Reveille-matin des François/Premier dialogue

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Le Reveille-matin des François, et de leurs voisins
(p. 47-205).

D I A L O G V E
Interlocuteurs.
Alithie. Philalithie. L’hiſtoriographe. Le Politique.
L’Egliſe. Daniel.
Alithie.



VOicy venir à moy le petit pas, tout las & fort haraſsé, ſelon qu’il me ſenble, mon ancien amy Philalithie. C’eſ‍t-il voirement : He Dieu, qu’il eſ‍t maigre, deſchiré, desbiffé, & mal en poinc‍t ; Si faut-il que ie l'embraſſe, quelque mal veſtu qu’il ſoit. Que tu ſois le tresbien venu l’amy : Qui ſont ces deux gens de bien qui vienent quand & toy ?
Phi. Vous ſoyez la tresbien trouuee, madame ma grande amie. Quant à ceux cy deſquels vous demandez, l’vn eſ‍t l’Hiſ‍toriographe : l’autre, le Politique François.
Ali. Ie ſuis plus aiſe de te voir accompagné de l’vn que de l’autre, ſachant combien l’vn eſ‍t neceſſaire & profitable pour aider à la memoire, & ſeruir à la poſterité : & l’autre, le plus ſouuent pernicieux & dommageable, principalement s’il eſ‍t nourry à la cour d’aucuns Rois & Princes que tu cognois bien : toutefois, ſi tu as touſiours bonne ſouuenance de ce que ie t’ay enſeigné, ie m’aſ‍ſeureray que telles gens que les Politiques d’auiourd’huy, ne te deſ‍tourneront facilement de l’amitié que tu me portes.
Phi. I’aimeroy’ mieux eſ‍tre mort, que de m’eſloitant ſoit peu de mon deuoir enuers vous, ou de flechir aucunement de ce que m’auez enſeigné. Quant au Politique que vous voyez, cõbien qu’il ait eſ‍té nourry quelque temps en la cour du Roy Charles IX. ſi eſ‍t-il ſi modeſ‍te & bien auisé, que tant s’en faut qu’il ſe ſoit eſ‍ſayé à me diuertir de mon ſainc‍t propos, qu’au contraire touſiours il m’y a aidé & fauoriſé au poſsible : iuſques là, que me voyant partir de France, il s’eſ‍t ioinc‍t à moy, auec ce bon Hiſ‍toriographe : Me priãs tous deux (quoy qu’ils ne cognoiſ‍ſent pour toutes veritez, que celle de l’eſ‍tat) de leur permettre de courre pareille fortune que moy (Ce furent les mots dõt ils m’vſerent à mon depart) quelque choſe qui me deuſt auenir : depuis en çà, nous auons touſiours eſ‍té compagnons de voyage, de table, & de lic‍t, avec toute la meilleure paix & creance que lon ſcauroit deſirer.
Ali. le ſuis bien aiſe d’entendre ce que tu en dis, & de ce que Dieu t’a pourueu en eux d’vne ſi honeſ‍te compagnie, & penſe que ce n’eſ‍t pas ſans myſ‍tere qu’ils ſont venus auec toy. Mais qui t’euſ‍t iamais pensé icy ?
Phi. Mais vous vraiement : il y a bien plus dequoy s’eſmerueiller à vous y voir habiter, & y tenir maiſon (cõme ie m’apperçoy que vous l’y avez dreſſee) qu’il n’y a de m’y voir venir.
Ali. Quant à moy, eſ‍tant pluſ‍toſ‍t Coſmouague qu’arreſ‍tee en certain lieu, ce n’eſ‍t pas de merueilles ſi paſ‍ſant par ce pays, & m’y voyant la bien receue, i’y ay planté mon bourdon & enſeigne, & dreſsé ma famille, tout ainſi cõme ie fay en tout autre lieu où lon me reçoit : Mais toy, duquel la patrie eſ‍t ſi fertile, ſi heureuſe, & plaine d’vn ſi grand nombre de nos amis, ie m’esbahy comme tu as iamais eu le cœur d’en ſortir, pour venir peregriner en region tant eſloignee de la tienne.
Phi. Quand tu ſçauras ce qui m’y a cõduit, tu t’eſmerueilleras beaucoup plus de ceux qui m’õt donné occaſion d’en ſortir, que de moy qui l’ay ſceu prendre. Quant à ma retraic‍te en ce pays, le peu de ſeureté que ie voy aux autres plus voiſins, pour la fetardiſe de ceux qui y commandent, m’a cõtraint (par l’aduis meſme du Politique) de venir icy de bõne heure cercher ſiege, & repos aſ‍ſeuré.
Ali. Que tu y ſois derechef le bien venu. Quand tout eſ‍t dit, la demeure en ces terres-cy par la grace de Dieu eſ‍t beaucoup plus aſ‍ſeuree & plus libre pour nos amis, qu’elle eſ‍t en beaucoup d’ẽdroits où ceux qui ſe diſent Chreſ‍tiẽs ont la puiſſance & le gouuernement. Mais ie te prie, dy moy la raiſon, pourquoy tu es ſorti de ta patrie, & qui t’a ainſi deſualizé et deſapointé de la ſorte ?
Phi. Ie ſuis content de te le dire, & te prie de croire, Quoy que ce meſchef me ſoit aduenu pour l’amour de toy : de ce que fauoriſant ton parti, ie t’ay touſiours confeſ‍ſee & maintenue, enuers tous & contre tous : Ie ne t’en demanderay aucun grand-mercy : encores moins t’en ſcauray-ie mauuais gré, ny ne quitteray pourtãt l’obligation que i’ay à te defendre & maintenir, à la vie & à la mort : Mais s’il te ſemble mieux que l’Hiſ‍toriographe que voila, recite le faic‍t pluſ‍toſ‍t que moy, qui pourroy’ ſẽbler ſuſpec‍t à ces meſsieurs qui nous eſcoutent : luy, qui a la memoire bonne, & l’integrité requiſe à ſon eſ‍tat, te pourra informer ſommairement, & ces auditeurs enſemble, du faic‍t ainſi qu’il eſ‍t paſ‍ſé.
Ali. Ie me reſiouy grandement de te voir ainſi conſtamment perſeuerer (quoy qu’il t’aduiene) en mon amitié : de ma part, ne doute point que ie ne te rende la pareille, & à la fin des douceurs (ſi tu pourſuy) nompareilles. Quãt à ces aigreurs paſſageres que mes amis ſouffrent le plus ſouuent, tu ſcais que la faute (que le mõde qui me hait fait contre moy & les miens) ne me peut eſ‍tre imputée, auſsi peu qu’au bon vin, le blaſme que l’homme par ſon intemperãce s’acquiert. Mais pour ce que ceſ‍te matiere requiert plus long diſcours, & que ie ſcay que tu es bien reſolu de ce qu’il en faut croire, attendant que nous en puiſsiõs parler plus amplement au benefice commun des ignorans : il vaut mieux que l’Hiſ‍toriographe nous die maintenant tout haut, afin que ceux cy l’entendent, ce qu’il a recueilly & appris de tes miſeres & diſgraces. Nous veux-tu pas faire ce plaiſir, mon compagnon ?
Hiſ‍t. Ie ſuis ſi grand amy de la verité, Madame, que combien que ie ne vous cognoiſ‍ſe point, & qu’au récit de telle tragœdie, voire au ſeul ſouuenir ie ſente tous mes ſens fremir, & iuſqu’au poil s’heriſ‍ſonner : ſi ſuis-ie content de dire ſinceremẽt ce que i’en ſcay, à la charge que mon compagnon le Politique m’y aidera, adiouſ‍tant ce que ie pourroy’ oublier par meſgarde, & retrenchant ce qu’il cuidera de trop dic‍t.
Ali. C’eſ‍t bien auiſe. Que t’en ſemble ſeigneur Politique ?
Pol. I’en ſuis contẽt : & d’autrepart marry, d’ouyr refreſchir la memoire de ce que, pour l’honneur de ma patrie, de mon Roy, & des ſiens, ie deſireroy’ eſ‍tre enſeuely au plus profond du puys de l’oubliance.
Ali. Commence donc ie te prie, Hiſ‍toriographe mon amy, ſans y adiouſ‍ter du tien, ny te mõſ‍trer paſsionné pour l’vn ou l’autre party : dy-nous ſimplement le faic‍t.
Hiſ‍t. Ie ne le puis pour maintenant dire qu’en gros, n’ayãt pres de moy mes memoires : mais i’eſpere biẽ en Dieu, qu’vn iour ie lairray le tout par le menu, & comme il s’eſ‍t paſ‍ſé, ſans en rien diſsimuler, eſcrit à la poſ‍terité.
Pour ceſ‍te heure, Oyez.

La lumière de l’Euãgile (car ainſi l’appelloit-on) commençant par la voix & les eſcrits de Luther, Bucer, Zuingle, Ecolampade, Melanc‍thon, & autres doc‍tes perſonnages, comme de nouueau à ſe manifeſ‍ter : Le Pape (tout ainſi qu’en Alemagne par ſes menees, & par les armees & moyens de Charles le quint, auſsi en France par le moyen de Frãçois premier) s’y oppoſa fort & ferme pour en empeſcher le cours, auec bourrees & fagots, iuſques à faire bruſler par ſentences & arreſ‍ts, les liures du vieil & nouueau Teſ‍tament, d’où lon tiroit ceſ‍te doc‍trine, s’ils eſ‍toyent tournez en François ou autre langage vulgaire, & auec les liures, ceux qui les maintenoyent, qu’on nomma pour lors Lutheriens. Ceux de Merindol en Prouence peuple inſtruit de longue main par ſes predeceſſeurs en la doc‍trine de l’euangile furent par arreſ‍t du parlement de Prouence en l’an 1540. condemnez comme Lutheriens à eſ‍tre bruſlez. Et pour ce que la ville de Merindol cõme lon diſoit eſ‍toit la retraite & ſpelonque des gens tenans ſec‍tes damnees fut ordonné par le meſme arreſ‍t que les maiſon y ſeroyent raſees & demolies, & le lieu rendu inhabitable.
Quatre ou cinq années apres ceux de Merindol, ceux des Cabrieres & le peuple de vingt & deux villages dalentour, pour la meſme doc‍trine furent pourſuyuis à feu & à ſang par le ſeigneur d’Opede premier preſident, & lieutenant pour le Roy en Prouence aſsiſ‍té du Capitaine Poulain qu’on appelle le Baron de la garde, & d’autres Capitaines & ſoldats en grand nombre iuſques la qu’il fut tué & meurtry des poures gens de Cabrieres hommes, femmes & enfans enuiron le nombre de huit cens, contre la foy que le ſeigneur d’Opede leur auoit promis & iuree. Pluſieurs autres grans meurtres & pilleries furẽt exercees ſur ces bõnes gens deſquelles ie me tay pour ce que l’hiſ‍toire qui en à eſ‍té eſcrite en fait aſ‍ſez ample mention. François premier decedé la meſme pourſuyte fut faite ſous Henry ſecond, qui luy ſucceda à la couronne : durant le regne duquel, non ſeulement les liures & les corps des Lutheriens furent bruſlez, ains auſsi leurs legitimes heritiers priuez de leurs biens, qui pour ce regard eſ‍toyent confiſquez & donnez à la ducheſſe de Valentinois, au Mareſchal ſainc‍t André, ou à d’autres ſemblables courtizans, en recompenſe de leurs bons, honeſtes & loyaux ſeruices Il fut deſcouuert de ſon Regne vne aſ‍ſemblee de trois cens personnes en la rue Sainc‍t Iacques dans Paris, qui aſsiſ‍toyent à vn preche qu’on faiſoie la nuic‍t en vne maiſon priuee, où auſsi la Cene fut lors celebree entre eux : les preſ‍tres & le peuple Pariſien les ſurprirent, les outragerent de parole & de fait, pluſieurs de l’aſ‍ſemblee furent faic‍ts priſonniers & pourſuyuis par les officiers de la iuſ‍tice. Nonobſ‍tant cela le nombre de ces gens alloit touſiours en augmentant, ils firent courre par Paris & ailleurs certaine Apologie pour eux purger des crimes quon leur mettoit à ſus affermans qu’ils ne maintenoyent que la vraye religion pour laquelle pluſ‍toſ‍t que de l’abandonner ils eſ‍toyent contens d’endurer feux & tout autre genre de ſupplice. Le ſeigneur Dandelot neueu du Conneſ‍table & Colonel de l’infanterie Françoiſe fut accuſé au Roy Henry d’eſ‍tre du nombre des Lutheriens. Et en fin fut fait priſonnier pour auoir dit librement ce qu’il ſentoit de la Meſ‍ſe en la preſence du Roy & fut priué de ſa charge de Colonnel, à laquelle toutefois il fut puis apres remis par lentremiſe du cõneſ‍table qui le recõcilia au Roy lequel à la fin apres la paix faite auec le Roy Philippe, reſolu de ruiner Geneue, en haine de la doc‍trine Lutheriẽne, & pour icelle meſme, de voir bruſler A.du Bourg l’vn de ſes conſeilliers au parlement de Paris : au milieu des mariages, feſtins, délices, ieux & tournois, eſ‍tant bleſ‍ſé en l’oeil d’vn coup de lance, que le ſeigneur de Mõgomery luy donna, en iouſ‍tãt contre luy par ſon commãdement, par grand deſaſ‍tre mourut.
Apres Henry, le meſme feu cõtinua ſouz François ſecond, qui luy ſucceda au Royaume, duquel tout le gouuernement tomba auſsi toſ‍t entre les mains de meſsieurs de Lorraine, tant à cauſe de leur niece royne d’Eſcoſ‍ſe, qui eſ‍toit mariée à François, que pour leur habileté & ſouppleſ‍ſe.
Les Princes du ſang, voyãs l’eſ‍tat du royaume és mains du Cardinal de Lorraine, du Duc de Guyſe, de ſes autres freres Lorrains, de leurs partiſans & amis, n’apperceuans en François autre choſe de reſ‍te que le nom de Roy ſeulement, ſe reſolurent de luy faire entendre l’eſ‍tat de ſes affaires, de le ſupplier treshumblement de conuoquer au pluſ‍toſ‍t les eſ‍tats de ſon Royaume, de le manier & conduire auec l’aduis des princes de ſon ſang ou bien de les charger du maniement, & s’en repoſer ſur eux, ſuyuant les ancienes loix de Frãce, iuſqu’à ce que l’aage luy euſ‍t apporté plus grande cognoiſ‍ſance d’affaires. Quant à eux, ils ne pouuoyent plus longuement ſouffrir, de voir le Royaume conduit à l’appetit d’vn Cardinal, (duquel la vocation eſ‍toit de preſcher) & de ſes frères leſquels deuoyent en toutes ſortes ceder aux Princes du ſang, & pluſ‍toſ‍t rendre conte de leur adminiſ‍tration, que paſ‍ſer outre à la conduite de l’eſ‍tat : n’eſ‍tans exempts de ſoupçon de ſe vouloir emparer du Royaume : Ce que les Princes craignoyent d’autant plus, que ceux de Lorraine ſe diſoyent deſcendus de Charlemagne, fils de Pepin roy de France, ſur la lignee duquel, apres la mort de Loys le Quint 34. Roy de Frãce, en l’an 988. ſelon que leurs hiſ‍toriens le recitent, Hugues Capet vſurpa le Royaume, lequel depuis eſ‍t tombé és mains de ſes ſucceſ‍ſeurs de Valois, auſquels les Lorrains l’arracheroyent facilement, ſi la vertu des naturels vaſ‍ſaux & loyaux ſuiets, n’y mettoit empeſchement. Quant à la religion, ils deſiroyent que le Roy ſe laiſ‍ſaſ‍t flechir, à faire ceſ‍ſer les feux qui eſ‍toyent allumez par tout le Royaume encontre les Lutheriens, à cauſe de leur foy & doc‍trine, laquelle les Lutheriens diſoyent eſ‍tre contens, que le Roy fiſ‍t examiner aux gens doc‍tes par la ſainc‍te Eſcriture, ſeul & vray iuge de ce faic‍t.
Ces poinc‍ts redigez par eſcrit en forme de ſupplication & remonſ‍trance, Loys de Bourbon prince de Condé, s’eſ‍toit chargé de les preſenter au Roy, qui pour lors eſ‍toit à Amboiſe : Quand ceux de Lorraine, doutans qu’vne telle requeſ‍te ne fuſ‍t cauſe de quelque ſiniſ‍tre changement à leur deſauantage, par le moyen des gentilshommes de leur ſuite, & des archers de la garde, firent empoigner aucuns des gentilshommes qui eſ‍toyent venus pour accompagner le prince de Condé : les firent executer à mort, & eſcarterent les autres : de ſorte, que ce deſ‍ſin des Princes & ſeigneurs Frãçois fut de tout poinc‍t interuerty, & vn bruit ſemé (pour rendre le faic‍t odieux) que ce n’eſ‍toie pas contre ceux de Lorraine, ains contre le Roy : non pour le ſupplier pour la religion, ou pour le bien de l’eſ‍tat, ains pour l’occuper & enuahir, que celle entrepriſe eſ‍toit faite. Le nom de Huguenot fut auſsi dés lors mis à ſus, pour vn ſobriquet d’ignominie à ceux qu’auparavant on nommoit Lutheriens, & au lieu de faire ceſ‍ſer les feux contr’eux, ils en firent plus aſpre pourſuite que deuant, reduiſant meſsieurs de Lorraine en tout le ſurplus, l’eſ‍tat des affaires du Royaume à leur plaiſir & volonte, iuſques là, qu’ayans fait remuer la Cour d’Amboyſe à Orléans, & là aſsigné les Eſ‍tats, ils y firent auſsi venir le prince de Condé, Prince du ſang, qu’ils firent empriſonner dés l’heure qu’il y fut arriué, pour luy faire rẽdre compte de ce qui s’eſ‍toit paſ‍ſé à Amboyſe : en danger d’y laiſ‍ſer la vie, ſi le roy François toſ‍t apres par vn mal d’oreille qui luy ſuruint, ne ſe fuſ‍t haſté de quitter le premier la ſienne.
Le pol. le me ſouuien fort bien de ce temps-là & de ce que tu viens de dire. Mais quãt à la conuocatiõ des Eſ‍tats faite de la part de meſsieurs de Lorraine, ſous le nom du Roy François, ce n’eſ‍toit qu’vn maſque & couuerture qu’ils prenoyẽt : pour monſ‍trer qu’ils eſ‍toyent contens que les anciennes loix du Royaume fuſ‍ſent remiſes ſus, & entretenues en leur force & vigueur par l’aduis cõmun des Eſ‍tats (iadis cerueau, yeux, & oreilles de nos Rois les mieux aduiſez & la bride & chaſ‍tifol des meſchans & des mal ſaiges) afin d’arracher par ce moyen du poing à la Nobleſ‍ſe & au peuple, tout pretexte de murmurer contre le gouuernement Lorrain : Car quant au reſ‍te, ie ſcay bien qu’ils ne vouloyent rien quitter de leurs deſ‍ſeins, faiſans pour ceſ‍te cauſe elire aux conuocations particulieres qui ſe faiſoyent és prouinces du Royaume, des deputez aux eſ‍tats generaux, les plus affec‍tionnez de leurs partizans & amis : mais la mort du Roy inopinee, ne pouuant empeſcher leur deſir de voler, retrancha en beaucoup de ſortes les æſ‍les de leur eſperance. Peu de temps apres (comme vn deſaſ‍tre ne va gueres ſeul) il fut ioué vn terrible tour à monſieur le Cardinal, ſi d’aueuture ne l’auez ſceu : ie le vous diray en deux mots.
Le pape aduerti de l’iſ‍ſue du faic‍t d’Amboyſe, & du bon deuoir que le Cardinal de Lorraine auoit fait à maintenir le parti de ſainc‍te mere Egliſe Romaine, contre les Lutheriens deuenus Huguenots (qui ſembloyent ne ſe contenter que les feux allumez ceſ‍ſaſ‍ſent ſi quant & quant ils ne parloyent & diſputoyent publiquement de leur religion & doc‍trine) luy reſcriuit par vn courrier expres des letres gratulatoires, le merciant de la bonne volonté qu’il auoit monſ‍tré à maintenir le parti du ſainc‍t ſiege Romain, & le priant de continuer de bien en mieux en celle bonne affec‍tion : en recognoiſ‍ſance de laquelle, il luy enuoyoit en don par le porteur, vn tableau cõſacré par ſa ſainc‍teté, d’vne noſ‍tre dame de grace tenãt ſon fils entre ſes bras, que Michel Angel de ſa plus doc‍te main, auoit pourtraic‍t cõme vn chef-d’œuure : Aduint (comme Dieu voulut) que le courrier qui portoit les letres du Pape auec le preſẽt du tableau, eſ‍tãt tõbé malade par les chemins, rencõtra vn ieune marchant Luquoys catholique qui s’en alloit en cour, & ſe diſoit eſ‍tre au Cardinal de Lorraine (cõbien qu’à vray dire il fuſ‍t ſon ennemi mortel & deſeſperé, par ce qu’il ne pouuoit auoir ſeure aſsignation du Cardinal, qui manioit les finances de France, d’vne grande ſomme de deniers qu’il auoit fourny au roy Henry lors des guerres de monſieur de Guyſe en Toſcane) lequel il creut facilement, bien aiſe de ceſ‍te occaſiõ, puisque ſa maladie l’empeſchoit de paſ‍ſer outre : ayant dõc apprins le nom du Luquoys, & doutant que le retardement des letres de ſa ſainc‍teté ne luy fuſ‍t dommageable, il le pria de ſe charger des letres & du tableau, qu’il luy remit entre mains, pour les liurer, comme il promit, au Cardinal. Ce Luquoys ne fut pas ſi toſ‍t à Paris, que ayant rẽcontré vn peintre à ſa poſ‍te, & l’occaſion de faire vn ſcorne à monſieur le Cardinal, fit faire vn tableau de meſme grandeur, où le Cardinal de Lorraine, la Royne ſa niece, la Royne mere, & la ducheſ‍ſe de Guyſe eſ‍toyẽt peints au vif nuds, ayãs les bras au col, & les iambes entrelacees l’vn auec l’autre : puis le fit ſoigneuſement empaqueter dãs le tafetas & toile ciree de l’autre tableau, & trouua moyen de le faire conſigner, auec les lettres de ſa ſainc‍teté, en la chambre du Cardinal, lors qu’il eſ‍toit en conſeil, entre les mains d’vn de ſes ſecretaires : Quand mõſieur le Cardinal reuenu du conſeil, eut leu les letres de ſa ſainc‍teté, il reſerua de voir le tableau au lendemain diſner : auquel tout expres il conuia meſsieurs les Cardinaux de Bourbon, de Tournon, & de Guyſe, les ducs de Montpenſier, & de Guyſe, & quelques autres grãds ſeigneurs : ils ne furent pas au ſecond ſeruice, que monſieur le Cardinal ayant fait lire tout haut les letres de ſa ſainc‍teté, eſmeut tellement le deſir de la compagnie à voir noſ‍tre dame de grace, que quittant le repas du corps pour repaiſ‍tre leurs eſprits, ils firent apporter le tableau, lequel bien dextremẽt deſueloppé, eſ‍tant regardé par eux, & trouué tel que ie vous vien de dire, ie vous laiſ‍ſe à penſer ſi ces ſeigneurs en furent eſ‍tonnez, & monſieur le Cardinal faſché.

L’hiſt. Ie n’auoy’ point encore ouy faire ce conte : mais vrayement il eſ‍t admirable, & digne que ie le couche entre mes eſcrits, pour monſ‍trer d’vn coſ‍té la force de la verité, laquelle d’vne façon ou d’autre toſ‍t ou tard faut que ſe deſcouure, & la puiſ‍ſance du deſpit ſur vne perſonne outree.

Le pol. Quant au deſpit dont tu parles, ſi celuy du Luquoys le pouſ‍ſa à faire ce traic‍t que i’ay recité, aſ‍ſeure toy que le deſpit que monſieur le Cardinal en print, cuidant que ce fuſ‍ſent Huguenots qui luy euſ‍ſẽt ioué ce tour, leur a cauſé beaucoup de maux qui leur ſont depuis ſuruenus.

Phil. Ainſi bien ſouuent, l’innocent ſouffre la peine deue au coulpable : mais pour n’entrer plus auant en ce diſcours, ie te prie Hiſ‍toriographe, repren le fil de ton hiſ‍toire.

