Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/28 décembre ― À monsieur mon oncle, monsieur le duc de Montpensier

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1580. — 28 décembre. — Ire.

Orig. – Arch. du royaume, section historique, série K, carton 99, liasse n° 5.


À MONSIEUR MON ONCLE, MONSIEUR LE DUC DE MONTPENSIER.

Monsieur mon Oncle, C’est à mon tres grand regret que je vous voy en cette peine, non pour doubte des moyens, assez grandz, Dieu mercy, pour vous en tirer, mais pour l’aage auquel vous estes[1], craignant que l’ennuy qu’en pourrez prendre face tort à vostre santé. Sur quoy je vous diray qu’il me semble que debvez vous reposer sur voz amys, ausquelz ce faict touche comme à vous mesme, estans deliberez de l’entreprendre et de ne rien espargner pour en avoir entiere satisfaction. Nous avons veu et espluché mot à mot l’escript de monsr de Nevers, qui nous a semblé bien estrange, et trouvons que Monsieur y est le premier offensé, ainsy que verrez par la despesche qu’il faict au Roy, et l’advis que nous vous envoyons, signé de noz mains, lequel nous avons dressé sur ce qui nous a semblé estre à present d’importance et plus necessaire. Croyez, Monsieur mon Oncle, qu’il n’a esté rien oublié, et que le faict a esté prins comme il doibt. En quoy me semble qu’avez tres grande obligation à mon dict Sieur, qui ne vous mancquera de chose quelconque, estimant y aller du sien ; de moy, vous ayant cy devant mandé combien je desirois estre de la partie, ce desir m’est redoublé. Vous feriez tort à mon amitié et au respect que je vous porte, si vous doubtiez moins de moy que de vostre propre filz. Je vous prie, Monsieur mon Oncle, attendans qu’ayons ce bien de vous voir, comme j’espere bientost, pour en prendre une bonne resolution ensemble, recevoir l’advis que nous vous envoyons ; sur lequel me remectant et sur ce que le sr Lamy vous dira plus particulierement, ensemble de mon indisposition qui m’a gardé vous escrire la presente de ma main, je feray fin en priant Dieu, apres m’estre humblement recommandé à vostre bonne grace, vous donner,

Monsieur mon Oncle, en santé, bonne et longue vie. De Coutras, ce xxviije jour de decembre 1580.

Vostre bien humble nepveu, à vous obeir comme fils,


HENRY.


  1. Ce prince était alors dans sa soixante-huitième année. L’affaire dont l’entretient ici le roi de Navarre fit beaucoup de bruit, et donna lieu à une quantité d’écrits assez bien résumés dans ce passage d’un historien du siècle dernier : « Lorsque le duc d’Anjou s’était sauvé de la cour en 1575, le Roi avait ordonné au duc de Montpensier et au duc de Nevers de courir après le fugitif et de le prendre mort ou vif. Monsieur, étant à Champigny, se rappela un jour [au mois de mars 1580] l’extrême danger qu’il avait couru, et il avoua au duc de Montpensier qu’il lui devait son salut, aussi bien qu’à Ludovic de Gonzague. Montpensier lui répondit qu’il pouvait se dispenser de tant de reconnaissance pour cet étranger ; que, s’ilavait voulu le croire, il n’aurait jamais échappé à la prison ou à la mort. Les malveillants qui entendirent cette conversation ne manquèrent pas de rapporter au duc de Nevers que Montpensier l’avait peint à Monsieur comme son ennemi personnel, et même comme ayant voulu attenter à ses jours. Gonzague, auquel il importait si fort de détromper l’héritier de la couronne, lui envoya un homme de qualité pour lui protester que celui qui l’avait ainsi noirci était coupable d’imposture. En même temps il publia un mémoire dans lequel, sans nommer Montpensier, il donna un démenti formel à celui qui l’avait calomnié auprès de Monsieur. » (Désormaux, Hist. de la maison de Bourbon, t. V, p. 203.) Le duc de Montpensier crut naturellement que le démenti allait à son adresse, et en demanda raison. La plus grande partie de la cour se prononça pour lui. Le duc de Nevers ayant déclaré qu’il n’avait pas entendu contredire les assertions de M. de Montpensier, celui-ci ne se tenait pas encore pour satisfait. Mais Monsieur et le roi de Navarre lui firent remarquer ces paroles de la déclaration du duc de Nevers, qu’il seroit bien marry d’avoir offensé monsieur de Montpensier, et lui conseillèrent de se contenter de ce témoignage de regret. Au mois de juin 1580 Henri III lui écrivit la lettre suivante :
    « Mon Oncle, Je veux bien vous dire et assurer, que de longtemps il n’est advenu chose qui me touchast tant au cœur que le differend survenu entre vous et le duc de Nivernois ; car, vous ayant tousjours tenu, non seulement pour celuy qui m’attouche de proche parenté, mais pour mon second pere, vous devez bien penser que, dans un affaire qui concerne vostre honneur, je ne voudrois manquer à l’affection singuliere que je vous porte. Je vous prie donc, mon Oncle, pour toute l’amitié que vous avez pour moy, de vous resoudre à accepter la satisfaction qui vous est donnée par mon cousin le duc de Nivernois, sans songer à poursuivre l’affaire par voie de faict, dont il ne pourroit naistre que nouveaux troubles et remuemens prejudiciables au bien et au repos de mon Royaume. Du xe juin 1580.
    « Votre bon maistre et amy,


    « HENRY. »

    Malgré cette intervention royale, la querelle ne s’apaisa pas encore, comme nous le voyons par la lettre du roi de Navarre du mois de décembre 1580. Enfin une déclaration de Henri III, donnée à Blois le 18 avril 1581, mit entièrement fin à ce différend.
    Brantôme, qui a immolé le duc de Montpensier à sa verve satirique, en nous laissant de ce prince une peinture tout à fait risible, dont les principaux traits sont l’égoïsme, l’entêtement, une pusillanimité présomptueuse, une avidité et une intolérance excessives, dit de cette affaire : « M. de Nevers donna quelque dementi en l’air ; dont s’ensuivit une grosse querelle, et à qui feroit plus d’amas de ses parens, amys et serviteurs. Sur quoy le roy de Navarre s’envoya offrir à M. de Montpensier, avecques tous ses huguenots, que M. de Montpensier, sans aucun respect pour sa religion contraire à la huguenote, accepta tres voulontiers et fort librement. Il y avoit de l’autre costé M. de Guise avec tous ses bons catholiques (je sçay bien ce que m’en dit un jour M. de Guyse) ; si bien qu’il y eust eu du combat et de la tuerie, sans la deffence du Roy qu’il leur en fit et l’accord qu’il en traicta aprés. »