Regardez mais ne touchez pas

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Regardez mais ne touchez pas
Comédie de cape et d’épée en 3 journées
Michel Lévy frères.



REGARDEZ


MAIS NE TOUCHEZ PAS


COMÉDIE DE CAPE ET D’ÉPÉE


EN TROIS JOURNÉES,


PAR MM. THÉOPHILE GAUTIER ET BERNARD LOPEZ,


REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, À PARIS, SUR LE SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS (Odéon), LE 20 OCTOBRE 1847.




DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.


DON MELCHIOR de BOVADILLA, jeune gentil-homme ruiné MM. L. Monrose.

DON GASPAR, officier de fortune Luguet jeune.

LE COMTE DE SAN LUCAR, grand-maître des cérémonies, oncle de DON MELCHIOR et de DONA BÉATRIX Lemaire.

HILARIO. Pages
RAFAËL.

UN CHEF D’ALGUAZILS

ELISABETH FARNÈSE, reine d’Espagne Mes Michallet.

DONA BÉATRIX d’ASTORGA, fille d’honneur Henri.

GRISELDA, camériste de la reine St. Hilaire.


PREMIÈRE JOURNÉE.

Un site dans le parc d’Aranjuez : de chaque côté un pavillon. — Au fond, une élévation de terrain praticable.



Scène I.


LE COMTE DE SAN LUCAR, seigneurs et pages. DONA BÉATRIX.
LE COMTE.

Quel est ce bruit, que se passe-t-il, c’est la voix de ma nièce ?


DONA BÉATRIX, accourant.

Au secours !… au secours !…

LE COMTE.

Qu’est-ce ?

BÉATRIX.

La Reine…

LE COMTE.

Eh ! bien ?

BÉATRIX.

Son cheval s’est emporté !…

LE COMTE.

Grand Dieu !

BÉATRIX.

Il l’entraîne à travers champs dans la direction du Tage !…

LE COMTE.

Que Notre Dame soit en aide à sa gracieuse Majesté ; je fais des vœux pour sa conservation, comme le doit tout fidèle sujet.

BÉATRIX.

Il s’agit bien de cela ! courez !… volez !… il n’est peut-être plus temps !… Chaque seconde qui s’écoule raccourcit d’une année la vie de sa Majesté !

LE COMTE.

J’avais bien dit à notre charmante souveraine de se défier de ce cheval noir qu’elle veut toujours monter… au lieu de la haquenée traditionnelle ; mais maintenant, on me traite de vieux fou, de radoteur gothique.

BÉATRIX.

Vous me faites mourir d’impatience, avec vos phrases compassées !… Comment, messieurs, vous êtes là une troupe de gentilshommes, jeunes, forts et hardis… votre Reine, une femme est en péril, et pas un de vous ne bouge !

LE COMTE.

Si ce n’était qu’une femme, dix de nous se seraient déjà élancés !… Mais la reine, c’est bien différent !

BÉATRIX.

Que voulez-vous dire ?

LE COMTE.

Tout homme qui touche à la reine, même pour la sauver, est puni de mort… C’est une loi d’Espagne bien connue.

BÉATRIX.

Sauvez la reine et mourez !

LE COMTE.

J’ai trop de respect pour l’étiquette, et trop d’amour pour l’existence !… D’ailleurs, comme grand-maître des cérémonies, je dois éviter de rien faire qui soit contre les règles… ce serait un précédent fâcheux… un véritable scandale !

BÉATRIX.

Mon Dieu ! mon Dieu !… que faire ?… Eh ! quoi !… personne ne se décide ?… ô chevaleresque Espagne !… Terre du courage et de la galanterie !… c’est donc là que tu en es descendue ?… Il n’y a pas un cœur sous ces pourpoints !… que faut-il vous dire pour vous persuader ?… Ma voix se brise !… ma tête s’égare !… ah ! celui qui sauvera ma maîtresse, je l’aimerai comme un frère, comme un époux !…

LE COMTE.

Ma nièce, modérez cette exaltation… irrégulière…

BÉATRIX.

Je lui donnerai mon cœur !

LE COMTE.

Ma nièce !

BÉATRIX.

Je lui donnerai ma main !…

LE COMTE.

Ma nièce !… Rappelez-vous que vous êtes ma pupille, et que je l’ai retenue, votre main, pour mon neveu Don Melchior, que je fais venir expressément de Grenade pour vous épouser, et qui doit arriver aujourd’hui… Messieurs, ne l’écoutez pas.

BÉATRIX.

Écoutez-moi, de grâce !… si vous êtes Espagnols, si vous êtes gentilshommes, en ce moment peut-être votre reine se meurt !…

LE COMTE.

Ah ! voici Griselda, sa camériste… nous allons peut-être savoir… (Griselda entre.)




Scène II.


LES MÊMES, GRISELDA.


GRISELDA.

Bonne nouvelle, Messieurs !… la reine n’est pas morte !…

LE COMTE.

Vive la reine !…

GRISELDA.

C’est un miracle… Elle n’a pas même une égratignure !…

BÉATRIX.

Bonheur inespéré !… J’en remercie le Ciel !…

LE COMTE.

Une explosion de joie ne serait pas déplacée en ce moment : je ris, je saute, et je jette mon chapeau en l’air !… (Il reste immobile.)

BÉATRIX.

Ô ma chère maîtresse !… Parle, Griselda, comment a-t-elle pu échapper à ce danger !…

LE COMTE.

