Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/1 décembre ― À mon cousin monsieur de Matignon

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1581. — 1er décembre.

Orig. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8857, fol. 114 recto.


À MON COUSIN MONSR DE MATIGNON,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, J’ay veu le pouvoir que le Roy mon seigneur vous a renvoyé, lequel j’ay trouvé bon ; et quand il seroit encores plus ample et plus à vostre advantaige, j’en serois fort ayse pour le bien que je vous desire, et pour la bonne affection que vous avez à l’establissement de la paix. Je vous le renvoye donc, afin que vous le presentiés à la court de parlement, vous remerciant bien affectionneement de la communication que m’en avez faicte, et des aultres depesches que m’avés envoyées. Je suis bien ayse que le Roy mon dict seigneur ayt eu agreable l’eschange de Perigueux et de Pemyrol[1], avec les cinquante mille escuz. Mais de rendre la somme payable en deux ans à quatre termes esgaux, par les habitans du dict Perigueux et pays de Perigord, pour la reparation de la faulte commise, je trouve cela fort contraire et prejudiciable, non seullement au service du Roy mon dict seigneur, et à mon interest particulier joinct à icelluy, mais aussy à la paix et tranquilité publique et à ce qui en avoit esté traicté et convenu entre nous. Car je n’ay jamais pretendu la dicte somme que pour l’employer et rapporter au service du Roy mon dict seigneur, et pour m’obliger d’aultant plus à icelluy ; et la prenant à si longs et divers termes, ce me seroit un moyen presque du tout inutile. Davantaige estant la dicte somme assignée sur la dicte ville et pays de Perigord, ce seroit confirmer la maulvaise opinion qu’aulcuns ont eu de moy, que j’avois vendu la dicte ville, ce qui nuiroyt par trop à mon honneur et reputation, et seroyt suffisant pour me faire perdre la creance que j’ay sur ceulx de la Religion. On m’a cy devant offert, comme je vous ay dict, pour la reddition de la dicte ville cent mille livres comptant, et, oultre ce, vingt cinq mille à aulcuns de mes gens ; à quoy je ne voulsis jamays entendre. Il y a un poinct à considerer plus que tous aultres, en ce qui est dict, que c’est pour la reparation de la faulte commise : nous n’avons jamays entendu que, pour argent quelconque, ceste faulte deust estre reparée. Car Sa Majesté ne se sçauroit tant ne plus prejudicier que de rendre ce faict impugny, et hors de la congnoissance de la justice, pour la maulvaise consequence que d’aultres pourroyent prendre, d’en faire de mesme, soubz l’esperance d’en estre quictes par argent : qui seroit entretenir le mal, au lieu de le destruire. Par quoy, mon Cousin, j’aime mieulx que le traicté entre nous faict soyt rompu, que de rien prendre de ceste somme avec telles et si pernicieuses conditions. Ce que je vous prie faire entendre à Sa dicte Majesté et le plus tost que faire se pourra. Ce pendant et en attendant sa volonté et intention sur ce, je ne lairray pas de continuer les effectz de ma bonne affection en tout ce qui dépendra de moy pour l’execution du dict edict ; et vous prie bien fort d’en faire de mesme, et incontinent qu’aurez presenté et faict lire et publier vostre dict pouvoir en la dicte court, vous en revenir, sans pour ce attendre monsr de Bellievre ; car je me doubte bien qu’il ne s’en reviendra si tost, pour le desir qu’il a de se trouver aux Estatz de Languedoc ; et n’y a rien qui apporte tant de prejudice en ceste negociation que la longueur et dilation du temps, pour rompre mesmement des menées et praticques que j’ay entendu qui se font, comme le sr de Frontenac[2], que je vous despescheray demain, vous fera entendre plus amplement. Qui est cause que je prie bien fort le dict sr de Bellievre, comme faict aussi ma femme, de s’en revenir pour vous ayder à parachever le bon œuvre qu’avez commencé, duquel je desire aultant que personne du monde un bon et heureux succez pour le contentement de Sa Majesté et le bien et repos de son Royaulme. En quoy je prie Dieu vous assister, et vous donner, mon Cousin, sa trez saincte grace. Escript à Nerac, ce premier jour de decembre 1581.

Vostre bien affectionné cousin et parfaict amy,


HENRY.


  1. « Sa Majesté lui ayant répondu qu’après tant d’outrages de la part des protestans, elle ne pouvoit pas leur faire rendre une place dont les catholiques étoient maîtres, au lieu de Perigueux, on leur donna pour place de sûreté Puymirol, bicoque près d’Agen. » (De Thou, Hist. universelle, l. LXXIV, année 1581.)
  2. M. de Frontenac était écuyer ordinaire de la petite écurie du roi de Navarre, et plus tard remplaça M. de Lons comme premier écuyer. La plupart des états de la dépense de ce service sont signés de Frontenac ou de d’Aubigné, qui avait la même charge d’écuyer ordinaire. Mais Frontenac jouissait de la confiance la plus intime du prince, dont il partageait le lit, comme nous l’apprend d’Aubigné dans ses Mémoires. On verra plus tard Henri IV en parler à Marie de Médicis comme d’un autre lui-même.