Recueil intime/Lemerre, 1881/Les Oiseaux de paradis

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Les Oiseaux de paradis



Dans le pays où vont les rêves,
Dans le pays où, sur les grèves,
S’échevèlent les cocotiers,
Où le soleil d’Océanie
Verse, de son urne infinie,
Des flammes sur tous les sentiers ;


Où le caméléon qui change,
Examine, d’un œil étrange,
Le singe que son bras suspend ;
Où la liane immense et souple,
Autour des arbres qu’elle accouple,
Se tortille comme un serpent ;

Là, sont les beaux oiseaux au milieu des bananes ;
Les uns contemplatifs ainsi que des brahmanes,
Les autres fourmillant de bruits et de couleurs.
Là le perroquet jase en accents persifleurs ;
Avec ses diamants sur ses plumes de soie,
L’argus tout constellé, comme le ciel, flamboie ;
Tandis qu’entremêlés dansent en tourbillons
Les tout petits oiseaux et les grands papillons.

Tous, faisant d’immenses armées,
De leur propre vue étourdis,
Ils cherchent les fleurs parfumées,
Les arbres frais, les prés verdis ;
L’eau des fleuves les désaltère,
Pour leurs ébats ils ont la terre.
Mais le firmament solitaire
N’est qu’aux oiseaux de paradis.


Eux ils voient, dans leur vol sublime,
Ramper le monde, au loin, bien bas.
A peine effleurent-ils la cime
Des grands figuiers, quand ils sont las,
Et sur les vagues de leurs ailes
Ondulant comme des nacelles,
Le corps rayonnant d’étincelles,
Ils montent où l’on ne sait pas.

Oh ! s’il est jamais, en ce monde,
Rien tombé du jardin des cieux,
C’est la légion vagabonde
De ces oiseaux au vol soyeux,
De ces mystiques rêveries
Qui flottent dans les pierreries
Et qui ne veulent pour prairies
Que l’azur où l’on met les dieux.

Mais voici qu’ils se sont arrêtés sur un faîte,
Et qu’on entend soudain frissonner la tempête.
A gagner les hauteurs où le ciel est serein,
Leur vol va s’épuisant ; la rafale sans frein
Les prend, et vers le sol les pousse avec la nue.
Ils tombent, tout meurtris, sur la terre inconnue.

Oh ! doux oiseaux, pourquoi, dans le feuillage impur,
Etre venus déchoir de l’éternel azur ?
Par un rire infernal raillant vos épouvantes,
Des êtres au teint noir, sur vos lueurs vivantes,
Se sont rués. Adieu pour vous l’air et le jour.
Vous souffrirez beaucoup ; car l’homme est un vautour
Dont l’ongle sans pitié n’ignore aucun supplice.
De peur que par la mort votre éclat ne pâlisse
Et que, moins colorés, vous ne valiez moins cher,
On va vous embaumer vivants. Déjà le fer
Entre rouge dans vos entrailles. L’agonie
Vous convulse un moment. Hourra ! l’œuvre est finie.
Et maintenant allez cadavres de beauté.
Allez vers la splendeur et vers la volupté.
Le peintre vous fera resplendir sur l’épaule
D’un ange, devant Dieu s’inclinant comme un saule,
Ou, dans leurs nids d’amour, pleins d’un charme profond,
Comme un charme de plus, les femmes vous auront.

Oiseaux de paradis, légion solitaire,
Martyrs, vous figurez tout ce qui, sur la terre,
Reflète la splendeur pure du ciel sacré.
Victimes de l’amour qu’elles ont inspiré,
N’importe où ni comment, toutes les belles choses

Servent de proie à l’homme, ardent faucheur de roses,
Et s’en allant tomber sous ses désirs maudits,
Ici-bas, sont autant d’oiseaux de paradis.