivans.
Depuis deux fois le temps que les Grecs employèrent à réduire la superbe Troie, je m’obstinais à assiéger sans succès les faveurs de la cour. Hélas ! que l’ambition est un mauvais moyen de s’enrichir ! Elle n’a fait qu’appauvrir encore le peu que je possédais, en empoisonnant sa jouissance. Pourquoi désirer ? c’est de toutes les occupations la plus cruelle. Donnez-moi l’homme le plus robuste et dans la santé la plus florissante : l’ambition en fera bientôt une ombre pâle et décharnée. Eussiez-vous tous les trésors du Nouveau-Monde, si vous avez encore de l’ambition et des désirs, vous resterez pauvre. Air pur, repas frugal, dons précieux de la vie champêtre, c’est vous qui m’avez enfin guéri de cette maladie contagieuse des Cours.Bénie soit à jamais la main divine qui m’a conduit sous l’abri de cette humble chaumière où j’ai trouvé le doux repos de mon âme. Le monde est un vaisseau pompeux flottant sur des mers dangereuses : on le regarde avec plaisir ; mais on ne l’aborde qu’avec péril. Ici en sûreté, jetté à terre sur une simple planche, j’entends le tumulte confus de la foule, comme le mugissement des mers éloignées ou le bruit sourd de la tempête mourante ; et en méditant dans un calme profond mon sujet sérieux, j’apprends à combattre les terreurs de la mort. Ici comme un berger, qui du fond de sa cabane, appuyé sur sa houlette, et faisant raisonner son chalumeau, promène ses regards sur la vaste étendue des campagnes, je suis de l’œil la chasse féroce de l’ardente ambition ; je vois une meute nombreuse d’hommes bruyans, brisant les barrières des lois, franchissant les bornes de la justice, loups pour la rapine, renards pour la ruse, tantôt poursuivans, tantôt poursuivis, et tour-à-tour la proie l’un de l’autre, jusqu’à ce que le trépas, cet infatigable chasseur, vienne les engloutir tous dans leur dernier terrier.
Pourquoi tant de fatigues pour des triomphes si courts ? La fortune des riches, la gloire des héros, la majesté des rois, tout finit par « Ci-Gît. » Des peines à souffrir, des biens qu’il faut laisser, tel est l’inventaire exact de la vie, et la poussière est le terme de toutes les grandeurs de la terre. Si mes chants passent à la postérité, elle apprendra qu’il exista un homme, nourri parmi les courtisans, quoique né dans l’Angleterre, qui fit réflexion que la fortune pourrait bien arriver trop tard d’un jour ; qui ne s’est point amusé sur son lit de mort à arranger des projets de fortune et de vie ; et qui a pensé que la nécessité de mourir valait bien la peine de l’en distraire.
La jeunesse sans expérience, attirée par une lueur trompeuse, se précipite sur une foule de maux. Les années instruisent l’homme ; il se détrompe en vieillissant ; mais dès qu’il a trouvé l’art de vivre, les portes de la mort s’ouvrent.
J’entends la vieillesse insatiable crier sans cesse : « Encore des jours, encore des richesses, encore des plaisirs ; » il n’est plus de plaisirs quand le sentiment est éteint. Il ne suffit pas de posséder l’objet : pour en jouir, il faut des sens. Vainement nous nous fatiguons à tendre de nouveau, à rajuster l’arc usé dont la nature relâche et brise successivement toutes les cordes. Quel excès de folie ! Comme on voit les ombres s’allonger à mesure que le soleil s’abaisse, nos désirs croissent et s’étendent sans fin sur le soir de la vie.