L’hiſt. Charles ix. François ſon frere decedé, ſucceda à la couronne en l’aage de dix ans : Et Catherine de Medicis ſa mere, & Anthoine de Bourbõ roy de Nauarre, premier Prince du ſang eſ‍tans en different touchant le gouuernement de la perſonne de Charles & de ſon eſ‍tat, & peu apres tombez d’accord à l’auantage de la mere : le prince de Condé fut declaré innocent, & abſous du faic‍t d’Amboiſe, tenu pour bon parent du Roy, & deliuré : Les feux auſsi & pourſuites contre les Huguenots furent faits ceſ‍ſer : les eſ‍tats de France aſ‍ſemblez : leur aduis entendu, & ſuyuant iceluy eu auſsi l’aduis des Preſidens & Coſeilliers des Parlemens de la France, auec les ſeigneurs du conſeil priué du Roy, fut fait vn Colloque à Poiſ‍ſy, deuant le Roy & ſes Princes, entre les plus doc‍tes des Catholiques & des Huguenots : leſquels ayãs fait confeſsion de leur foy, diſputé d’icelle en public, & maintenu leur doc‍trine par les Eſcritures, obtindrent pour concluſion vn edic‍t du Roy, par l’aduis du ſuſdic‍t Conſeil, au mois de Ianuier en l’an 1561. par lequel fut permiſe aux Huguenots liberté de conſcience, & exercice de leur religion hors des villes du Royaume. De là ſourdit vn grand nombre d’Egliſes (ainſi les nommoit-on) & d’aſ‍ſemblees de Huguenots par la France : on preſcha à la Cour, hors de Paris, & és autres villes, auec tel efficace, qu’à vray dire on voyoit ces gens-là s’amender en la vie, & s’accroiſtre en nombre à veue d’œil. Monſieur le Cardinal de Lorraine & meſsieurs ſes freres, ne pouuãs ſupporter vne telle liberté en ceux qu’ils reputoyent leurs ennemis, & craignans que ſi quelquefois telle doc‍trine venoit en auant, ils ne fuſ‍ſent cõtraints par la reformation de ces Huguenots. de quitter 300. mille eſcuz de reuenu, qu’ils auoyent des benefices en leur maiſon, & rendre compte de leurs charges & maniemens paſ‍ſez : pour fortifier leur parti de Lorraine, atirerent à eux Antoine de Bourbon, luy promettans de luy faire rendre par le Roy d’Eſpagne le royaume de Nauarre qu’il occupoit, ou la Sardaigne en change, erigee en Royaume : Ils s’adioignirent auſsi le Conneſtable, & le mareſchal ſainc‍t André, tant à cauſe de la recerche qu’ils craignoyẽt qu’on fiſ‍t vn iour ſur eux, des dons immenſes, receus du Roy, contre les loix du Royaume, que pour la crainte qu’ils auoyẽt d’eſ‍tre contrains de rendre les confiſcations des Lutheriẽs & Huguenots, ſi vne fois ils auoyent le credit & la faueur : Pluſieurs autres grands ſeigneurs auſsi ſe rengerent du coſ‍té de meſsieurs de Lorraine, en haine de ceſ‍te doc‍trine de l’Euangile. L’expugnation de laquelle eſ‍tant iuree par eux, le duc de Guyſe commença à faire preuue de leur deſ‍ſein ſur les Huguenots de Vaſ‍ſy, deſquels luy ou ſes gens tuerent vn bon nombre, ainſi qu’ils les trouuerent aſ‍ſemblez au preſche. Quand & quand le prince de Condé par le commandemẽt de la Royne mere (qui par letres & courriers luy reccomandoit la defenſe d’elle & du Roy ſon fils, ayant deſcouuert l’entrepriſe de meſsieurs de Lorraine, & de leurs confederez) prit les armes, & les fit prendre auec luy aux Huguenots de la Frãce, pour la conſeruation du Roy, de ſes Edic‍t, vaſ‍ſaux & fuiets.
Meſsieurs de Lorraine, ayans auparauant aſ‍ſemblé forces de pied & de cheual en grand nombre, & auec eux le Conneſ‍table, & le mareſchal ſainc‍t André, vindrent à la Cour armez : & la s’eſ‍tans emparez du Roy, eurent auſsi à la fin ſa mere fauorable à leur party.
Le po.
Il eſ‍t ainſi. Et voila d’où nous vindrẽt beaucoup de maux : car ſi la Royne mere n’euſ‍t jamais donné courage & mandemẽt au prince de Cõdé de s’armer, ou l’ayãt fait, s’elle n’euſ‍t point à la fin adheré à ceux de Lorraine, la guerre ne fuſ‍t point nee, ny ſortie ſi auant, ne ſi aſprement qu’elle fit depuis : mais ie ſuis certain que la Royne mere (qui auoit faic‍t tomber le gouuernement du Roy & du Royaume entre ſes mains) ſe doutant, ſi les Princes & les grans du Royaume eſ‍toyẽt vne fois bien d’accord, qu’elle en ſeroit deſarçonnee, vſa de ſe moyen de deſunion, preſ‍tant ſa conſcience & authorité aux deux partis, pour les tenir en diſcorde, les affoiblir par leurs mains propres, & ſe conſeruer par ceſ‍t artifice apres les coups ruez au gouuernement du Royaume.
L’hiſ‍t. Ie le croy : mais tant y a, que la guerre print vn tel traic‍t, les vns & les autres ayans tantoſ‍t du bon, tantoſ‍t du mauuais : que finalemẽt apres pluſieurs prinſes, & pertes de villes de tous les deux coſ‍tez, le prince de Cõdé fut fait priſonnier, en vne bataille qui luy fut liuree pres de Dreux : le Conneſ‍table de l’autre coſ‍té y fut auſsi prins par les Huguenots, le mareſchal ſainc‍t André tué, & peu apres le roy de Nauarre deuãt Rouen, & le duc de Guyſe deuant Orléans, dont s’enſuyuit la paix tant deſiree par les Huguenots, que la neceſsité de ſe defendre, comme i’ay dit, auoit armez : auſquels de nouueau par Edic‍t ſolennel, fait par le Roy, ſa mere, & ſon conſeil, ſur la pacification de ces troubles, au mois de Mars, 1562. fut accordee liberté de conſcience, & exercice de leur religion dans les villes où pour lors ils faiſoyent preſcher, & en beaucoup d’autres lieux du Royaume. Tout ce qu’ils auoyẽt fait en ces guerres fut déclaré auoir eſ‍té fait pour le ſeruice du Roy, lequel neantmoins par ſon Edic‍t leur commandoit de mettre les armes bas, & viure au ſurplus (leur conſcience ſauue) en paix comme auparauant, ſous les loix & police de ſon Royaume.
Le pol.
Tu as oublié de dire, que la Royne d’Angleterre (pour la conformité de la doc‍trine qu'elle & ſes ſuiets ont auec les Huguenots) leur enuoya durant la guerre, vn grand & puiſ‍ſant ſecours : qui fut cauſe en partie, de faire haſ‍ter la reſolution de la paix.
L’hiſ‍t.
Tu as raiſon : Mais pour reprendre le fil de mon diſcours l’Edic‍t de pacification ne fut pas ſitoſ‍t publié, que les Huguenots mirent les armes bas, & ſe conformãt en tout à la volonté du Roy declaree par ſon Edic‍t, menoyent vne vie tranquille & paiſible. Quand la Royne mere, ſe ſouuenant du tour qu’elle leur auoit ioué (les faiſant armer à ſon beſoin & mandement, & neãtmoins accommodãt d’autre part ſon authorité aux Lorrains, pour les faire mieux entrebatre, & en auoir ſon paſ‍ſe-temps) & doutant qu’ils ne peuſ‍ſent oublier la memoire d’vne telle offenſe, & que tout le royaume eſ‍tant d’accord, on ne fiſ‍t quelque deſ‍ſein de cõduire les affaires ſans elle, craignant de perdre par ce moyẽ ſon authorité : ou poſsible (comme Caton, qui appelloit conſpiration enuers le pere de famille, la bonne intelligence de ſes domeſ‍tiques) ne pouuant voir plus lõgtemps l’eſ‍tat de l’vn & l’autre parti en balance, elle monſ‍tra de vouloir entierement fauoriſer le parti des Lorrains : mais cependant elle s’acqueroit particulierement le plus qu’elle pouuoit d’autres partizans, ayans pour ce, fait faire vn voyage au Roy tout à l’entour de ſon Royaume, apres auoir pratiqué (ſous couleur de vouloir voir la Royne d’Eſpagne ſa fille) vn parlement auec le duc d’Albe à Bayonne, où elle fut auec le Roy : où auſsi la royne d’Eſpagne & le duc d’Albe ſe trouuerent, non ſans eſtroite conference, & ferme reſolution de quelque choſe d’importance, que ie ne vous puis déclarer.
Ali.
Si fay bien moy : ie ſuis contente de le vous dire. La Royne mere comme perſonne curieuſe, ayant interrogué Noſ‍tradamus (qui ſe meſ‍toit de predire les choſes futures) de ce qui aduiendroit à ſes enfans : & ayant ouy qu’elle les verroit tous trois Rois, croyant par trop à ſes paroles, & doutant s’ainſi aduenoit qu’elle ne fuſ‍t rẽuoyee à Florence, pour voir ſes parens & amis, & ne ſachant quel parti prendre (tout ainſi qu’elle voyoit la force des eſ‍tats pieçà ſupprimee & la loy Salique, touchant le gouuernement, qui eſ‍toit tombé en quenouille, violée) penſant que pour la ſucceſsiõ du Royaume elle en pourroit bien faire autant : promit & iura au duc d’Albe, de faire tomber la couronne de France, ſur la teſ‍te de ſa fille aiſnee, & par conſequent du roy d’Eſpagne, pour ſe le rendre bon patron & garant, au cas que ſes enfans mouruſ‍ſent : Mais le duc d’Albe ne la pouuant legerement croire, voulut pour confrmation de ce faic‍t, que la Royne mere luy promiſ‍t cependant, de rompre & caſ‍ſer l’Edic‍t de pacification, & d’oſ‍ter aux Huguenots tout ce qu’ils auoyent de liberté de conſcience, & d’exercice de religion, pour meilleure preuue de ſa bonne volonté enuers l’Eſpagne, au détriment de la France, ce que la Royne fit volontiers.
Le po. C’eſ‍toit bien loin de reſ‍tablir le royaume en ſon entier, que d’abolir ſes plus ancienes loix : elle eſ‍toit bien loin de chauffer la botine de Theramenes, comme nous cõſeillions, quand elle vouloit ruiner la moitié du royaume qu’elle diſoit malſaine, au lieu de conſeruer les deux, comme en vn corps demi paralitique on a accouſ‍tumé d’vſer : He Dieu que la maiſon eſ‍t malheureuſe, quand la poule y chãte plus haut que le coq ! Mais s’il vous plaiſ‍t, que l’Hiſ‍toriographe pourfuyue, afin que ie me taiſe des maux ſans remede.
L’hiſ‍t. Ie le veux bien. Apres ce pourparler fait à Bayonne, les Huguenots ſe plaignoyent en beaucoup d’endroits du royaume, des maux, des torts & iniuſ‍tices qu’on leur faiſoit, de quelques reſ‍tric‍tions de l’Edic‍t de pacification , & de pluſieurs contrauentions à la volonté du Roy faites iournellement à leur deſauantage, depuis la pacification iuſques alors, durãt le temps de cinq années. Et cepẽdant la Royne mere ſous le nom du Roy, ayant ſoudoyé, fait entrer en Frãce, & venir droit à la cour ſix mille Suyſ‍ſes, auec l’aide de ſes partisans & autres peu paiſibles François, rompit ouuertement l’Edic‍t de paix, ſur l’heure que le prince de Condé s’eſ‍toit accompagné pour aller trouuer le Roy à Meaux, & luy faire ſes plainc‍tes & doléances, tant pour luy que les autres Huguenots, & nommeement ſur ceſ‍te entrée d’eſ‍trangers iuſques au milieu du Rovaume, & pres la perſonne de ſa maieſ‍té, ſans occaſion apparẽte. Ceſ‍te rupture d’edic‍t fut telle & ſi à poĩc‍t nommé, que ſi le prince de Condé & ceux de ſa trouppe n’euſ‍ſent pris garde à eux, les Suyſ‍ſes (informez tout autrement des choſes) n’euſ‍ſent failli à les mettre en pieces, tant leur deſ‍ſein eſ‍toit bien dreſ‍ſé.
Le pol.
Nous eſ‍tions extremement marris, moy & vne trouppe de bons François, qui eſ‍tions pour lors à la cour, zelateurs du bien de l’eſ‍tat, & de la reputation du Roy, de voir prendre ceſ‍te routte aux affaires : de voir la foy publique violee, par ceux qui la deuſ‍ſent garder plus chere que leur propre vie : voire que ce fuſ‍t par les forces des Suyſ‍ſes, qui auoyent la reputation entre les nations, d’eſ‍tre loyaux obſeruateurs de leurs promeſ‍ſes iurees, d’autant plus que de ce mal dependoit comme d’vn ruiſ‍ſeau vne mer de miſeres ſur nous & à le vouloir continuer, la ſubuerſion entiere du Royaume : auquel les Suyſ‍ſes eſ‍tans alliez plus fort qu’au Roy (pour dire vray) & leurs penſions payees des deniers des ſuiets du Roy, nous-nous eſmerueilliõs grandement, comme ils n’auoyent regret de prendre de leur argent, pour les venir tuer en leurs maiſons, en violant toute foy, alliance, & ſeureté publique. Et ſachans combien és Cantons de Suyſ‍ſe, il y a de grandes & puiſ‍ſantes Republiques, qui tiennẽt la meſme doc‍trine que les Huguenots François, nous doutions biẽ fort que le feu ne s’allumaſ‍t parmi les Suyſ‍ſes, en leur propre pays, pour les empeſcher de venir en Frãce à la tuerie des Huguenots : nous trouuions aufſi fort eſ‍trange, de voir ces poures Suyſ‍ſes ſe laiſſer mener à la boucherie (car ſans doute il en mouroit & en eſ‍toyent tuez beaucoup en France pour trois ou quatre eſcuz le mois) à la merci de trois ou quatre Colonels qui rempliſ‍ſoyent leurs bougetes, aux deſpẽs du ſang de leurs combourgeois. Et euſsiõs bien voulu, qu’au lieu de ſix mille Suyſ‍ſes armez, les Seigneurs des Ligues en euſ‍ſent enuoyé ſix des plus ſages & paiſibles au Roy & à ſõ conſeil, pour faire entendre qu’à tout euenement en telles guerres ciuiles, il vaut mieux armer le parti obeiſ‍ſant, que le ſeditieux & rebelle. Que celuy eſ‍t obeiſ‍ſant, qui ſe contente des bons Edic‍t de ſon Roy : que les Huguenots (hors la conſcience) luy rendoyẽt tous deuoirs de ſuiets, mais qu’au reſ‍te le corps eſ‍t foible & moins appareillé à cõbatre les autres, quand il a perdu la moitié de ſes membres : qu’il n’y a choſe plus miſerable que la vic‍toire és guerres ciuiles, laquelle affoiblit le vaĩqueur bien ſouuent autãt que le vaincu, le liurant à la fin du compte entre les mains de ſes voiſins : que partant l’opinion de Machiauelli (que le conſeil du Roy ſembloit ſuyure, tenant ſes ſuiets deſunis) eſ‍toit vne perniceuſe hereſie en matiere d’eſ‍tat : qu’il valoit donc mieux conſeruer le tout, qu’en ruiner vne grande partie. Que les Républiques des Suyſ‍ſes & celles d’Allemagne (quoy qu’il y ait meſme diuerſité de religions qu’en France) ne laiſ‍ſoyent pas de proſperer, & eſ‍tre bien fort paiſibles : En ſomme, nous euſsions deſiré que les Seigneurs des Ligues euſ‍ſent fait remonſ‍trer les choſes, qu’ils euſ‍ſent auiſé eſ‍tre mieux pour le biẽ & conſeruation du Royaume, ſans enuoyer leurs gẽs à vn cõmun & reciproque rauage. Mais quoy ? nous n’oſions mot ſonner, ny en dire ce que nous penſions : & d’autre part l’ambaſ‍ſadeur du Roy vers les Suyſ‍ſes, monſieur Belieure, leur donnoit à entendre, que le prince de Condé vouloit faire tuer le Roy, & ſe faire Roy luy-meſme : tellemẽt que les Colonels des Suyſ‍ſes, faiſant ſemblant de le croire, pour les penſions, gages, & profits qui leur en reuenoyent : au lieu d’y mettre la paix, y voyoyent volontiers la guerre.
L’hiſ‍t.
Tant y a, les choſes eſ‍tãs és termes que i’ay dic‍t, le prince de Condé voyant que c’eſ‍toit à bõ eſcient & à deſcouuert, & non plus par ieu & en cachettes, qu’on en vouloit à luy & aux Huguenots de la France : en ayant aſ‍ſemblé vne bonne troupe, s’en vint pres de Paris, où le Roy s’en eſ‍toit allé, pour entendre encore plus au vray le deſ‍ſein de leurs ennemis : mais luy eſ‍tant reſpondu à coups de canon, & couru ſus luy à grand force, apres s’eſ‍tre vaillamment defendu, ſe retira & les Huguenots qui l’accompagnoyent, pour leur ſeurete & conſeruation, dans quelques villes du Royaume. Quand les Princes proteſ‍tans d’Allemagne ouyrent ces nouuelles, ſentans toucher à eux, ce qui touchoit aux François de leur religiõ, & marris de ce qu’õ les traittoit ainſi à la rigueur, enuoyerent au prince de Condé & aux Huguenots François pour leur aide & defenſe, vn braue & puiſ‍ſant ſecours de Reyſ‍tres & Lanſquenets, ſous la conduite du duc Iean Caſimir, fils du comte Palatin. Apres l’arriuee duquel, la Royne mere, le Roy, ſes freres, & ſon conſeil voyans combien il leur eſ‍toit mal-aisé de ruiner pour lors les Huguenots entierement, leur accorderent de nouueau par vn Edic‍t ſolennel, fait au mois de Mars, en l’annee 1568. la meſme liberté de conſcience, & exercice de religion qu’ils auoyent auparauant : reputant fait pour le ſeruice du Roy, tout ce qu’ils auoyent fait en ceſ‍te guerre-là, à la charge qu’ils mettroyent bas les armes, remettroyent les villes où ils s’eſ‍toyẽt retirez és mains du Roy, ou de ſes miniſ‍tres, & renuoyroyent leur ſecours Alleman, hors de France. Cela ne fut pas ſi toſ‍t commandé qu’il fut executé par les Huguenots : le parti contraire demeurant touſiours armé, dont aduint (auſsi toſ‍t que le duc de Caſimir & ſes trouppes furent retirees) que de nouueau furent exercees par la France, pluſieurs iniuſ‍tices & cruautez ſur les Huguenots, tant que le prince de Condé fut enuironné de garniſons, qui venoyent pour le ſurprendre dans ſa maiſon de Noyers, où il s’eſ‍toit retiré : de ſorte que s’il ne fuſ‍t bien viſ‍te & dextremẽt eſchappé, auec ſa femme & ſes enfans, & s’il n’euſ‍t trouué le gué des riuieres qu’il luy conuint paſ‍ſer à commandement, il eſ‍toit trouſ‍ſé en malle : & biẽ luy ſeruit de trouuer la ville de la Rochelle, où il ſe retira, fauorable : ſans cela, c’eſ‍toit fait de luy. Eſ‍tant retiré dans la Rochelle, les Huguenots faſchez, de voir que ſi ſouuẽt on leur fauſ‍ſoit la foy, furẽt merueilleuſemẽt eſ‍tonnez : mais peu apres ayans reprins courage, ils accoururent de toutes parts trouuer le prince de Condé, pour ſe conſeruer auec luy. Entre autres leanne d’Albret royne de Nauarre, vint auſsi trouuer le prince de Condé ſon beau frere, auec ſõ fils le prince de Nauarre, q’uelle voua tout ieune qu’il eſ‍toit à ceſ‍te guerre, auec ſes bagues & ioyaux, leſquels depuis furent engagez pour aider aux fraix de l’armee. Le duc de Deux-ponts prince de l’Empire, entendant que la foy auoit eſ‍té de nouueau violee en France aux Huguenots, eſmeu de la grauité du faic‍t, s’achemina en France, & auec luy le prince d’Orenge, le compte Ludouic ſon frere, le comte de Mansfeld & pluſieurs autres Seigneurs & Comtes Allemãs, auec ſept ou huic‍t mille Reyſ‍tres, & autant de Lanſquenets. Cependant le prince de Condé menoit les mains, aſsiegeoit villes & chaſ‍teaux , faiſant tout ce qui pouuoit ſeruir à ſe defendre, & endommager l’ennemy : quand le duc d’Aniou frere du roy Charles, & ſon lieutenant general, conduiſant vne puiſ‍ſante armee contre le prince de Condé (qui n’auoit alors que bien peu de ſes forces) luy donna vne bataille pres de Iarnac, où le Prince perdit, & y fut fait priſonnier, & peu apres par commandemẽt du duc d’Aniou tué, à ſang froid, par vn nommé Monteſquiou, de la maiſon du duc d’Aniou.
Ali. Le prince de Condé ſe hazardant ainſi, monſ‍tra cuidemment combien peu il aſpiroit à la couronne, deſmentant ouuertement ceux qui le calõnioyent de cela.
Phi. Il eſ‍t bien vray : Mais auſsi fit-il vne grande faute, hazardant auec peu de forces, tous ceux qui s’eſ‍toyent à luy retirez pour ſe conſeruer, & generalement tous les Huguenots de France.
Le Pol. Ce ſont des fautes qu’õ ne peut faire qu’vne fois, & qu’il ſe faut bien garder de commettre,
L’hiſ‍t. Il eſ‍t ainſi. Or le reſ‍te des forces des Huguenots, apres la mort du prince de Condé, demeura (ſous le nom du prince de Nauarre, & du ieune prince de Condé) entre les mains de Gaſpard comte de Coligny, admiral de France, par l’auis commun de tous les principaux, leſquels eſ‍tans allez enſemble au deuant du duc de Deux-ponts & de ſon armee, qui leur venoit au ſecours : & ayãs trouué le duc de Deux ponts mort de maladie, ne laiſ‍ſerent pourtant comme freres de meſme religion & volonté, de ioindre leurs forces enſemble : auec leſquelles (apres quelques prinſes de villes & autres faits d’armes) ils furent contraints de ſouſ‍tenir vne autre bataille, près de Montcontour, au mois d’Oc‍tobre 1569. que le duc d’Aniou leur liura, laquelle auſsi ils perdirent : mais ne laiſſerent pourtant ayans ramaſ‍ſé leurs forces, de tenir la campagne, & ſe cõſeruer le mieux qu’il leur fut poſsible auec leurs villes, durant neuf ou dix mois : pendant leſquels auſsi ils prindrẽt pluſieurs villes, & eurent des rencontres en diuers endroits où il ſembloit que la chãce ſe tournaſ‍t à la faueur des Huguenots. Ce que lon cognut encores plus ouuertement. En fin le 22. du mois d’Aouſ‍t de l’an 1570. leur fut derechef ottroyee la paix, qu’ils auoyent tant deſiree, par vn edic‍t que le roy Charles fit, par l’aduis de la Royne ſa mere, de ſes freres, des autres Princes & Seigneurs ſes conſeillers par lequel entre autres choſes, le Roy vouloit que la memoire de toutes les choſes paſ‍ſees és guerres ciuiles de la France, voire les ſentences & iugemens donnez contre les Lutheriens ou Huguenots, du temps du roy Henry ſon pere iuſques alors, fuſ‍ſent annullees & abolies perpetuellement. Declaroit tout ce qui s’eſ‍toit fait en ceſ‍te guerre, auoir eſ‍té fait pour ſon ſeruice : pour lequel auſsi il recognoiſ‍ſoit que le ſecours d’Allemagne leur eſ‍toit venu, reputant pour bons parens ſiens, les princes de Nauarre & de Condé, le prince d’Orenge, le comte Ludouic de Naſ‍ſau, & de Mansfeld, ſes bons couſins & amis, & les Huguenots François, ſes loyaux vaſ‍ſaux & ſuiet : leur promettant liberté de conſcience & exercice de leur religion, en certaines villes, & és maiſons des ſeigneurs gentils-hommes & autres ayans fief de haubert : Et par ce que la memoire des dommages reciproquement donnez en ces guerres, ne ſe pouuoit ſi toſ‍t perdre comme il ſeroit bien requis (voulant euiter tout inconuenient, & donner ſeureté à ceux des Huguenots qui pourroyent eſ‍tre en quelque crainte retournans en leurs maiſons, d’eſ‍tre priuez de repos) attendant que les rancunes & inimitiez fuſ‍ſent adoucies, le Roy accorda de leur bailler en garde, les villes de la Rochelle, Mont-auban, Coignac, & la Charité : eſquelles ceux d’entr’eux qui ne voudroyent ſi toſ‍t s’en aller en leurs maiſons, ſe pourroyent retirer & habituer, à la charge que le roy de Nauarre, le prince de Condé, & vingt gentils-hommes de maiſon qui ſeroyent nommez par le Roy, iureroyent & promettroyent vn ſeul & pour le tout, pour eux & ceux de leur religion, de garder au Roy leſdic‍tes villes, & au bout de deux ans, les remettre entre les mains de celuy qu’il plairoit au Roy d’ordonner, ſans rien y innouer : Voulant pour plus grande aſ‍ſeurance de l’obſeruation de ſon Edic‍t, que le Roy donnoit pour irreuocable, que tous les Parlemens, gouuerneurs, & miniſ‍tres de la iuſ‍tice & police de la France, iuraſ‍ſent ſolennellement, de le faire exac‍temẽt obſeruer ſelon ſa forme & teneur.
Ali.
On voit clairement és iſ‍ſues de ces guerres, vne choſe admirable, que le mõde ne recognoiſ‍t point : c’eſ‍t que ces Huguenots perdoyent touſiours les batailles, & toutefois obtenoyent la vic‍toire de leur cauſe, d’autant que la liberté de cõſcience & l’exercice de leur religion, leur eſ‍toit touſiours accordé, depuis le temps qu’elle leur fut premier ottroyee au mois de Ianuier, en l’an 1561. tellement que on les pourroit dire vainqueurs, alors qu’ils ont eſ‍té vaincus. Choſe qui fait recognoiſ‍tre à qui regarde de pres & ſans paſſion en leur doc‍trine, vn naturel effec‍t de la Palme, ſymbolizãt à la vérité, laquelle tant plus qu’elle eſ‍t preſ‍ſee, plus elle s’eſleue & reſ‍ſourd.
Phi.
Cela eſ‍t certain : Mais ce dequoy ie m’eſmerueille le plus, & dequoy ie ne me puis encores biẽ reſoudre c’eſ‍t, laquelle de ces choſes eſ‍toit plus grande, ou aux Huguenots la patience, l’obeiſ‍ſance & fidelité : ou en leurs ennemis, la furie, haine, & deſloyauté ?
Ali. C’eſ‍t vne queſ‍tion bien mal-aiſee à ſoudre : toutefois quant aux Huguenots, ils ne pouuoyent faire de moins pour iuſ‍tifier leur cauſe, & recommander deuant Dieu & les hommes leur parti (qu’on accuſoit de ſedition) que de monſ‍trer vne manſuetude & ſucceſsiue obeiſ‍ſance à leur Roy, & à ſes miniſ‍tres, ſelon Dieu.
Phila. Voire : mais on pratiquoit par trop ſouuẽt ſur eux, la fable du loup d’AEſope, lequel beuuãt au haut de la riuiere, chargeoit l’agneau (qui beuuoit tout au bas) de luy troubler l’eau, comme il diſoit que ſon pere auoit fait, prenãt ſur ceſ‍te querelle d’Alleman, occaſion de le deuorer.
Le pol. Laiſ‍ſons ce diſcours ie vous prie, n’interrompons pas celuy de l’Hiſ‍toriographe.
L’hiſ‍t. Ceſ‍t Edic‍t de paix fait & publié, il fut iuré & promis par tous les officiers de la France, de l’obſeruer : Les Huguenots de leur part renuoyerent leur ſecours d’Allemagne, & ſe conformerẽt en tout le ſurplus, à la volonté du Roy, declaree en ſon Edic‍t.
La Royne de Nauarre, le prince de Nauarre, le prince de Condé, l’Admiral, le comte de la Roche-foucaut, & quelques autres ſeigneurs & gentils-hommes s’eſ‍tans retirez à la Rochelle, apres les ſermens & promeſ‍ſes de la conſeruer au Roy faites comme il appartenoit, viuoyent le plus paiſiblement qu’on pourroit penſer : & quelques gentils-hõmes, gens de letres, & marchans, ſous meſmes promeſ‍ſes s’eſ‍toyent pareillement retirez és autres trois villes baillees pour refuge : & tous les autres Huguenots retournez en leurs maiſons, ſe tenoyent coy, chacun en ſa vocation, comme ſi iamais auparauant on ne leur euſ‍t fait tort ou deſplaiſir. Le Roy Charles mõſ‍troit de ſa part, vouloir que ſon Edic‍t fuſ‍t de poinc‍t en poinc‍t obſerue : iurant bien ſouuent par la mort, & par le ſang, qu’il le feroit entretenir : qu’il ne croiroit plus ce qu’on luy auoit voulu faire entendre, que les Huguenots le vouluſ‍tent tuer, qu’ils luy eſ‍toyẽt trop bons ſuiets, pour attenter telle meſchanceté. Mõſieur, frere du Roy ne ſe pouuoit de tant commãder, que de monſ‍trer tant ſoit peu d’enuie, que les Huguenots iouiſ‍ſent de quelque repos aſ‍ſeuré : au contraire, il faiſoit ouuertement paroiſ‍tre, le peu de plaiſir qu’il y prenoit : iuſques là, que le Roy & luy, s’en faiſoyent mauuaiſe chere, pour la diſcrepance qu’ils monſ‍troyẽt auoir en leurs volontez. Ceux que le Roy aimoit, ſembloyent hays de Mõſieur : ceux que Monſieur aimoit, n’eſ‍toyẽt en apparence guere biẽ veus du Roy : duquel pluſieurs (voyans les Huguenots entrer en credit) diſoyẽt tout haut, qu’ils luy auoyẽt deſrobé le cœur. Mais pour ce qu’en plusieurs endroits du Royaume on leur faiſoit des torts & iniures, la royne de Nauarre, les prĩces de Nauarre & de Cõdé, & auec eux l’amiral, enuoyerẽt vers le Roy, quatre gẽtilshõmes ſignalez : ſçauoir eſ‍t, Briquemaut le pere (anciẽ ſeruiteur du Roy, & des vieux Capitaines de la Frãce) Teligny gendre de l’Admiral, la Noue, beau-frere de Teligny, & Cauagnes Conſeiller au parlement de Thoulouſe : pour faire entendre à ſa maieſ‍té, les torts qu’on faiſoit à ceux de leur religion, contre l’intention expreſ‍ſe de ſes Edic‍t : le ſupplier treshumblement d’y pouruoir & leur adminiſ‍trer iuſ‍tice, comme vn bon prince doit à ſes ſuiets. Le Roy les ayant humainement receus, & recueilli leurs plaintes, monſ‍troit d’en eſ‍tre bien fort marri, & leur reſpõdit, que par la mort-Dieu il en feroit la vengeance, & chaſ‍tieroit ſi bien les ſeditieux, qu’il en feroit memoire à iamais.
Monſieur, frere du Roy, ne pouuant laiſ‍ſer ſi toſ‍t la haine qu’il portoit aux Huguenots, ny meſmes la diſsimuler, pour l’obligation qu’il auoit à l’egliſe Romaine (de laquelle & du clergé François, il auoit deux cens mille francs de penſions) donnoit neantmoins parfois eſperance auſdic‍ts gentils-hommes deputez, d’appaiſer & rabatre vn iour à venir, le mal-talent qu’il leur portoit. Le Roy de ſa part, continuoit touſiours ſes careſſes, auſdic‍ts quatre gentils-hommes deputez, leur faiſant pluſieurs dons & preſens : entre autres, il dõna vn eſ‍tat de Maiſ‍tre des requeſ‍tes de ſon hoſ‍tel, au ſeigneur de Cauagnes, & quelque preſent en deniers à Teligny, lequel fit auſsi preſent au Roy d’vn beau & bien adroit courſier Rabican, & d’vn petit cheual, qui manioit en toutes ſortes de luy-meſme, ſagement & bien à poinc‍t, & ſans que perſonne fuſ‍t deſ‍ſus, que le Roy monſ‍troit d’aimer bien fort, & s’en eſmerueiller. Preſque tous les courtiſans ſembloyent ſe reſiouir, voyans ces deputez en cour, & monſ‍trans d’auoir oublié les aigreurs des guerres, n’oublioyẽt rien des careſ‍ſes de cour enuers eux, reprenans en apparence les arres de leurs vieilles cognoiſ‍ſances & familiaritez paſ‍ſees. Sur tout, le Roy,& la Royne ſa mere, monftroyent deſirer que la royne de Nauarre, les princes de Nauvarre & de Condé, & l’Amiral vinſ‍ſent à la cour : afin que mettans à part toute desfiance, ils receuſ‍ſent de luy le bon viſage & accueil qu’il eſ‍toit preſ‍t de leur faire. Quant au Roy, il deſiroit ſur toutes choſes, s’allier le prĩce de Nauarre, qu’il aimoit autãt que ſon propre frere : diſant qu’il luy vouloit donner ſa ſœur en mariage : S’aſ‍ſeurant, qu’outre ce que ce ſeroit vn rafreſchiſ‍ſement des ancienes alliances de la maiſon de Nauarre, à celle de Valois, & vn teſmoignage de l’affec‍tion cordiale, que le Roy, la Royne ſa mere, & meſsieurs ſes frères portoyent à la royne de Nauarre, & au prince de Nauarre ſon fils : ce ſeroit auſsi vn certain moyen d’aſ‍ſeurer & appaiſer à iamais l’eſ‍tat de la France, & oſ‍ter aux Huguenots tout ſoupçõ qu’on leur vueille doreſenauant nuire. Partant, le Roy, & la Royne mere, prioyent affec‍tueuſement les deputez, d’aſ‍ſeurer en toutes ſortes la royne de Nauarre, les Princes, & l’Admiral, de leur bonne volonté, & procurer que bien toſ‍t le Roy les peuſ‍t voir en ſa cour. Les deputez, treſaiſes de voir ce qu’ils n’auoyent iamais cuidé, & d’ouyr ce qu’ils n’auoyent iamais eſperé, reſcriuoyent bien ſouuent & quelquefois aucun d’eux alloit à la Rochelle, par deuers la royne de Nauarre, les Princes, & l’Admiral, leur racontans merueilles des langages, façons, & affec‍tions du Roy enuers eux. Le Mareſchal de Mont-morẽcy, & ſes freres couſins de l’Amiral, faiſoyent auſsi tout le deuoir à eux poſsible, pour aſ‍ſeurer & teſmoigner la volonté du Roy, & de ſa mere, qu’ils cognoiſ‍ſoyent (ce diſoyent-ils) eſ‍tre bonne enuers les Huguenots, diſans que le Roy vouloit reconcilier l'Admiral auec le duc de Guyſe, pour ſe pouuoir mieux ſeruir de luy & de ſon conſeil au maniement des affaires d’eſ‍tat de la France, donnant meſme ceſ‍te eſperance, qu’auec le temps ceux de Guyſe ſeroyent auſsi eſloignez de la cour, qu’ils en eſ‍toyent près. Le ſeigneur de Biron fut enuoyé pluſieurs fois vers la Royne de Nauare, les Princes, & l’Amiral, & certains autres gentilshommes particuliers Huguenots, firent pluſieurs allees & venues à la cour, le tout pour la negociation de ce que deſ‍ſus. Le Roy cependant enuoya des commiſſaires en certains endroits du Royaume, pour informer des torts que lon faiſoit aux Huguenots, cõtre ſes Edic‍ts, & fit chaſ‍tier à Rouen & en quelques autres endroits, des meurtriers & ſeditieux qui auoyent tué quelque nombre de poures hommes & femmes Huguenots, depuis la paix, au retour d’vn de leurs preſches.
Ceux de Montmorency, & les deputez, perſuadez, perſuaderent auſsi (apres toutefois pluſieurs reſiſ‍tances, repliques, difficultez, inconueniens, & ſolutions de tous coſ‍tez alleguees) la Royne de Nauarre, les princes de Nauarre, & de Condé, l’Admiral, le comte de la Rochefoucaut, & tous les autres ſeigneurs, gẽtilshommes, & autres Huguenots de la France, de la bonne volonté, zele, & affec‍tion qu’ils penſoyent cognoiſ‍tre au Roy, & en la Royne ſa mere, enuers eux.
Le Roy fit venir en ſa cour le comte Ludouic de Naſ‍ſau, frere du prince d’Orenge, qui depuis la paix derniere s’eſ‍toit tenu à la Rochelle, auec lequel il traic‍ta de diuers moyens & deſ‍ſeins, qu’il deſiroit exploiter contre le roy d’Eſpagne pour ſe venger des torts qu’il luy auoit faits : & l’entretenant auec douces careſ‍ſes, reſolut auec luy vne entrepriſe de treſgrande conſequence, qui s’eſ‍t du depuis executee en partie ſur le pays bas, par ledic‍t comte Ludouic, le ſeigneur de la Noue, & pluſieurs autres François : au ſecours deſquels eſ‍tans aſsiegez dans Mons, le Roy enuoya le ſeigneur de Gẽlis, auec quatre mille ſoldats de pied ou de cheual : Si fut auſsi ladic‍te menee du Roy auec le comte Ludouic, occaſion & cauſe que le prince d’Orenge auec vne puiſ‍ſante armee entra dans le pays bas, qui ſe reuolta preſque tout du roy d’Eſpagne, & print la Hollande (qu’il tient encores maintenant) auec la plus grande partie de Zelande, en danger de ne la quitter iamais.
L’Admiral, perſuade & conduit par le mareſchal de Coſ‍ſé, & pour ſatisfaire à la volonté du Roy, vint trouuer à Bloys ſa maieſ‍té : qui pour oſ‍ter la crainte que l’Amiral auoit de la maiſon de Guyſe, luy enuoya des lettres de congé, à mener cinquante gentils-hommes auec luy armez, pour ſa ſeureté, iuſques à la cour : où eſ‍tant arriué, le Roy, & la Royne ſa mere, le receurent de toute la plus courtoiſe façõ qu’il leur fut poſsible : le Roy le voulut ouyr ſouuent en conſeil ſecret & à part, és choſes de plus grande importance, monſ‍trant de ſe fier en luy de ſa vie & de ſon Royaume, cõme il euſ‍t fait en ſon pere propre.
En meſme temps le Roy fit demander pour Monſieur ſon frere, la Royne d’Angleterre en mariage, ayant enuoyé à ceſ‍t effec‍t vn ambaſ‍ſade honorable à ladic‍te royne d’Angleterre : auec laquelle auſsi le Roy fit traiter d’vne ligue, confederation & alliance, laquelle depuis fut conclue & reſolue, au grand contentement des Huguenots, auſquels telle ligue ſembloit ſeruir de gage, de l’amitié du Roy enuers eux.
Ali. Ie me ſouuien bien, que le Roy apres les premiers troubles de France, enuoya le Mareſchal de Vieille-ville en Suyſ‍ſe, pour traiter Ligue auec les ſeigneurs de Berne : mais ils n’en voulurẽt point faire auec luy, qu’il ne leur promiſ‍t quand & quand, d’obſeruer eſ‍troitement ſon Edic‍t de paix enuers les Huguenots : mais de ceſ‍te cy d’Angleterre, ie n’en ay rien ouy dire.
L'hiſ‍t. Ie ne ſcay pas auſsi comme elle eſ‍t faite, ie ne t’en puis dire autre choſe : mais en meſme tẽps le Roy faiſoit pareillemẽt traiter vne ligue, d’entre luy, la royne d’Angleterre, & les princes Proteſ‍tans d’Allemagne : & vne autre ligue en particulier, du Roy auec le duc de Florẽce, vers lequel il auoit enuoyé Iean Galeas Fregoze Geneuois, qui en rapporta bonnes paroles, & promeſ‍ſe que le duc de Florence preſ‍teroit deux cens mille ducats pour la guerre de Flandre, contre le roy Philippe : pour le moins le faiſoit-il entendre ainſi à l’Amiral & aux députez. La royne de Nauarre vint trouuer à la fin le Roy, duquel (ce diſoit-il) elle eſ‍toit la meilleure tante, la plus deſiree, la mieux aimee & mieux venue, qui iamais fut en France : la Royne-mere la recueillit comme ſa treſchere ſoeur : toute la cour en ſomme, s’en reſiouiſ‍ſait, en double façon.
Le mariage du prince de Nauarre, auec Madame ſœuer du Roy, fut (apres pluſieurs menées, & difficultez faites ſur la forme des ceremonies) enfin conclu & arreſ‍té : & auiſé que les promeſ‍ſes des eſpoux à venir, ſeroyent receuës par le cardinal de Bourbon, hors des ceremonies de l’egliſe Romaine, pour ne point forcer la conſcience du prince de Nauarre Huguenot. Quelque temps apres, la royne de Nauarre fort contente, partit de la cour, qui pour lors eſ‍toit à Bloys, pour s’en aller à Paris. L’Amiral auſsi s’eſ‍toit retiré auparauant en ſa maiſon de Chaſ‍tillõ, où il receuoit ſouent letres & meſ‍ſages du Roy, qui luy demãdoit ſon conſeil és affaires occurrens, eſquels il monſ‍troit ne vouloir rien refoudre d’importance, ſans ſon auis.
La royne de Nauarre au partir de la cour, eſ‍tant venue à Paris, tomba malade, & cinq iours apres mourut, en l’aage de 43. à 44. ans, d’vn boucon qui luy fut donné à vn feſ‍tin, où le duc d’Aniou eſ‍toit, ſelon que i’ay ouy dire à vn de ſes domeſ‍tiques : dont on ne voulut parler, de peur que ce fuſ‍t occaſion de rompre ledic‍t mariage, deſiré de tous les amateurs de paix & ſans ſoupçon.
Ali. Le Seigneur a accouſ‍tumé de retirer en vne façon ou en l’autre, ſes bien-aimez en paix, quand il veut faire venir quelque mal ſur ſon peuple : Ainſi le promit-il & l’obſerua à Ioſias roy d’lſrael, pour un ſingulier benefice.

