Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles/LVIII

La bibliothèque libre.
De la Crote

LVIII

DE LA CROTE

Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 332 vo à 333 ro
et 1593, fol. 177.

1
Acui que il soit lait ne bel,
Commencier vous vueil un fablel,
Force qu’il m’est conté et dit
Que li fablel cort et petit
5Anuient mains que li trop lonc.
Or escoutez ci après donc
Que il avint à un vilain.
Sor un coussin tout plain d’estrain
Se degratoit delez son feu,
10Et sa fame sist[1] en son leu
De l’autre part sor une nate,
Et li vilains, qui se degrate,
Apoingne[2] sa coille et son vit ;
Sa fame apele que il vit :
15« Suer », fet il, « foi que moi devez,[3]
Or devinez, se vous savez,
Que c’est[4] que je tieng en mon poing ? »
Et cele, qui ne fu pas loing,
Li respont, qui n’ert[5] pas couarde :
20« Li maleois feus le vous arde :

Je cuit que ce est[6] vostre andoille.
— Par mon chief, ainçois est ma coille »,
Fait li vilains, « qui gist souvine ;
Vous n’estes pas bone devine. »
25La dame trestout[7] coiement
Taste à son cul isnelement,
Si i a trové une crote[8]
Qui resamble une machelote
Qui estoit[9] plus grosse d’un pois ;
30A soi le tire[10] demanois.
Atout le poil à soi le[11] tire,
A son seignor commence à dire :
« Sire », dist[12] ele, « or gageroie
A vous, se gagier m’i devoie[13].
35Qu’a .III. moz ne devinerois
Que c’est que je tieng en mes dois.[14]
— Et g’i met denrée de vin »,
Fait li vilains, « par saint Martin. »
Issi[15] fu fete la fermaille.
40Et cele la crote li baille.
Li vilains la prent puis le[16] taste :
« Par le cuer bieu », fet il, « c’est paste.[17]
Que où que soit avez trovée.
— Par foi, c’est mençonge provée, »
45Fait la dame molt hatement ;
« Vous mentez au commencement ;
Or n’avez que .II. motz à dire.
— Par le cuer bieu », fet il, « c’est cire »,
Por ce qu’il la sent .I. poi mole.[18]
50— Par foi, ce est[19] fausse parole, »

Fet cele qui le tient por sot ;
« Or n’avez à dire c’un mot. »
Et cil en sa bouche[20] dedenz
La met et masche[21] entre ses denz,
55Que paor a que il ne perde.
« Par le cuer bieu[22] », fet-il, « c’est merde ;
Je m’en puis bien apercevoir.
— Par mon chief, vous avez dit voir, »
Fet la dame tout[23] à estrous,
60« Jamès ne gagerai à vous.
Deable vous ont fet devin ;
J’ai perdue[24] denrée de vin. »

Explicit le Fablel de la Crote.

  1. LVIII. — De la Crote, p. 46.

    A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 332 vo à 333 ro.

    B. — Paris,» Bibl. nat.,» Mss. fr.» 1593, fol. 177.


    Publié par Barbazan, I, 5 ; et par Méon, III, 35-37, sous le titre de « Li Fabliaus de la merde », qui ne se trouve que dans B.


    Vers 10 — sist. B, fu.

  2. 13 — Apoingne. B, Empoingne.
  3. 15 — B, Dame, foi que vous me.
  4. 17 — B, Qu’est ce.
  5. 19 — ert. B, est.
  6. 21 — est. B, sot.
  7. 25 — B, Et la dame tot.
  8. 27-28 — Remplacés dans B :

    Semblant fait qu’ele se desfrote.
    S’a trové une masserote.

  9. 29 — estoit. B, ert. — d’un. B, que .I.
  10. 30 — le tire. B, la sache.
  11. 31 — soi le. B, li la.
  12. 33 — dist. B, fet.
  13. 34 — devoie. B, osoie.
  14. 36 — B, Que je tieng entre.
  15. 39 — Issi. B, Ainsi.
  16. 41 — puis le. B, et si.
  17. 42 — B, Par foi, » fet il, « je cuit. — Les vers qui viennent après sont déplacés dans B et se suivent dans cet ordre : 42, 49-50, 45-48, 43-44, 51.
  18. 49 — B, Por ce qu’ele est .I. petit.
  19. 50 — B, Par mon chief, c’est. — Fermer les guillemets après ce vers, et les rouvrir au commencement du vers 52.
  20. 53 — bouche. B, gole.
  21. 54 — B, La masche et mete.
  22. 56 — B, Par le sanc Dé.
  23. 59 — B, C’est merde de tot.
  24. 62 — B, Je vos doi.