Malgré la distance qui nous sépare, j’interroge moi-même une simple suivante… Griselda… raconte-nous…

GRISELDA.

Volontiers… je commence… Il s’agit d’un jeune homme…

BÉATRIX.

Ali !…

GRISELDA.

Que dis-je !… de mieux que cela !…

LE COMTE.

D’un homme d’âge mûr ?…

GRISELDA.

Non… de deux jeunes gens… deux vaillants, deux héros, qui n’ont pas craint d’exposer leurs jours pour sauver leur reine !…

BÉATRIX.

Deux ?…

LE COMTE.

Vous voilà, ma nièce, dans un bel embarras !… votre promesse imprudente vous force d’être parjure ou bigame…

BÉATRIX.

Eh ! quoi !… l’on n’a pu savoir lequel ?

GRISELDA.

On se perd en conjectures… on les a vus courir l’un et l’autre dans la même direction, et puis, l’épaisseur du bois les a dérobés à nos regards ; des cris se sont fait entendre… Don Diego d’Escalona, l’écuyer cavalcadour, qui s’était avancé plus loin que le reste de la suite, s’est arrêté tout à coup comme frappé de stupeur !

LE COMTE.

J’espère qu’il ne se sera rien passé de contraire à l’étiquette, dans ce moment terrible… Pour une reine, il vaut mieux mourir que d’être tirée de péril d’une façon inconvenante… Qu’était-il arrivé ?…

GRISELDA.

Don Diego d’Escalona venait de voir un jeune homme arrêtant le cheval de Sa Majesté !

LE COMTE.

Situation épouvantable ; en dehors de toutes les règles établies !…

BÉATRIX.

Noble cœur !…

GRISELDA.

Hélas ! ce n’est pas tout… don Diégo a vu aussi la reine glisser de sa selle, le pied pris dans l’étrier…

BÉATRIX.

Grand Dieu !

GRISELDA.

Et le malheureux jeune homme la saisir dans ses bras.

LE COMTE.

Je pâlis et je rougis alternativement… Prendre la reine dans ses bras ; il n’y a que le roi d’Espagne qui puisse faire ces choses-là impunément, c’est un crime atroce… un manque de savoir-vivre digne de mort !…

GRISELDA.

C’était à deux pas d’une fondrière !…

BÉATRIX.

Il fallait sauver la reine !…

LE COMTE.

La sauver, oui… mais la toucher… non !…

GRISELDA.

Heureusement, Monsieur le comte, tout le monde n’est pas si cérémonieux que vous… Sans cette généreuse inconvenance, que serait devenue Sa Majesté ?… Quand nous sommes arrivés sur le théâtre de l’accident, nous l’avons trouvée évanouie au pied d’un arbre.

LE COMTE.

Ma souveraine au pied d’un arbre… sans carreaux de velours, sans dais armorié ?… Soleil, tu ne t’es pas voilé à un pareil spectacle ?… Et comment Sa Majesté supportait-elle cette calamité sans exemple ?

GRISELDA.

Nous l’avons fait revenir à elle… avec de l’eau de la reine de Hongrie… Sa Majesté nous a dit alors qu’elle n’avait vu qu’un seul homme… et que dans le trouble, la faiblesse où elle se trouvait… elle n’avait pu distinguer sa physionomie… la frayeur ayant amené une syncope, il lui a semblé vaguement que l’inconnu l’avait enlevée de sa selle… et portée sur un tertre de gazon… puis, elle ne se souvenait plus de rien… C’est nous qui lui avons appris que deux jeunes cavaliers avaient fait assaut d’héroïsme et de vélocité…

BÉATRIX.

Quel mystère !… ignore-t-on aussi ce qu’ils sont devenus ?

LE COMTE.

Est-on parvenu à les arrêter ?…

GRISELDA.

J’espère bien que non, seigneur comte… C’est le chef d’alguazils, Martinez, qui est chargé de les poursuivre… et tout le monde connaît sa maladresse égale seulement à sa bêtise… On dit cependant, hélas !…

BÉATRIX.

Quoi ?…

GRISELDA.

Que l’un d’eux, en voulant fuir, s’est noyé dans le Tage.

LE COMTE.

Noyé !…

BÉATRIX.

Dieu veuille que ce ne soit pas !… Mais il me tarde de voir Sa Majesté… toi qui sais où elle est, Griselda, conduis-nous !…

LE COMTE.

Oui, l’étiquette ne nous défend pas de manifester une émotion respectueuse, je vous suis… (Les autres sortent ; le comte va les suivre, au même moment, don Melchior entre, et le retient.)




Scène III.


LE COMTE, DON MELCHIOR.


DON MELCHIOR.

Un instant !… Permettez au pire des neveux, de donner l’accolade au meilleur des oncles !…

LE COMTE.

Tout beau !… don Melchior de Bovadilla !… vous allez chiffonner ma fraise…

DON MELCHIOR.

Laissez-moi, tout indigne que je suis, me précipiter dans vos bras !… c’est la voix du sang qui parle… écoutons-là !…

LE COMTE.

C’est bon !… c’est bon !…

DON MELCHIOR.

Elle me dit de vous embrasser encore une fois…

LE COMTE.

Don Melchior, vous m’aimez trop !…

DON MELCHIOR.

Oh ! je le sens !… j’étais né pour les joies de la famille !… Pour le bonheur paisible du foyer !…

LE COMTE.

