Recueil des lettres missives de Henri IV/1574/1 juin ― Lettre circulaire aux gouverneurs de province

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1574. — 1er juin.

Imprimé. – Mémoires de l’Estat de France sous Charles neufiesme, édition de Meidelbourg, 1578, in-8o, t. III, fol. 383 verso.


[LETTRE CIRCULAIRE AUX GOUVERNEURS DES PROVINCES.]

Mon Cousin, Vous entendrés par la lettre que la Royne vous escrit comme il a pleu à Dieu appeler à soy le feu Roy mon seigneur. Qui est une perte si grande à ce Royaume, que je m’asseure que tous les bons serviteurs d’iceluy en porteront aultant de regret et desplaisir que le desastre et inconvenient est grand. Toutesfois je me console en ceste affliction, que Sa Majesté prevoyant sa fin, pour tesmoigner le desir qu’il a tousjours eu au repos de ses subjects, a voulu et ordonné par sa derniere volonté que l’administration et regence des affaires demeureroient à ladicte dame, attendant l’arrivée du roy de Poloigne[1], estant asseuré que par sa prudence, et pour la longue experience qu’elle a d’iceulx, et pour la desvotion singuliere qu’elle a à ceste couronne, elle saura disposer toutes choses au bien et repos public. En quoy je ne doubte aussy que tous ceulx qui tiennent les premiers lieux ne l’assistent, obeissent et recognoissent, selon qu’elle en est trez-digne pour ses vertus[2] ; comme je desire d’y satisfaire de ma part, tant pour l’obligation particuliere que j’ay à ladicte dame que pour l’obeissance et recognoissance que je doibs audict seigneur Roy de Poloigne, l’ayant Nostre Seigneur appelé à ceste couronne ; ce que je m’asseure que vouldriez aussi faire de la vostre, continuant le zele et affection que vous avez tousjours eue au bien de ceste couronne. Priant Dieu[3] [, mon Cousin, vous avoir en sa saincte et digne garde.

HENRY.]



  1. Mézeray, d’après plusieurs auteurs contemporains, raconte ainsi les odieuses circonstances des adieux de ce prince et de sa mère, lorsqu’il prit congé d’elle partant pour la Pologne : « En cet endroit la mère et le fils prenant congé l’un de l’autre, entre les embrassemens, les larmes et les sanglots, elle laissa imprudemment eschapper ces paroles, Allez, mon fils, vous n’y demeurerez pas longtemps ; lesquelles estant entendues de plusieurs et tout aussi tost divulguées, augmenterent fort les sinistres soupçons qu’on avoit de la maladie du Roy. (Abrégé chronolog.) Le bruit en avait pris tant de consistance, que Catherine de Médicis crut devoir écrire elle-même aux gouverneurs des provinces : « ...... Et afin que vous soyez certain et sçachez d’où est procedée la maladie du Roy mondit sieur et fils, pour en oster tout le scrupule que l’on pourroit avoir conceu au contraire, je vous ay bien voulu advertir que ç’a esté une grosse fievre continue, causée d’une inflammation de poulmon que l’on estime luy estre procedée des violens exercices qu’il a faits. Et ayant esté ouvert après sa mort, l’on a trouvé toutes les autres parties de son corps aussi saines et entières qui se puissent voir en homme bien composé. » (Mém. de l’Estat de France.)
  2. Cet éloge des vertus de Catherine de Médicis s’explique par les circonstances sous l’empire desquelles fut écrite cette lettre. Suivant l’ouvrage contemporain qui l’a conservée, un des expédients de Catherine à la mort de Charles IX, pour s’assurer la régence jusqu’à l’arrivée de Henri III, fut de « faire écrire par le duc d’Alençon et le roy de Navarre lettres aux gouverneurs des provinces, afin de leur faire sçavoir ce qui s’estoit passé, et, par leur autorité, tenir ceux de la Religion en bransle. » (Mem. de l’Estat de France.)
  3. Cette lettre dut être écrite au Louvre, d’après ce passage de Mézeray sur les précautions qu’aussitôt apres la mort de Charles IX Catherine de Médicis prit à l’égard du roi de Navarre et du duc d’Alençon : « Elle les avoit transportez du bois de Vincennes au Louvre ; et elle ne s’en assuroit pas seulement par des gardes qui les observoient, et par des doubles grilles qu’elle avoit fait mettre aux fenestres de leurs appartemens, mais aussi par les attraits de ses filles, dans la chambre desquelles ils avoient la liberté d’entrer à toute heure. » (Abrégé chronolog.)