Recueil des lettres missives de Henri IV/1582/21 décembre ― Au roy, mon souverain seigneur

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1582. — 21 décembre. — Ire.

Cop. — B. R. Suppl. fr. Ms. 1009-4.

Imprimé. — Mémoires de messire Philippe de Mornay, seigneur du Plessis Marli, t. I, pages 109 et suiv. 1re édit. de 1624, in-4o.


[1] AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, Je ne pourrois representer à Vostre Majesté le contentement que j’ay eu des lettres qu’il vous a pleu m’escrire du xxiiie du mois passé ; esquelles me faictes ceste faveur de m’asseurer de plus en plus de vostre bonne grace et bienveillance, et de me desirer auprés de vous[2] pour m’en faire plus vivement sentir les effects. Seulement, Monseigneur, je supplie tres humblement Vostre Majesté de croire que je cognois tres bien qu’aprés la faveur de Dieu je ne puis desirer rien de plus grand que la vostre, et que le plus grand bien et honneur que je puisse avoir, c’est d’estre prés de Vostre Majesté pour pouvoir desployer mon cœur devant Elle par quelques bons services. Mais une chose me retarde d’avoir cest heur si tost, qui est que je desirerois, premier que partir d’icy, suivant les precedentes de Vostre Majesté, emporter ce contentement avec moy, d’avoir esteinct en ceste province toute semence de troubles et alterations, pour n’avoir ce malheur et regret, quand je serois prés de Vostre Majesté, qu’il y advint encores quelque folie. Et pour parler franchement, quelque peine que nous y ayons prise, monsr le mareschal de Matignon et moy, je ne voy encor cela si bien et si seurement accompli qu’il seroit à souhaiter. C’est pourquoy j’escrivois n’a gueres à Vostre Majesté, qu’il y avoit grand nombre de personnes par deçà qui se plaignoient d’estre recerchés par messrs de la chambre de Justice et aultres juges, et pareillement par les prevosts, de plusieurs cas compris en l’Edict et conferences, comme de rançons payées durant la guerre, de fermes et receptes de biens ecclésiastiques, de levées de contributions, de ports et exploicts d’armes, faicts avant la conference de Flex, et choses semblables, desquelles devant tous juges ils seroient renvoyés absous par la volonté de Vostre Majesté, desclarée en ses dicts edicts. Mais, Monseigneur, ce sont gens de guerre, qui ne s’entendent en procez, et dés qu’ils oyent parler d’adjournement ou d’assignation, pensent estre pris. Et ceste alarme les pourroit jeter en un désespoir qui les precipiteroit en quelque faulte, dont l’estat present de ce pays n’a besoing. Pour ceulx-ci et semblables, Monseigneur, j’ose requerir tres humblement Vostre Majesté vouloir accorder une interdiction à toutes courts, chambres, juges, prevosts, etc. de proceder contre eux, comme plus amplement le sr de Lesignan, present porteur, le vous fera entendre ; reservant tousjours, ainsi qu’il est porté par les articles secrets, les cas execrables, violemens, meurtres de party à party, bruslemens sans occasion de guerre, etc. contre lesquels au contraire je desirerois jeter la premiere pierre et employer tout ce que Dieu m’a donné d’authorité soubs la vostre. Par ce moyen, ceulx que Vostre Majesté veult conserver par ses edicts seront hors de peine, et nous, par consequent, de celle qu’ils nous pourroient peut- estre donner au prejudice du repos que Vostre Majesté desire tant ; et les aultres qui se pourroient cacher sous l’alarme et defiance commune, et qui tout maintenant profict de la crainte que ceulx-là ont sans cause, seront plus aisés à trouver et punir comme ils meritent. Que s’il advient quelques dilhcultezpour la distinction des cas, et qu’il pleust à Vostre Majesté trouver bon de s’en remettre à monsr le mareschal et à moy, nous nous accorderons ensemble d’un petit nombre de gentils-hommes et personnages capables, qui les termineroient equitablement et sans longueur, renvoyans à la Justice ceulx qui se trouveroient estre de leur cognoissance, et deschargeans les aultres des dictes poursuites. Non, Monseigneur, que par la je veuille rien rabattre de la dignité et integrité de messrs de la chambre, que j’honore et estime comme je doy ; mais par ce que les cas dont les dessus dicts sont recherchés deppendent pour la pluspart de la guerre et du droict militaire, qui est d’aultre nature que celuy dont ils font profession, lequel repute plusieurs choses criminelles, qui, selon l’aultre, sont civiles ; comme aussy quelques choses se souffrent en un corps infirme qui en un bien sain ne se tolereroient pas.

