Relation d'un voyage à la côte du nord-ouest de l'Amérique septentrionale/avant-propos

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AVANT-PROPOS.

Depuis l’Indépendance des États-Unis d’Amérique, les commerçants de cette nation industrieuse et entreprenante, ont fait sur la côte du nord-ouest de ce continent, un trafic extrêmement avantageux. Ils ont fait dans le cours de leurs voyages un grand nombre de découvertes dont ils n’ont pas jugé à propos de faire part au public ; sans doute dans la crainte de se donner des concurrents, et de voir diminuer leurs profits. En 1792, le Capitaine Gray, commandant le navire Columbia, de Boston, découvrit l’entrée d’une grande baie, par les 46 dég. 19 min. de latitude Septentrionale. Il y entra ; et ayant reconnu que c’était une grande rivière, par l’eau douce qu’il trouva à peu de distance de son embouchure, il la remonta l’espace de dix-huit milles, et jetta l’ancre sur sa rive gauche, à l’entrée d’une baie assez profonde. Il dressa là une carte de ce qu’il avait vu de cette rivière, et du pays circonvoisin ; et après avoir fait son commerce d’échange avec les naturels, (l’objet pour lequel il était allé dans ces parages,) il regagna la mer, et rencontra bientôt le Captaine Vancouver, qui naviguait alors par ordre du gouvernement Britannique, pour tenter de nouvelles découvertes. Mr. Gray lui fit part de celle qu’il venait de faire, et lui communiqua même la carte qu’il en avait dressée. Vancouver envoya son premier lieutenant, Broughton, qui remonta la rivière l’espace d’environ cent vingt milles, en prit possession au nom de sa Majesté Britannique, lui donna le nom de Rivière Columbia, et à cette baie où le capitaine Américain s’était arrêté, celui de Grays’ Bay, ou Baie de Gray. Depuis cette époque, le pays a été fort fréquenté, surtout par les Américains.

Le Chevalier M‘Kenzie, dans son second voyage, tenta de se rendre à la mer de l’Ouest par la Rivière Columbia : il s’y croyait effectivement parvenu, lorsqu’il déboucha à six dégrés plus au nord, dans le fond d’une baie nommée Puget’s Sound, ou Baie de Puget.

En 1805, le gouvernement Américain y envoya les Capitaines Lewis et Clarke, lesquels, avec une trentaine de soldats du Kentucky, remontèrent le Missouri, traversèrent les montagnes à la source de ce fleuve, et se rendirent par la Riviere Columbia sur les bords de l’Océan Pacifique, où ils furent obligés d’hiverner. Le rapport qu’ils firent de leur voyage intéressa vivement.

Mr. John Jacob Astor, négociant de New-York, qui faisait presque seul la traite des pelleteries au sud des grands lacs Huron et Supérieur, et qui avait acqujs par ce commerce une fortune prodigieuse, crut pouvoir augmenter encore cette fortune, en formant sur les bords de la Rivière Columbia un établissement dont l’entrepôt serait à son embouchure. Il communiqua ses vues aux agens de la Compagnie du Nord-Ouest : il voulut même former cet établissement de concert avec eux ; mais après quelques négociations, les propriétaires hivernants ayant rejetté ses propositions, Mr. Astor se détermina à faire seul la tentative. Il lui fallait pour réussir des gens habitués de longue-main au commerce avec les Sauvages, et il ne tarda pas à en trouver. Mr. Alexander M‘Kay, (le même qui avait accompagné le Chevalier M’Kenzie dans ses voyages,) homme hardi et entreprenant, se joignit à lui ; et bientôt après, MM. Duncan M'Dougall, Donald M‘Kenzie, (ci-devant au service de la Compagnie du Nord-Ouest,) David Stuart, et Robert Stuart, tous du Canada, en firent de même. Enfin, dans l’hiver de 1810, un Mr. Wilson Price Hunt, de St. Louis, sur le Mississippi, s’étant aussi joint à eux, ils déterminèrent que l’expédition aurait lieu le printems suivant.

Ce fut dans le cours de cet hiver qu’un de mes amis m’instruisit en confidence du dessein de ces messieurs, avec défense de le communiquer à qui que ce fût. L’envie de voir du pays, jointe au désir de faire fortune, me détermina à solliciter de l’emploi auprès de la nouvelle association : le 20 Mai je me présentai chez Mr. A. M’Kay, avec qui je m’arrangeai d’abord ; et le 24 du même mois, je signai un engagement pour cinq années.

Lorsque les associés eurent engagé un assez bon nombre de Canadiens voyageurs, ils équipèrent un canot d’écorce sous la conduite de Mrs. Hunt et M‘Kenzie, avec un Mr. Perrault, commis, et quatorze hommes. MM. Hunt et M'Kenzie devaient se rendre à Michilimakinac, par la Grande-Riviere ; engager à ce poste autant d’hommes qu’ils pourraient ; se rendre ensuite à St. Louis, pour de là remonter le Missouri jusqu’à sa source ; et, suivant la route des Capitaines Lewis et Clarke, se rendre à l’embouchure de la Rivière Columbia. J’aurai occasion de parler dans le cours de l’ouvrage du succès de cette expédition.