C’est pour cela que vous avez rempli Grenade d’esclandres… qu’il n’est bruit que de vos déportements avec les Gitanas de l’Albaysin, que de vos rixes dans les cabarets avec les Toreros… singulière façon de prouver son goût pour les plaisirs tranquilles !…

DON MELCHIOR.

Hélas !… les hommes sont si méchants, qu’ils ont trouvé moyen de calomnier, même le diable !… Il doit y avoir beaucoup d’invention dans les légendes qu’on vous a récitées sur mon adolescence.

LE COMTE.

Et ces mémoires de fournisseurs, longs comme votre épée, que j’ai payés de mon pauvre argent, étaient-ce aussi des inventions ?

DON MELCHIOR.

Aurais-je fait à mon oncle l’injure de m’adresser à d’autres qu’à lui, pour ces bagatelles ?… D’ailleurs, si j’ai fait des dettes, c’était pour soutenir l’honneur de notre nom.

LE COMTE.

Vous le soutenez trop… J’ai soldé trois fois vos mémoires.

DON MELCHIOR.

Oncle sublime !

LE COMTE.

Je ne suis pas en fonds… je vous en préviens… allez-vous encore me demander de l’argent ?…

DON MELCHIOR.

Malgré ma jeunesse, je n’ai plus assez d’illusions pour cela… les oncles du temps se font si coquins, qu’ils mériteraient d’être leurs neveux !… Rassurez-vous… je n’abuserai de mon népotisme que pour vous demander une collation homérique…

LE COMTE.

Vous avez donc toujours faim ?

DON MELCHIOR.

Je tombe d’inanition… depuis Grenade, je n’ai mangé que dans les auberges ; et, tout à l’heure, j’ai tant couru !…

LE COMTE.

Que dites-vous ?… quel soupçon !… Est-ce que, par hasard, vous seriez compromis dans cette fatale aventure ?…

DON MELCHIOR.

Comment ? Je voudrais bien être à table !

LE COMTE.

Ignorez-vous qu’un audacieux, sous prétexte de la sauver, vient de toucher à la reine, et que c’est un crime puni de mort ?…

DON MELCHIOR, à part.

Ah ! diable !

LE COMTE.

Répondez !… Seriez-vous, par hasard, un de ces hardis cavaliers qu’on accuse de ce dévouement sacrilége ?

DON MELCHIOR.

Me prenez-vous pour un premier chapitre de roman ?… Un cheval qui s’emporte, un taureau furieux, une héroïne qui s’évanouit, et l’inévitable jeune homme qui vient à point la secourir… c’est le pont-aux-ânes… je ne passe jamais sur ce pont-là… Un homme qui se respecte laisse de pareils exploits à des écoliers en théologie… D’ailleurs, je ne sauve pas les femmes… au contraire !…

LE COMTE.

Ce n’est donc pas vous ?… Je dois m’en réjouir… ma position m’y oblige… Et cependant j’ai aussi quelques raisons pour m’en affliger… dans votre intérêt même.

DON MELCHIOR.

Comment ?

LE COMTE.

Vous savez pourquoi je vous ai fait venir de Grenade ?

DON MELCHIOR.

Sur plusieurs mulets fort durs, au milieu d’un tintamarre de grelots… mais je voudrais bien être à table !

LE COMTE.

La question n’est pas là… répondez…

DON MELCHIOR.

Ah ! oui, vous aviez contre moi des projets sinistres, vous pensiez à me marier…

LE COMTE.

Et vous ne m’en remerciez pas ?

DON MELCHIOR.

Ma foi, non.

LE COMTE.

Vous êtes un simple monstre d’ingratitude… Je vous destinais votre cousine, dona Béatrix d’Astorga…

DON MELCHIOR.

À propos… est-elle jolie ?

LE COMTE.

Elle a des armoiries charmantes.

DON MELCHIOR.

Est-elle riche ?

LE COMTE.

Assez pour vous faire attendre patiemment mon héritage.

DON MELCHIOR.

Combien ?

LE COMTE.

Deux millions de réaux.

DON MELCHIOR.

Qu’on apporte un prêtre et deux notaires.

LE COMTE.

Ne soyez pas si pressé… dona Béatrix est perdue pour vous.

DON MELCHIOR.

Ah ! Ciel !… et moi qui n’ai plus de crédit !

LE COMTE.

Cette petite sotte ne s’est-elle pas avisée de promettre sa main à celui qui sauverait la reine ?

DON MELCHIOR.

Que m’apprenez-vous là ?…

LE COMTE.

Si vous aviez été ce sauveur… j’aurais pu oublier que je suis le représentant de l’étiquette… Bien que ma charge de grand-maître des cérémonies s’y oppose, j’aurais sollicité, prié, usé de mon crédit, pour vous faire obtenir votre grâce… On peut bien quelquefois se désister de la rigueur des principes en faveur d’un parent…

DON MELCHIOR.

Ruiné !

LE COMTE.

Et ruineux !… Ce mariage eût comblé mes vœux… mais il n’y faut plus penser, vous n’êtes pas dans la condition exigée par dona Béatrix.

DON MELCHIOR, à part.

Ah ! diable !… (haut) Connaît-on celui qui a des droits à la main de ma belle cousine ?

LE COMTE.

Les conjectures se portent sur deux jeunes gens, inconnus l’un et l’autre.

