Recueil intime/Lemerre, 1881/Le Petit pendu

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Recueil intimeLemerre (p. 56-59).
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Le petit Pendu




Quand la vieille grand’mère à la tête ridée
Fut morte, et qu’on l’eût mise en son cercueil de bois,
L’enfant dans son cerveau ne roula qu’une idée :
Retrouver celle dont il aimait tant la voix.

Il n’avait jusque-là versé que peu de larmes,
Et pour des riens, pour du pain sec à son repas,
Pour le vent qui soufflait avec de grands vacarmes,
Pour l’image d’un sou qu’on ne lui donnait pas.


A présent un regret mystérieux lui pèse.
Il pense à sa grand’mère enterrée. Il ne peut
S’empêcher d’y penser. Il sent un froid malaise
A ce soupçon que l’eau la mouille quand il pleut.

Il regarde la chambre ; et le fauteuil lui semble
Monstrueusement vide et morne, n’ayant plus
Le corps rapetissé de la vieille qui tremble,
En tenant ses genoux entre ses doigts perclus.

Il sait qu’il ne doit plus la revoir. D’habitude,
L’on part et l’on revient. Le départ, cette fois,
Sur le retour n’a point laissé d’incertitude,
Trop pesante est la terre où l’on plante une croix.

Elle lui racontait de si belles histoires :
Le petit Chaperon rouge, le Chat botté ;
Ou bien c’étaient de longs récits sur nos victoires,
Au temps où l’on avait chassé la royauté.

Elle était bonne. Alors que venait la gelée,
Elle lui réchauffait, entre ses mains, les doigts.
Et sa tiède moiteur faisait partir l’onglée
Mieux que l’ardent brasier, cruel aux doigts trop froids.


Au lit quand il passait le jour, étant malade,
Les parents s’en allaient ; l’aïeule restait là
A le bercer avec une vieille ballade.
Il ne l’entendra plus jamais chanter cela.

Il se souvient combien de fois, tête mutine,
A cette pauvre aïeule il désobéissait.
Elle ne grondait pas, mais elle était chagrine.
Hélas ! s’il avait pu deviner ce qu’il sait !

Ce vide qui s’est fait pour toujours le désole.
Son cœur, à s’affliger trouvant sujet partout,
Pour songer à la morte, en soi-même s’isole ;
Et des enfants rieurs il éprouve un dégoût.

C’est qu’il a dans le cœur l’invincible tendresse
Des êtres dans lesquels l’oubli ne peut germer,
Qui, malgré la rigueur du tombeau qui se dresse,
Quand ils ont commencé, ne cessent point d’aimer.

Plus de bruit, plus de jeu ; toute action l’ennuie.
Ce qui l’attire, c’est le secret contenu
Dans ce corps mis en terre et dans cette âme enfuie ;
C’est l’ombre où l’on retourne après être venu.


Que fait-elle à présent, cette pauvre grand’mère ?
De lui se souvient-elle, et l’aime-t-elle autant ?
O crainte déchirante, incertitude amère !
Sans pouvoir lui parler, peut-être elle l’attend !

Quand il venait jadis, la joie était en elle.
Sans doute, si la mort prés d’elle l’emmenait,
Le même éclair de joie emplirait sa prunelle.
Or, pour mourir, il est un moyen qu’il connaît.

On cherche quelque part un vieux débris de corde ;
On l’attache un peu haut, on fait un nœud coulant,
Et l’on passe la tête ; il se peut qu’on se torde ;
Mais on meurt vite, et c’est le côté consolant.

Aussi, sans avoir peur, non moins calme que sombre,
Il s’est tué, certain qu’il était attendu.
Et la masse de gens dont l’escalier s’encombre
Murmure avec stupeur : Un enfant s’est pendu !