Phi. Ie me doutay bien quand & quand, que quel que quelque grand deſaſ‍tre nous auiendroit, quãd ie vey ceſ‍te bonne Princeſ‍ſe partie.

L’hiſ‍t. Enuiron ce temps la, de diuers endroits de la France, eſ‍toyent enuoyez pluſieurs aduertiſ‍ſemẽs à l’Amiral, afin qu’il print garde à ſoy, & qu’il ſe retiraſ‍t des dangers où lon diſoit qu’il eſ‍toit eſ‍tant dedans Paris, ou à la cour : entre autres, vn je ne ſcay qui, luy enuoya vn bordereau de mémoires, où il eſ‍toit eſcrit,

S O V V E N E ZV O V SQ V E


c’eſ‍t vn article de foy reſolu & arreſ‍te au Con
cile de Conſ‍tance, auquel Iean Huz fut bruſlé
contre le ſauf-conduit de l’Empereur, qu’il ne
faut point garder la foy aux heretiques.


Ayez memoire, que les Romains, les Lorrains, & les Courtizans, tienent les Lutheriẽs, les Huguenots & tous ceux qui font vne meſme profeſsion de l’Euangile (de quelque nom qu’on les appelle) pour heretiques, bruſlables : Croyez que partant ils leur ont rompu, & leur rompront encores la foy iuree & promiſe, toutefois & quantes que la commodité de les ruiner & deſtruire leur ſera offerte.
Sachez, qu’au ſecret conſeil tenu parmi les Peres, au dernier concile de Trente, il a eſ‍té reſolu, qu’on peut & doit tuer, non ſeulement ceux de la Frãce qui ſeront de ceſ‍te religion, ains auſsi tous ceux qui en ont eu quelque ſentiment, ſoit de la France, ou d’autre nation : n’eſ‍tant iamais poſsible, que ceux qui ont vne fois eſ‍té abbreuuez de ceſ‍te doc‍trine, ſe fient derechef en ce qu’on leur a voulu par cy deuant faire entendre, de la part de ſa ſainc‍teté, la vie & les abus d’icelle leur eſ‍tãs par trop deſcouuerts & cognus.
Ne doutez pas auſsi, que la Royne mere n’accompliſ‍ſe ce qu’elle promit au duc d’Albe, pour le roy d’Eſpagne à Bayõne : de rompre les edic‍ts de paix, & ruiner les Huguenots de la France, auec la peau du lion, ou auec la peau du regnard.
Conſiderez, que le Roy depuis douze ans en ça a eu des maiſ‍tres & inſ‍tituteurs qui l’ont apprins à iurer, blaſphemer, ſe periurer, paillarder, diſsimuler ſa foy, ſa religion, ſes penſees, eſ‍tre maiſ‍tre de ſon viſage, & qui l’ont ſur tout nourri à aimer de voir du ſang commençant par des beſ‍tes, & acheuant par ſes ſuiets.
Prenez garde, que le Roy a eſ‍té perſuadé par la doc‍trine de Machiauelli, qu’il ne faut pas qu’il ſouffre en ſon Royaume, autre religion que celle ſur laquelle ſon eſ‍tat a eſ‍té fondé : de laquelle, voire de ſes faux miracles, il faut qu’il monſ‍tre faire compte : Aſ‍ſeurez-vous qu’on luy a enſeigné & ſouuent repeté ceſ‍te leçon, que ſon Royaume ne peut eſ‍tre paiſible & aſ‍ſeuré, cependant qu’il y aura deux religions.
Notez qu’on a pluſieurs fois fait entendre au Roy, que les Huguenots le vouloyẽt tuer, & pour le luy mieux perſuader, luy ont fait voir des lettres de menees & deſ‍ſein, ſuppoſees & fauſ‍ſes : & au reſ‍te i’ay ſceu de bonne part, que le iour que la royne de Nauarre arriua à Bloys, il dit à ſa mere : Ne ioue-ie pas bien mon rollet, Madame ? Ce n’eſ‍t rien fait, reſpondit-elle, il faut acheuer. Par la mort-Dieu, Madame, ce répliqua il, ie les vous mettray tous au filé, ſi vous me voulez laiſ‍ſer faire.
Vous vous trompez, ſi vous croyez qu’vn Roy ou Prince permette iamais, que ſon vaſ‍ſal ou ſuiet, qui s’eſ‍t vne fois eſleué en ligue contre ſa volonté (pour quelque occaſion que ce ſoit, iuſ‍te ou iniuſ‍te) vſe & iouiſ‍ſe de la faueur des loix. Penſez pluſ‍toſ‍t que cecy eſ‍t engraué dãs le cœur des rois & des Princes, de venger par les armes, ce qu’ils eſ‍timent auoir eſ‍té fait contr’eux par les armes.
Faites voſ‍tre compte, que ce que les Rois & Princes (qui ne regardent à la conſciẽce) penſent auoir fait par crainte ou neceſsité, ils ſe diſpenſent de le rompre, ſoudain que l’vne ou l’autre de ces deux occaſions ceſ‍ſent : & tienent pour maximes d’eſ‍tat, qu’il ne faut point garder les conuentions, faites par le prince, à ſes ſuiets armez : Que pour regner, il eſ‍t loiſible de violer la loy, & que lon peut piper les enfans auec paroles & promeſſes, & tromper les hommes auec des iuremens ſolennels. C’eſ‍t leur caballe : ce ſont leurs loix inuiolables, qu’ils n’oſent outrepaſ‍ſer, ſe ſouciant biẽ peu ou rien, de la force faite à toute autre loy, ſoit diuine, naturelle, ciuile, des gens, ou municipale pour eſ‍tre (ce diſent ils) ennemie de leur repos, eſ‍tat, & grandeur.
Voicy quelque traic‍t & exemple, de leurs plus rares vertus.
Antonin Commode, faiſant par fois treues auec ſes voluptez, eſquelles il eſ‍toit du tout plongé, pour employer le temps & fuir l’oiſiueté, vaquoit à contemplation, s’appliquant à proietter & executer des meurtres & cruautez contre la nobleſ‍ſe de ſon Empire : entre les autres, Iulian gouuerneur d’vne prouince, qui eſ‍toit ſon plus fauorit, qu’il ſouloit baiſer & embraſ‍ſer, l’appellant ſon pere & ſõ mignõ, fut par luy traitreuſemẽt tué.
Antonin Caracalle, eſ‍tant arriué en Alexandrie, irrité contre les Alexandrins, qui auoyent recité de luy quelques vers mal plaifans, fit ſemblãt de vouloir voir la monſ‍tre des jeunes gens de la ville, les plus aptes à la guerre : & les ayant fait appreſ‍ter pour la reueue, les fit tous mettre en pieces, commandãt aux ſoldats Romains qu’il auoit menez auec luy, d’en faire ceſ‍te nuic‍t-là chacun autant a ſon hoſ‍te : Il fit faire telle boucherie dãs Alexandrie, qu’il n’oſa faire compter les corps morts, ains eſcriuant de ceſ‍te execution au Senat de Rome, luy manda, Qu’il n’eſ‍toit ia beſoin ſe mettre en peine, pour ſcauoir quels & combien de gens y auoyent eſ‍té tuez : que c’eſ‍toit aſ‍ſez de ſcauoir, que tous auoyent bien merité la mort.
Lyſandre colonel des Lacedemoniens, ayant ſous couleur d’amitié, fait venir à ſoy huic‍t cens Mileſiens, les fit tous tailler en pièces.
Seruie Galbe, ayant conuoqué & aſ‍ſemblé le peuple de trois citez de Portugal, pour traiter auec eux les choſes qu’il diſoit leur appartenir, en choiſit neuf mille d’entr’eux des plus gaillards & robuſ‍tes, qu’il deſarma, en fit tuer vne partie, l’autre partie vendit.
Antoine Spinole, gouuerneur pour les Geneuois de l’iſle de Corſe, ayant iuré & donné ſa foy aux Princes, ſeigneurs, & grans perſonnages de Corſe, qu’il appella au conſeil, & de là au banquet, leur fit à tous trencher la teſ‍te.
Charles ſeptieme, roy de France, apres pluſieurs guerres & tumultes arriuez en ſon Royaume, ayant fait alliance, & contrac‍té affinité auec le duc de Bourgongne, & promis d’oublier toute iniures & inimitiez paſ‍ſees : & pour le mieux aſ‍ſeurer, ayant tout cela iuré ſur ſon hoſ‍tie conſacree, le fit venir pour le feſ‍toyer à Montereau faut-yonne, & en le careſ‍ſant, il le tua ſur le pont d’Yonne.
Et pluſieurs autres, deſquels le recit ſeroit lõg & ennuyeux, les exemples deſquels on ramentoit ordinairement au Roy, auec le chapitre dixhuitieme du liure du prince de Machiauelli, où il traitte comme c’eſ‍t que les princes doyuent garder la foy : ſurquoy ſes maiſ‍tres d’eſcole (auſsi peu ſoucieux de ſa conſcience que de ſa reputation) font des additions & gloſes plus dangereuſes, que le meſme texte : Partant ſoyez diligent à prendre garde à vous, n’y ayant autre remede d’eſchapper qu’en fuyant hors de la cour, que ie puis appeller Sodome.
L’Amiral ayant veu ceſ‍t eſcrit, fit fort mauuais viſage à celuy qui le luy bailla : Et renuoya pour route reſponſe, dire à celuy qui luy auoit enuoyé, Que ſi par le paſ‍ſé il auoit eu, & les autres Huguenots auſsi, occaſion de ne ſe fier pas legeremẽt en des promeſ‍ſes que, Dieu merci, telle peur ou deffiance eſ‍toit alors ſans fondement.
Que la prouidence de Dieu, laquelle guide & conduit iuſques aux plus petites choſes de ceſ‍te vie, auoit changé le cœur du Roy : de ſorte, qu’il y auoit dequoy bien & mieux eſperer.
Qu’il ne croiroit iamais, que dans le cœur de ſon roy, peuſ‍t loger vne penſee ſi meſchãte, ny approchante à ce qu’on luy eſcriuoit.
Que tout au contraire il croyoit, que dés que la France a eſ‍té erigee en regne, il n’y auoit eu vn meilleur roy, que Charles neufieme l’eſ‍toit pour lors.
Qu’il eſ‍toit bien vray, que Monſieur frere du Roy n’aimoit pas les Huguenots, & qu’on leur faiſoit tout plein d’outrages en diuers lieux du Royaume : mais qu’il eſperoit de voir Monſieur vn iour adoucy, pour les bõs ſeruices que les Huguenots luy pourroyent faire, & s’attendoit bien (le mariage de Madame fait & conſommé) que le Roy feroit faire iuſ‍tice des ſeditieux, & perturbateurs de paix.
Que la ligue qui eſ‍toit freſchement faite auec la royne d’Angleterre, ſeruoit d’aſ‍ſez bon teſmoignage aux Huguenots, de l’aftec‍tion du Roy enuers eux.
Et la ligue qu’il fait recercher auec les Proteſ‍tans d’Allemagne, confermera du tout ceſ‍te bonne opinion.
Que le Roy portant meilleure affec‍tion à monſieur l’Electeur Palatin, qu’à nul des autres princes Proteſ‍tans, auoit choiſi le duc Iean Caſimir ſon fils, pour ſe le faire penſionaire, & le duc Chriſ‍tofle ſon maiſné, pour le retirer en ſa cour, auec entretenement digne de ſa qualité.
Qu’il deſiroit auſsi auoir de l’Angleterre, le myllord de Lyceſ‍tre, & le myllord Burgley, ou l’ũ d’eux, pour les feſ‍toyer & traiter, comme il deſire de careſ‍ſer tous les loyaux ſeruiteurs de ſa ſœur la royne d’Angleterre, en ſigne de vraye alliance.
Que le Roy auoit enuoye ſa foy au prince d’Orenge, & l’auoit donnée au comte Ludouic ſon frere, de leur aider & les ſecourir en tout & par tout, contre le roy d’Eſpagne : & que ſans cela, iamais ils n’euſ‍ſent rien entreprins de remuer en l’eſ‍tat de Flandres.
Que combien que monſieur de Genlis & ſes gens qu’il leur menoit euſ‍ſent eſ‍té deffaits, le Roy ne lairroit à leur enuoyer de nouueau, & biẽ toſ‍t, vn braue & puiſ‍ſant ſecours.
Que Iean Gileas Fregoze aſ‍ſeuroit, que pour ceſ‍te guerre de Flandres, le duc de Florence preſ‍teroit au Roy, ou au prince d’Orenge, deux cens mille ducats.
Que les affaires vont ſi bien en Flandres, que l’Agent du Roy pres le duc d’Albe, donne continuellement auis au prince d’Orenge, & communique auec luy par letres & meſ‍ſages, tous les deſ‍ſeins qu’il peut entendre du duc d’Albe, & le prince d’Orenge à l’Agent tous les ſiens : tellement que quand il n’y auroit autre choſe que ceſ‍te bonne intelligence, elle eſ‍t ſuffiſante à faire bien eſperer aux plus timides.
Mais qu’il y a bien plus, c’eſ‍t que l’armee de Stroſ‍ſy, & du Baron de la garde, ne ſont près de la Rochelle, que pour attẽdre la flotte venant d’Efpagne, la cõbatre, & de là ſingler à la Fleſsinghe, pour ſe ioindre au prince d’Orenge, & faire la guerre à ieu deſcouuert.
Qu'à ceſ‍te occaſion, le prince d’Orenge a enuoyé par l’auis du Roy, de l’argent pour payer les nauires & galeres à Stroſ‍ſy, qui eſ‍t de la meilleure volonté du monde.
Quant à ſon faic‍t, & querelle particuliere auec le duc de Guyſe, le Roy les auoit mis d’accord, & fait iurer l’vn & l’autre entre les mains, de ne ſe recercher que d’amitié. Mais que ce miraculeux mariage de Madame, que le Roy donne (ce dit-il) nõ pas au prince de Nauarre, ains à tous les Huguenots à femme, pour ſe marier comme auec eux, eſ‍tant le comble de toute ſeurete & repos : le faiſoit prier ce gentil homme & tout autre, que s’ils luy vouloyẽt faire plaiſir, qu’ils ne luy parlaſ‍ſent plus de ces faſcheuſes choſes du paſ‍ſé, qu’ils ſe contentaſ‍ſent de prier Dieu, & le remercier de la grace qu’il leur auoit daigné faire, d’amener les choſes à vn ſi paiſible eſ‍tat.
Or le prince de Nauarre (fait Roy par la mort de ſa mere) & le prince de Condé en ces entrefaites, ſollicitez & aſ‍ſeurez de toutes parts de venir à la cour, vindrent à la fin trouuer le Roy à Paris, où il s’eſ‍toit remué, pour y faire celebrer les noces de ſa ſœur : Pluſieurs Seigneurs, Barons, & gentils-hommes Huguenots y accompagnerent le roy de Nauarre, & le prince de Condé, au deuant deſquel preſque toute la cour y alla : Ils y furent recueillis du Roy, de ſa mere, & de ſes freres, & des autres Princes, de Madame, & des princeſſes, comme ils le pouuoyent deſirer en apparence.
Quelques jours ſe paſ‍ſerent en feſ‍tes & banquets, attendant le iour des nopces, que lon dilayoit pour diuers reſpec‍ts d’vn iour à l’autre : entre autres, pour ce que le cardinal de Bourbon, qui deuoit receuoir les promeſ‍ſes du mariage, n’y oſoit toucher ſans diſpenſe du Pape, qu’il luy auoit enuoyé demander : laquelle apres eſ‍tre venue, & à ſon gré n’eſ‍tant aſ‍ſez ample pour ſa conſcience, il fallut renuoyer à Rome, pour en auoir vne à ſa fantaſie : Et ſur ce, le Roy faiſant ſemblant de ſe faſcher de tant de remiſes, blaſphemant & deſpitant, iura, qu’il vouloit que le mariage ſe conſommaſ‍t ſans plus tarder : que ſi le cardinal de Bourbon ne les vouloit eſpouſer, il les meneroit luy-meſme à vn preſche des Huguenots, pour les y faire eſpoufer à vn miniſ‍tre : Et que par la mort-Dieu il ne vouloit pas que ſa margot (car ainſi appelloit-il ſa ſœur ) fuſ‍t plus longtemps en ceſ‍te langueur.

Ali. La bonne dame n’auoit garde d’auoir ſi longtemps attendu : Monſieur ſon frere ſcauoit bien qu’il auoit eu ſon pucellage.

L’hiſ‍t. Ie ne ſcauois pas cela : Mais i’auois bien ouy dire qu’elle eſ‍toit preſ‍te d’accoucher dés lors que la Royne fut à Xainc‍tes.

Ali. Il eſ‍t ainſi ie t’aſ‍ſeure. Et tu vois que ces beaux Princes ne font maintenant que le cerf de depuceller leurs parentes. Regarde moy vn roy d’Eſpagne, & vn Archeduc Ferdinand, chaſcun d’eux n’a-il pas ſa niece ?

L’hiſ‍t. Voire. Mais auſsi le Pape leur en a baillé la diſpenſe.

Ali. Comme ſi l’homme pecheur pouuoit rompre la loy de Dieu & en diſpenſer les autres. Quel ſeruiteur des ſeruiteurs de Dieu ! Tu verras tu verras amy quelque iour que ce mariage du Roy d’Eſpagne auec la fille de ſa ſœur & de ſon couſin germain l’Empereur, qui luy fait naiſ‍tre des enfans, fils, neueux & couſins enſemble ſera cauſe s’il plaiſ‍t à Dieu de l’entiere ruine de Rome, du Pape & de ſa papauté.

L’hiſ‍t. Comment cela, Bon dieu ?

Ali. Le Roy d’Eſpagne mourant les enfans maſles de l’Empereur ſont appellez à la courõne d’Eſpagne (car de la fille nee d’Izabel de France, l’Eſpagnol n’en veut point & ne croit pas qu’elle ſoit legitime) Les enfans de ce mariage de la niece diront que la Couronne leur appartient. Les legitimes neueux leur repliqueront qu’ils ſont inceſ‍tueux & baſ‍tards, partant ne peuuent ſucceder : voire mais, ce diront les autres, le Pape en a diſpensé, Le ſeruiteur, diront les legitimes (afin que nous ne flattions plus) n’eſ‍t pas par deſ‍ſus le maiſ‍tre, Dieu l’a defẽdu, le Pape ne le doit permettre, c’eſ‍t l’Antechriſ‍t tant attẽdu. En ſomme, par ce moyẽ là la puiſ‍ſance de ce faux paſ‍teur ſera miſe en diſpute, ſes abus ſerõt cognus, on ne les pourra plus ſouffrir, & dieu ſcait le beau meſnage qu’il y aura pour ce ſeduc‍teur.

