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Refrains de jeunesse/29

La bibliothèque libre.
La Maison de la bonne presse (p. 145-148).


À MADAME ÉMILE PROVOST


Sur la mort de son époux.


La coupe d’amertume où ta lèvre s’abreuve
Déborde, et dans ton âme, hélas ! verse le deuil…
Ton cœur est oppressé sous le poids de l’épreuve
Et ton regard sans cesse erre au sein d’un cercueil.


Ô mort, cruelle mort, vois quel est ton ouvrage !…
En creusant un tombeau tu fis surgir des pleurs,
Avide de frapper, aveugle dans ta rage
Tu choisis un époux qui marchait sur des fleurs.

Mon Dieu pardonne-moi, tes décrets sont sublimes,
Nous t’appartenons tous pour un autre séjour.
Ici-bas, tu choisis tes meilleures victimes
Pour les placer au ciel et nous les rendre un jour.

En attendant, ô tendre mère !
Berce, berce ton chérubin,
Dis-lui souvent que son bon père
Veille là-haut sur son chemin.


Sous l’étreinte du temps, tout sur la terre tombe,
Le roseau, le grand chêne, en subissent la loi,
Nous dressons notre tente aux portes de la tombe
Et le trépas, soudain, nous y conduit en roi.

Ici c’est un vieillard courbé sous la souffrance ;
Là, c’est un jeune enfant rayonnant de beauté
Qui jette à l’avenir un regard d’espérance ;
Plus loin, c’est l’homme fort, le front plein de fierté…

Voilà donc notre sort… Sèche, sèche tes larmes,
Ô mère ! puisque c’est la volonté de Dieu.
Bientôt tu reverras l’objet de tes alarmes,
Cet époux dont l’amour s’éteignit dans l’adieu.


En attendant, ô tendre mère !
Berce, berce ton chérubin,
Dis-lui souvent que son bon père
Veille là-haut sur son chemin.


Valleyfield, 1886.