Recueil des lettres missives de Henri IV/1579/12 juin ― Au roy, mon souverain seigneur

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1579. — 12 juin.


Orig. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8888, fol. 182 recto.

AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, Depuis avoir depesché vers vous La Barthe[1], je m’attendois de veoir quelque justice du cruel faict de Langon, lequel a rompu les beaulx et heureux commencemens d’establissement de paix qui estoient en mon gouvernement. Mais pour toute satisfaction jusqu’icy on n’a eu aultre chose que la desmolition des murailles de la ville et de quelques maisons des habitans, desjà tous ruinés pour avoir rendu une prompte et volontaire obeissance à l’execution de l’edict, et avoir delaissé la garde de leur ville suivant le commandement qui leur en avoit esté faict, vivans soubs la foy et seureté publique. De deux ou trois cens coupables du dict faict, il n’y en a encores ung seul pris ; et, au lieu de raser leurs maisons, comme il avoit esté ordonné par la Royne, on a rasé les murailles de la ville et les maisons des officiers. Une prompte et exemplaire justice, à ces commencemens d’establissement de paix, eust faict un grand fruict et donné beaucoup d’advancement au bien de la paix. De telles impunitez ou retardemens de justice sont cause de la continuation des maulx et miseres qu’on voit par deçà, chascun se licenciant d’un costé et d’aultre à malfaire. La volerie et meurdre du commandeur de Cours provient de là, comme aussi les meurdres qui se font en Perigord aussi frequens que tous les jours. Les srs de Poillac et Fontperives et quinze ou seize aultres tant capitaines, soldats que habitans des villes, où ceulx de la Religion ont quelque seure retraite, ont esté n’agueres tuez par les champs, allant pour leurs affaires ; et les juges des lieux sont negligens d’en faire information. Monsr de Bourdeilles[2] est chef [d’une ligue], par laquelle les catholiques ont juré de tuer aultant de ceulx de la Religion qu’ils en rencontreroient. On met garnisons, on leve contributions, la justice n’est point remise au siege de Perigueulx ainsy qu’il a esté arresté par la conferance. Mes maisons de Montignac et Nontron[3] au dict pays me sont tousjours destenues et occupées, quelque paix et execution d’edict qu’il y ait. Je tiens la main à la paix tant que je puis, mais, pour ce regard, je n’en jouis aulcunement. Cependant les deffiances, qui estoient presque levées partout, sont augmentées ; et beaucoup publient que la justice ne se rendra non plus à ceulx de la Religion que auparavant, et que ceste paix sera semblable aux precedentes, de quoy l’impunité et l’inegale distribution de justice sont la principale occasion. Quant à mon particulier, je n’ay peu, quelque commendement qu’il vous ait pleu faire, avoir aulcune assignation de ma pension, ores qu’il y ait quelques considerations en moy qui ne sont pas en beaucoup d’aultres, qui toutes fois sont mieulx traitez que je ne suis, et qui n’ont pas le moyen avecques la volonté de vous faire le trez humble et trez fidelle service que je vous rendray toute ma vie, n’ayant aultre plus grand desir que d’estre souvent honorez de voz commandemens, afin de les executer fidelement. Sur ce, avec vostre congé, vous baisant trez humblement les mains, je supplieray Nostre Seigneur vous vouloir,

Monseigneur, conserver longuement et trez heureusement en trez parfaicte santé. De Pau, ce xije juing 1579.

Vostre trez humble et trez obéissant subject et serviteur,
HENRY.


  1. Voyez ci-dessus la note sur la lettre du 23 janvier 1577 à M. de Guiscaro.
  2. André de Bourdeilles, comte de Matha, frère aîné de Brantôme, était fils de François, vicomte de Bourdeilles, et d’Anne de Vivonne de la Châteigneraye. Il naquit vers 1519, fut successivement panetier du Roi, gentilhomme de sa maison, chevalier de son ordre, capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances, chambellan du duc d’Alençon, conseiller privé, et, en 1572, sénéchal du Périgord. Il mourut en janvier 1582.
  3. Voyez la lettre du 6 juillet 1578, Ire.