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Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/Fête

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LA FÊTE DES MORTS,
DANS UNE CAMPAGNE.



Déja, du haut des cieux, le cruel sagittaire
Avait tendu son arc, et ravageait la terre ;
Les coteaux et les champs, et les prés défleuris,
N’offraient de toutes parts que de vastes débris.
Novembre avait compté sa première journée.
Seul alors, et témoin du déclin de l’année,
Heureux de mon repos, je vivais dans les champs.
Et quel poëte, épris de leurs tableaux touchans,
Quel sensible mortel, des scènes de l’automne
N’a chéri quelquefois la beauté monotone !
Oh ! comme avec plaisir la rêveuse douleur,
Le soir, foule à pas lents ces vallons sans couleur,
Cherche les bois jaunis, et se plait au murmure
Du vent qui fait tomber leur dernière verdure.
Ce murmure a pour moi je ne sais quel attrait.
Tout à coup si j’entends s’agiter la forêt,
D’un ami qui n’est plus, la voix long-temps chérie
Me semble murmurer dans la feuille flétrie.
Aussi, c’est dans ce temps que tout marche au cercueil,
Que la religion prend un habit de deuil ;
Elle en est plus auguste, et sa grandeur divine
Croit encore à l’aspect de ce monde en ruine.
Aujourd’hui, rarement un usage pieux,
Sa voix rouvrait l’asile où dorment nos aïeux.
Hélas ! ce souvenir frappe encor ma pensée.

L’aurore paraissait : la cloche balancée,
Mêlant un son lugubre aux sifflemens du Nord,
Annonçait dans les airs la fête de la Mort.
Vieillards, femmes, enfans, accourraient vers le temple,
Là, préside un mortel dont la voix et l’exemple
Maintiennent dans la paix ses heureuses tribus,
Un prêtre, ami des lois et zélé sans abus,
Qui, peu jaloux d’un nom, d’une orgueilleuse mitre,
Aime de son troupeau, ne veut point d’autre titre ;
Et des apôtres saints fidèle imitateur,
A mérité comme eux ce doux nom de pasteur.
Jamais dans ses discours une fausse sagesse
Des fêtes du hameau n’attrista l’allégresse.
Il est pauvre, et nourrit le pauvre consolé.
Près du lit des vieillards quelquefois appelé,
Il accourt, et sa voix, pour calmer leur souffrance,
Fait descendre auprès d’eux la paisible espérance :
« Mon frère, de la mort ne craignez point les coups ;
« Vous remontez vers Dieu, Dieu s’avance vers vous. »
Le mourant se console, et sans terreur expire.
Lorsque de ses travaux l’homme des champs respire,
Qu’il laisse avec le bœuf reposer le sillon,
Ce pontife sans art, rustique Fénélon,
Nous lit du Dieu qu’il sert les touchantes paroles.
Il ne réveille pas ces combats des écoles,
Ces tristes questions qu’agitèrent en vain
Et Thomas, et Prosper, et Pélage, et Calvin.
Toutefois, en ce jour de grâce et de vengeance,
À ses enfans chéris, que charmait sa présence,
Il rappela l’objet qui les rassemblait tous ;
Et loin d’armer contre eux le céleste courroux,
Il sut par l’espérance adoucir la tristesse.
« Hier, dit-il, nos champs, nos hymnes d’allégresse
« Célébraient à l’envi ces morts victorieux,
« Dont le zèle enflammé sut conquérir les cieux.

