Recueil des lettres missives de Henri IV/1576/Vers la fin de l’année ― À monsieur de Batz

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[1576. — vers la fin de l’année.]

Imprimé. – Vie militaire et privée de Henri IV, etc. Paris, an XII, in-8o, p. 3.


[A MONSR DE BATZ.]

Monsr de Batz, Pour ce que je ne puis songer à ma ville d’Euse[1] qu’il ne me souvienne de vous, ni penser à vous qu’il ne me souvienne d’elle[2], je me suis desliberé vous establir mon gouverneur en icelle et pays d’Eusan. Adonc aussy me souviendra quand et quand d’y avoir un bien seur amy et serviteur sur lequel me tiendray reposé de sa seureté et conservation pour tout ce dont je vous ay bien voulu choisir. Mais d’icy à ce qu’ayez receu certaines lettres et instructions, vous en allez en la dicte ville et y amenez assez de vos amys pour y estre le maistre et empescher que l’on y remue. Dieu vous ayt, Monsr de Batz, en sa saincte garde.

Vostre affectionné amy,
HENRY.


  1. Cette petite ville de l’Armagnac (aujourd’hui du département du Gers) est plus connue sous le nom d’Eauze ou Eause. C’était encore alors une place de quelque importance, bien que déchue de ce qu’elle fut à l’époque romaine, sous le nom d’Elusa, comme capitale de la Novempopulanie.
  2. Ce que rappelle ici le roi de Navarre est le plus grand péril auquel il se soit trouvé exposé. Les secrétaires de Sully et l’auteur de la vie de Mornay nous en ont conservé les circonstances. Voici le récit du second : « Mesmes se trouva [M. du Plessis] avec le Roy de Navarre au faict d’Eause, non assez expliqué par ceux qui ont escrit l’histoire. Cette ville est du patrimoine du Roy de Navarre en Armaignac en laquelle il pensoit entrer avec toute seureté ; et de faict, les magistrats lui estoient venus au devant presenter les clefs, avec les chaperons rouges. Entré neanmoins qu’il est, luy cinquiesme, un certain qui estoit en la tour de la porte laisse tomber la herse, criant en son langaige : « Couppe le rateau, il y en a prou, le Roy y est (Coupa lo rastel, che prou n’y a, lo Reyes y es). » Tellement qu’il se trouva enfermé entre ce peuple, les mutins luy portant l’harquebuze à la poitrine. Et sans doute y eust esté accablé, n’eust esté que trois de ses gardes, qui estoient entrés à pied, se jeterent dans une tour qui estoit sur la muraille, à la faveur de laquelle une autre porte fut ouverte à ceux qui estoient demeurés dehors. A peine ce prince fut-il en plus evident peril. » (Vie de M. du Plessis, l. Ier.)
    Cette lettre à M. de Batz montre qu’il était un des trois autres seigneurs qui accompagnaient le roi ; et on doit conclure du passage des Économies royales, qui diffère peu de celui de Mornay, mais est plus circonstancié, que les deux autres étaient Rosny et Béthune. « ..... Celuy qui estoit au portail en sentinelle, disent les secrétaires de Sully, coupa la corde de la herce-coulisse, qui s’abatit aussi-tost, quasi sur la croupe de vostre cheval et de celuy de M. de Bethune l’aisné, vostre cousin : ce qui empescha le reste de la suitte qui venoit au galop de pouvoir entrer..... Tout le peuple s’estant armé, il vous tomba à diverses trouppes et à diverses fois sur les bras, le tocsin sonnant furieusement, et un cry d’arme ! arme ! et de tue ! tue ! retentissant de toutes parts. Ce que voyant le Roy de Navarre, des la premiere trouppe qui se presenta de quelque cinquante, les uns bien les autres mal armez, luy marchant le premier le pistolet au poing droict à eux......... et oyant trois ou quatre qui crioyent, « Tirez à cette juppe d’escarlatte, à ce pennache blanc, car c’est le Roy de Navarre, » il les chargea de telle impetuosité, que sans tirer que cinq ou six coups ils prirent l’espouvante et se retirerent par diverses troupes. D’autres semblables vous vindrent encore mugoter par trois ou quatre fois ; mais si-tost qu’ils se voyoient enfoncez ils tiroient quelques coups et s’escartoient, jusqu’à ce que s’estant ralliez pres de deux cents ils vous contraignirent de gaigner un portail...... etc. » Les secrétaires de Sully racontent ici le changement de ce peuple et les supplications des magistrats à l’entrée de la suite du roi, qui « se mit, disent-ils, à la teste pour empescher le pillage. Aussi ne se commit-il aucune violence, ni desordre, ny autre punition, sinon que quatre qui avoient tiré au pennache blanc furent pendus. » (Ire partie, chap. IX.)
    Des quatre seigneurs qui s’étaient trouvés avec le roi de Navarre à une si chaude affaire, Mornay lui était nécessaire pour le conseil, Rosny était encore trop jeune pour avoir le commandement d’une place. Restaient donc de Batz et Béthune. Ce dernier fut dabord nommé gouverneur d’Eause. Mais je le trouve accompagnant le roi dans les premières expéditions de 1577. Or la prise d’Eause était de 1576, comme le remarque l’abbé Brisard, qui avait des renseignements de la famille de Batz, et j’ai cru devoir placer cette lettre-ci vers la fin de cette année.