Relative à la mort de Malherbe/05
ADDITION IV
RELATIVE À LA MORT DE MALHERBE
(anecdotes 33 et 34)
ADDITION IV. — Elle se place tout à la fin de la copie des Mémoires, sur la seconde moitié qui restait en blanc de la p. 236, après les mots « maintenir la pureté de la langue françoise » (Mémoires, p. lxxxviii).
Le dernier Legs.
Anecdote 33. (P. 236.) On dit qu’à sa mort, il vouloit que son valet donnast ses vieux souliers à un carme déchaussé.
4e boutade religieuse qui témoigne, comme celle de l’an. 16, d’un certain dédain pour les Ordres religieux.
Ce qui aggrave un peu celle-ci, c’est que Malherbe l’aurait dite sur son lit de mort, en même temps qu’il reprenait sa garde-malade d’un mot « qui n’estoit pas bien françois à son gré ». Dans ce dernier trait nous ne pouvons pas voir avec Sainte-Beuve (p. 421) le point d’honneur suprême du grammairien ; nous apercevons encore moins, avec M. Souriau (p. 102), l'héroïsme d’un apôtre qui meurt martyr de ses idées ; nous voyons seulement que Malherbe fut constant avec lui-même jusqu’au bout, qu’il conserva jusqu’au dernier souffle la brusquerie et la liberté de son humeur, et que les approches de la mort, au contraire de ce qui arrive communément, ne le rendirent pas plus religieux : on sait que l’on eut de la peine à lui faire recevoir les derniers sacrements (Mémoires, p. lxxxviii).
Cette boutade suprême sur les Carmes ne serait-elle point une de celles auxquelles faisait allusion Balzac dans sa lettre à Conrart du 23 janvier 1651 sur la mort de Malherbe (citée par Lalanne, p. xlii, n. 2) : « … Ce que je sais de plus particulier que les autres ne se peut écrire de bonne grâce, et il va certaines vérités qui ne sont bonnes qu’à supprimer. »
Cette anecdote a pu venir à Conrart soit par Balzac qui aurait consenti à la lui confier oralement, soit par Racan, qui
Malherbe
son maître : nous avons même relevé dans l’introduction (p. 18 V)la ressemblance, pour le tour, de cette historiette avec celle qui la précède et qui fait partie des Mémoires de Racan.
En somme, la mort de Malherbe confirme sa vie en tout point et particulièrement pour la religion, et notre conviction reste que Malherbe fut sincèrement, mais froidement catholique, et qu’il observa sa religion sans avoir l’âme religieuse.
V. Revue bleue, p. 733, col. 1.
La Pauvreté de Malherbe.
Anecdote 34. (P. 236.) Le lendemain de sa mort, M. de Malleville écrivant à feu Madame Desloges, et luy en donnant avis, luy manda que s’il ne fust mort de maladie, il fust mort de faim ; par ce qu’on ne luy trouva autre argent que deux quarts d’escus. C’est ce qui porta M. de Gombaud à luy faire cet [sic] Epitaphe
Il a vescu long-temps sans beaucoup de support ;
En quel siècle, Passant, je n’en dis autre chose.
Conrart tenait sans doute le commencement de cette anecdote de Mmedes Loges.
Il est probable que Malherbe ne fût pas mort de faim. IL y a de la rhétorique dans le mot de Malleville.
Néanmoins il ne fut jamais riche, malgré la modération de son train et en dépit de sa versatilité politique : chose surprenante, il n’était pas « ménager », c’est du moins lui qui le dit. Voir l’étude très complète de M. Lalanne, p. xxviii-xxxii, sur sa position de fortune. Nous avions d’abord {Revue bleue, p. 733, col. 2) compris comme cet éditeur, le vers de Malherbe : Et voilà le bien qui m’abonde (Œuvres, t. I, 286). Mais ce bien désigne plutôt, à cause des deux points qui précèdent, non la fortune, mais l’estime des gens vertueux, dont il est question auparavant.
Pour montrer la gêne de Malherbe, M. Ed. Fournier (Revue des provinces, p. 527, n. 1) cite la lettre à Racan du 10 sept. 1625, et quelques vers d’une satire de Boissière parue en 1654 dans le Nouveau Recueil des nouvelles poésies, p. 87-89 (et reproduite par M. Ed. Tricotel dans les Variétés bibliographiques, in-12, 1863, p. 280) :
Après la longue, après la bresve…
Fait voir en son maigre ordinaire
Que les règles de la Grammaire
Et l’art de faire des chansons
Ne donnent à leurs nourrissons,
Après des veilles éternelles