DON MELCHIOR, à part.

Inconnus ? très-bien ! (haut) Je suis l’un d’eux.

LE COMTE.

Et l’on assure qu’un de ces étourneaux héroïques s’est noyé dans le Tage.

DON MELCHIOR, à part.

Noyé ! à merveille ! Mon oncle ?

LE COMTE.

Mon neveu ?

DON MELCHIOR.

Vous ne savez peut-être pas à quel point je suis modeste ?…

LE COMTE.

Je ne l’avais pas remarqué.

DON MELCHIOR.

La modestie est une humble qualité qu’on peut se glorifier d’avoir… Ce dont d’autres se targuent, moi je m’en cache… j’ai des arrière-magasins de belles actions clandestines… des accaparements d’héroïsme inédits… des provisions de sacrifices qui n’ont jamais vu le jour… J’en agis ainsi pour ne pas humilier mes contemporains…

LE COMTE.

En vérité ?

DON MELCHIOR.

Rien ne m’est insupportable comme ces fanfarons qui ne savent parler que de leurs exploits… comme ces tranche-montagnes éventrant le ciel du croc de leurs moustaches, et qu’un oiseau partant d’une haie fait évanouir de peur… Moi, je laisse mes actions faire mon panégyrique… et je crains tant de passer pour un bravache, qu’on pourrait me croire poltron.

LE COMTE.

Je vous admire !

DON MELCHIOR.

Tout-à-l’heure, quand vous m’avez demandé si j’étais le sauveur de la reine, je vous ai répondu non… toujours par suite de ce système qui me pousse à me déprécier… afin de ne pas donner dans le travers des gens qui se vantent à tout propos…

LE COMTE.

Eh bien ?

DON MELCHIOR.

Je vous trompais… le sauveur de la reine…

LE COMTE.

Quoi ?… c’était vous ?…

DON MELCHIOR.

Moi !

LE COMTE.

Et vous ne m’en disiez rien ?

DON MELCHIOR.

Il me répugnait de me proclamer moi-même un héros… je voulais laisser ce soin aux trompettes de la renommée.

LE COMTE.

Simple et grand !

DON MELCHIOR.

Mais puisque vous dites que cet acte de courage met son auteur en péril de mort… il faut que je me nomme… ma bravoure l’exige… Vous êtes bien sûr d’avoir la grâce, hein ?… Envoyez-moi des provisions de bouche.

LE COMTE.

Comptez sur moi, mon neveu… je ne négligerai rien… je cours parler à l’instant à quelques membres influents du conseil de Castille… En attendant, entrez dans ce pavillon… (Il ouvre le pavillon à gauche du spectateur.) On ne s’avisera pas de vous y chercher.

DON MELCHIOR., sur le seuil de la porte.

C’est égal ! je voudrais bien être à table, mais pour vous obéir… (Revenant sur ses pas.) Un mot encore, mon oncle… Le roi est-il jaloux ? a-t-il cet inconvénient conjugal ?

LE COMTE.

Singulière question ! Il est jaloux comme un simple particulier !

DON MELCHIOR.

Alors je suis perdu !… il ne me pardonnera jamais d’avoir connu un bonheur dont le monopole lui appartient !

LE COMTE.

Comment ?

DON MELCHIOR.

Cet habit jaune n’a-t-il pas effleuré le corsage auguste de la reine ?… Que Santiago, le patron des vaillants, me soit en aide ! (Il entre dans le pavillon.)


LE COMTE, un moment seul.

Je ferais peut-être mieux de l’abandonner à son sort ; mais s’il épouse Béatrix, j’en suis débarrassé la même chose, et cela vaut mieux !… Il est toujours déplorable pour un oncle bien situé, de voir son neveu figurer en place publique… (Il sort. — Un moment après Don Gaspar enveloppé d’un manteau paraît au fond.)




Scène IV.


DON GASPAR, seul.

Ils ont perdu ma trace… je puis respirer un moment… Qu’importe d’ailleurs que ces alguazils parviennent à m’arrêter ?… Le sacrifice de ma vie est fait… je ne puis être heureux… à quoi bon traîner plus longtemps une existence misérable ?… Je n’ignore pas le prochain mariage de dona Béatrix !… si je meurs avant, je n’aurai pas du moins à supporter la cruelle pensée qu’elle appartient à un autre !… Ah ! pourquoi l’ai-je rencontrée sur mon chemin ?… pourquoi ai-je aperçu pour la première fois ses traits divins à travers les grilles du chœur ?… dans ce couvent de Burgos… j’ai trop oublié que je ne suis qu’un officier de fortune… Quelle folie à moi, qui n’ai que la cape et l’épée, d’aimer une noble et riche héritière… (En ce moment, des alguazils passent sur la colline au fond ; musique à l’orchestre. Don Gaspar se cache derrière un arbre.) Encore ces alguazils… Oh ! pourquoi leur disputer ma vie ? en vaut-elle la peine ?… j’ai voulu étouffer cet amour… j’ai senti que la raison était impuissante… Dona Béatrix est venue à la cour… je l’y ai suivie en me donnant pour prétexte que j’avais à solliciter une récompense, depuis longtemps promise à mes services… c’était plutôt parce que je ne pouvais vivre loin d’elle !… et aujourd’hui encore, si j’ai pénétré dans le parc d’Aranjuez, si je me suis mêlé à la chasse royale, c’est toujours poussé par le désir ardent de l’apercevoir… ne fût-ce qu’un instant !… c’est mon seul bonheur… Je n’ai jamais osé l’aborder… lui dire : je vous aime !… Non, jamais !… mon orgueil se révolte à l’idée d’être accueilli avec dédain !… Et quel espoir me reste-t-il ?… maintenant que dona Béatrix est la fiancée de ce don Melchior ?… maintenant surtout que ma tête est mise à prix, comme celle d’un félon et d’un traître ?… J’ai touché à la reine d’Espagne… c’est un crime de lèse-Majesté !… de haute trahison !… Le fiscal invoquera les vieux statuts de don Enrique le dolent et de don Pedro le justicier… et je mourrai !… mon sort devient inévitable… Comment parviendrais-je à sortir du parc d’Aranjuez ?… Les alguazils y sont répandus de tous côtés… Ah !… voici le jour qui tombe… je pourrai peut-être profiter de cette obscurité pour gagner quelque poterne, ou escalader les murs d’enceinte… Tentons un dernier effort… et que tous les saints de Castille me soient en aide !… (Il sort par la gauche ; au même instant Griselda arrive par le fond.)