L’hi. Dieu nous vueille eſ‍tre en aide, cela n’a que trop d’apparence, on a bien fait autrefois la guerre pour moindre choſe que n’eſ‍t la couronne d’Eſpagne : mais, pour reuenir à mon diſcours, les nopces (pour le faire court) du roy de Nauarre, & de Marguerite ſœur du Roy, ſe celebrerent en treſgrande pompe, le lundi dixhuic‍tieme iour du mois d’Aouſ‍t dernier paſ‍ſé : les Princes, Comtes, Barons, & autres ſeigneurs, & gentilshommes de marque Huguenots, y aſsiſ‍toyent preſque tous, dont aucuns y auoyent amené leurs femmes & enfans. Et pouuoyent eſ‍tre en tout, enuiron mille gẽtils-hommes.
Le mardi, mecredi, & ieudi ſuyuans, furent employez en toutes ſortes de ieux & paſ‍ſe temps à rechange, eſquels l’Amiral ſouuent aſsiſ‍toit, ayãt le bon viſage du Roy à l’accouſ‍tumé.
Le mecredi, l’Amiral voulãt entretenir le Roy de quelques affaires de grande importãce, le Roy en riant, le pria de luy donner quatre iours pour s’eſgayer & esbatre, promettãt à foy de Roy, qu’il ne bougeroit de Paris, qu’il ne l’euſ‍t rendu content, & tous ceux qui auoyent affaire à luy.
Peu de iours auparauant, outre les auertiſ‍ſemens ſuſdic‍ts, l’Amiral auoit eſ‍té aduerti de certain homicide, fait par des Catholiques ſeditieux de Troye, ſur certains Huguenots reuenãs de leur preſche.
Que ceux de Rouen, & d’Orléans menaçoyent les preſches de prendre fin, les deux ans apres la pacification derniere, paſ‍ſez.
Et parmi les gentils hommes courtizans, on ſentoit ſouuent murmurer entre leurs dents, que dãs la fin du mois d’Aouſ‍t, on interdiroit les preſches aux Huguenots, meſmes que pluſieurs gentils-hommes Catholiques vouloyent faire gageure auec des Huguenots, que deuant quatre mois ils iroyent à la meſ‍ſe.
Qu’on ſentoit courre vn bruit d’entre les principaux du peuple de Paris, qu’en ces nopces, ſe reſpandroit plus de ſang, que d’eau.
Que les Commiſ‍ſaires, Centeniers, & Dixeniers de Paris, braçoyent quelque entrepriſe, facile à eſ‍tre deſcouuerte à qui y regarderoit de pres.
Qu’vn fameux Aduocat Huguenot du palais de Paris, auoit eſ‍té aduerti par vn Preſident, de ſe retirer pour quelques iours auec ſa famille hors de Paris, s’il vouloit conſeruer ſa vie, & celle des ſiẽs.
Qu’vn Italien engageoit ſa teſ‍te, au cas que ces nopces s’accompliſ‍ſent : Et vn autre Italien à la table de Iean Michael & Sabalin ambaſ‍ſadeur de la ſeigneurie de Veniſe, ſe vantoit de ſcauoir le moyen pour ruiner les Huguenots en vingt-quatre heures.
Autres ſemblables choſes ſe reſpandoyent parmi le vulgaire, deſquelles auſsi l’Admiral eſ‍toit aduerti :
On adiouſ‍toit à cela, que la fac‍tion des ſeditieux, deſiroit la ruine des Huguenots ſur toutes choſes, Que le lieu & le temps la facilitoyent : La voulant donc, & la pouuãt mettre à effec‍t, qu’on ne deuoit attendre autre choſe d’eux.
A tout cela, l’Amiral ſans peur, touſiours ſemblable à ſoy, touſiours cõſ‍tant & aſ‍ſeuré ſur la bõté du Roy, ne pouuoit prẽdre occaſion d’alarme.
Le ieudi il fut dic‍t au conſeil priué du Roy, qu’on auoit veu certains hommes à cheual, au pré aux clercs, & par les places de Paris, auec des piſ‍toles & harquebuzes à l’arçõ de la ſelle, cõtre les deffenſes du port des armes : à quoy quelqu’vn du conſeil reſpondit, que ce pouuoyent eſ‍tre quelques vns qui ſe preparoyent & s’exercoyent pour la reueuë, qui ſe deuoit faire, pour la recreation de la cour.
Le vendredi 22 iour d’Aouſ‍t au matin, fut tenu conſeil au Louure, pour remedier aux plainc‍tes des Huguenots (Monſieur frere du Roy qui y preſidoit, s’eſ‍tant leué & ſorti pluſ‍toſ‍t que de couſ‍tume) l’Amiral, qui y eſ‍toit pareillemẽt, ſortit auec les autres ſeigneurs du conſeil : & comme il alloit en ſon logis, ayant trouué le Roy qui ſortoit d’vne chappelle qui eſ‍t au deuant du Louure, le ramena iuſques dans le ieu de paulme (où le Roy, & le duc de Guyſe ayant dreſ‍ſé partie, contre Teligny & vn autre gentilhõme, & ioué quelque peu) l’Amiral en ſortit pour s’en aller diſner à ſon logis, accompagné de douze ou quinze gentilshommes, entre leſquels i'eſ‍toy’ : il ne fut point cent pas loin du Louure, que d’vne feneſ‍tre ferree, du logis (où logeoit ordinairement Villemus precepteur du duc de Guyſe) luy fut tiree vne harquebouzade auec trois balles, ſur le poinc‍t qu’il liſoit vne requeſ‍te (allant à pied par la rue) l’vne des balles luy emporta le doigt indice de la main droite : de l’autre balle, il fut bleſ‍ſé au bras gauche près du carpe, & ſortit la balle par l’olecrane.
Lorsqu’il fut bleſ‍ſé, le ſeigneur de Guerchy eſ‍toit à ſon coſ‍té droit, d’où luy fut tiree , l’arquebouzade, & à ſon gauche, l’aiſné des Pruneaux. Ils furent fort esbahys & eſperdus, & tous ceux qui eſ‍toyent en la compagnie.
L’Amiral ne dic‍t iamais autre choſe, ſinon qu’il mõſ‍tra le lieu d’où on luy auoit tiré le coup, & où les balles auoyent donné : priant le capitaine Pilles, qui ſuruint là, auec le capitaine Monins, d’aller dire au Roy ce qui luy eſ‍toit aduenu : qu’il iugeaſ‍t quelle belle fidelité c’eſ‍toit (l’entendant de l’accord fait entre luy, & le duc de Guyſe.)
Vn autre gentil homme voyant l’Amiral bleſſé, s’approcha de luy, pour luy ſouſ‍tenir ſon bras gauche, luy ſerrant l’endroit de la bleſ‍ſeure auec ſon mouchoir : le ſeigneur de Guerchy luy ſouſ‍tenoit le droic‍t & en ceſ‍te façon fut mené à ſon logis, diſ‍tant de là enuiron de ſix vingts pas : En y allant, vn gentil-homme luy dit, qu’il eſ‍toit à craindre que les balles ne fuſ‍ſent empoiſonnees : à quoy l’Amiral reſpondit, qu’il n’auiẽdroit que ce qu’il plairoit à Dieu.
Soudain apres le coup, la porte du logis d’où l’arquebouzade auoit eſ‍té tiree, fut enfoncee par certains gentils-hommes de la ſuite de l’Amiral. L’arquebouze fut trouuee, mais non l’arquebouzier : ouy bien vn ſien laquais, & vne ſeruãte du logis : l’arquebouzier s’en eſ‍toit ſoudain enfuy par la porte de derriere, qui ſort ſur le cloiſ‍tre de ſainc‍t Germain l’Auxerrois : où lon luy gardoit vn cheual preſ‍t, garni de piſ‍toles à l’arçon de la ſelle : ſur lequel eſ‍tant eſchappe, il ſortit hors de la porte ſainc‍t Antoine, où ayant trouué vn cheual d’Eſpagne qu’on luy tenoit en main, deſcendit du premier, & monta ſur le ſecond, puis ſe mit au grand galop.
Le Roy entendant la bleſ‍ſeure de l’Amiral, quitta le ieu, où il eſ‍toit encores iouant auec le duc de Guyſe : ietta la raquette par terre, & auec vn viſage triſ‍te & abbatu, ſe retira en ſa chambre : le duc de Guyſe ſortit auſsi peu apres le Roy, du ieu de paume.
La chambriere du logis interrogee, reſpondit, que le ſeigneur de Chailly (qui eſ‍t maiſ‍tre d’hoſ‍tel du Roy, & ſuperintendant des affaires du duc de Guyſe) le iour auparauant auoit mené l’arquebouzier dans le logis, & l’auoit affec‍tueuſemẽt recommandé à l’hofteſ‍ſe.
Le laquais interrogué, reſpond que ce iour-la, bien matin, ſon maiſ‍tre l’auoit enuoye à Chailly, pour le prier de faire en ſorte, que l’eſcuyer du duc de Guyſe, tint les cheuaux qu’il luy auoit promis tous preſ‍ts : Quant au nom de ſon maiſ‍tre, il n’y auoit pas long temps qu’il eſ‍toit à luy & ne l’auoit ouy appeller que Bolland, l’vn des ſoldats de la garde du Roy : mais à la vérité dire, c’eſ‍toit Mont-reuel de Brie, celuy qui aux guerres paſ‍ſees tua en trahiſon le ſeigneur de Mouy.
Le roy de Nauarre, le prince de Cõdé, le comte de la Roche foucaut, & pluſieurs autres Seigneurs, Barons, & gentils-hommes Huguenots, aduertis de la bleſ‍ſeure, vindrent incontinent viſiter l’Amiral : il y vint auſsi pluſieurs autres ſeigneurs, & gentils-hommes Catholiques, amis de l’Amiral, tous biẽ fort marris de ce qui luy eſ‍toit auenu.
Les playes penſees par les plus experts chyrurgiens, le roy de Nauarre, & le prince de Condé allerẽt trouuer le Roy, auquel ils firent leurs plaintes ſelon le merite du faic‍t : remonſ‍trans qu’il ne faiſoit pas ſeur dans Paris pour eux, & le ſuppliãs treshumblemẽt de leur donner congé d’en ſortir, & de ſe retirer ailleurs.
Le Roy ſe complaignant auſsi à eux du deſaſ‍tre auenu, & les conſolant, iura & promit de faire du coulpable, des conſentans & fauteurs ſi memorable iuſ‍tice, que l’Amiral & ſes amis auroyẽt dequoy ſe contenter : cependant il les prie de ne bouger de la cour, & qu’ils luy en laiſ‍ſent la punition & vengeance, & s’aſ‍ſeurent qu’il y pouruoira bien toſ‍t.
La Royne mere qui là auſsi eſ‍toit, monſ‍troit d’eſ‍tre bien fort marrie du cas aduenu : Que c’eſ‍toit vn grand outrage fait au Roy, qu’à le ſupporter auiourd’huy, demain on prendroit la hardieſ‍ſe d’en faire autant dans le Louure, vne autre fois dans ſon lic‍t, & l’autre dedans ſon ſein & entre ſes bras. Par ceſ‍t artifice, le roy de Nauarre, le prince de Condé, les autres ſeigneurs & gentils hommes François Huguenots, furent arreſ‍tez dans Paris. Mais pource qu’il ſembla bon à aucuns d’entr’eux, de faire conduire l’Amiral en ſa maiſon de Chaſ‍tillon ſur Loin diſ‍tant deux iournees de Paris : le Roy pour empeſcher ce deſ‍ſein , luy offrit chãbre dãs le Louure pour s’y retirer : Que s’il ne pouuoit pour la douleur des playes remuer de logis, il luy enuoyeroit vne cõpagnie des ſoldats de ſa garde, pour la ſeureté de ſa perſonne & de ſon logis.
L’Amiral entendant les honeſ‍tes offres que le Roy luy faiſoit, l’en remercia beaucoup de fois treshumblement, & ſe recognoiſ‍ſant eſ‍tre aſ‍ſez aſ‍ſeuré en la protec‍tion du Roy, apres Dieu, il diſoit n’auoir beſoin d’aucune autre garde : toutefois il y eut ce iour-la enuiron cent ſoldats poſez en garde deuant ſon logis, par le commandemẽt du Roy.
Cependant on pourſuyuit le criminel, lequel s’enfuyant & paſ‍ſant par Ville neuue ſainc‍t George (où il print vn autre cheual) alloit diſant tout haut, Vous n’auez plus d’Amiral en France
Le Roy en ces entrefaites commanda à Nancé, l’vn des capitaines de ſes gardes, d’aller ſaiſir Chailly, & le mener en priſon : mais il auoit deſia gagné le haut, ou pour le moins il s’eſ‍toit caché ſi bien, qu’on ne le vouloit trouuer.
Ce iour-là, le Roy eſcriuit des letres à tous les gouuerneurs des prouinces, & des principales villes de ſon Royaume, & auſsi à ſes ambaſ‍ſadeurs eſ‍tans pres des princes eſ‍trangers : par leſquelles il les aduertiſ‍ſoit de ce qui eſ‍toit auenu, & promettoit de faire en ſorte, que les autheurs & coulpables d’vn ſi meſchãt ac‍te, ſeroyent deſcouuerts & chaſ‍tiez ſelon leurs demerites. Cependãt qu’ils fiſ‍ſent entendre à tout le monde, combien ceſ‍t outrage luy deſplaiſoit. La Royne mere ce meſme iour eſcriuit des letres de meſme ſuſ‍tãce auſdic‍ts gouuerneurs & ambaſ‍ſadeurs.
Le Roy ce iour-là apres ſon diſner (qu’il fit court) enuiron deux heures apres midy, & auec luy la Royne ſa mere, ſes freres, tous les Mareſchaux de France (excepté celuy de Mont-morency, qui le iour auparauant eſ‍toit allé à la chaſ‍ſe) le cheualier d’Angoleſme, le duc de Neuers, Chauigny, & pluſieurs autres capitaines, alla viſiter l’Amiral, qui mouroit d’enuie de luy parler : le Roy l’ayant ouy, & faiſant du pleureux, confeſ‍ſa librement, que l’Amiral s’aſ‍ſeurant ſur ſa foy & bienvueillance, eſ‍toit venu à la cour : & partant quoy que la douleur des bleſ‍ſures fuſ‍t à l’Amiral, que l’iniure & l’outrage eſ‍toit fait à luy, & qu’il eſ‍toit reſolu de tout ſon cœur, d’en auoir la raiſon, & en faire iuſ‍tice ſi exemplaire, qu’il en ſeroit memoire à iamais.
L’Amiral repliqua, qu’il en remettoit la vengeance à Dieu, & au Roy le iugemẽt : quant à l’autheur du faic‍t, qu’il eſ‍toit aſ‍ſez bien cognu. Et pource qu’il ne ſcauoit s’il auoit encores longuement à viure, il ſupplioit treshumblement le Roy de l’ouyr ſur certaines choſes qu’il luy vouloit cõmuniquer, qui eſ‍toyent treſneceſ‍ſaires à l’eſ‍tat de ſon Royaume.
Le Roy à ceſ‍te demande, ayant fait ſemblant de vouloir ouyr l’Amiral en ſecret, commanda que chacun ſortiſ‍t de la chambre, quand la Royne-mere, qui n’abandonnoit le Roy d’vn pas empeſcha (ie ne ſcay pourquoy) que ce colloque ſecret ne ſe fiſ‍t.
Le ſamedi ſuyuant 23. iour d’Aouſ‍t, les playes ſe portoyent aſ‍ſez bien, tellement que les medecins & chyrurgiens diſoyent, que la vie de l’Amiral n’en eſ‍toit en aucũ danger : que le bras, en perdant bien peu de ſa force, ſeroit aiſément gueri.
Ce iour-la de ſamedi, le Roy enuoya viſiter l’Amiral par diuers gentils hommes. La nouuelle eſpouſee l’alla auſsi viſiter.
Ce meſme ſamedi, dãs le cõſeil priué du Roy, furent examinez certains teſmoins, touchant l’arquebouzade, le tireur, & les coulpables : tellemẽt que l’Amiral & ſes amis, croyans que la voye à iuſ‍tice leur fuſ‍t ouuerte, ſe reſiouiſ‍ſoyent grandement, s’aſ‍ſeurans de pouuoir facilement conuaincre les autheurs du faic‍t : dequoy ils aduertirent leurs amis en pluſieurs endroits du Royaume, par des letres qu’ils leur eſcriuirent, les prians de ne bouger, & ne ſe faſcher de ce qui eſ‍toit aduenu à l’Amiral. Que Dieu & le Roy eſ‍toyent puiſ‍ſans d’en faire la vengeance : que deſia on commençoit à proceder contre le coulpable & ſes fauteurs par iuſ‍tice, & les bleſ‍ſures n’eſ‍toyent pas, Dieu merci à mort : que combien que le bras fuſ‍t bleſ‍ſé, le cerueau ne l’eſ‍toit pas. En ceſ‍te façon les conſolant par letres, les auertiſ‍ſoyent de ſe tenir coys, en attendant l’iſ‍ſue telle qu’il plairoit à Dieu d’enuoyer.
Ce iour-la Monſieur frere du Roy, & le cheualier d’Angouleſme ſe pourmenoyent dans vn coche par la ville de Paris, enuiron les quatre heures apres midy. Dés ceſ‍te heure-là il courut vn bruit par Paris, que le Roy auoit mandé le mareſchal de Mont-morency, pour le faire venir à Paris, auec grand nombre de caualerie & d’infanterie : que partant les Pariſiens auoyent occaſion de ſe prendre garde : mais ce bruit-là eſ‍toit faux.
On vit entrer ce iour-la ſix crocheteurs chargez d’armes dans le Louure : dequoy Teligny auerti par le trompette de l’Amiral, reſpõdit, Que c’eftoyent des peurs qu’on ſe donnoit ſans occaſion : qu’il eſ‍toit treſaſ‍ſeuré de la bonne intentiõ du Roy, qu’il cognoiſ‍ſoit fort bien ſon cœur & ſes affec‍tions : qu’on ne deuoit pas ſe faire accroire des choſes tant hors de propos. Ie croy que Teiligny ny penſoit aucun mal, d’autant que le iour deuant la bleſ‍ſeure de l’Amiral, on auoit ordonné certain combat & aſ‍ſaut, qu’on deuoit donner à vn chaſ‍teau, qui pour ceſ‍t effec‍t deuoit eſ‍tre dreſ‍ſé, à quoy les courtiſans eſ‍toyent conuiez de ſe preparer.
Le Roy, pour aſ‍ſembler les ſeigneurs & gentils hommes Huguenots en vn quartier, leur fit à tous marquer logis pres celuy de l’Admiral, pour luy eſ‍tre plus pres & à poinc‍t : quelques vns y allerẽt loger, les autres ne peurent ſi toſ‍t changer de logis.
Le comte de Montgomery, Briquemaut le pere, & quelques autres gentils hommes, auoyent mandé à Teligny, que s’il vouloit, ils iroyent volontiers veiller au logis de l’Amiral : mais Teligny les remerciant, leur manda qu’il n’eſ‍toit ia de beſoin.
Cependant les autres veilloyent : le Cheualier d’Angouleſme (qui ne ſe voulut point aller coucher) entretenant ſes plus intimes amis, leur donnoit bon courage, les aſ‍ſeurãt qu’il ſeroit ce iour la Amiral de France : mais il fut trompé, d’autant que l'eſ‍tat vaquãt fut dõné au marquis de Villars.
La Royne-mere, peu apres la minuic‍t du ſamedi paſ‍ſee, fut veuë entrer dans la chambre du Roy, n’ayãt auec elle qu’vne femme de chambre, quelques ſeigneurs qui y furent mandez, y entrerẽt peu de temps apres, mais ie ne ſcay pourquoy ce fut. Bien eſ‍t vray que deux heures apres, on donna le ſigne du temple de ſainc‍t Germain l’Auxerrois, à ſon de cloche : lequel ouy, ſoudain les ſoldats qui eſ‍toyent en garde deuant le logis de l’Amiral, forçant la porte du logis, y entrerent facilement, leur ayant eſ‍té auſsi toſ‍t ouuerte, que le nom du Roy (duquel ils ſe vantoyent) y fut ouy. Le duc de Guyſe y entra auſsi toſ‍t apres à cheual, accompagné d’vne grande troupe de ſes partizãs : il n’y eut que peu ou point de reſiſ‍tance, n’eſ‍tans ceux de la famille, & ſuite, de l’Amiral, aucunement armez.
L’Amiral oyant le bruit, & craignãt qu’il y euſ‍t quelque ſedition, commanda à vn ſien valet de chambre (qu’on nommoit Nicolas le Trucheman) de monter ſur le toic‍t du logis, & appeller les ſoldats de la garde, que le Roy luy auoit baillez, ne penſant à rien moins que ce fuſ‍ſent ceux qui faiſoyent l’effort & violence : quant à luy, il ſe leua, & s’eſ‍tant affublé de ſa robe de nuic‍t, ſe mit à prier Dieu : & à l’inſtãt vn nommé le Beſme Alleman, ſeruiteur domeſ‍tique du duc de Guyſe, qui auec les capitaines Cauſ‍ſens, Sarlaboux, & pluſieurs autres, eſ‍toit entré dans ſa chambre, le tua : toutefois Sarlaboux s’eſ‍t vanté, que ce fut luy.
 Les dernieres paroles de l’Amiral, parlant au Beſme furent : Mon enfant, tu ne feras ia pourtãt ma vie plus brieue.
On ne pardonna à pas vn de ceux de la maiſon de l’Amiral, qui ſe laiſ‍ſerent trouuer, que tous ne fuſ‍ſent tuez.
Le corps mort de l’Amiral fut ietté par Sarlaboux par les feneſ‍tres de ſa chambre, en la cour de ſon logis, par le commandement du duc de Guyſe, & du duc d’Aumale (qui y eſ‍toit auſsi accouru) & le voulurent voir mort deuant que partir de là.
Le iour de la bleſ‍ſure de l’Amiral, le Roy auoit baillé aduis à ſon beau-frere le roy de Nauarre, de faire coucher dans ſa chambre dix ou douze de ſes plus fauoris, pour ſe garder des deſ‍ſeins du duc de Guyſe, qu’il diſoit eſ‍tre vn mauuais garçon. Or ces gentils-hommes là, & quelques autres qui couchoyent en l’antichambre du roy de Nauarre, furent menez hors deſdic‍tes chambres, apres la mort de l’Amiral, & deſarmez de l’eſpee & dague qu’ils portoyent, par les mains de Nancé, & des ſoldats de la garde du Roy, & menez iuſques à la porte du Louure : là (le Roy les regardant par vue feneſ‍tre) furent tuez en ſa preſence : Entre ceux là eſ‍toyent le baron de Pardillan, le capitaine Pilles, ſainc‍t Martin-Bourſes, & autres dont ie ne ſcay le nom.
Alors on amena le roy de Nauarre, & le prince de Condé au Roy, lequel les voyant leur dit, qu’il n’entendoit ſupporter doreſenauant en ſon Royaume, plus d’vne religion : partant il vouloit qu’ils veſquiſ‍ſent à la façon de ſes predeceſ‍ſeurs, à ſcauoir qu’ils allaſ‍ſẽt à la meſ‍ſe, ſi leur vie & leurs biens leur eſ‍toyent en quelque recommandation.
Le Roy de Nauarre (ſans toutefois condeſcẽdre à la propoſition du Roy) luy reſpondit fort humblement : & le prince de Condé, qui eſ‍t d’vne nature vn peu plus bruſque, ayant reſpondu auſsi vn peu plus aſprement, ne fut menacé par le Roy de moins, que de la perte de ſa teſ‍te, s’il ne ſe rauiſoit dans trois iours, que le Roy luy bailloit pour tous delais, l’appellant opiniaſ‍tre, obſ‍tiné, ſeditieux, & fils de ſeditieux.
Les autres Huguenots qui eſ‍toyent dedans le Louure, auſquels à prix ou priere on auoit iuſqu’alors ſauué la vie, promettoyent de faire tout ce que le Roy commanderoit : Entre autres, Grammont, Gamache, Duras, & certains autres, eurent d’autant plus facilement leur pardon, que le Roy ſcauoit fort bien, qu’ils n’auoyent iamais eu que peu ou point de religion. A l’inſ‍tant on ſonna le toxin du Palais, afin qu’on ſe ruaſ‍t ſur les autres Huguenots (de toutes qualitez & ſexes) qui eſ‍toyent dãs la ville : leur pretexte eſ‍toit, vn bruit qu’ils firent courre, qu’on auoit deſcouuert vne conſpiration faite contre le Roy, ſa mere, & ſes freres, par les Huguenots : leſquels auoyẽt deſia tué plus de quinze ſoldats de la garde (ce diſoyent ceux qui eſ‍toyent morts) partant le Roy commandoit qu’on ne pardonnaſ‍t à pas vn Huguenot.