« Pour les mânes plaintifs, à la douleur en proie,
« Nous pleurons aujourd’hui ; notre deuil est leur joie.
« La puissante prière a droit de soulager
« Tous ceux qu’éprouve encore un tourment passager.
« Allons donc visiter leur funèbre demeure.
« L’homme, hélas ! s’en approche, y descend à toute heure.
« Consolons-nous pourtant ; un céleste rayon
« Percera des tombeaux la sombre région.
« Oui, tous ses habitans, sous leur forme première ?
« S’éveilleront surpris de revoir la lumière ;
« Et moi, puissé-je alors, vers un monde nouveau,
« En triomphe, à mon Dieu, ramener mon troupeau ! »
Il dit, et prépara l’auguste sacrifice.
Tantôt ses bras tendus montraient le ciel propice ;
Tantôt il adorait, humblement incliné.
Ô moment solennel ! ce peuple prosterné,
Ce temple, dont la mousse a couvert les portiques,
Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques,
Cette lampe d’airain, qui, dans l’antiquité,
Symbole du soleil et de l’éternité,
Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue,
La majesté d’un Dieu, parmi nous descendue,
Les pleurs, les vœux, l’encens, qui montait vers l’autel,
Et de jeunes beautés, qui, sous l’œil maternel,
Adoucissent encor, par leur voix innocente,
De la religion la pompe attendrissante ;
Cet orgue qui se tait, ce silence pieux ;
L’invisible union de la terre et des cieux ?
Tout enflamme, agrandit, émeut l’homme sensible ;
Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,
Où, sur des harpes d’or, l’immortel Séraphin
Aux pieds de Jéhovah chante l’hymne sans fin.
C’est alors que sans peine un Dieu se fait entendre ;
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre ;
Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir.

Mais du temple, à grands flots ? se hâtait de sortir
La foule, qui déjà, par groupes séparée,
Vers le séjour des morts s’avançait éplorée.
L’étendard de la croix marchait devant nos pas.
Nos chants majestueux, consacrés au trépas,
Se mêlaient à ce bruit précurseur des tempêtes ;
Des nuages obscurs s’étendaient sur nos têtes ;
Et nos fronts attristés, nos funèbres concerts,
Se conformaient au deuil et des champs et des airs.
Cependant, du trépas on atteignait l’asile.
L’if et le buis lugubre, et le lierre stérile,
Et la ronce, à l’entour, croissent de toutes parts ;
On y voit s’élever quelques tilleuls épars :
Le vent court en sifflant sur leur cime flétrie.
Non loin s’égare un fleuve, et mon ame attendrie,
Vit, dans le double aspect des tombes et des flots,
L’éternel mouvement et l’éternel repos.
Avec quel saint transport tout ce peuple champêtre
Honorant ses aïeux, aimait à reconnaitre
La pierre ou le gazon qui cachait leurs débris !
Il nomme, il croit revoir tous ceux qu’il a chéris.
Mais, hélas ! dans nos murs, de l’ami le plus tendre
On peut, l’œil incertain, redemander la cendre !
Les morts en sont bannis, leurs droits sont violés,
Et leurs restes sans gloire au hasard sont mêlés.
Ah ! déjà contre nous j’entends frémir leurs mânes.
Tremblons : malheur aux temps, aux nations profanes,
Chez qui, dans tous les cœurs, affaibli par degré,
Le culte des tombeaux cesse d’être sacré !
Les morts, ici, du moins, n’ont pas reçu d’outrage ;
lis conservent en paix leur antique héritage.
Leurs noms ne chargent point des marbres fastueux ;
Un pâtre, un laboureur, un fermier vertueux,
Sous ces pierres sans art, tranquillement sommeille.
Elles couvrent peut-être un Turenne, un Corneille,