Scène V.


GRISELDA, puis la REINE et BÉATRIX.

GRISELDA Par ici, m’a dit la reine ?… Elle l’a vu fuir par ici… Personne !… (La reine entre, donnant le bras à Béatrix.)


LA REINE.

Eh bien, Griselda ?

GRISELDA.

J’ai beau chercher, senora, je ne l’aperçois pas !

BÉATRIX.

Permettez-moi de faire observer à Votre Majesté que le jour baisse, et que nous sommes seules…

LA REINE.

Qu’importe !… si je me suis égarée, c’est à dessein… je vous l’avoue, Béatrix, j’avais une intention en me séparant du gros de la chasse… Une vague espérance de rencontrer le généreux inconnu qui n’a pas craint d’exposer sa vie pour moi… Oh ! je voudrais tant le revoir, le remercier !…

GRISELDA.

Et c’est vers cette partie du bois que votre Majesté l’a vu fuir, ce jeune héros ?…

LA REINE.

Il m’a semblé cela à travers mon évanouissement… Il ne s’en est allé, au risque de se faire prendre, que lorsque mes gens sont arrivés… Je me sens déjà ingrate de ne pas lui avoir témoigné ma reconnaissance… il peut croire que je l’abandonne dans son péril… cette pensée m’est pénible !… De par ma couronne de reine, je le sauverai, je le récompenserai !… je saurai bien le soustraire à cette loi stupide et cruelle… Que ferons-nous à ceux qui nous haïssent, si nous traitons ainsi ceux qui se dévouent pour nous ?…

BÉATRIX.

Merci, madame, merci pour ces bonnes et généreuses paroles !… je n’attendais pas moins de Votre Majesté… Vous savez la promesse que j’ai faite… je la tiendrai avec bonheur… Que m’importe le nom de ce jeune homme ?… Pour Béatrix d’Astorga, il s’appelle : le sauveur de la reine !… Il n’est pas de plus beau titre au monde !

GRISELDA.

Je l’épouserais les yeux fermés !… ce doit être un cavalier accompli, et galant comme une devise de jarretière… Je le parierais !… braver ainsi la mort de gaîté de cœur, n’est pas le fait d’un homme vieux ou mal bâti !… Il mérite assurément l’intérêt pour son action et pour son physique !…

BÉATRIX.

Votre Majesté intercèdera pour lui auprès du roi don Philippe, et votre prière sera exaucée sans doute… le roi a tant d’affection pour vous.

LA REINE.

Oui, don Philippe ne peut rester sourd à la voix de l’humanité… En tout autre pays, au lieu d’une grâce, c’est une récompense que j’aurais à demander… Je réussirai sans doute… car j’ai quelqu’ascendant sur lui… je réussirai, si mon influence ne se brise pas contre celle d’Albéroni.

BÉATRIX.

Albéroni !… n’est-il pas tout dévoué à Votre Majesté ?… n’est-ce pas lui qui vous a placée sur le trône d’Espagne, et que nous devons remercier du bonheur de faire partie de vos sujets ?…

LA REINE.

S’il m’a fait monter sur le trône, il voudrait déjà m’en faire descendre !… Croyez-vous que ce soit par un bon souvenir de sa patrie, qu’il ait été me chercher à Parme, pour faire de moi la femme de Philippe V, après avoir chassé de Madrid la princesse des Ursins ?… Non !… l’altière favorite exerçait sur l’esprit du roi une influence qui a fait comprendre au rusé cardinal l’incontestable besoin qu’éprouvait l’Espagne d’une alliance avec une principauté d’Italie…

GRISELDA.

Oh ! le vieux satan !… j’évente sa malice !… il a pensé que le roi écouterait moins sa femme que sa maîtresse !…

LA REINE.

Il me prenait pour une jeune fille sans volonté, une Italienne frivole, occupée de fleurs, de dévotions et de parures… une femme de roi et non une reine !… voilà ce qu’il voulait faire d’Elisabeth Farnèse, grande-duchesse de Parme… Il a déjà pu voir qu’il s’est trompé… Aussi, tâche-t-il de me ruiner dans l’esprit du maître… Je le rencontre au coin de tous mes projets ; je le trouve au bout de toutes mes demandes, comme une porte fermée ; et quand j’implore une grâce, il demande un châtiment.

