Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/Kellermann

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MÊME CIMETIÈRE.

TOMBEAU DU MARÉCHAL KELLERMANN.

Ce tombeau est semblable à celui de madame la duchesse, qui se trouve accouplé et entouré d’une balustrade à barreaux droits, surmonté de chardons dorés, excepté qu’on a ajouté à chaque extrémité du rampant du fronton, un oreillon sur lequel on a sculpté des palmettes à cosse ; sur la pointe du dit fronton on a posé un amortissement sur lequel on a sculpté le même ornement ; dans le tympan dudit fronton on a sculpté un sablier ailé ; ces mêmes ornemens sont actuellement ajoutés au tombeau de madame la duchesse, et en place de l’urne en marbre blanc, on a placé un médaillon rond en marbre blanc, qui représente en relief et de profil le portrait du Maréchal. Le rétable du tombeau n’est pas armorié comme celui de madame la duchesse, le reste est exact. Voyez la 3e livraison, planche 9e du premier volume, et le plan pour y arriver.

Sur la table saillante du contrerétable en marbre noir, sur lequel est gravée l’épitaphe en lettres d’or, on lit :


Le Maréchal de KELLERMANN,
Duc de Valmy, pair de France,
Né à Strasbourg, le xxviii mai MDCCXXXV,
Mort à Paris, le xiii septembre MDCCCXX.


Christophe DE KELLERMANN, né à Strasbourg en 1735, servait dès 1752. Avant la révolution, il occupait dans l’armée des grades supérieurs. Il avait dû son avancement à son talent, à son zèle, à son amour pour la discipline. Cet amour pour la discipline devait, au moment de la révolution, s’exercer avec un nouveau discernement, lorsque les principes de la liberté qui s’introduisait en France, étaient accusés de licence par nos ennemis. Commandant en chef l’armée de la Sarre, Kellermann fut dans le cas de poser les véritables règles qui doivent conduire les supérieurs comme les inférieurs, dans un pays qui devient libre, et où l’armée elle-même ne peut plus être considérée comme un ramas d’esclaves obéissant aveuglément au pouvoir arbitraire. Les officiers de plusieurs corps avaient infligé des peines injustes aux soldats qui prenaient part à quelques assemblées populaires. Dans un rapport, plein de sagesse et de patriotisme, Kellermann blâma hautement ces officiers ; ils ne pouvaient avoir raison, ceux qui avaient mérité le blâme de Kellermann, regardé comme le premier ami de l’ordre et le plus sévère observateur de la discipline.

En 1791, le général de l’armée de la Sarre était à Landau ; les habitans de cette ville pénétrés de reconnaissance pour ses services publics et ses procédés particuliers envers la ville, lui offrirent une couronne civique. C’était l’époque où une feuille de chêne était mise au-dessus des couronnes d’or. Kellermann, en acceptant cette récompense décernée par le patriotisme, dit avec modestie : « Je n’ai fait que mon devoir en servant la chose publique. »

Le roi de Prusse et ses bataillons ayant pénétré dans les plaines de Champagne, en 1792, Dumouriez, resserré par les Prussiens et les Autrichiens réunis, se trouvait dans la position la plus critique. Kellermann, avec vingt-deux-mille hommes, arrive rapidement à son secours, soutient le choc, et le 19 septembre, il prend position à la gauche de Dumouriez.

Le 20 septembre, les Prussiens continuaient à s’avancer en bon ordre : notre armée, composée de troupes de lignes et de quelques bataillons de nouvelle levée, les attendait de pied ferme. Le général Kellermann voyant cette bonne contenance, met son chapeau sur la pointe de son sabre, et l’élevant en l’air, s’écrie : vive la Nation ! aussitôt ce cri se répète dans tous les rangs, avec le plus vif enthousiasme, tous les chapeaux sont agités en l’air sur la pointe des bayonnettes et des sabres. Ces cris unanimes, ce spectacle inattendu, frappent l’ennemi dont les colonnes étonnées s’arrêtent. La victoire est à nous mes enfans ! s’écrie de nouveau le général Kellermann, et à l’instant il fait tirer le canon. La tête des colonnes prussiennes est ébranlée, leur flottement annonce du désordre, et bientôt de nouvelles décharges forcent l’ennemi de renoncer à son attaque.

C’est ainsi qu’après avoir, dans la journée du 20 septembre, résisté avec ses vingt-deux-mille hommes aux attaques réitérées de plus de quatre vingt-dix-mille Prussiens, Kellermann les obligea de rentrer dans leurs premières lignes, et par la manœuvre rapide et hardie du changement de position qu’il fait dans la nuit du 20 au 21, força l’ennemi à rester dans une situation où les vivres lui manquant, il fut réduit à battre en retraite. Immortelle journée de Valmy ! Tu décidas véritablement qu’il y aurait une France ; et le héros qui a présidé à cette noble journée a bien mérité de l’ajouter à son nom ; il a pu demander que son cœur reposât sur la terre glorieuse sauvée par son courage !

Celui dont l’histoire présente un fait d’armes aussi éclatant, aurait dû mourir le jour même du 20 septembre, et la vie du général eût pu être regardée comme complète ; mais elle n’a pu l’être aux yeux d’un guerrier citoyen, tant qu’il restait quelque chose à faire pour la défense de sa patrie. Aussi les vingt-huit années qu’eut encore à parcourir le général Kellermann, présentent-elles une suite de services de la plus haute importance. Lorsqu’il fut militaire, il n’a pas cessé d’être citoyen, et lorsqu’il a été restreint à des fonctions purement civiles, il a doublement prouvé, par la pureté de ses votes, combien il aimait la liberté.


Nota. M. le maréchal KELLERMANN, duc de Valmy, est mort le 13 septembre entre les bras de ses enfans et de son gendre.

Son cœur, ainsi qu’il en avait exprimé la volonté, a été porté et enterré à Valmy. Voici la lettre que ce vieux guerrier écrivit à ce sujet au maire de cette commune, le 31 juillet 1820.

« Je prie M. le maire de Valmy de m’acheter un petit terrain, contenant deux pieds en carré, pour y inhumer mon cœur après mon décès. Mon fils sera chargé de porter mon cœur, qui ne peut être placé qu’au milieu de mes braves frères d’armes, morts dans la glorieuse journée du 20 septembre 1792, et sous la sauve-garde des braves. »

Le 31 juillet 1820.