Recueil des lettres missives de Henri IV/1583/6 mars ― À mon cousin monsieur l’archevesque de Rouen

La bibliothèque libre.



1583. — 6 mars. — Ire.

Cop. — B. R. Suppl. fr. Ms. 1009-3.

Imprimé. — Mémoires de messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marli, etc. t. I, p. 172, édition de 1624, in-4o.


À MON COUSIN MONSIEUR L’ARCHEVESQUE DE ROUEN[1].

[2] Mon Cousin, J’ay receu vostre lettre, et croy volontiers que l’affection que me portés et à la grandeur de nostre maison vous faict parler. Le bruit que vous dictes de mon intention d’aller à la Court, est tres vray. Toutes les fois que je verray plus d’utilité, pour le service du Roy, à y aller qu’à demeurer icy, je seray prest à partir ; et les choses, graces à Dieu, s’acheminent tellement en ces quartiers, que j’espère que ce sera bien-tost. Mais, sur ce que vous adjoustés, que pour estre agreable à la Noblesse et au Peuple il faudroit que je changeasse de religion, et me representés des inconveniens, si je suis aultrement, j’estime, mon Cousin, que les gens de bien de la Noblesse et du Peuple, auxquels je desire approuver mes actions, m’aimeront trop mieulx, affectionnant une religion que n’en ayant du tout poinct. Et ils auroient occasion de croire que je n’en eusse poinct, si, sans consideration aultre que mondaine (car aultre ne m’allegues en vos lettres), ils me voyoient passer d’une à l’aultre. Dictes, mon Cousin, à ceulx qui vous mettent telles choses en avant, que la Religion, s’ils ont jamais sceu que c’est, ne se despouille pas comme une chemise ; car elle est au cœur, et, graces à Dieu, si avant imprimée au mien, qu’il est aussi peu à moy de m’en departir, comme il estoit au commencement d’y entrer, estant ceste grace, de Dieu seul et non d’ailleurs. Vous m’allegués qu’il peut mesavenir au Roy et à Monsieur. Je ne permets jamais à mon esprit de pourvoir de si loing a choses qu’il ne m’est bienseant ny de prevenir, ny de prevoir ; et n’assignay oncq ma grandeur sur la mort de ceulx auxquels je doy mon service et ma vie. Mais quant Dieu en auroit ainsy ordonné (ce que n’advienne), celuy qui auroit ouvert ceste porte, par la mesme providence et puissance, nous sçauroit bien applanir la voie ; car c’est luy par qui les roys regnent, et qui a en sa main le cœur des peuples. Croyés moy, mon Cousin, que le cours de vostre vie vous apprendra qu’il n’est que de se remettre en Dieu qui conduit toutes choses, et qui ne punit jamais rien plus severement que l’abus du nom de Religion. Voilà, mon Cousin, mon intention, en laquelle j’espère que Dieu me maintiendra, etc. [De Nerac, le] vje mars 1583.


HENRY.


  1. Charles de Bourbon, quatrième fils de Louis de Bourbon, prince de Condé, et d’Eléonore de Roye, né le 30 mars 1562, était cousin germain du roi de Navarre. Malgré le titre que lui donne cette lettre, il n’était pas encore archevêque de Rouen, à l’époque où elle lui fut adressée ; mais il avait été nommé, le 1er août de l’année précédente, coadjuteur de son oncle à ce siégé important, dans lequel il lui succéda comme dans tous les autres bénéfices dont jouissait ce prince, et qui étaient les plus riches de France. Il fut de même, non-seulement archevêque de Rouen, mais abbé de Saint-Denis en France, de Saint-Germain-des-Prés, d’Orcamp, de Bourgueil, de Saint-Ouen, de Sainte-Catherine de Rouen, etc.Il n’avait pas vingt et un ans lorsqu’il écrivit la lettre qui lui valut la verte leçon de cette réponse ; mais on peut supposer qu’il cherchait alors tous les moyens d’être agréable au pape, qui lui conféra, cette même année, le chapeau de cardinal. On l’appela d’abord le cardinal de Vendôme, puis le cardinal de Bourbon le jeune, après la mort de son oncle, proclamé, par les ligueurs, Charles X. Alors le neveu aspira aussi à la royauté. Mais il se réconcilia avec le Roi, son cousin, après l’abjuration de celui-ci, et il mourut d’hydropisie, l’année suivante, dans son palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés, à l’âge de trente et un ans. Il n’avait jamais été que sous-diacre.
  2. Mornay a imprimé en marge de cette lettre : Dressée par M. du Plessis.