BÉATRIX.

Maudit Italien !… pourvu qu’il n’aille pas pousser l’esprit de contradiction au point de vouloir perdre ce jeune homme ! Je tremble, il lui aura été impossible de sortir du parc d’Aranjuez… On a placé des gardes wallonnes et des alguazils à toutes les issues.

GRISELDA.

Nous jouons de malheur… voici déjà la nuit, et nous allons rentrer au château sans avoir de ses nouvelles ! (On entend un coup de fusil.)

BÉATRIX.

Grand Dieu !

LA REINE.

Que se passe-t-il ?… (Don Gaspar entre comme poursuivi.)




Scène VI.


LES PRÉCÉDENTS, DON GASPAR.


DON GASPAR.

Deux pouces plus bas, j’étais délivré de toutes mes inquiétudes… la balle a coupé la plume de mon feutre.

GRISELDA.

Que ma patronne nous protège !… j’entrevois un manteau sombre dans la nuit noire…

DON GASPAR, à part.

J’entends chuchoter… des voix de femmes… ce n’est pas la Sainte-Hermandad…

GRISELDA.

Qui va là ?

DON GASPAR.

Un homme égaré.

GRISELDA.

Ce n’est pas une profession… Comment vous trouvez-vous dans le parc d’Aranjuez après l’Angelus sonné ?… Seriez-vous un voleur ?

DON GASPAR.

Ah ! senora !

BÉATRIX.

Êtes-vous un braconnier ?

DON GASPAR.

Pas davantage.

GRISELDA.

Alors je ne vois pour vous d’autre position sociale… qu’amoureux… c’est un état… nocturne et ambulant…

DON GASPAR.

Voilà une supposition moins outrageante, et que je puis admettre… Oui, j’en conviens, l’amour n’est pas étranger à ma présence dans ce parc… Mais, maintenant, je cours les plus grands périls si j’y reste… Mademoiselle, votre voix est douce, je vous devine jolie, vous devez être bonne… indiquez-moi, de grâce, le sentier qui conduit à la petite poterne de la route d’Ocana ; je n’ai pas une minute à perdre… les alguazils sont sur mes traces.

LA REINE.

Si c’était lui !

DON GASPAR.

S’il faut tout vous dire… j’ai commis une imprudence… fatale… qui met ma vie en danger…

LA REINE, bas.

Plus de doute ! (haut) Expliquez-vous, seigneur cavalier, êtes-vous le sauveur de la reine ?

GRISELDA, à Béatrix.

Voilà qui vous intéresse… Quel dommage qu’on n’y voie pas clair…

DON GASPAR, à part.

Quelles sont ces femmes ?… Puis-je me nommer ?

LA REINE.

Vous ne répondez pas ?…

DON GASPAR.

Madame…

LA REINE.

Cet embarras me fait croire encore…

BÉATRIX.

Parlez, de grâce !…

GRISELDA.

Comptez sur notre discrétion.

DON GASPAR, à part.

Trois femmes… c’est chanceux !

LA REINE.

Vous nous intéressez plus que vous ne pouvez le penser.

BÉATRIX.

N’ayez aucune crainte… ce n’est pas nous qui vous dénoncerons !…

GRISELDA.

Nous n’avons pas d’amants dans la police…

DON GASPAR, à part.

Au fait, ma situation ne peut être pire…

LA REINE.

Votre confiance pourra vous servir.

DON GASPAR.

Eh ! bien, oui… je l’avoue… c’est moi qui ai eu le périlleux honneur de porter secours à Sa Majesté…

BÉATRIX.

Noble jeune homme !

LA REINE.

Cœur dévoué !

GRISELDA.

Digne rejeton du Cid !

LA REINE, allant à lui.

C’est vous !… vous qui n’avez pas craint, pour sauver la reine, de vous exposer à un châtiment terrible… Ah ! soyez sûr, Monsieur, que la reine comprend toute l’étendue de votre dévouement… si elle était ici, elle serait heureuse de vous remercier !

DON GASPAR.

Qui êtes-vous, pour connaître ainsi les sentiments de la reine ?

LA REINE.

Une femme pour qui Elisabeth Farnèse n’a point de secrets… une de ses amies… car, les reines peuvent en avoir. (Elle prend la main de Béatrix.)

GRISELDA.

Prenez garde !… je vois briller à travers les arbres les torches de l’escorte.

DON GASPAR.

Je suis perdu !…

LA REINE.

Non pas !… nous vous cacherons cette nuit, au palais même.

BÉATRIX.

Mais en attendant, mon Dieu ! que faire ?…

GRISELDA.

Ah ! ce pavillon !… entrez-y vite !…

LA REINE.

Un page viendra vous y chercher. (Il entre dans le pavillon à droite. Un moment après, le comte entre avec la suite de la reine.)




Scène VII.


DONA BÉATRIX, LA REINE, LE COMTE, GRISELDA, suite de la reine, deux pages, laquais, portant des torches.


LE COMTE.

Par ici, Messieurs, j’aperçois Sa Majesté… Votre carrosse vous attend, Madame, avec les huit mules de rigueur.

LA REINE, à un page.

Prends ces doublons, Hilario !…

LE COMTE, à un autre page.

Prends cette bourse, Rafaël…

LA REINE, montrant à Hilario le pavillon à droite.

Mon sauveur est ici !…

LE COMTE, à Rafaël, en lui montrant le pavillon à gauche.

