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POÉSIES.



RETOUR AUX MUSES.




J’ai quitté les écueils de cette île enchantée
Où l’amour si long-temps me retint sous sa loi ;
Heureux ou malheureux de l’avoir désertée,
N’importe ! — je suis libre, et mes jours sont à moi.


Viens, mon luth ! sous mes doigts viens résonner encore !
Assez, dans mes ennuis, j’oubliai tes accens ;
Assez tu reposas sur la plage sonore
Dont naguères l’écho répondait à nos chants.

Tant que l’amour remplit toute ma destinée,
Tu dormis, solitaire, en butte à l’aquilon ;
Et l’air, qui caressait ta corde abandonnée,
Par pitié daignait seul en réveiller le son.

Eh ! quoi ! me restait-il un regard pour la Muse,
Quand mon âme, jouet d’un orage éternel,
Était comme une mer agitée et confuse,
Où les vents ont troublé toute image du ciel ?

Dans ce flux et reflux d’espérance et de crainte,
De regrets et de vœux, de calme et de fureur,
Quel être peut encor garder la douce empreinte
De ces goûts qu’autrefois avait chéris son cœur ?


Quoi chanter, quand l’amour, quand la douleur déchire !
Chanter, la mort dans l’âme, et les pleurs dans les yeux !
Paisible spectateur de son propre délire,
Mesurer froidement des mots harmonieux !

Non, ne vous vantez pas que l’amour vous enflamme,
S’il vous permet encor d’autres vœux, d’autres soins,
S’il vous laisse du temps pour épier votre âme,
Pour songer à la gloire et chercher des témoins.

Le ramier, qu’a blessé la flèche déchirante,
Ne fait pas de sa voix retentir les échos ;
Il se tait, et, caché sous son aile saignante,
Abandonne les chants au reste des oiseaux.

J’aimais ! — Dans ce foyer d’une ardeur solitaire,
Plaisirs, penchants, devoirs venaient s’anéantir !
J’aimais ! — Ce mot lui seul était ma vie entière ;
Que m’importaient les noms de gloire ou d’avenir ?


Mais tout fuit, mais tout cède au temps qui nous entraîne ;
Et l’homme, qui pensait toujours verser des pleurs,
Découvre avec surprise, et s’avoue avec peine
Qu’il n’est point ici-bas d’éternelles douleurs.

Il avait cru son âme atteinte pour la vie,
Et, fier, il trouvait même au fond de ses chagrins
Un triomphe, à sentir avec plus d’énergie,
A souffrir plus longtemps que les autres humains.

Hélas ! il a subi la loi de la nature ;
Elle temps, par degrés, le tirant d’un long deuil,
Est venu lui ravir ce reste de pâture
Dont la douceur amère enivrait son orgueil.

Égaré dans le vide où notre âme retombe,
Quand de ses passions le feu s’est épuisé,
J’ai besoin de graver quelques mots sur leur tombe,
De peupler le désert où l’amour m’a laissé.


J’ai besoin de tromper l’ennui qui me dévore,
De redonner la vie à mes rêves perdus,
De venir contempler, fouler, sonder encore
Les cendres du volcan dont la flamme n’est plus.

Renaissez, renaissez, fugitives images,
Fantômes du passé, douloureux souvenirs,
Voluptés ou tournions, jours d’azur, jours d’orages,
Espoir, dégoûts, soupçons, doutes, regrets, désirs !

Venez, venez voler à l’entour de ma lyre !
Venez planer sur moi, loin du bruit et du jour !
La Muse à ses genoux me rappelle et m’attire,
Essayons de la gloire au défaut de l’amour !