Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/29 mai ― Au roy, mon souverain seigneur

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1581. — 29 mai.

Orig. – Biblioth . impér. de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre n° 52. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, Le cappitaine Alphantis m’a fait entendre comme en l’année mil cinq cens soixante dix neuf, environ le mois de decembre, durant la guerre des Ragas et Carcellistes qui se faisoit en Provence[1], il eut une commission du sr de Baudiment pour dresser une compagnie de gens de pieds, ce qu’il feit ; et par le commandement du dict sr de Baudiment il se jetta dans ung couvent de Chartreux, appellé Mondrieux, lequel fut pillé de ce peu que les religieux y avoient laissé, par les soldatz, sans toutesfoys qu’il fust faict aucun tort, desplaisir ne outrage aux dicts religieux qui y estoient. Toutesfoys depuys, par quelque malveillance qu’ilz lui portent, ilz l’auroient poursuivy, ensemble quelques ungs de ses soldatz, par devant vostre court de parlement d’Aix, où par deffaultz et contumaces s’en seroit ensuivy sentence de mort contre le dict cappitaine et soldatz, lesquels n’auroient osé comparoir ni prendre leurs justes deffenses. Et comme ce faict estoit comprins en l’abolition generalle qu’il vous auroit pleu donner à ceulx qui ont suivy le party du dict sr de Carces, et d’aultant que le dict cappitaine Alphantis appartient à force gens de bien et d’honneur, je vous ay bien voulu supplier tres humblement, Monseigneur, luy vouloir octroyer declaration expresse pour ce faict, pour luy et les soldatz qui l’ont suivy et accompaigné, comme ce faict est comprins soubz l’aveu general qu’il vous auroit pleu octroyer au dict sr de Carces ; affin que par ce moyen ilz soyent garentis de la peine en laquelle ilz sont. L’asseurance que j’ay que pour l’amour de moy vous leur accorderez leur requeste fera qu’aprés vous avoir tres humblement baisé les mains, je prieray Dieu vous donner, Monseigneur, en parfaite santé, tres heureuse et tres longue vie. De Nerac, ce xxixe de may 1581.

Vostre tres humble et tres obeissant subject

et serviteur,


HENRY.


  1. Mezeray appelle ces deux factions les Carcistes et les Rasas ; il en attribue l’origine au gouvernement du maréchal de Raiz, et il explique ainsi l’étymologie de ces noms : « L’une portant le nom de Carcistes, à cause que le comte de Carces, lieutenant de Roy, en estoit le chef ; l’autre, celuy de Rasas, qui s’estoient soulevez contre le mareschal, à cause qu’il les rasoit de trop pres par ses exactions. » Cette première mention des deux factions de Provence est faite dans l’Abrégé chronologique, à l’année 1574. Cinq ans plus tard, Catherine de Médicis, à l’issue de la conférence de Nérac, trouva la Provence encore troublée par ces deux factions ; les Carcistes étaient soutenus par la noblesse, et les Rasas, par le peuple et le parlement.