Le sauveur de la reine est là !…

LA REINE, à Hilario.

Tu l’introduiras ce soir au palais, chez Griselda.

LE COMTE, à Rafaël.

Tu le mèneras cette nuit au palais, chez moi.

LA REINE.

Au château. Messieurs !

LE COMTE.

Place à la reine !… en ma qualité de grand-maître des cérémonies… et de galant Hidalgo, j’oserai jeter mon manteau sur le passage de notre belle souveraine. (On éclaire avec des torches, le passage de la reine ; elle donne la main au comte : le rideau baisse.)


FIN DE LA PREMIÈRE JOURNÉE




DEUXIÈME JOURNÉE.

Au château d’Aranjuez. — La chambre de Griselda. — Porte au fond. Fenêtre à droite du spectateur. — Porte à gauche.





Scène I.

LA REINE, DONA BÉATRIX, GRISELDA. Au lever du rideau, la Reine et Dona Béatrix sont assises près d’une table, sur laquelle il y a des flambeaux, Griselda regarde par la porte, à gauche


LA REINE.

Eh ! bien, Griselda ?

GRISELDA.

Notre preux, notre Amadis, n’arrive pas encore. 18 REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS. DONA BEATRIX. Je suis d’une impatience ! LA REINE. Remettez-vous, chère Béatrix !... il y a une bonne lieue espa- gnole des pavillons de la halte en chasse au château d’Aran- juez. GRISELDA, venant sur le devant du théâtre. Et Dieu sait qu’une lieue espagnole est capable de lasser ta pa- tience et les jambes d’un saint. LA REINE. Soyez sans crainte... j’ai confié cette mission délicate à mon page fidèle Hilario. GRISELDA. Je le connais... il est fin comme l'ambre... et ce qui me rassure encore c’est la bêtise de l'alguazil Martinez. Quand il pour- suit les autres, c’est lui qu’on attrape. .. Et il n’aura pas la main assez malheureuse pour arrêter notre héros. DONA BÉATRIX. Qu’il me tarde de le voir ! notre rencontre dans le bois a été si brusquement interrompue par l’arrivée de l’escorte de Votre Ma- jesté... nous ne savons même pas son nom. GRISELDA. Rassurez- vous... je gagerais que c’est au moins un Médina-Cœli, ou un Sotomayor. Vous êtes bienheureuse , Dona Béatrix ! Moi, je meurs d’envie d’épouser un noble ! j’ai l’amour-propre de ne pas me croire un morceau de roturier !... BÉATRIX. Folle ! je commence à entrevoir bien des obstacles à notre union... d’abord, ce jeune cavalier paraît déjà en proie à une pas- sion profonde et mystérieuse. Et puis, c’est en vain que déjà Sa Ma- jesté a sollicité sa grâce. LA REINE. Oui, ce que j’avais prévu est arrivé... tout à coup Alberoni est venu opposer son influence à la mienne. GRISELDA. Maudit Italien !... Ah ! si au lieu d’une cornette de suivante, je portais la couronne d’une reine... je sais ce que je ferais... LA REINE. Que ferais-tu ? GRISELDA. J’entreprendrais de casser Alberoni... et j’en montrerais les mor- ceaux à l’Europe ! BÉATRIX. Griselda a raison... pourquoi Votre Majesté se laisserait-elle do- miner par un aventurier, un parvenu ? JOURNÉE II, SCÈNE II. 19 GRISELDA. Un homme de rien... d’abord , sonneur de cloche à Parme, en- suite cuisinier chez le duc de Vendôme... et qui aujourd’hui prétend écraser de son influence une grande duchesse de Parme ! BEATRIX. Une reine d’Espagne ? LA REINE, se levant. Nous verrons... l’avenir décidera !... en attendant, nous voici obligées de veiller sur ce pauvre jeune homme ! BEATRIX, se levant. Qu’allons-nous faire ?... Comment le soustraire aux pour- suites ? GRISELDA. Ce soin me regarde... il est juste que chacune de nous fasse quel- que chose pour lui... Sa Majesté promet de le défendre... Dona Béa- trix promet de l’épouser... et moi, je promets de le cacher. BÉATRIX. Où donc ?... GRISELDA. Ici même. LA REINE. Dans ta chambre ! GRISELDA. Je vous réponds de sa sûreté comme de ma vertu ! LA REINE, souriant. Griselda !... BEATRIX. Le comte ! {Le comte entre ) SCENE II. LES MÊMES, LE COMTE. LE COmTE, après s’être incliné. Majesté !... je viens de la part du roi... Le bal de la cour est commencé... les ambassadeurs de France et d’Angleterre ne tar- deront pas à arriver... L’étiquette exige votre présence. LA REINE. Je vais vous suivre, seigneur-comte... mais avant, dites-moi... que sait-on sur ces deux jeunes gens si gravement compromis ? LE COMTE. Les ordres les plus sévères ont été donnés... on parviendra sans doute à reconnaître... à arrêter le vrai coupable. 20 REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS. LA REINE. Quoi ! le désirez-vous?... que pensez-vous donc de tout cela?... LE COMTE , à part Que lui dire?... (Haut.) Je répondrai franchement à Votre Ma- jesté... Dans la circonstance... il est des gens qui chercheraient à éluder, mais moi qui ai parfois une sincérité brutale... qui, par état, professe le plus grand respect pour Tétiquette... B^ÂTRix , au comte. Prenez garde , mon oncle ; la reine veut à son tour sauver son sauveur. LE COMTE , vivement. Majesté ! je vois dans ce trait d'audace un exploit sublime ! LA REINE. A la bonne heure, comte. LE COMTE , fièrement, J*ai toujours eu le courage de mon opinion. LA REINE. Je m'intéresse vivement à mon libérateur ! LE COMTE. Ah! quel bonheur pour moi!... je puis vous apprendre son nom! BÉATRIX. Vous le savez !.-. GRISELDA. Dites-nous vite!... LE COMTE. C'est don Melchior... mon neveu. BÉATRIX. Mon cousin !... LA REINE. Vous en êtes sûr? LE COMTE. Ohl persuadé! LA REINE. Il vous Ta dit? LE COMTE. Certifié... et j'en rends grâce au ciel... Je n'ai plus à craindre pour Béatrix , une mésallance avec un aventurier mystérieux. GRISELDA. L'autre héros, qu'est-il devenu ? LE COMTE. On ne sait !... Quant à don Melchior... grâce au tact de courtisan, qui me caractérise,., j'ai deviné les intentions généreuses de Votre Majesté..* Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/31 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/32 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/33 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/34 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/35 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/36 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/37 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/38 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/39 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/40 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/41 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/42 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/43 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/44 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/45 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/46 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/47 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/48 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/49 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/50 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/51 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/52 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/53 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/54 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/55 46 REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS. LA REINE. C’est lui ! DON MELCHIOR. Elle m’a aperçu... Poussons des soupirs à faire tourner une tête de jeune fille... Ah ! LA REINE. Quel air langoureux ! DON MELCHIOR. Oh ! LA REINE- Don Melchior ! DON MELCHIOR. C’est vous qui me parlez sénora... hélas ! je n’osais seulement pas lever les yeux sur vous... LA REINE. A la bonne heure ! DON MELCHIOR. Ne craignez plus que je vous adresse le moindre mot qui vous paraisse inconvenant. LA REINE. De mieux en mieux ! DON MELCHIOR. Je sens trop bien quel respect je dois à une personne de votre nais- sance... de votre rang... LA REINE. Vous voilà donc devenu plus sage... et vous avez raison, mon jeune cavalier. ( à part ) Parlons-lui de dona Béatrix. (haut) Ne savez-vons pas qu'il y a au monde une femme qui ne pense qu’à vous ? DON MELCHIOR, à part. Aveu charmant dans une jolie bouche !... LA REINE. Faut-il vous dévoiler le fond de ses sentiments à votre égard ? DON MELCHIOR. Dévoilez, senora, dévoilez ! LA REINE. Eh bien ! elle éprouve pour vous la plus vive sympathie... DON MELCHIOR. Et c’est vous qui me le dites ? LA REINE. Moi-même. DON MELCHIOR. Mais alors... je ne puis pas en douter... LA REINE. Mais certainement Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/57 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/58 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/59 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/60 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/61 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/62 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/63 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/64 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/65 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/66 Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/67 enfin découvert la vérité… À vous, don Gaspar, tous nos bienfaits, toute notre reconnaissance… À vous la main de dona Béatrix… Quant à vous, don Melchior, une prison perpétuelle…