Les Courtiſans, & les ſoldats de la garde du Roy, furent ceux qui firent l’execution ſur la Nobleſ‍ſe, finiſ‍ſans auec eux (ce diſoyent-ils) par fer & deſordre les procès, que la plume, le papier, & l’ordre de iuſ‍tice, n’auoyent iuſqu’a lors ſceu vuider : De ſorte, que les chetifs, accuſez de conſpiration & d’entrepriſe, tous nuds, mal-auiſez, demi dormans, deſarmez, & entre les mains de leurs ennemis, par ſimplicite, ſans loiſir de reſpirer, furent tuez qui dans leurs lic‍ts, qui ſur les toic‍ts des maiſons, & qui en autres lieux, ſelon qu’ils ſe laiſ‍ſoyent trouuer.
Le comte de la Roche-foucaut, qui iuſques apres onze heures de la nuic‍t du ſamedi, auoit deuiſé, ris, & plaiſanté auec le Roy, ayant à peine cõmencé ſon premier ſomne, fut reſueillé par ſix maſques, & armez, qui entrerent dans ſa chambre : entre leſquels cuidant le Roy eſ‍tre, qui vinſ‍t pour le fouëtter à ieu : il prioit qu’õ le traitaſ‍t doucement, quand apres luy auoir ouuert & ſaccagé ſes coffres, vn de ces maſques (valet de chambre du duc d’Aniou) le tua, par le commandement de ſon maiſ‍tre.
Bien eſ‍t vray que le capitaine la Barge, qui eſ‍toit l’vn des maſquez, auoit eu commandement du Roy de l’aller tuer auec promeſ‍ſe d’auoir la compagnie de gendarmes du comte de la Roche-foucaut, ny eſ‍tant autrement voulu aller qu’à celle condition. Et quoy que le valet, comme on m’a dit, l’ait anticipé à tuer, ſi n’a-il pas pourtant moins eu la compagnie du comte meurtry.
Teligny fut veu de pluſieurs courtiſans, & quoy qu’ils euſ‍ſent charge de le tuer, ils n’eurent oncques la hardieſ‍ſe de ce faire en le voyant, tant il eſ‍toit de douce nature, & aimé de qui le cognoiſ‍ſoit : à la fin vn qui ne le cognoiſ‍ſoit pas, le tua.
Le marquis de Renel fut chaſ‍ſé tout en chemiſe, iuſques à la riuiere de Seine, par des ſoldats & le peuple, & là fait monter ſur vn petit bateau, fut tué par Buſ‍ſy d’Amboyſe ſon couſin.
Monſieur frere du Roy, pour gratifier à l’Archan capitaine de ſa garde, amoureux de la Chaſ‍tegneraye, enuoya tuer par les ſoldats de ſa garde, le ſeigneur de la Forſe ſon beau-pere : & cuidant auoir tué deux des freres de la Chaſ‍tegneraye, il ne s’en trouua qu’vn mort, l’autre eſ‍toit ſeulement bleſ‍ſé, & caché ſous le corps mort de ſon pere qui luy eſ‍toit trebuſché deſ‍ſus, d’où ſur le ſoir il ſe deſpeſ‍tra ſe gliſ‍ſant iuſques dedãs le logis du ſeigneur de Biron ſon parent : Ce que fachant la Chaſ‍tegneraye ſa foeur, marrie de ce que tout l’heritage ne luy pouuoit demeurer, vĩt trouuer le ſeigneur de Biron à l’Arcenal, où il eſ‍toit logé, feignant d’eſ‍tre bien aiſe que fon frere fuſ‍t eſchappé, & diſant qu’elle deſiroit le voir & le faire penſer : Mais le ſeigneur de Biron qui s’apperceut de la fraude, ne le luy voulut deſcouurir, luy ſauuant par ce moyen la vie.
Le preſident de la Place, homme fort doc‍te, & rare, fut à coups de hallebarde mené iuſques à la Seine, tué & ietté dans l’eau : autant en fut fait à Pierre Ramus, lec‍teur publique du Roy. A l’auocat de Chappes auſsi, & à l’Omenie ſecretaire du Roy, apres luy auoir fait faire (ſous promeſ‍ſe de luy ſauuer la vie) donaiſon du plus beau de ſon bien, & reſignation de ſon eſ‍tat de ſecretaire : pluſieurs autres furent maſ‍ſacrez de meſmes, deſquels ie ne ſcauroy’ dire les noms.
Les commiſ‍ſaires, quarteniers, & dixeniers de Paris, alloyent auec leurs gens de maiſon en maiſon, là où ils cuidoyent trouuer des Huguenots, ſe faiſant ouurir les portes par le Roy, & vengeãt ſur poures artiſans, ieunes, vieux, femmes & enfans Huguenots, leur conſpiration pretẽdue. ſans auoir eſgard à ſexe, aage, ou condition quelconque : Eſ‍tans à ce faire animez & induits, par les ducs d’Aumale, de Guyſe, & de Neuers, qui alloyent par les rues diſans, Tuez tout, le Roy le cõmande. Les charrettes chargees des corps morts de damoiſelles, femmes, filles, hommes & enfans, eſ‍toyent conduits à la riuiere.
De bon heur, le ſeigneur de Fontenay, frere de monſieur de Rohan, le Vidame de Chartres, le comte de Mont-gomery, le ſeigneur de Caumõt, l’vn des Pardillans, Beauuois la Nocle, & pluſieur autres ſeigneurs & gentils hommes Huguenots, eſ‍toyent logez aux fauxbourgs ſainc‍t Germain, vis à vis du Louure, la riuiere entre deux : Et Dieu voulut que Marcel, preuoſ‍t des marchãs de Paris, ayant dés le ſamedi au ſoir eu commandement du Roy, de luy tenir mille hommes armez preſ‍ts ſur la minuic‍t du Dimanche, pour les bailler à Maugiron (auquel il auoit donné charge de depeſcher ceux des faux bourgs, ayant auſsi commandé au commiſ‍ſaire du quartier & au Contrerolleur du Mas, de le guider auec ſa troupe par les logis des Huguenots) n’eut pas ſes gẽs preſ‍ts, & que du Mas Commiſ‍ſaire s’endormit plus de l’heure aſsignee : & cependant vn certain homme (qu’on n’a pas veu ny cognu depuis) qui eſ‍toit paſ‍ſé dans vne nacelle de la ville aux fauxbourgs ſainct Germain, ayant veu tout ce qui auoit eſ‍té fait toute la nuic‍t ſur les Huguenots en la ville, auertit enuiron les cinq heures du Dimanche matin, le conte de Montgommery de ce qu’il en ſcauoit. Le comte de Montgommery en bailla auertiſ‍ſement au Vidame de Chartres, & aux autres ſeigneurs & gentils hommes Huguenots logez aux fauxbourgs : pluſieurs deſquels ne ſe pouuans perſuader que le Roy fuſ‍t (ie ne dy pas autheur, mais ſeulement conſentant de la tuerie) ſe reſolurent de paſ‍ſer auec barques la riuiere, & aller trouuer le Roy : aimant beaucoup mieux ſe fier en luy, qu’en fuyant, monſ‍trer d’en auoir quelque deffiance : d’autres y en auoit, leſquels cuidans que la partie fuſ‍t dreſ‍ſee contre la perſonne du Roy meſme, ſe vouloyent aller rendre pres de ſa perſonne, pour luy faire treshumbleſeruice, & mourir ſi beſoin eſ‍toit à ſes pieds, & ne tarda gueres qu’ils virent ſur la riuiere, & venir droic‍t à eux (qui eſ‍toyent encores és fauxbourgs) iuſqu’à deux cens ſoldats armez de la garde du Roy, crians, Tue , tue : & leurs tirans harquebouſades à la veuë du Roy, qui eſ‍toit aux feneſ‍tres de ſa chambre, & pouuoit eſ‍tre alors enuiron ſept heures du Dimanche matin. Encores m’a-on dic‍t que le Roy prenant vne harqueboufe de chaſ‍ſe entre ſes mains, en reniant Dieu, dit : Tirons, mort-Dieu, ils s’enfuyent. A ce ſpec‍tacle ne ſachãs les Huguenots des fauxbourgs que croire, furent contrains qui à pied, qui à cheual, qui botté, & qui ſans bottes & eſperons, laiſ‍ſans tout ce qu’ils auoyent de plus precieux, s’enfuir pour ſauuer leur vie, là où ils cuidoyẽt auoir lieu de refuge plus aſ‍ſeuré. Ils ne furent pas partis que les ſoldats, les Suyſ‍ſes de la garde du Roy, & aucuns des courtiſans, ſaccagerent leurs logis, tuans tous ceux qu ils trouuerent de reſ‍te.
Encores vint-il bien à propos, que le duc de Guyſe voulãt ſortir par la porte de Buſ‍ſy, ſe trouua auoir eſ‍té pris vne clef pour l’autre, ce qui dõna tint plus de loiſir de monter à cheual aux pareſ‍ſeux. Et ne laiſ‍ſerent pourtant d’eſ‍tre pourſuyuis par le duc de Guyſe, le duc d’Aumale, le cheualier d’Angouleſme, & par pluſieurs gentils- hommes tueurs, enuiron huic‍t lieues loin de Paris, le duc de Guyſe fut iuſques à Montfort, où il s’arreſ‍ta, & manda à ſainc‍t Cegier & autres gentils-hommes d’alentour, de ſon humeur & partiſans ſiens, de faire en ſorte, que leſdic‍ts ſeigneurs & gentils-hommes qui ſe ſauuoyent de viſ‍teſ‍ſe, n’eſchappaſ‍ſent point : autant en enuoya-il dire à ceux de Houdã & de Dreux. En ceſ‍te chaſ‍ſe d’hõmes, il y en eut quelques vns de bleſ‍ſez, & biẽ peu ou point de tuez.
Les ducs de Guyſe & d’Aumale, quelque ſemblant qu’ils fiſ‍ſent, s’y deporterẽt aſ‍ſez doucemẽt, & comme ſi leur cholere fuſ‍t appaiſee apres la mort de l’Amiral : ils ſauuerent à beaucoup la vie, meſmes en leur maiſon de Guyſe, où le ſeigneur d’Acier, & quelques autres Huguenots ſe retirerent à ſauueté : tellement qu’à leur retour de la pourſuyte, & quelques iours apres, le Roy leur en fit mauuais viſage, croyant que ceux qui eſ‍toyent reſchappez, n’eſ‍toyent ſauuez que par leur faute.
Tout ce iour de Dimãche 24. d’Aouſ‍t, fut employé à tuer, violer, & ſaccager : de ſorte, qu’on croit que le nombre des tuez ce iour-la dans Paris & ſes faux-bourgs, ſurpaſ‍ſe dix mille perſonnes, tant ſeigneurs, gentils-hommes, preſidens, conſeillers, aduocats, eſcoliers, medecins, procureurs, marchands, artiſans, femmes, filles, qu’enfans, & preſcheurs. Les rues eſ‍toyent couuertes de corps morts, la riuiere teinc‍te en ſang, les portes & entrées du palais du Roy peinc‍tes de meſme couleur : mais les tueurs n’eſ‍toyent pas encore ſaoulez.
Le Roy, la Royne ſa mere, & meſsieurs ſes freres, & les dames ſortirent ſur le ſoir, pour voir les morts l’vn apres l’autre : Entre autres, la Royne-mere voulut voir le ſeigneur de Soubize, pour ſcauoir à quoy il tenoit, qu’il fuſ‍t impuiſ‍ſant d’habiter auec ſa femme.
Vers les cinq heures apres midy de ce Dimanche, il fut fait vn ban auec les trompettes de par le Roy, Que chacun euſ‍t à ſe retirer dans les maiſons, & que ceux qui y eſ‍toyent, n’euſ‍ſent à en ſortir hors : ains fuſ‍t ſeulement loiſible aux ſoldats de la garde. & aux cõmiſ‍ſaires de Paris auec leurs trouppes, d’aller par la ville armez, Sur peine de grief chaſ‍tiement à qui feroit au contraire.
Pluſieurs ayans ouy ce ban, penſoyent que l’affaire ſe mitigueroit : mais le lendemain & iours ſuyuans, ce fut à recommencer.
Ce iour meſme de Dimanche, le Roy eſcriuit des letres à ſes ambaſ‍ſadeurs pres les princes eſtrangers, & aux gouuerneurs des prouinces, & villes capitales du Royaume, les auertiſ‍ſant que l’homicide de l’Amiral ſon treſcher & bien aimé couſin, & des autres Huguenots, n’auoit pas eſ‍té fait de ſon conſentement, ains du tout contre ſa volonté : Que la maiſon de Guyſe, ayant deſcouuert que les amis & parẽs de l’Amiral, vouloyent de ſa bleſ‍ſeure faire quelque haute vengeance : pour les anticiper, auoyent aſ‍ſemblé des gentils-hommes & des Pariſiens leurs partiſans, en tel nombre, qu’ayans premierement forcé la garde que le Roy auoit donnee à l'Amiral, & eſtans entrez en ſon logis le ſamedi de nuic‍t, ils l’auoyent tué, luy & ſes amis qu’ils auoyent peu rencontrer, au treſgrand regret du Roy, de la Royne ſa mere & de ſes freres, eſ‍tant contraint de l’endurer, & pour la crainte qu’il auoit de ſa propre perſonne, ſe contenir dedans le Louure, où il auoit auec luy ſon treſcher frere le roy de Nauarre, & ſon bienaimé couſin le prince de Condé, qui iouiroyent de pareille fortune que luy : Ce qu’il vouloit bien que tout le monde ſceuſ‍t, & entendiſ‍t le deſplaiſir qu’il auoit eu, de voir qu’ayant tant de fois tenté la ſincere reconciliation du duc de Guyſe , & de l’Amiral, c’eſ‍toit neantmoins pour neant.
Auec ces letres, le Roy enuoya enſemble des patentes, par leſquelles il eſ‍toit deffendu de porter armes illicites, de faire aſ‍ſemblees illicites, ou choſe aucune en fraude, & alencontre des Edic‍ts de paix, ſous le benefice deſquels, il commandoit à tous ſes ſuiets, de ſe comporter & viure paiſiblement l’vn auec l’autre : Ces letres eſ‍toyẽt ſignees par Pinart ſecretaire d’eſ‍tat, le 24. d’Aouſ‍t.
La Royne-mere eſcriuit auſsi des letres auſdits gouuerneurs & ambaſ‍ſadeurs, de meſme ſuſ‍tance que les letres du Roy. N’en l’vne n’en l’autre de ces letres, il n’eſ‍toit faite aucune mention de la conſpiratiõ de l’Amiral, ne de ſes conſorts. Mais combiẽ que ces letres fuſ‍ſent enuoyees par les prouinces de la France, dans Paris on n’oyoit parler de choſe qui en approchaſ‍t, ne qui tendiſ‍t à appaiſer la furie des ſeditieux.
Le lundi 25. d’Aouſ‍t, les Pariſiens ayans aſsis des gardes aux portes de leur ville, par commandement du Roy qui en voulut auoir les clefs, afin (ce diſoit-il) que nul Huguenot eſchappaſ‍t par cõpere ou par commere, apres auoir moiſ‍ſonné le champ à grand tas & à pleine main, ils alloyent cueillant çà & là les eſpics reſ‍tans du iour precedent : menaçant de mort quiconque receleroit aucun Huguenot, quelque parent ou amy qu’il luy fuſ‍t : de ſorte, que tant qu’ils en trouuerent de reſ‍te, furent tuez, & leurs meubles baillez en proye, comme auſsi les meubles des abſens.
Le Roy donna aux Suyſ‍ſes de ſa garde, pour le bon deuoir qu’ils avoyent monſ‍tré en ceſ‍t affaire, le ſac & pillage de la maiſon d’vn treſ riche lapidaire, nommé Thierry Baduere : i’ay’ ouy dire, que ce qu’on luy a pillé, valoit plus de deux cens mille eſcus.
Le pillage des ſeigneurs, gentilshommes, marchands, & autres Huguenots tuez, eſ‍toit fait par authorité priuee, ou donné & departi par le Roy à ſes courtiſans, & autres ſiens bons ſeruiteurs : deſquels les aucuns trouuãs quelque choſe de ſingulier parmi la deſpouille des morts, le venoyent offrir & preſenter au Roy, à ſa mere, ou à quelque autre des Princes à qui ils eſ‍toyent plus affec‍tionnez.
En ces entrefaites le Roy aſ‍ſembla ſon conſeil, auquel furent monſ‍trees par Monſieur frere du Roy, certaines letres du mareſchal de Montmorency, à Teligny, du vendredi 22. d’Aouſ‍t apres la bleſ‍ſure de l'Amiral, en reſponſe de celles que Teligny luy en auoit eſcrit : & furent leſdic‍tes letres trouuees dãs les coffres & entre les papiers de Teligny mort : Par icelles, le mareſchal de Montmorency monſ‍troit ouuertement, le deſplaiſir qu’il auoit receu, entendant la bleſ‍ſure de l’Amiral ſon couſin : Qu’il ne vouloit pas en pourſuyure moins la vengeance, que ſi l’outrage euſ‍t eſ‍té fait à ſa propre perſonne, n’eſ‍tant pas pour laiſ‍ſer en arriere, choſe qui peuſ‍t ſeruir à ceſ‍t effec‍t, ſachant combien vn tel ac‍te eſ‍toit deſplaiſãt au Roy.
Or auoit il eſ‍té conclu au ſecret conſeil d’entre le Roy, la Royne-mere, Mõſieur frere du Roy le duc d’Aumale, le duc de Neuers, le comte de Rets, Lanſac, Tauanes, Moruilliers, Limoges, & Villeroy (tenu quelques iours auant la tuerie) qu’auſsi toſ‍t que l’Amiral & les Huguenots ſeroyent depeſchez dans Paris, le duc de Guyſe, & ceux de ſa maifon vuideroyent, & ſe retireroyent hors de Paris en quelqu’vne de leurs maiſons : afin qu’il ſemblaſ‍t mieux à toute la France, & aux regions voiſines, que c’eſ‍toyent ceux de Guyſe qui auoyẽt fait le tout, ſans le ſceu du Roy : pour venger ſur l’Amiral & autres Huguenots, la mort du vieux duc de Guyſe, qu’vn Huguenot auoit tué au premiers troubles de la France. Voila pourquoy en ſes letres du Dimanche, il auoit le tout iette ſur ceux de Guyſe : mais ceux de Guyſe voyans l’atrocité du faic‍t auenu, & conſiderans qu’ils attiroyẽt ſur eux & leur poſ‍terité l’ire de tous hommes, à qui l’humaine ſocieté eſ‍t chere : & par conſequẽt ſe mettoyent en butte, à laquelle chacun viſeroit, comme ſur les ſeuls autheurs & coulpables : preuoyans, di-ie, le mal qui leur en pourroit auenir, eſ‍tans retournez dans Paris, n’en voulurent ſortir, n’abandonner la cour, demandans au contraire inſ‍tamment, que le Roy aduouaſ‍t le tout.
Le Roy auec le meſme conſeil que deſ‍ſus, tant à l’occaſion des letres du mareſchal de Montmorency (qui prenoit pretexte ſur la volonté du Roy de ſe vouloir venger) que par ce que ceux de Guyſe ne vouloyent ſortir hors de Paris, ny ſe charger de la faute, fut contraint le tout aduouër : Car diſoyent ceux de ſon cõſeil, ſi le mareſchal de Montmorency, ſeulement pour la bleſ‍ſeure de l’Amiral ſon couſin, eſ‍t ſi fort piqué, & menace tant : que fera il quand il en entendra la mort, & de tant de gens qu’il aimoit ? & ſi la maiſon de Guyſe ne s’en charge, comment couurira on le faic‍t ? Partant, le Roy par l’auis de ſondic‍t conſeil, reſcriuit des letres à ſes ambaſ‍ſadeurs, & aux gouuerneurs des prouinces, & villes principales de la France : par leſquelles il les auertiſ‍ſoit, que ce qui eſ‍toit auenu à Paris, ne concernoit aucunement la religion, ains auoit eſ‍té ſeulement fait pour empeſcher l’executiõ d’vne maudite cõſpiration, que l’Amiral & ſes alliez auoyent faite, contre luy, ſa mere & ſes freres : partant vouloit que ſes Edic‍ts de pacification fuſ‍ſent obſeruez : Que s’il auenoit que quelques Huguenots, eſmeus des nouuelles de Paris, s’aſ‍ſemblaſ‍ſent en armes en quelque lieu que ce fuſ‍t, il commandoit à ſeſdic‍ts gouuerneurs de tenir la main qu’ils fuſ‍ſent diſsipez, & rompus. Et afin que par les ſtudieux de nouueauté, quelque ſiniſ‍tre cas n’aduint, il entendoit que les portes des villes de ſon Royaume, fuſ‍ſent bien & diligemment gardees : remettant ſur la creance des porteurs, le ſurplus de ſa volonté.
Ces letres ne furent pas ſi toſ‍t receues à Meaux, Orleãs, Tours, Angiers, Bourges, Thoulouze, & en pluſieurs autres citez, que les Huguenots par le commandement des gouuerneurs, y furent tuez. Quelques gouuerneurs moins cruels, comme Mandelot à Lion, & Carrouges à Rouen, ſe contenterent pour le commencemẽt de faire empriſonner les Huguenots de leurs villes : mais peu de iours apres, auſsi bien furent-ils tuez.
Le meſme iour du lundi au matin, le Roy enuoya quelques capitaines & ſoldats de ſa garde à Chaſ‍tillon ſur Loin, pour luy amener les enfans de l’Amiral, & de ſon feu frere d’Andelot, de gré, ou par force : mais on trouua les aiſnez partis, & deſia ſauuez à la fuite.
Le duc d’Auiou enuoya pareillement des ſoldats de ſa garde à la campagne, és enuirons de Paris, viſiter les Huguenots dans leurs maiſons aux champs, & les y tuer : Et afin que nul ny fuſ‍t eſpargné, il enuoyoit à poinc‍t nommé en diuers quartiers, ceux de ſes ſoldats qui ny cognoiſ‍ſoyẽt perſonne, tellemẽt qu’auſsi ils n’en eſpargnerent pas vn, excepté quelques vns qui furent prins à rançõ par ceux qui eſ‍toyent plus frians de l’argent : Et ſi ne laiſ‍ſoyent pas pourtãt de tuer les priſonniers apres leur rançon payee.
Ces iours de dimanche & de lundi, le temps fut beau & ſerein à Paris, & és enuirons : tellemẽt que le Roy s’eſ‍tant mis aux feneſ‍tres du Louure, contemplant le temps, dit, Qu’il ſembloit que le temps ſe reſiouiſ‍t, de la tuerie des Huguenots.
Enuiron le midi du lundi (hors de toute ſaiſon) on vit vn aubeſpin fleury au cemetiere ſainc‍t Innocent : Si toſ‍t que le bruit en fut eſpandu par la ville, le peuple y accourut de toutes parts, criãt, Miracle, miracle, & les cloches en carrillonnerẽt de ioye. On fut contraint pour empeſcher la foule du peuple, & afin que le miracle (qui eſ‍toit cõme il a eſ‍té ſceu, fait par l’artifice d’vn bon vieux homme de cordelier) ne fuſ‍t deſcouuert, & auilé : on fut, di-ie, contraint d’aſ‍ſeoir des gardes à l’entour de l’aubeſpin, pour empeſcher le peuple de s’y approcher de trop pres. Il n’y eut pas faute de gens qui interpretoyent ce miracle ne vouloir de noter autre choſe, ſinon que la France recouureroit ſa belle fleur & ſplendeur perdue. Le peuple s’en retournant de la veuë de l’aubeſpin content & ſatisfait, penſant que Dieu par vn tel ſigne approuuaſ‍t toutes leurs ac‍tions, s’en alla droic‍t au logis du defũc‍t Amiral : où ayãt trouué ſon corps mort, le prindrent, & l’ayãs trainé par les rues iuſques au bord de la riuiere, luy coupperent le mẽbre, & puis la teſ‍te, qu’vn ſoldat de la garde (par commandement comme il diſoit) porta au Roy : le tronc, auec dagues & couteaux laceré, & deſchiqueté en toutes ſortes par la populaſ‍ſe, fut à la fin trainé au gibet de Montfaucon, & là pendu par les pieds.
Le mardi 26. d’Aouſ‍t, le Roy accompagné de ſes freres, & des plus grands de ſa cour, s’en alla au Palais de Paris (qu’on appelloit iadis la cour des Pairs de France, & le lic‍t de iuſ‍tice du Roy) Là ſeant en plein ſenat, toutes les chãbres aſ‍ſemblees, il déclara tout haut, que ce qui eſ‍toit auenu dans Paris, auoit eſ‍té fait non ſeulement par ſon conſentement ains par ſon commandement, & de ſon propre mouuemẽt. Partant entendoit-il, que toute la louange & la honte, en fuſ‍ſent reiettees ſur luy.
Alors le premier Preſident, au nom de tout le Senat, en louant l’ac‍te, comme digne d’vn ſi grãd Roy, luy reſpondit, que c’eſ‍toit bien fait, & qu’il l’auoit iuſ‍tement peu faire.
Que qui ne ſcait bien diſ‍ſimuler, ne ſcait regner.