Touchant l’ampliation de la chambre de Justice sur les seneschaulcées d’Armagnac, Quercy et Rouergue, Vostre Majesté a peu cognoistre par mes precedentes que, s’il n’eust esté question que de mon particulier, je n’en eusse faict instance ; car nommeement pour Armagnac je ne l’eusse desiré aultrement. Mais j’en voyois plusieurs qui entroient en defiance et interpretoient à leur dommage ceste ampliation, comme si elle eust esté introduicte pour retarder la chambre de Languedoc ; et d’autant plus qu’ils voyoient qu’elle avoit esté poursuivie si longtemps, et qu’il ne tenoit qu’à quelque somme d’argent pour le remuëment[3] et ameublement de ceulx qui se devoient transporter à l’Isle pour la tenir. Et parce que leurs plainctes estoient fondées és termes de l’Edict, je n’ay peu refuser de les vous faire entendre. Maintenant qu’il a pleu à Vostre Majesté faire si expresse jussion à messrs du parlement de Thoulouse et pourveoir aux deniers requis pour leur acheminement, comme toutes occasions de retardement cesseront, on doibt esperer qu’ils s’y rendront au plus tost, et qu’il ne sera plus besoing de ceste ampliation. Et Vostre Majesté, sans prejudicier à ses intentions, donnera grand contentement à plusieurs de ses subjects en la revoquant, et ostera le pretexte à ceulx qui voudroient cercher refuge à leurs forfaicts soubs ceste couleur. Et certes, je croy que messrs de la chambre, qui ont assés de besoigne taillée plus prés, en Perigord, Limosin et ailleurs, ne seront marris d’estre deschargés de ceste peine. Quant à ce que les conseillers catholiques, qui doivent servir à la dicte chambre de l’Edict du ressort du parlement de Thoulouse, alleguent les voleries qui se font és pays où ils ont à resider, je ne fay doubte qu’il n’y a poinct faulte de gens mal conditionnez en ces quartiers-là, tant d’une que d’aultre religion ; et c’est pourquoy despuis deux ans j’ay tant faict d’instance pour l’establissement de la dicte chambre. Et de ma part, Monseigneur, j’apporteray tout ce que Dieu m’a donné de moyen, sans acception de personnes et exception de religion, pour y faire obeïr vostre volonté et justice, comme aussi és seneschaussées d’Armagnac, Quercy, Rouergue et tous aultres lieux qu’il appartiendra. Mais il fault que je vous die, Monseigneur, que des plus criminels hantent familierement des principaulx de la court de parlement de Thoulouse, tant s’en fault qu’ils s’attendent de ceste part d’estre recerchés par eux.

Du faict de la maison de du Casse j’ay cy-devant escript à Vostre Majesté comme il est passé. Plusieurs gens de bien ont esté bien aises de l’execution, pour l’enormité de ceulx qui y sont demeurés ; mais j’ay esté marry de l’excez, et vouldrois qu’on eust suivy aultre procedure, encores que la main forte que j’ay baillée ait esté, à la requisition des marchands interessés, portant un arrest de condamnation à mort, et contre personnes nommeement qui avoient tousjours suivy le parti de la Religion. Je vous supplie tres humblement de l’oublier, et, en consideration de la necessité de ce païs et des inconveniens qui aultrement seroient à craindre, en octroyer une abolition, en laquelle toutesfois je n’entends parler pour celuy qui auroit tué le jeune la Fitte de sang froid, ains tiendray volontiers la main à la punition. Je ne requiers cecy, Monseigneur, pour favoriser à la violence ; car je sçay que c’est par la seule justice que les Roys règnent et que les Estats se maintiennent, et qu’ayant cest honneur de vous appartenir de si prés et d’avoir esté nourry avec vous[4], je doy estre principal executeur de vostre justice et de vos commandemens. Mais je cognois un peu les mœurs et humeurs de ce païs, auquel une estincelle allume souvent un grand feu, par lequel plusieurs innocens pourroient pastir en la poursuite de quelques coulpables : qui seroit, en voulant punir une injustice, perdre le but et l’intention de la Justice, qui tend principalement à la conservation des bons. Et à la vérité, Monseigneur, si j’eusse peu trouver aultre remede à ce mal que celuy de la dicte interdiction pour les cas assoupis par l’Edict, et de l’abolition pour le faict de du Casse, je n’eusse voulu, ne vouldrois en requerir Vostre Majesté, tant pour ne luy estre desagreable que pour la consequence. Au reste, Monseigneur, j’espere vous faire paroistre et à tout le monde, par bons et visibles effects, que sans distinction je desire voir la punition des meschans en ce pays, comme j’en ay devisé plus amplement avec monsr le mareschal de Matignon. Seulement je supplie Vostre Majesté de donner ceste faulte au bien et repos d’iceluy, pour avoir tant plus de moyen d’en poursuivre d’aultres plus pernicieuses, plus dommageables que celle-cy, qui certes a esté plus en la forme qu’en la matiere, veu que, toutes choses considerées, ç’a bien esté une execution extraordinaire et mal conduicte, mais d’un juste arrest contre des meschans recogneus d’un chascun.