Qui dans l’ombre a vécu de lui-même ignoré.
Eh bien ! si de la foule autrefois séparé,
Illustre dans les camps, ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l’univers idolâtre,
Aujourd’hui son sommeil en serait-il plus doux ?
De ce nom, de ce bruit, dont l’homme est si jaloux,
Combien auprès des morts j’oubliais les chimères !
Ils réveillaient en moi des pensées plus austères.
Quel spectacle ! d’abord, un sourd gémissement
Sur le fatal enclos erra confusément.
Bientôt les vœux, les cris, les sanglots retentissent ;
Tous les yeux sont en pleurs, toutes les voix gémissent.
Seulement j’aperçois une jeune beauté
Dont la douleur se tait, et veut fuir la clarté :
Ses larmes, cependant, coulent en dépit d’elle ;
Son œil est égaré, son pied tremble et chancelle ;
Hélas ! elle a perdu l’amant qu’elle adorait,
Que son cœur, pour époux, se choisit en secret ;
Son cœur promet encor de n’être point parjure,
Une veuve, non loin de ce tronc sans verdure,
Regrettait un époux, tandis qu’à ses côtés
Un enfant qui n’a vu qu’à peine trois étés,
Ignorant son malheur, pleurait aussi comme elle.
Là, d’un fils qui mourut en suçant la mamelle,
Une mère au destin reprochait le trépas,
Et sur la pierre étroite elle attachait ses bras,
Ici, des laboureurs au front chargé de rides,
Tremblans, agenouillés sur des feuilles arides,
Venaient encor prier, s’attendrir dans ces lieux
Où les redemandait la voix de leurs aïeux.
Quelques vieillards surtout, d’une voix languissante,
Embrassaient tour à tour une tombe récente ;
C’était celle d’Humbert, d’un mortel respecté,
Qui depuis neuf soleils en ces lieux fut porté.
Il a vécu cent ans, il fut cent ans utile.

Des fermes d’alentour le sol rendu fertile,
Les arbres qu’il planta, les heureux qu’il a faits,
À ses derniers neveux conteront ses bienfaits.
Souvent on les vantait dans nos longues soirées.
Lorsqu’un hiver fameux désolait nos contrées,
Et que le grand Louis, dans son palais en deuil,
Vaincu, pleurait trop tard les fautes de l’orgueil,
Humbert, dans l’âge heureux qu’embellit l’espérance,
Déjà d’un premier fils bénissait la naissance.
Le rigoureux janvier, ramenant l’aquilon,
Détruit tous les trésors qu’attendait le sillon :
Sur les champs dévastés la mort seule domine ;
Deux mois, dans nos climats, la hideuse famine
Courut seule et muette, en dévorant toujours.
Humbert désespéré, sa femme sans secours,
Voyaient le monstre affreux menacer leur asile :
Ils pleuraient sur leur fils, leur fils dormait tranquille.
Ô courage ! ô vertu ! renfermant ses douleurs,
Humbert, pour la sauver, fuit une épouse en pleurs,
Soldat, il prend le glaive, il s’exile loin d’elle ;
Mais du milieu des camps, sa tendresse fidèle
À sa femme, à son fils se hâtait d’envoyer
Ce salaire indigent, noble fruit du guerrier.
On dit que de Villars il mérita l’estime ;
Et même sous les yeux de ce chef magnanime,
Aux bataillons d’Eugène il ravit un drapeau.
La paix revint ; alors il revit son hameau,
Et pour le soc paisible oublia son armure.
Son exemple, éclairant une aveugle culture,
Apprit à féconder ces domaines ingrats ;
Ce rempart tutélaire, élevé par son bras,
Du fleuve débordé contint les eaux rebelles.
Que de fois il calma les naissantes querelles !
Lui seul para ces monts de leurs premiers raisins,
Et même il transplanta sur les mûriers voisins

Ce ver laborieux qui s’entoure en silence
Des fragiles réseaux filés pour l’opulence.
Tu méritais sans doute, ô vieillard généreux,
Les honneurs de ce jour, nos regrets et nos vœux !
Aussi le prêtre saint, guidant la pompe auguste,
S’arrêta tout à coup près des cendres du juste.
Là retentit le chant qui délivre les morts.
C’en est fait ! et trois fois, dans ces pieux transports,
Le peuple a parcouru l’enceinte sépulcrale !
L’homme sacré, trois fois y jeta l’eau lustrale,
Et l’écho de la tombe, aux mânes satisfaits,
Répéta sourdement : Qu’ils reposent en paix.
Tout se tut : et soudain, ô fortuné présage !
Le ciel vit s’éloigner les fureurs de l’orage ;
Et brillant, au milieu des brouillards entr’ouverts,
Le soleil, jusqu’au soir, consola l’univers.

Par M. Fontanes,


FIN DU TOME PREMIER.