Le pol. C’eſ‍toit bien loin de faire comme la Vacquerie, iadis Preſident en meſme lieu & charge, lequel, comme Paſquier le recite en ſon liure des recerches, Eſ‍tant preſ‍ſé par le roy Loys II. d’emologuer vn Edic‍t qui n’eſ‍toit point de iuſ‍tice, & pour ce qu’il ne le vouloit faire eſ‍tant menacé par ce Roy là de la mort, & tout le parlement auſſi, s’habilla & auec luy tous les Senateurs de Paris de robbes rouges, & en ceſ‍t equippage s’en alla trouuer le Roy qui eſ‍toit courroucé outre meſure. Le Roy eſmerueillé de les voir en vn tel habit hors de ſaiſon, les enquit de ce qu’ils cerchoyent : Surquoy la Vaquerie reſpõdant pour tous, Nous cerchons la mort (dit-il) Sire, de laquelle vous nous auez menacez ſi nous ne confirmions voſ‍tre Edic‍t. Eſ‍tans tous appareillez de la ſouffrir plufſ‍toſ‍t que de faire choſe contre noſ‍tre deuoir & conſcience.

L’hiſ‍t. C’eſ‍tuy-cy n’auoit garde de faire le ſemblable, il prend trop de plaiſir à toute ſorte d’iniuſ‍tice pour s’y vouloir oppoſer. Mais, pour retourner à mon hiſ‍toire, Ainſi que le Roy alloit au palais, vn gentil-homme fut recognu en la trouppe pour Huguenot, & auſsi toſ‍t tué, aſ‍ſez pres du Roy (qui en ſe reuirant pour le bruit, ayant entendu que c’eſ‍toit) Paſ‍ſõs outre, dit-il, pleuſ‍t à Dieu que ce fuſ‍t le dernier !
Ce iour de mardi, & autres iours ſuyuans, il y eut peu de Huguenots tuez dans Paris, Car auſsi y en auoit-il peu de demeurez de reſ‍te.
Quelques Catholiques, prindrent la hardieſ‍ſe de ſauuer la vie à aucuns de leurs anciens amis & parens. Entre autres, Feruaques la voulut ſauuer au capitaine Monins, pour lequel il alla prier le Roy, & pour tous ſes ſeruices paſ‍ſez, de luy donner la vie qu’il luy auoit ſauuee iuſques à l’heure : mais ce fut en vain, car le Roy luy commanda de tuer Monins, ſi luy meſme ne vouloit mourir de la main de Charles. Feruaques eut horreur du faic‍t (quoy qu’il fuſ‍t fort aſpre ennemy des Huguenots, & qu’il en euſ‍t tué & ſaccagé pluſieurs de ſa main les iours precedens) pour l’amitié particuliere qu’il portoit à Monins : toutefois il fut contraint de deſcouurir où il eſ‍toit caché, auquel auſsi toſ‍t fut enuoyé vn tueur qui le depeſcha.
Le ſemblable eſ‍t auenu à quelques autres Huguenots, lors qu’ils cuidoyent eſ‍tre eſchappez.
Le ieudi 28. iour d’Aouſ‍t, fut celebré dans Paris vn Iubilé extraordinaire, auec la proceſsion generale, à laquelle le Roy aſsiſ‍ta : ayant premierement ſolicite (mais en vain) le roy de Nauarre par douces paroles, & le prince de Condé par menaces de s’y trouuer.
Le meſme iour furent publiees des letres patẽtes du Roy, par leſquelles ouuertement il declaroit, qu’il ne vouloit plus vſer de paroles couuertes, ny de diſsimulations : Que la tuerie des Huguenots auoit eſ‍té faite par ſon commandement : à cauſe d’vne maudite conſpiration faite par l’Amiral, contre luy, ſa mere, ſes freres, & autres princes & grans ſeigneurs de la cour, n’entendãt pourtant que les Edic‍ts de pacification fuſ‍ſent moins que bien obſeruez : auec tel ſi toutesfois, que les Huguenots ne feroyent faire aucuns preſches, ny aſ‍ſemblees, iuſques à ce qu’autrement y fuſ‍t pourueu.
Au premier exemplaire deſdic‍tes letres, le roy de Nauarre ny eſ‍toit pas compris : mais ſachant bien qu’on tireroit de luy tout le teſmoignage qu’on voudroit, il ſembla bon au conſeil de l’y nõmer.
Ces letres patentes, furent enuoyees par courriers expres à tous les gouuerneurs de la France, auec d’autres letres particulieres du Roy de meſme ſuſ‍tance : Excepté qu’il y eſ‍toit adiouſ‍té vn commandement, Qu’incontinent les Ietres receuës, les gouuerneurs fiſ‍ſẽt tailler en pieces tous les Huguenots que lon trouueroit hors de leurs maiſons. Aucuns Huguenots (que la peur auoit fait ſortir hors de leurs maiſons) entendans ce mandement, ſe retournoyent mettre dedans : les autres qui ne s’y oſoyent fier, & ſe trouuoyent dehors, ſoudain eſ‍toyent tuez, autres prins à rançon : Mais à la fin, ceux qui obeiſ‍ſans au mandement s’eſ‍toyent retirez en leurs maiſons, ne furent pas de meilleure condition que les autres. Et toutefois les gouuerneurs ayãs receu leſdic‍tes letres, donnoyent à entendre, qu’ils ne recerchoyent d’entre les Huguenots, que les coulpables de ceſ‍te derniere conſpiration de l’Amiral : que quãt au paſ‍ſé, ils n’y vouloyent pas ſeulement toucher, n’y s’en ſouuenir.
Mais pource que peu de iours apres fut adiouſ‍té auſdic‍tes letres, que les priſonniers fuſ‍ſent deliurez, & que nul ne fuſ‍t fait doreſenauant priſonnier, excepté ceux qui és guerres ciuilés de la Frãce, auoyent eu quelque charge pour les Huguenots, manié affaires, ou autrement en auoyent eu intelligence : deſquels ſi aucun eſ‍toit pris, on l’euſ‍t à remettre entre les mains du gouuerneur de la ville, ou du pays, qui entendroit du Roy ce qu’il luy plairoit d’en ordonner. Et toutefois on voyoit que les priſonniers n’eſ‍toyẽt point deliurez, ains tous les iours en empriſonnoit-on de nouueaux. Pluſieurs d’entre leſdic‍ts Huguenots moins credules que les autres, ont penſé faire plus ſagemẽt de ſortir viſ‍tement hors de France que d’y demeurer plus longuement : mais ils n’ont pas ſi toſ‍t eſ‍té hors du Royaume (cõbien qu’ils ſe ſoyent retirez és terres cõfederees au Roy) que ſes officiers en beaucoup d’endroits, leur ont ſaiſi & annoté leurs biens, les ont confiſquez, vendu les meubles d’aucuns, & d’aucuns autres ſaccagez & pillez.
Or pour retourner aux choſes de Paris, le Roy le 5. iour du mois de Decembre, ayant fait venir à ſoy Pezou Bouchier (l’vn des conduc‍teurs des Pariſiens) luy demanda, s ’il y auoit encores dãs la ville quelques Huguenots de reſ‍te : A quoy Pezou reſpondit, qu’il en auoit iette le iour auparauant ſix vingts dans l’eau, & qu’il en auoit encores entre ſes mains autant pour la nuic‍t venant : Dequoy le Roy grandement reſiouy, s’en print à rire ſi fort, que ne le ſcauriez croire.
Le 9. iour de Septẽbre, le Roy eſmeu de peur, & de cholere tout enſemble, iurant & blaſphemant qu’il vouloit tuer de ſa main propre tout le reſidu des Huguenots, commanda qu’on luy apportaſ‍t ſes armes, ſe fit armer, & fit venir à ſoy les capitaines de ſes gardes, diſant que par la mort-Dieu, il vouloit commencer à la teſ‍te du prince de Condé. Adonc la Royne regnante s’agenouillant deuant luy, le ſupplia qu’il ne fiſ‍t point vne choſe de ſi grande conſequence, ſans l’auis de ſon conſeil. Le Roy aucunement vaincu des prieres de ſa femme, ſouppa & dormit auec elle : Le matin venu (ce feu luy eſ‍tant vn peu paſ‍ſé) il fit venir le prince de Condé, auquel il propoſa trois choſes, la meſ‍ſe, la mort, ou priſon perpetuelle : & qu’il aduiſaſ‍t laquelle des trois luy agreeroit le plus. Le prince de Condé reſpõdant luy dit, Que moyenãt la grâce de Dieu, il ne choiſiroit iamais la première : les deux dernieres, il les laiſ‍ſoit (apres Dieu) à l’arbitrage & diſpoſition du Roy.
Vray eſ‍t qu’ayant entendu qu’on luy preparoit vne chambre à la Baſ‍tille (où lon a accouſ‍tumé d’empriſonner les Princes) i’ay ouy dire, que ce ieune prince de Condé, a changé du depuis d’auis.
Peu de iours apres, on a imprimé auec priuilege du Roy, certains liures mordans & pleins d’iniures, contre l’Amiral : eſquels nommément eſ‍t diſputé & maintenu, qu’il a eſ‍té loiſible au Roy de traiter ainſi ſes ſuiets, pour la religion violee, ne plus ne moins que furent chaſ‍tiez les ſacrificateurs de Baal. Mais de la coniuration de l’Amiral, point de nouuelles, ces liures n’en dient rien de particulier : & les cõſeillers & courtiſans à qui i’en ay parlé auant mon depart (entre autres meſ‍ſieurs de Foix, & de Mal-aſsiſe) s’en moquent : diſans par leur foy, que ç’a eſ‍té vne galante couuerture : recognoiſ‍ſant le faic‍t ſi barbare & diaboliquement cruel, qu’on ne luy peut donner autre titre (toutefois il eſ‍t mal caché, à qui le cul paroiſ‍t.) Mais quoy qu’il en ſoit, ils diſent, que le Roy veut qu’on croye, qu’il y a eu de la coniuration. Et tout ce qu’il y a de bon c’eſ‍t, qu’ils ont nommé le roy de Nauarre, entre ceux que les Huguenots vouloyent tuer.

Le pol. C’a eſ‍té vne forte inuention que celle-la, pour faire croire la conſpiration : & encore me ſemble plus eſ‍trange, puisqu’ils ſe vouloyent ſeruir de ce pretexte, pourquoy le Roy a mandé à tous ſes officiers, que quoy qu’il en puiſ‍ſe aduenir, il ne veut qu’il y ait autre religion que la ſiene en ſon Royaume : & cependant il veut faire croire aux Princes eſ‍trãgers, qu’il veut entretenir l’Edic‍t de pacification.