Quant au Mur de Barrez, je croy que mon dict sieur le mareschal vous aura escript comme il a esté reduict selon vostre intention. Et quant à Bazas, je luy ay offert de le mettre en l’estat qu’il doibt estre par l’Edict, dés ceste heure, et toutes fois qu’il voudra ; ce que, pour plus urgens affaires, il a mieulx aimé differer jusques à quinze jours. Et pour Lunel, je ne faudray à escrire à ceulx de Languedoc[5], selon que Vostre Majesté me commande, afin que Vostre Majesté, autant qu’il me sera possible, soit contente des deportemens de ceulx de la Religion, de toutes parts. Et quant à ce qu’ils excusent leur longueur sur moy, Vostre Majesté peut considerer que m’employant si vifvement par deçà pour l’execution de vos edicts et reduction des places, je ne tiendrois pas la main à l’execution ailleurs. En somme, Monseigneur, je vous supplie tres humblement me faire cest honneur de croire que je n’ay aujourd’huy aultre but que de vous faire paroistre la sincere affection que j’apporte à l’effect de vos intentions, et d’amener les choses par deçà hors de tout souspeçon et incertitude, pour, en vous allant baiser tres humblement les mains, emporter ce repos en mon esprit, d’avoir laissé vos provinces de deçà en repos. Or, Monseigneur, je remettray le surplus sur le sr de Lesignan, lequel il vous plaira ouïr et croire de ce qu’il dira à Vostre Majesté de ma part, comme moy mesmes, qui, sur ce, supplieray le Createur vous voulloir,

Monseigneur, conserver longuement et tres heureusement en tres parfaicte santé. De Nerac, le xxje decembre 1582.

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[HENRY.]


  1. Mornay a imprimé en marge de cette lettre : Dressée par M. du Plessis
  2. Ceci est confirmé par une lettre que la reine Marguerite écrivait quelques mois auparavant à son mari : « Monsieur de Clerevan a eu du Roy la mesme response que monsieur de Segur. Bien luy a-t-il commandés et à moy encore plus expressement, de vous escrire l’envie qu’il avoit que vinssiez, asseurant que vous feriez beaucoup plus aisement vos affaires vous-mesme que par autrui ; et pource qu’il s’en va aux bains, où il ne veut avoir compaignie, il m’a commandé vous escrire que vous trouverez la Royne ma mere et toute la court à Sainct Maur. » (Mémoires et lettres de Marguerite de Valois. Paris, 1842, in-8o, page 286.)
    Et dans une autre lettre du commencement de l’année suivante, parlant encore de ce désir du Roi son frère : « Il me commanda le vous escrire et me dict qu’il vous escriroit, incontinent qu’il seroit revenu de la chasse, où il est allé pour trois jours, non sans vous y souhaiter infiniment, et à une musique qui s’est faicte dans le Louvre, qui a duré toute la nuit, et tout le monde aux fenestres à l’ouïr, et luy qui dansoit en sa chambre, se plaisant beaucoup plus à tels exercices qu’il n’a accoustumé. Le bal et la table ronde se tiennent deux fois la semaine, et semble que l’hiver et caresme-prenant qui s’approche ramene le plaisir à la cour ; et, si j’osois dire, si vous estiez honneste homme, vous quitteriez l’agriculture et l’humeur de Timon, pour venir vivre parmi les hommes. » (Ibid. p. 292.)
  3. On dirait aujourd’hui : le déplacement.
  4. Voyez ci-dessus, Déposition du 13 avril 1574.
  5. La lettre que promet ici le roi de Navarre fut sans résultat, à en juger par les instructions que Henri III fit donner, le 17 mai suivant, au sieur de Rieux, gouverneur de Narbonne, qu’il chargea d’une mission spéciale en Languedoc. « La ville de Lunel, y lit-on, qui est la principale et plus importante de celles qui doivent estre rendues par la paix, est encore detenue par Porquaires, nonobstant les depesches que le Roy de Navarre, sur lequel on a escrit qu’il s’excusoit, a mandé à leurs Majestez avoir faites pour les faire obeïr. » (Dom Vaissète, t. V, Preuves de l’histoire de Languedoc, col. 275.)