Restons chez nous !/Chapitre XXIII

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J. Alf. Guay (Damase Potvinp. 175-176).

XXIII



PAUL pleura sur la vie où il en est des âmes comme des fleurs.

Dans les luxueux parterres de nos demeures, il y a des fleurs, très jolies, qui poussent aidées des soins d’habiles jardiniers. Leurs corolles embaument sans cesse, le jour, sous de chauds rayons, et la nuit, sous la rosée du ciel ; l’air est pur alentour et elles grandissent, toujours belles et parfumées. Mais, en quelque champ isolé, au milieu des ronces et des pierres, il en est d’autres qui essayent de s’épanouir, seules, privées de tout soin, sans qu’aucune main ne vienne, de temps en temps, redresser leur tige fragile ; un jour, privées du rayon dont elles auraient besoin pour réchauffer leur corolle engourdie, un autre jour, ne pouvant avoir la goutte de rosée dont elles ont soif, elles finissent par pencher leur tête en un geste de découragement, et elles ferment pour toujours leur calice rempli des pleurs du regret de ne pouvoir exhaler, comme leurs sœurs des parterres, le parfum qu’elles renferment…

Triste image de quelques âmes.

Mais pour ces dernières il reste, du moins, une sorte de consolation, à l’heure de l’affaissement… Comme rien ne demeure, comme tout passe, heures exquises et fleurs, elles ont fui bien vite les bonnes années et ils ont été courts les jours heureux dont on se souvient, à certains moments. Elles ne reviendront plus, il est vrai, ces heures de si douce quiétude que le temps a emportées ; mais après tout, comme au soir agonisant d’une belle journée, le crépuscule laisse, sur le pâle horizon, un reflet chatoyant, ce qui reste de la beauté du jour disparu ; ainsi, aux termes des belles années qu’il nous a été donné de vivre, il reste aussi un crépuscule où se dessine le reflet consolant du souvenir ; du souvenir qui, au moins, étouffe, pour un instant, les regrets, et fait s’effacer les couleurs grisées des teintes mystérieuses d’un rêve trop tôt brisé.