Ali. Ie ne trouue cela eſ‍trange : car le diable, ny ſes enfans, ne ſe ſcauroyent aider que de leurs outils : à ſcauoir, du menſonge, ce qui eſ‍t vne grande conſolation pour les eſleus, ſachant que la verité ſurmonte.

Phi. Tu vois cependant Alithie, quel blaſme on nous met à ſus, & la façon dont on nous traic‍te, & le tout pour l’amour de toy.

Ali. Ce n’eſ‍t pas choſe nouuelle, de voir mes amis hays, blaſmez, calõniez, batus, & le plus ſouuent tuez. Vne infinité d’hiſ‍toires tant prophanes qu’eccleſiaſ‍tiques & ſainc‍tes, nous font treſentiere foy, que ce n’eſ‍t que leur ordinaire. La vérité (ce dit l’autre) engendre haine : La croix eſ‍t comme collee à l’Euangile. Vous pleurerez, dit Ieſus Chriſ‍t en vn mot, & le monde rira.

L’hiſ‍t. Pour concluſion, par toute la France où le Roy a pouuoir, qui ne veut aller à la meſ‍ſe, faut qu’il meure, ou qu’il fuye ſecretement hors du Royaume : Et croit-on que depuis le 24. d’Aouſ‍t iuſques à maintenant, il y a eu plus de cent mille perſonnes Huguenotes tuees par toute la France, ſous pretexte de leur conſpiration : Encores ne ſont-ils pas ſaoulez, leur cholere n’eſ‍t point aſ‍ſouuie.

L’egl. O Dieu tout-puiſ‍ſant, ô paſ‍teur d’Iſrael, iuſques à quand fumeras-tu contre l’oraiſon de ton peuple ? Tu l’as repeu de pain de larmes, & l’as abbreuué de pleurs. Tu nous as mis en querelles contre nos plus proches, & en moqueries parmi les nations. Tu as tranſporté ta vigne d’Egypte, tu l’as plantee, & luy as preparé le lieu, afin qu’elle y prinſ‍t racines & s’eſ‍tendiſ‍t, en rempliſ‍ſant la terre : Pourquoy dõc as tu rompu ſa haye, la baillant en proye aux paſ‍ſans ? pourquoy a-elle eſ‍té conſumee par le ſanglier, & deuoree par les beſ‍tes ſauuage ? Les gens ſont entrez en ton heritage, ils ont baillé les corps de tes ſeruiteurs en viande aux corbeaux & la chair des bien viuans aux beſ‍tes de la terre. Ils ont eſpars le ſang des tiens, & n’y auoit aucun qui les enſeueliſ‍t. Iuſques à quand Seigneur, te courrouceras-tu ? ton ire ſera-elle pour iamais embraſee ? Reſpan Seigneur tes indignations, ſur les gens qui ne te cognoiſ‍ſent point, & ſur les royaumes qui n’inuoquent point ton Nom : car ils ont preſque eſ‍teinte toute la poſ‍terité de Iacob, & ruiné ſa demeure. Que la vengeance du ſang de ceux qui te reclamoyent eſpandu contre tout droic‍t, ſoit cognue par toute la terre : Vueilles, grand Dieu, auoir eſgard aux cris & gemiſ‍ſemens de tant de poures vefues, & de poures enfans orphelins. Souuienne toy des plainc‍tes des priſonniers. Reſerue en vie ſelon la grandeur de ta force, tes enfans deſ‍tinez à la mort. Et rends à nos voiſins ſept fois au double, l’outrage duquel ils t’ont diffamé, Seigneur.

Phil. Amen.
L’hiſ‍t. Encore n’eſ‍t-ce pas tout : Car comme ie diſois tantoſ‍t (lors que tu m’as interrompu) quelque grande tuerie qu’il y ait eu en France, la cholere du Roy ne paſ‍ſera iamais, pendant qu’il y aura vn Huguenot en vie. Encore iure-il par le ventre Dieu, qu’ils ont beau faire, que la Meſ‍ſe ne les ſauuera-ia.
Ali. Iamais en ſa vie il n’a dit parole plus veritable : Mais comment l’entend il ie te prie ?
L’hiſ‍t. Il n’a garde de l’entendre comme les Huguenots l’entendent, qui maintienent que le Pape, noſ‍tre bonne intention, nos bonnes œuures, les merites des Sainc‍ts, le bois de la ſainc‍te croix, les grans pelerinages, l’eau beniſ‍te, la ſainc‍te & digne meſ‍ſe, & tout cela enſemble, & chacun d’eux ſeul & pour le tout, ne nous peut ſauuer : ains ſeulement Dieu par ſa pure grace, & par la miſericorde qu’il fait à ceux qui eſperẽt en luy, deſpouillez de toute arrogance & fierté, humiliez & abbatus par le ſentimẽt de leurs fautes, & appuyez ſur le ſeul merite de la mort & paſsion de noſ‍tre Seigneur Iefus Chriſ‍t. Il n’a di-ie, garde de parler de ce ſalut-là, il n‘y penſe pas.
Ali. Ie le croy. II appert euidemment par ſes œuures, qu’il n’en a ny ſoin ny cure : Et toutefois ſi y faut-il penſer, Hiſ‍toriographe mon amy, & y entendre continuellement : ce doit eſ‍tre noſ‍tre principal but. Mais s’il plaiſ‍t à Dieu, nous en parlerons à loiſir, deuãt que nous-nous laiſsions l’vn l’autre. Tu entendras poſsible, ce que tu n’as iamais appris, quoy qu’il ſemble que tu en ayes ouy parler quelque fois : Pour maintenant il eſ‍t queſ‍tion de pourſuyure ton hiſ‍toire, & de nous dire (ſi tu le ſcais) comme c’eſ‍t que le Roy entend ce que tu as dit.
L’hiſ‍t. Ie te le diray tout à ceſ‍te heure, & t’eſcouteray quand tu voudras : auſsi bien ne fſcay-ie dire (quand il eſ‍t queſ‍tion de ſalut) où c’eſ‍t que i’en ſuis. L’ignorance de nos curez, & la noſ‍tre, nous a logez touchant cela, chez Guillot le ſongeur (cõme on dit.)
Le pol. Ie ſeroy s’il te plaiſ‍t de la partie, Alithie, auſsi bien ne voy ie point de religion, ne de voye de ſalut, ains pluſ‍toſ‍t tout atheiſme, & chemin de perdition parmi nous. On a beau ſe dire treſ-chreſ‍tien, il eſ‍t tout clair qu’on ment fauſ‍ſement.
Ali. Ie ſuis bien aiſe de vous voir en chemin de vouloir apprendre, nous en parlerõs plus à plein Dieu aidant : Pour ceſ‍te heure oyons l’Hiſ‍toriographe ſur ſon interpretation, & le reſ‍te de ſon diſcours.
L’hi. Comme ie vous ay dit, il y a des Huguenots en grand nombre, qui ſont eſchappez de la tuerie, tous leſquels peuuent eſ‍tre repartis en deux eſpeces : l’vne ſera de ceux qui s’en ſont fuys hors la France, l’autre, de ceux qui y ſont demeurez. Ceux qui ſont ſortis, ſe ſont retirez en Suyſ‍ſe, en Allemagne, en Angleterre, & és Iſles qui luy ſont ſuiettes. A ceux-cy le Roy ne touche que par letres, meſ‍ſagers, & autres menees : taſchant (comme bon pere de famille qui a ſoin de ſes enfans) de les faire reuenir en lieu où il les puiſ‍ſe trouuer quand il voudra : pour la pitié qu’il a des diſettes & neceſsitez qu’ils endurent eſ‍tans hors de leurs maiſons, eſquelles il deſire (ce diſent ſes letres) qu’ils reuienent, pour pouuoir iouyr de leurs biẽs en ſe conformant à ſa volonté, & faiſant ce qu’il commandera. Ceux qui ſont demeurez en France, outre les morts, ſont de diuerſes conditions. Les vns ſe ſont retirez dans des villes fortes, comme vous diriez dans Montauban, Sancerre, Nyſmes, la Rochelle & dans certaines autres villes. Contre ceux-cy le Roy a enuoyé ſes freres pour les exterminer s’il le peut faire : pource qu’ils n’õt pas voulu laiſ‍ſer entrer dans les villes où ils ſont, ceux qui y alloyent pour les tuer de par le Roy, & qu’ils leur ont fermé les portes.

Ali. O poures gens ! leur condition ſera elle donques pire que des beſ‍tes, à qui nature apprent de ſe conſeruer, les armant en diuerſes ſortes pour leur deffence ? ſeront-ils pirement traic‍tez que l’eſclaue, à qui outre le droic‍t de nature, celuy des gens, voire la loy ciuile, permet de fermer l’huis au nez de ſon maiſ‍tre, s’il cognoiſ‍t qu’il le vueille tuer ?
L’hift. Ie ne ſcay qu’en dire : mais ſur toutes les villes, il en veut à celle de la Rochelle.
Le pol. Elle l’a eſchappé belle ceſ‍te poure Rochelle : Car ſi tu ne le ſcais, ie t’oſe dire pour certain, que l’armee de mer de Stroſ‍ſy, & du Baron de la garde, qui eſ‍toit en Brouage pres de la Rochelle il y auoit plus de quatre mois, pour attendre (ce diſoyent-ils en ſecret) la flotte d’Eſpagne, & la cõbatre (comme auſsi l’Amiral le penſoit) & de là, ſingler à Fleſsinghe, ne taſchoit qu’à ſurprendre la Rochelle à poinc‍t nõmé : & plus de deux mois auant la tuerie de Paris, la Royne-mere auoit enuoyé à Stroſ‍ſy vne letre eſcrite de ſa main propre, bien cachetee, luy deffendant par vne autre letre qu’il receut la premiere, de ne point ouurir ceſ‍te la, iuſques au 24. iour d’Aouſ‍t : Or les mots de la letre que Stroſ‍ſy ouurit le 24. d’Aouſ‍t, eſ‍toyent,
S T R O S S Y, ie vous auertis que ce iourdhuy 24. d’Aouſ‍t, l’Amiral, & tous les Huguenots qui eſ‍toyent icy auec luy, ont eſ‍té tuez. Partant auiſez diligemment à vous rendre maiſ‍tre de la Rochelle : & faites aux Huguenots qui vous tomberont entre les mains, le meſme que nous auons fait à ceux-cy. Gardez vous bien d’y faire faute, d’autant que craignez de deſplaire au Roy, Monſieur mon fils, & à moy. Et au deſ‍ſous, C A T H E R I N E.
Ie te laiſ‍ſe à penſer, ſi Dieu les a bien gardez.
L’hift. I’auoy’ bien touſiours creu, que l’armee de Stroſ‍ſy n’eſ‍toit pas pres de la Rochelle pour neant : & que les ſoldats qui eſ‍toyent à l’entour par mer & par terre, mangeans, forçans, & pillans le bonhomme, ne taſchoyent qu’à ſe rendre plus forts dans la Rochelle, pour la ſurprẽdre, & y mener les mains baſ‍ſes, & ſcauoy’ bien qu’ils y auoyent failli deux ou trois fois : voire meſmes i’ay biẽ ſceu, que le iour du maſ‍ſacre fait à Paris, il eſ‍toit entré dans la Rochelle, plus de deux cens ſoldats de Scroſ‍ſy, auec armes, faiſans ſemblant de faire racouſ‍trer leurs harquebouſes, ou d’acheter quelques viures, & munitions : leſquels pour quelque frayeur qui les ſurprit, craignans que ceux de la Rochelle (ialoux des priuileges & libertez de leur ville qui les exemptent de garniſon) ne ſe doutaſ‍ſent des deſ‍ſeins de Stroſ‍ſy, s’enfuyrent en tapinois tout bellement hors de la ville. Mais ie n’auoy encores rien ſceu de ceſ‍te letre, ie n’ay garde d’oublier à la mettre en mes memoires. Voila de merueilleux traic‍ts. On a raiſon de dire qu’il y a eu coniuration : Mais ç’a eſ‍té contre les Huguenots. Poures miſerables ! il faut bien dire que la deliurance de ceux qui ſont demeurez de reſ‍te, eſ‍t miraculeuſe, ayans eſ‍té ſi ſubtilement trahis ! Mais pour retourner à eux : outre ceux qui ſe ſont retirez és villes & lieux de ſeureté, il y en a d’autres qui ne s’y ſont pas retirez, ou pource qu’ils n’ont peu, ou pource qu’ils n’ont voulu, ou oſé s’y retirer.
De ceux-cy, les vns (mais en petit nombre) ſe tienent coys & couuerts en leurs maiſons, & ſans aller ny à meſ‍ſe ny à matines, prient Dieu vn chacun chez ſoy : bien ſecretement toutefois, de peur d’eſ‍tre ſurpris, attendans qu’on les accommode (c’eſ‍t le mot dont vſent les tueurs.)
Les autres, s’en vont à la Meſ‍ſe de gayeté de cœur, & comme à l’enuy l’vn de l’autre, blaſphement, deſpitent, & renient mille fois le iour, pour monſ‍trer qu’ils n’en ſont plus, faiſans en tout le ſurplus, des vilenies, & des maux, plus que ie ne t’en ſcauroy’ reciter : vne grande partie de ceux-cy porte les armes contre les autres Huguenots, mais le Roy ne s’y fie pas beaucoup. Et les autres vont auſsi à la Meſ‍ſe, mais contre leur gré , & par force, comme il eſ‍t aiſé à iuger à leur mine & contenance, tant ils ſont abbatus & contriſ‍tez, & ſi n’oſent bonnement parler l’vn à l’autre, ny ſe laiſ‍ſer rencontrer par les rues, ou en leurs maiſons deux à la fois. I’eſ‍time que c’eſ‍t de ceux-cy deſquels le Roy parle, quand il dit, Que par la mort-Dieu, la meſ‍ſe ne les ſauuera pas, & poſsible entend il auſsi parler des autres qui montrent d’y aller de plain gré, & par deſpit :
Alith. Ie ne doute pas qu’il ne parle de tous les deux. Quel piteux & miſerable eſ‍tat, ne ſe contenter point de tuer le corps, ſi on ne pert l’ame quãd & quand : & ne ſe contenter point de tuer l’ame, ſi le corps n’eſ‍t auſsi meurtry !

O Seigneur,iuſques à quand ?
L’egl. Benit ſois-tu, Seigneur Dieu de nos Peres, ton Nom eſ‍t louable, & digne d’eſ‍tre glorifié à iamais. Tu es iuſ‍te en toutes les choſes que tu as faites : tes voyes ſont droites : tous tes iugemens par leſquels nous ſont aduenues toutes ces choſes, ſont droituriers. Nous auons contreuenu à tes loix, nous n’auons point eſcouté ny gardé tes commandemens. Nous nous ſommes par trop desbordez en delices, & auons cerché en la cour des grans (d’où par Edic‍t ſolennel ta verité auoit eſ‍té bannie) les honneurs & les alliances.
Tu as vfé d’vn vray iugemẽt, en toutes les choſes que tu as fait venir ſur nous, nous liurant aux mains de nos ennemis, qui ſont ſans loy, & treſmeſchãs traiſ‍tres, & à vn Roy iniuſ‍te, & treſmauuais, par deſ‍ſus ceux de toute la terre. Nous ſommes liurez à mort pour l’amour de toy tous les iours, & ſommes eſ‍timez cõme brebis de la boucherie : Nous te prions que tu ne nous liures pas ainſi à touſiours. A cauſe de ton Nom, ne diſsipe point ton alliance, ne nous cõfonds point du tout mais fay-nous ſelon ta douceur, & ſelon la grandeur de ta miſericorde, afin que la ſemence des tiens que tu as reſeruez, croiſ‍ſe, vegete, & multiplie, en nombre, zele & vertu. Seigneur, tu t’es ſerui autrefois de l’inſ‍trument de perſecution, pour l’accroiſ‍ſement & augmẽtation de ton troupeau, qui venoit ſeulement de naiſ‍tre & s’aſ‍ſembler en Ieruſalem, lors que tu l’eſpardis par la Iudee & Samarie : fay, Seigneur, que le reſ‍te des tiens que tu as eſpars maintenant en regions lointaines & peregrines par ceſ‍te horrible diſsipation, continue touſiours en ton ſeruice, ſeruant d’exemple & edification aux nations qui les ont recueillis, & portans doucement l’exil : recognoiſ‍ſent que toute la terre t’appartient, qu’elle toute n’eſ‍t qu’vne ſeule cité, de laquelle l’hõme eſ‍t bourgeois paſ‍ſager, en quelque climat qu’il habite : ou pluſ‍toſ‍t Seigneur, donne leur de cognoiſ‍tre, que nous n’auons point icy de cité permanente, afin que cerchans la cité à venir, ils perſeuerent en l’eſperãce de la vie bien heureuſe, que tu nous as acquiſe par le precieux ſang de Ieſus Chriſ‍t ton Fils noſ‍tre Seigneur. Et en rendans leur vocation certaine, par bõnes œuures & la ſainc‍te conuerſation (que tu as ordonné aux tiens, afin d’eſ‍tre glorifié en eux) qu’ils conſiderent les faſcheufes & frequentes peregrinations d’Abrahã, d’Iſaac & de Iacob : qu’ils iettẽt l’œil ſut ton Fils vnique, ton Bien aimé, fuyant de nuic‍t, toſ‍t apres ſa naiſ‍ſance en Egypte, auec ſa Mere-vierge, ſous la conduite de Ioſeph, pour eſchapper les mains d’Herode, qui cerchoit la vie de l’enfant. Fay entendre à tous les tiens, que tu chaſ‍ties ceux que tu aimes, afin qu’il ne leur ſemble eſ‍trange, comme ſi quelque choſe nouuelle leur arriuoit, quand ils ſeront par feu, par glaiue, ou exil, examinez pour faire preuue de leur foy : que pluſ‍toſ‍t eſ‍tans faits participans des paſsions de tõ Fils Ieſus Chriſ‍t, & iniuriez pour ſon Nom ils s’en reſiouiſ‍ſent, en attendant que ceux qui cerchent l’ame de l’enfant, ſoyent morts. Cependãt donne-leur iugement & prudence, afin qu’ils ne ſe laiſ‍ſent plus endormir ne piper, à la voix de ce Pſeudo-pere de famille, aux larmes de ce Crocodile, qui ſous vne feinte pieté, ne cerche qu’à les deuorer & deſ‍truire. Garni les auſsi Seigneur, de bon courage, & de force, par leſquels ſurmontans en vraye foy & charité toutes les difficultez qui leur ſeront preſentees, eux qui ſont eſchappez du naufrage, s’efforcent de tout leur pouuoir & moyens d’en retirer leurs freres : d’aider & ſecourir ceux que les dangers de mort enuironnent, que l’armee de Pharao, que ce nouueau Sennacherib, & Rabſaces le prophane pourſuyuent.
Seigneur, nous auons ouy de nos oreilles, nos peres nous ont raconté les œuures que tu as faites en leurs iours en Egypte, aux deſerts, en la terre où tu les auois introduits : comment tu as de ta main dechaſ‍ſé les nations, & abbatu les plus grãs qui empeſchoyent les tiens de iouyr du repos promis.
Ils ne conqueſ‍terent point la terre par leur glaiue, leur bras ne les a point ſauuez : mais ta dextre, ton bras, & la lumière de ta face les deliura, pourtant que tu les auois prins en amour. Il eſ‍t bien vray Seigneur, que par leur deffiance t’ayans irrité grandement, pluſieurs d’entr’eux moururẽt au deſert, voire ton feruiteur Moyſe, que tu leur auois donné pour liberateur : mais tu ne laiſ‍ſas pourtant d’accomplir en leurs enfans par Ioſué, tout ce que tu auois promis à leurs peres par Moyſe.
O Seigneur, nous auons peché, nous t’auons offenſé : tu nous as auſsi deboutez, tu nous as diſ‍ſipez & t’es courroucé amerement, nous mettant comme en vn train de ruine irréparable. Tu as traité ton peuple rudement, & l’as abbreuué de vin d’eſ‍tourdiſ‍ſement : mais depuis, tu as donné vne baniere à ceux qui te craignent, afin de l’eſleuer en haut, pour l’amour de ta vérité. Fay Seigneur, que tes Iſraelites n’eſperent plus au bras de la chair, en leurs armes, ou autre puiſ‍ſance humaine, ains en toy ſeul, Dieu des armees, le fort des forts : ſachant que c’eſ‍t en vain qu’on edifie la maiſon ſi tu n’y mets la main, & que c’eſ‍t en vain qu’on veille, ſi tu ne gardes la cité. Toy qui par les raines, par les poux, par les ſauterelles, & autre telle gendarmerie, as fait trembler ceſ‍t anciẽ Pharao dans ſon lic‍t, & luy faiſant ſentir ta main forte, lors qu’il pourſuyuoit tes enfans, l’as enſeuely dans les eaux auec toute ſon armee, faiſant paſ‍ſer les tiens à ſec.
Toy Seigneur Dieu d’Iſrael, qui es aſsis ſur les Cherubins, tu es le ſeul Dieu de tous les Royaumes de la terre, tu l’as faite, & le ciel auſsi Seigneur, encline ton oreille, & oy : ouure les yeux, & regarde. Eſcoute les paroles de Sennacherib, & de ce ieune Rabſaces confit en blaſphemes, qui en t’appellant au cõbat demande, Où eſ‍t le Dieu, le Fort, Gardien de ce petit troupeau. Il eſ‍t vray, Seigneur, que les rois des Aſ‍ſyriens ont deſtruit les Gentils & leur terre, & ont mis au feu les dieux d’iceux : Car ils n’eſ‍toyent point dieux, mais ouurages des mains des hommes, bois & pierres, pourtant ils les ont deſ‍truits : mais ceux-cy, Seigneur t’iniurient, ils te blaſphement & deſpitent, eſleuant leurs voix contre toy, ſainc‍t d’Iſrael, ſe vantãs qu’ils raſeront toutes les villes ſur leſquelles ton Nom eſ‍t inuoqué, & qu’ils en effaceront la memoire de deſ‍ſus la terre. Seigneur, ſi les as-tu faites & formées, & as planté au milieu d’icelles le ſceptre de ta parole, pour lequel arracher, on les pourſuit. Ne les meine pas donc à deſolation, deffen-les pluſ‍toſ‍t, Pere ſainc‍t, à cauſe de tõ honneur & gloire, qui eſ‍t coniointe à leur deliurance.
Enuoye ton Ange Seigneur, l’Ange que tu enuoyas contre ce Sennacherib, ou ſuſcite vne Iudith contre ceſ‍t Holoferne, pour la deliurance de ta Bethulie. Ne te tiens plus arriere de nous, & ne te cache point au temps de tribulation : Car le meſchant auec orgueil pourſuit le poure, & s’eſgaye quand toutes choſes luy ſuccedẽt à ſouhait. Il eſ‍t tant fier, qu’il ne ſe ſoucie point de ta majeſ‍té, Seigneur, ains toutes ſes penſees ſont, qu’il n’eſ‍t point de Dieu. Sa bouche eſ‍t pleine de maudiſ‍ſon, de fraude, & de tromperie, ſous ſa langue giſ‍t moleſ‍te & nuiſance : Il ſe tiẽt aux embuſches, il occit l’innocent aux lieux cachez : ſes yeux aguettent le deſolé, & dit en ſon cœur, Dieu l’a oublié, & a caché ſa face afin que iamais ne le voye. Leue toy doncques Seigneur, hauſ‍ſe ta main, caſ‍ſe le bras des meſchans, pren le bouclier & la targe, pour ſecourir ceux qu’õ perſecute pour tõ Nom. Tire hors la lãce, & ferre le paſ‍ſage à ceux qui les pourſuyuent : qu’ils ſoyent comme la paille expoſee au vent, leur voye ſoit tenebreuſe & gliſ‍ſante, & que ton Ange les pourſuyue à iamais. Et pour autant Seigneur, qu’il y a encores quelques vns de tes enfans, qui comme Daniel en Babylone t’adorent & t’inuoquent, mais non point auec telle hardieſ‍ſe de foy, craignans comme vn Helie d’eſ‍tre demeurez ſeuls en toute la terre : Toy Seigneur, qui es pres de ceux qui ſont rompus de cœur, & ſauues ceux qui ſont briſez d’eſprit, Qui as ton œil fiché ſur ceux qui te craignent, & qui s’attendent à ta bonté, afin de retirer leur ame de mort & les preſeruer en vie au temps de l’aduerſité Tien-les touſiours en ta reſerue, auec les ſept mil hommes qui n’ont pas flechi le genouil deuant Baal. Fortifie-les, Seigneur, comme tu renforças iadis par ton Eſprit ton ſeruiteur Daniel. Preſerue-les comme les trois enfans en la fournaiſe, afin qu’ils n’adorent l’image de ce grand Nabuchodonoſor. Chaſ‍ſe-le pluſ‍toſ‍t Seigneur, arriere des hommes, ſon habitation ſoit auec les beſ‍tes des champs. Qu’on le paiſ‍ſe d’herbe comme les bœufs, iuſqu’à ce qu’il te recognoiſ‍ſe pour ſouuerain dominateur, Roy des Rois, & Seigneur des Seigneurs, eſ‍tabliſ‍ſant les dominations, & les donnant & oſ‍tant à qui & quand bon te ſemble. Quant à ceux, Pere de miſericorde, qui comme brebis ſans paſ‍teur entre les loups affamez, pour l’infirmité de la chair & foibleſ‍ſe de leur foy, font de leur corps vn hommage contraint à ce morceau de paſ‍te tranſ‍ſubſ‍tantié en chair, à ceſ‍t accident ſans ſuiet, forcez (par l’erreur commun qui a obtenu lieu de loy) d’aller à la Meſ‍ſe, pour ſauuer leur vie & leurs biens : Monſ‍tre-leur, Seigneur, & leur fay ſentir viuement & à bon eſcient en leur cœur, combien ta gloire & ton honneur nous doyuent eſ‍tre plus recommandez que noſ‍tre propre vie. Fay leur cognoiſ‍tre l’outrage qu’ils font à ta maieſ‍té, adherant tant ſoit peu au ſeruice des faux dieux, que Dauid ne vouloit pas ſeulement nommer par ſa bouche.
Que l’impudicité eſ‍t trop grande de la femme, qui apres s’eſ‍tre oubliee, lors que ſon mari la chaſ‍tie, recourt ſoudain à ſon paillard.
Que tu vomis les tiedes, & ne prens point plaiſir à ceux qui clochent des deux coſ‍tez.
Que qui aime ſa vie, ſon pere, ſa mere, ou ſes biens, plus que ta gloire & ton honneur, n’eſ‍t pas digne d’eſ‍tre des tiens. Toy Pere, qui nourris les corbeaux, & donnes robbes ſomptueuſes aux lys des champs deuant nos yeux.
Qui as nourri ton peuple au deſert de la manne treſprecieuſe, les entretenant veſ‍tus comme tes mignons & tendrets. Arrache de tes enfans la deffiance de diſette, que le diable, le monde, & la chair, impriment dans le cœur des hommes.
Ramentoy-leur Seigneur, les merueilles que ton Fils noſ‍tre Seigneur Ieſus Chriſ‍t fit, en repaiſſant abondamment ceux qui oublians eux-meſmes, le ſuyuoyent, pour ouyr ſa voix, comme les brebis leur paſ‍teur.
Monſ‍tre-leur que ton bras puiſ‍ſant eſ‍t touſiours ſemblable à ſoy-mefme, ſans diminuer ou accourcir : ſinon autant que noſ‍tre ingratitude & deffiance, diuertit ou empeſche le cours de tes benedic‍tions & graces. Et pour autant que la faute que les tiens commettent en ceſ‍t endroit, eſ‍t grande & deteſ‍table, Toy Pere, qui ne veux point la mort du pecheur, ains demandes qu’il ſe conuertiſ‍ſe & viue.
Conuerti les à toy Seigneur, ne leur imputant point leurs fautes. Touche leur le cœur cõme tu fis à Pierre te reniãt, afin que recognoiſ‍ſans l’horrible faute qu’ils commettent, ils s’humilient deuant toy; gemiſ‍ſent & pleurent pour leurs pechez : & ainſi releuez par ta main, qu’ils ſe mõſ‍trẽt forts & puiſ‍ſans, à ſouſleuer leurs freres infirmes. Ouure leur auſsi la voye Seigneur, afin qu’ils puiſ‍ſent bien toſ‍t ſortir de Sodome, deuant que ceux qui leur font quitter l’heritage du ciel pour vne eſcuelle de lentilles, executent leur conjuration & deſſeins. Qu’ils n’ayẽt point regret de laiſ‍ſer les aulx & les oignons d’Egypte, ſachans combien plus vaut vn peu de pain auec ioye & contentemẽt de conſcience, qu’vne maiſon pleine de richeſ‍ſes auec vne inquiétude & continuel tourment d’eſprit.