MELCHIOR.

Pardonnez, Majesté Le désir de m’illustrer… ce besoin des grandes âmes…

LA REINE.

Votre forfanterie est le moindre de vos crimes… mais votre audace sans nom…

MELCHIOR.

Pardonnez encore, Majesté… Je n’avais que de bonnes intentions… je voulais vous épouser.

LA REINE.

Vous irez à la tour de Ségovie, méditer sur la valeur de vos paroles…

MELCHIOR.

Ô ! mon oncle !… intercédez pour moi.

LE COMTE.

Laissez-moi, Monsieur !

MELCHIOR.

Malheureux don Melchior, abandonné de Dieu et des hommes ! Qui donc viendra à ton aide ?…

GRISELDA.

Moi !…

DON MELCHIOR.

Je ne suis donc pas abandonné des femmes !

GRISELDA.

Vous êtes entré chez moi par la fenêtre à minuit et plusieurs minutes… heure qui a toujours passé pour indue… Vous me devez une réparation éclatante… je réclame votre main !…

DON MELCHIOR.

Vous réclamez ma main ?… bons alguazils, entraînez-moi sur la paille humide des cachots !

LA REINE.

Attendez… Griselda a raison… l’honneur de ma suivante ne doit pas même être soupçonné. Nous vous pardonnons à une condition : vous donnerez votre main à cette jeune fille… je le veux… je me charge de sa dot

MELCHIOR.

Votre Majesté ordonne, j’obéis ! Vive la Reine.

TOUT LE MONDE.

Vive la Reine. (Musique.)

LA REINE.

Au bal, Messieurs.

MELCHIOR.

Infortuné don Melchior ! après avoir fait une déclaration à la reine d’Espagne, renvoyé son anneau à dona Béatrix d’Astorga, j’épouse une simple fille d’atours… Quel sort mélancolique… Ah ! bah ! elle aurait pu être laide. (Il veut l’embrasser.)

GRISELDA, le repoussant.

Avant le mariage, regardez mais ne touchez pas.



FIN.



Poissy, — Imp. G. OLIVIER.



PUBLIÉ EN 40 LIVRAISONS À 30 CENTIMES.