Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/Vers la fin de juin ― Au Roy, mon souverain seigneur

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1584. — vers la fin de juin.]

Cop. — Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 262. Communiqué par M. le préfet.


[AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.]
Monseigneur,

C’est chose acoustumée d’antieneté, et que vos predecesseurs Roys ont observée dés long temps, qu’advenant qu’aulcun prince du sang se trouvast le plus proche pour tenir lieu de la seconde personne, ils luy font ceste faveur de luy donner permission de creer mestiers es villes du Royaulme esquelles y a mestiers jurez, pour rendre tesmoignage au peuple, par ceste gratification, du rang qu’il doibt tenir en cas qu’il n’y ait enfans, le desclarant et le faisant naistre comme fils de France, ainsy que l’a trez bien remarqué le feu greffier du Tillet[1], en ses memoires extraicts des registres de vostre court[2]. Je crois, Monseigneur, que ne vouldriez rendre ma condition plus obscure que des aultres qui m’ont precedé, ni dejecter du degré qu’il a pleu à Dieu me donner soubs vostre obeïssance, en laquelle je n’ay aultre desir que de Vous recognoistre pour seigneur et pour pere[3], si tant est que me veuillez permettre d’user de ce nom, pour aussy vous rendre aultant de subjection, de reverence et de service que si j’avois cest honneur d’estre vostre propre fils. À ceste cause je vous supplie trez humblement, Monseigneur, me faire tant de grace de m’octroyer vos lettres de provision, avec pareille declaration que donna le feu Roy Loys[4] à monsieur d’Angoulesme[5], vostre ayeul, qui depuis, estant roy, la bailla à feu monsieur d’Alençon[6], et encores depuis fut octroyée à Charles, duc de Bourbon[7]. Ce sera chose, combien qu’elle ne soit bien grande en soy, qui toutesfois pour la consequence, et selon la capacité du peuple, pourra servir à l’encontre de mes ennemys, qui, par factions, ligues et menées, ne taschent qu’à se prevaloir contre moy, au prejudice et detriment de vostre auctorité et de vostre couronne : laquelle je prye Dieu vous conserver, Monseigneur, en parfaicte santé, tres longuement et tres heureusement.

De .....

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[HENRY.]


  1. Jean du Tillet, greffier en chef du parlement de Paris, d’une famille illustre qui conserva pendant deux siècles la charge de greffier en chef de cette première compagnie souveraine, mourut le 2 octobre 1570. Scévole de Sainte-Marthe dit de lui : « Ex ipsis archivorum tabulis, quarum ei pro suo munere parata semper erat copia, Francorum originem, instituta, magistratus, regiæque stirpis familias omnes curiose admodum atque diligenter excerpsit, et in gallicos commentarios integerrima fide summoque judicio redegit. » (Gallorum doctrine illustrium qui nostra patrumque memoria floruerunt elogia. L. II.)
  2. Voici le passage de du Tillet, au chapitre des Princes du sang : « Celuy desdits princes qui est le plus proche de la couronne, sans estre fils du Roy regnant, pour estre la seconde personne de France, a faculté dudit Roy de creer mestiers es villes du Royaume esquelles y a mestiers jurez, et autres privileges, prerogatives et preeminences de seconde personne de France. » (Recueil des Roys de France, leur couronne et maison. Paris, Pierre Mettayer, 1618, in-4o, p. 314.)
  3. Ce mot est employé ici comme terme d’honneur et de respect envers le chef de la maison.
  4. Louis XII.
  5. François Ier.
  6. Charles, duc d’Alençon, né le 2 septembre 1489, fils de René, duc d’Alençon et de Marguerite de Lorraine, mourut le 11 avril 1525, sans postérité. En lui s’éteignit une branche de la maison de France, qui était aînée de la branche de Bourbon. Ainsi, comme François Ier, lors de son avénement au trône, n’avait pas encore d’enfants, le duc d’Alençon était héritier présomptif de la couronne. Du Tillet nous donne les dates des déclarations par lesquelles ce privilège fut conféré au duc de Valois, puis au duc d’Alençon : « Le dix huictiesme septembre mil cinq cens quatorze, le Roy Loys douziesme en bailla declaration à monsieur François, duc de Valois et Bretagne, depuis Roy François premier, et voulut qu’il usast desdits privileges, prerogatives et preeminences, telles, que ledit Roy Loys, estant duc d’Orleans, avoit eues. Et le 15 janvier ensuivant, ledit Roy François bailla pareille declaration à monsieur Charles, duc d’Alençon, et madame la duchesse sa femme, sœur dudit Roy, les nommant secondes personnes de France. »
  7. Quant au connétable de Bourbon, ce droit lui fut accordé (« combien qu’il ne fust seconde personne de France, » dit Du Tillet) par un excès de la faveur dont le comblait alors madame d’Angoulême, mère de Francois Ier. C’était une manière de l’égaler à l’heritier présomptif. L’édit du 31 décembre 1515 fut enregistré au Parlement « en consideration de ses merites et du lignage dudit Roy, non de l’office de connestable de France. »