René Leys/21

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G. Crès (p. 173-174).

20 septembre 1911. — Et pourtant, aucun doute : il aime et il est aimé. Ce n’est plus seulement ses majuscules qui se redressent et prennent tournure virile. Mais son air d’enfant aventureux s’est changé en un contentement rassis, très satisfait de soi-même… un peu replié aux lendemains de grande audience… Il semble que quelque chose se soit décidément développé, transformé, révélé…

Serait-ce… Et tout d’un coup ce scrupule me prend : l’Impératrice aurait-elle été pour lui non seulement une amante après quelque autre, mais… qui sait… la Révélatrice ? L’Initiatrice ? Bien des choses me le feraient supposer. Il est vraiment délicat de le presser là-dessus. Délicate lorsqu’il s’agit d’une fille, malgré les preuves, la question devient presque impossible à poser quand il s’agit du sexe auquel je dois le mien… Il est vrai que la Poésie bien entendue permet toute licence. Et ce que l’on ne doit exprimer en paroles vulgaires demeure toujours possible à renier… Lui-même, en me faisant sous forme de lettre poétique l’aveu de la « Première Nuit », m’invite à prolonger la correspondance sur un mode équivalent.

Donc je compose et recopie avec grand soin sur papier filigrané de fleurs pâles, transparentes et indiscrètes, le poème suivant :

« Le jour nocturne où la Phénix-femelle reçut dans son nid le fils de l’Aigle Étranger,

« Qui des deux a tressailli d’amour ou d’ignorance ? La Phénix ayant par devers elle une déjà longue existence, sait tout, — et bien des choses encore.

« Mais le fils de l’Aigle veuf vient à peine d’ouvrir ses ailes : il bat à coups précipités ; il succombe.

« Lequel des deux ouvrira pour l’autre le sein bienheureux ? Si ce n’est, elle-même, la Phénix éternelle, maternelle,

« Qui l’accueille, qui le garde, qui le reçoit comme un hôte dont on précède, dont on provoque tous les pas ! »

J’aurais beaucoup aimé écrire d’un seul jet de pinceau ancien, en style coulé dans le bronze des vieux caractères « Tchouan », ce petit poème que j’ose affirmer « de circonstance ». Je dois me contenter de le retraduire en français, d’un chinois qui ne fut pas. — Je m’abstiens de le commenter, — il me paraît assez clair, — et l’expédie par la poste à l’adresse de M. René Leys, Professeur à l’École des Nobles.

S’il comprend, il me répondra. Ceci n’est pas très insultant : j’ai mué, par licence permise, le fils d’un épicier en aiglon !