Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/19 juin ― Au roy, mon souverain seigneur

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1581. — 19 juin.

Orig. — Bibl. impér. de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre n° 53. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR
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Monseigneur, J’ay sceu qu’à la suscitation de quelques seditieux es chemins de la ville de Vendosme, et à la poursuite de l’abbé de la Trinité[1], on a revoqué en doubte le pouvoir qu’il vous a pleu me donner par l’edict de pacification et à tous les seigneurs hauts justiciers de vostre royaulme de faire exercice de nostre religion en lieux où ilz auroyent esleu leur domicile. Ce qu’ayant faict en mon chasteau du dict Vendosme[2], qui est ma principalle maison et celle dont je suis extraict, je ne puis que ne me plaigne grandement, Monseigneur, de l’injustice qui m’a esté faicte en vostre conseil, par l’arrest qui a esté donné, par lequel je suis privé, declairant qu’il n’y a lieu de faire exercice de la dicte religion, soubz pretexte que, par les articles particuliers, il est estably à Montoire[3] et que je n’ay aucun de ma famille residant en mon chasteau. Qui est un prejugé fort desadvantaigeux pour tous les hautz justiciers et dont il ne peult sortir que beaucoup de mescontentement, voyans par là vostre edict trop evidemment enfrainct et ebresché. Ce que je vous supplie tres humblement, Monseigneur, vouloir considerer meurement, et faire examiner les articles et conferences par lesquelles il se trouvera qu’à Vendosme et à Montoire, le presche estably de si long temps n’est point contre l’edict, mais bien icelluy arrest, qui me rend de pire condition que le moindre gentilhomme de France. À ceste cause, d’aultant que vous desirez, Monseigneur, conserver à voz subjectz ce qu’il vous a pleu leur donner, et que partant de lettres avez tousjours declairé vostre intention estre telle, je vous supplie tres humblement ne me priver poinct de ce benefice, ains faire revoquer et rayer du registre de vostre conseil le dict arrest, et restablir le dict exercice, comme il y a esté cy-devant fort paisiblement, affin que vos subjects cognoissent que vous leur voulez maintenir ce que leur avez octroyé et promis. Et aprés vous avoir tres humblement baisé les mains, [je prieray Dieu] vous donner, Monseigneur, en parfaicte santé, tres heureuse et tres longue vie. De Aigues-Caudes, ce xixe jour de juing 1581[4].

Vostre tres humble et tres obeissant subject

et serviteur,


HENRY.


  1. Louis de la Chambre, premier aumônier de la reine mère, conseiller du Roi, abbé de Moustier-Ramey et de la Trinité de Vendôme. Il tenait cette dernière abbaye par résignation du cardinal Marcus-Sitticus d’Altaemps, fils de Claire de Médicis, sœur du pape Pie IV, et qui avait été nommé en 1565, sur la résignation de Charles Ier, cardinal de Bourbon. Louis de la Chambre céda, à son tour, en 1591, l’abbaye de Vendôme au cardinal Charles II de Bourbon.
  2. Le duché de Vendôme était le principal fief des aïeux paternels de Henri IV.
  3. Ou Querhoent, en Vendômois, aujourd’hui chef-lieu de canton du département de Loir-et-Cher.
  4. Une autre lettre du roi de Navarre au Roi sur le même sujet, conçue à peu près dans les mêmes termes, mais sans date et moins détaillée, est conservée sous le n° 33 dans le manuscrit 914 de la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Le roi de Navarre s’y plaint, en outre, de l’influence du nonce du Pape dans cette affaire.