Que trop mieux vaut en toutes ſortes
Vn iour chez toy, que mille ailleurs :
Et ſont les eſ‍tats trop meilleurs
Des ſimples gardes de tes portes,
Qu’auoir vn logis de beauté,
Entre les meſchans arreſ‍té.


Qu’ils ayent memoire (en conſiderant leur miſerable condition) de ce poure enfant prodigue, & qu’à ſon exemple, ils laiſ‍ſent la viande aux pourceaux : s’aſ‍ſeurans que toy grand Pere de famille, es preſ‍t à les recueillir, & à les traic‍ter & entretenir, tout ainſi que ceux-là qui n’ont bougé de ta maiſon. Les autres qui d’vne gayeté de cœur ont delaiſ‍ſé ton ſainc‍t ſeruice, communiquans à toutes infametez : voire Seigneur, en te faiſant la guerre, ſe ſont adioints à ces tueurs, s’il y a encores quelque reſ‍te de miſericorde pour eux, ſi parmi ceux-cy ſe trouuent quelques vns de tes eleus, aye pitié Seigneur, aye compaſsion d’iceux, les faiſant retourner en ta ſainc‍te farmlle, de laquelle ils ſont foruſcis. Abba-les Seigneur, & les atterre, comme iadis tu fis Saul, qui perſecutant ton fils en ſes membres, ſeruit apres ſa conuerſion de bon teſmoin à ta verité eternelle : afin qu’apres l’eſ‍tonnement, eſ‍tans par toy releuez & ſouſ‍tenus, ils ſeruent plus ardemment à ta gloire, qu’ils n’ont fait par cy deuant. Que ſi c’eſ‍t malicieuſement contre ta vérité cognue qu’ils ſe bandent, s’obſ‍tinans à leur eſcient à te faire outrage, mon Dieu, fay les ſemblables à la rouë, & au tourbillon : pourſuy-les par terreur & eſpouuantement : rempli leurs faces de meſpris, & darde ſur eux ta cholere : fay pleuuoir charbons ſur leur teſ‍te, feu, ſoulphre & vent de tempeſ‍te ſoit la portion de leur hanap, afin que toute la terre cognoiſ‍ſe, que tu es noſ‍tre Dieu & Sauueur.

Et nous alors ton vray peuple & tes hommes,
Et qui troupeau de ta paſ‍ture ſommes,
Te chanterons par ſiecles innombrables,
De fils en fils preſchans tes faits louables.


Ali. Ie m’eſmerueille grandement, ſeigneur politic François, conſiderant le piteux eſ‍tat de la Frãce (ſi tu as ta patrie en quelque recommandatiõ) maintenant qu’elle a plus de beſoin de ſes vrais amis & bons conſeillers quelle n’eut oncques, comme c’eſ‍t que tu as eu le courage de l’abandõner : au lieu de t’employer à guairir ſa playe, à la penſer, de la freneſie & de la rage qui la mene.

Le pol. Ie n’en ſuis parti qu’en pleurant, auec vn regret incredible, preuoyant la prochaine & ineuitable ruine, où va tomber ce poure Royaume, pour l’extreme confuſion où il eſ‍t : laquelle i’oſe aſ‍ſeurer eſ‍tre irremediable, au jugement de tous bons eſprits : car (ie me tay de la religion des Huguenots en laquelle ie n’ay iamais peu mordre, quelque bonne vie & changement de mœurs que i’aye apperceu en mes proches voiſins qui en faiſoyent profeſsion, & ie laiſ‍ſe à part ceſ‍te barbare tuerie que l’Hiſ‍toriographe a recité) tout y eſ‍t tellement conduit, qu’il n’eſ‍t pas poſsible de voir vne plus grande maſ‍ſe de meſchãcetez, ny vn chaos plus horrible, ſoit que tu regardes la Iuſ‍tice, ou que tu contemples la Police, depuis vn bout iuſques à l’autre. Que dy-ie, ſi tu les regardes : tu aurois beau y regarder, tu ne les y ſcaurois voir : elles n’y font pas, pieç’a qu’elles s’en ſont allees : on ne les y trouue plus qu’en eſcrit, on n’y voit que leurs noms & leurs maſques. Quant au ſeruice de Dieu que nos peres nous auoyent apprins à bonne intention, nos Princes d’auiourd-huy, leurs courtiſans, & à leur imitation vne infinité d’autres gentils hommes & de bourgeois & marchands, ne s’en font que rire & moquer. Le ſoldat le deſpite & deteſ‍te : la cour pour le dire en vn mot à l’exemple du Roy, & la plus grande partie de France à l’exemple de la cour eſ‍t pleine de blaſphemes, d’atheiſme, & parmi eux l’epicureiſme, l’inceſ‍te, la ſodomie, & toute autre ſorte de lubricité, eſ‍t vulgaire & familiere. Tu as ouy combien de fois la foy publique (qui deuſ‍t eſ‍tre vn lien indiſ‍ſoluble pour entretenir la ſocieté humaine) y a eſ‍té violee, tellement qu’on ne ſcait plus à qui lon ſe doit fier. Nous penſions qu’apres tant d’Edic‍ts rompus, celuy de la pacification derniere, fait au mois d’Aouſ‍t en l’an 1570. ſeroit à la fin obſerué. Noſ‍tre poure France commençoit d’auoir quelque relaſche à ſes miferes : nous voyions ce nous ſembloit l’entree de mieux eſperer. Les Huguenots ſe comportoyent fort modeſ‍temẽt, quelques outrages qu’on leur ſceuſ‍t faire : ils aimoyent mieux les endurer, que d’vſer d’aucune reuenge. Il eſ‍t vray qu’ils recouroyent au Roy & à ſon conſeil, pour la punition de ceux qui les offenſoyent : mais combien que le Roy ne fiſ‍t que le ſemblant de leur en vouloir faire raiſon cela les contentoit. Ils remirent les villes que le Roy leur auoit baillé pour leur ſeureté & retraic‍te & durant les deux ans, beaucoup pluſ‍toſ‍t que le terme aſsigné, entre les mains de ceux qu’il pleut au Roy d’ordonner : qui fut cauſe que le Roy là deſ‍ſus, enuoya par tout ſon Royaume, des letres patentes de confirmation de ſon Edic‍t de paix, n’oubliant rien de ce que luy & ſon bon conſeil ſe pouuoyent aduiſer pour les appriuoiſer : & faiſant comme le bon faulconnier qui veille les oyſeaux, & vſe de toute la diligence qu’il peut pour leur faire oublier leur liberté, & les accouſ‍tumer au chapperon. Les principaux d’entre les Huguenots vindrent à la cour au mandement du Roy, ſe reſigner entre ſes mains, monſ‍trant d’auoir agreables les tresbõs & treſnotables ſeruices qu’ils luy faiſoyent & eſ‍t bien certain que ſi le Roy euſ‍t pourſuyui à ſe ſeruir d’eux comme il auoit commencé, il ſeroit auiourd’huy patron de Flandres : & s’il euſ‍t ſceu entretenir ce parti de religion, il eſ‍toit pour eſ‍tre eſleu Roy des Romains, & ſon beau-pere mourant appellé à l’Empire. Nous penfiõs que ce tragique mariage du roy de Nauarres & de la ſœur du Roy, qui auoit oſ‍té toute deffiance aux Huguenots, ſeroit vne confirmation de paix entre nous : quand ce mal-heureux coup d’arquebouſe (qui fut tiré à l’Amiral, le meſme iour, comme ie croy, de l’Edic‍t de la pacification derniere, à ſcauoir le 22. iour d’Aouſ‍t, & par ainſi le dernier iour des deux ans de retraic‍te aſ‍ſeuree) me fit penſer & à beaucoup de mes amis auſsi, qu’il y auoit dés long temps de la menee ſecrete cõtre luy & les autres Huguenots, & que ce coup traineroit apres ſoy quelque dangereuſe queue. Ainſi comme ie le penſoy’ il aduint : non pas ainſi Ia Dieu ne plaiſe que i’euſ‍ſe iamais penſé, qu’ũ ſi meſchant œuf deuſ‍t eſ‍tre ponnu, couué, & eſclos, en la France ! Mais tant y a que ie me doutay bien quand & quand, que les choſes eſ‍toyent preparees à quelque grand & inſigne malheur : tu l’as ouy reciter, ſinon du tout, au moins en partie. Ie te laiſ‍ſe à penſer maintenant qui eſ‍t l’homme de bien, qui vouluſ‍t habiter tant ſoit peu en France. Quant à moy, & beaucoup de mes amis (bons Catholiques François ie t’en aſ‍ſeure) voyans la deſloyauté & bizarrerie du Roy (puis qu’il faut que ie le die) enſemble de ſon conſeil, compoſé d’vne femme Italiene Florentine, de la maiſon de Medicis, de penſionaires du roy d’Eſpagne, de pẽfionaires & creatures du Pape, d’Italiens, de Lorrains, & non d’autres, & le mal ſans remede : craignãs que demain ou l’autre il ne nous en euſ‍t fait autant qu’aux Huguenots, ſi dauenture il en venoit enuie au Roy, ou à ſes premiers conſeillers qui nous en veulent, comme à ceux qui cognoiſ‍ſent leurs deſ‍ſeins & menees, & portent quelque affec‍tion au bien de la France. Craigant, dy-ie, que tout à vn coup ils ne nous iettaſ‍ſent le chat aux iambes & la rage ſur le dos, comme font ordinairement ceux à qui il prend enuie de tuer leur chien, & que ſur cela ils nous fiſ‍ſent noſ‍tre proces apres la mort, comme on a fait à l’Amiral : nous auons mieux aimé nous en ſortir de bonne heure, que d’y demeurer trop longuement. Sur tout quand nous auons conſideré, que de tous les Princes voiſins, les vns ne s’en ſouciẽt pas beaucoup, les autres ſont bien aiſes de la ruine de tant de François, de ſi grands perſonnages & de ſi bons ſeruiteurs du Roy : & prennent plaiſir de voir le Roy, ſe coupper du bras droic‍t le gauche, & autres membres de ſon corps. Ie dy notamment qu’ils y prenent plaiſir : car s’ils en eſ‍toyent marris, s’ils auoyent regret de voir vn ſi piteux ſpec‍tacle, ils s’y oppoſeroyent de faic‍t, & l’empeſcheroyent par force de paſ‍ſer outre à ſe deſchirer ſoy-meſme, tout ainſi qu’õ fait à l’amy frenetique qui ſe veut precipiter, lequel on veille & on retient à force, le liant pieds & mains, quand il bleſ‍ſe, bat, ou tue. Mais quand ie voy que les Potentats voiſins n’en tienent compte, non pas ſeulement de luy faire entẽdre par letres & ambaſ‍ſades, le tort qu’il ſe fait, & aux ſiens, de les maſ‍ſacrer de la ſorte : ie dy qu’ils en ſont bien aiſes, & que c’eſ‍t le doigt de Dieu qui eſ‍t courroucé contre France : que de quelque coſ‍té que le baſ‍t vire, il faut que ceſ‍te grande & floriſ‍ſante maiſon de Valoys prene fin, & que ce braue & puiſ‍ſant Royaume , ſoit tranſporté à quelqu’autre Prince, ou reparti entre pluſieurs. Là deſ‍ſus, ie ſcay que le roy d’Eſpagne entre autres Princes voiſins, a de ſi bonnes intelligences en la France : il y a de longue main, de ſi bons ſeruiteurs : ſes ducats de Cattille luy ont tãt acquis de partizans & ſeruiteurs en France, voire meſme au conſeil du Roy (ie ne veux pas dire que le comte de Rets, Lanſac, Moruilliers, Limoges, & Villeroy, en ayent penſion ordinaire, car on les cognoiſ‍t bien : ne que la maiſon de Gonzague ne fut iamais qu’Eſpagnole) Que s’il veut ſeulement employer le prince d’Orenge & le comte Ludouic ſon frere, auec leur credit & leur force (comme il luy ſera bien aiſé de les auoir à commandement, autãt fideles ſeruiteurs qu’ils luy furent onques, en leur laiſ‍ſant & à ſes autres ſuiets la liberté de leur conſcience, & les remettant en leurs biens, priuileges & eſ‍tats) ie m’aſ‍ſeure que non ſeulement ils luy rendroyent tous les pays bas raffermis & paiſibles, mais auſsi en moins d’vn an la France (diſ‍traic‍te & alienee pour le iourd’huy de l’amitié de ſon Roy) toute paiſible & à ſa deuotion.
Et ne faut ia douter que le prince d’Orenge, & ſon frere, ne s’y employaſ‍ſent volontiers, tant pour le tour que le Roy leur a ioué les mettant en beſongne ſur ſa parole, & les laiſ‍ſant apres au dãger, que pour l’enuie qu’ils doyuent auoir de rentrer en grace par quelque bonne occaſion auec leur prince naturel, & pour le bien & honneur qui leur reuiendroit d’vne ſi belle entrepriſe. Quant au roy d’Eſpagne, il a occaſion de ſe les reconcilier, non ſeulement pour attraper ceſ‍te belle terre qui branſle : mais auſsi pour raffermir & aſ‍ſeurer ſon eſ‍tat de Flandres, qui autrement eſ‍t en voye d’eſ‍tre perdu, pour la bonne conduite de ce vieil reſueur le duc d’Albe. Que ſi le roy d’Eſpagne ne ſe veut ſeruir en ceſ‍t affaire du prince d’Orenge, aimant mieux perdre tout à plat ſon eſ‍tat de Flandres, que de le conſeruer par ſon moyen, & en acquerir vn autre : cela s’appelle ſe courroucer contre ſes morceaux. Mais quoy qu’il en ſoit, s’il aime mieux y employer monſieur de Sauoye, en luy laiſ‍ſant pour ſon partage, le Lyonois, Dauphiné & Prouence, contigus à ſon eſ‍tat : ie ne doute pas que ce Prince, qui a occaſion de ſe reſ‍ſentir des torts que la France à fait à ſon feu pere & à luy-meſmes luy qui eſ‍t guerrier & ſage, & qui a la reputation de garder inuioiablement la foy à ſes ſuiets Huguenots, n’acquiere facilement & en peu de temps, ſinon tout, au moins la plus grande partie de France : Surquoy (pour les difficultez & meſ‍ſeances procedantes d’alliances & affinitez que quelques vns pourroyent alleguer, pour deſguiſer le mal qui eſ‍t à la porte) ie diray que les grands n’ont point accouſ‍tumé de pardonner à loix d’amitié, d’affinité, ou d’autre confederation quelques ancienes qu’elles ſoyent, quãd il eſ‍t queſ‍tion d’amplifier & d’eſ‍tendre leur Empire : ains plantent touſiours les limites de leur terre, là où la poinc‍te de leur eſpee peut arriuer.
Au demeurant, quant au roy d’Eſpagne, il n’a pas faute de priſes ſuffiſantes ſur le Roy. Pour auoir ſuborné les villes de ſõ obeiſ‍ſãce au pays bas voulu ſubuertir ſes eſ‍tas par pratiques : entretenu ſes rebelles en ſa cour, gratifié & honoré en toutes ſortes. Auoir communiqué auec le comte Ludouic pluſieurs fois, & approuué ſes entrepriſes, auec grande attention, contentement, & promeſ‍ſes. Luy auoir baillé aide de ſes ſuiets, & permis d’entrer grande troupe d’iceux és pays bas, marchãs à enſeigne deſployee par le royaume de Frãce. Fait faire pluſieurs voyages à ſainc‍t Remy, & autres, qu’il enuoyoit vers le duc d’Albe, pour l’amuſer & tromper, cependant que le Roy donnoit moyen à l’execution des entrepriſes : & meſmes en pratiquoit vne ſur Arras, par le moyen du petit Refuge, qui eſ‍t mort à Paris, luy eſ‍tant venu dire qu’il enuoyaſ‍t gens, & qu’il eſ‍toit temps, & qu’il ne doutaſ‍t nullement du moyen de la prendre. Pour auoir donné ſeur accez en ſes haures aux Pirates qui ont depredé ſes ſuiets. Commandé à ceux de la Rochelle d’adminiſ‍trer viures aux nauires du prince d’Orenge, & librement les laiſ‍ſer deſcharger leurs priſes, & les vendre. Permis au veu & ſceu de tout le monde, que les Capitaines de marine dudic‍t Prince, fiſ‍ſent leurs equippages de François, tant de mariniers que ſoldats. Pour auoir fait des menees & pratiques ſur la Frãche comté. Auoir enuoyé le capitaine Minguetiere, recognoiſ‍tre les deſcentes du Perou, avec nauire deſguiſé en marchandiſe, plein toutefois de ſoldats, qui fut prins à la Spagnole. Auoir voulu traic‍ter la paix des Venitiens avec le Turc, pour faire tomber toute la guerre ſur l’Eſpagnol : Et pour auoir depuis la mort meſme de l’Amiral, pratiqué par letres & meſ‍ſages le prince d’Orenge, chaudement & à bon eſcient : & pluſieurs autres, qu’il ſeroit long à deduire. Voila quant au roy d’Eſpagne.
Maintenant la royne d’Angleterre, laquelle tiẽt la meſme religion en ſon Royaume, que les Huguenots de France : qui a tant de priſes nouuelles ſur le Roy (afin que ie taiſe les priſes ancienes, que la ligue d’entre elle & le Roy auoit aſ‍ſopies, comme ceſ‍te tuerie les peut auoir reſueillees) laquelle peut bien cognoiſ‍tre auiourd’huy, que ceſ‍te ligue ne ſe fit, que pour esblouir les yeux à l’Amiral, & aux autres Huguenots de la France, afin qu’ils ſe laiſ‍ſaſ‍ſẽt mieux prẽdre à la pipee. Laquelle cognoiſ‍t maintenant, comme c’eſ‍t que le Roy ſcait garder ſa foy promiſe. Laquelle ſcait que deux eſ‍tats voiſins ayans quelque cõtrepoids l’vn auec l’autre, ne peuuent auoir amitié ne ligue enſemble autre, que celle que la neceſsité ou la force y entretient : & que l’vne ou l’autre y defaillãt, il ne faut pas qu’elle s’attende aux promeſ‍ſes de ſon voiſin. Elle qui ſcait bien, que le Roy demandoit les Myllords ſes plus ſpeciaux conſeillers, pour les feſ‍toyer (comme vous pouvez penſer) en ſa cour. Laquelle doit auoir cognu, que tout ainſi que par les nopces de la ſœur en France, auſsi par celles du frere en Angleterre (s’il y euſ‍t peu paruenir) on ſe fuſ‍t efforcé d’y mettre bas le parti de la Religion, & par conſequent ſon Royaume en ruine. Qui ſcait bien que le Roy a tenu & tient iournellement la main à la royne d’Eſcoſ‍ſe ſa belle ſœur, non ſeulement pour la faire euader. mais poſsible pour plus haut deſ‍ſein & affaire. Que le Roy a voulu & taſché, comme il taſche encores faire enleuer en Frãce le petit roy d’Eſcoſ‍ſe, pour mettre vn iour à venir toute la grãde Bretagne en vn acceſ‍ſoire dangereux : & qu’il entretiẽt la guerre par forces & par menees le plus qu’il peut en Eſcoſ‍ſe. Elle qui eſ‍t bien aduertie d’vne entrepriſe faite n’agueres par le cõmandemẽt du Roy, ſur l’Iſle de Gerſay, pour y ſurprẽdre & tuer ceux qui y eſ‍toyent refugiez ſous ſa protec‍tiõ. Ceſ‍te Princeſ‍ſe, à laquelle ſans doute tous les Huguenots regardent attentiuement, luy adreſ‍ſans leurs prières & vœus. Ie ſcay fort bien que toutes les fois qu’elle voudra, il luy ſera fort aiſe (y employãt vn des Myllords que le Roy demandoit, ou autre tel des grans de ſon Royaume qu’elle voudra choiſir) de ſe faire maiſ‍treſ‍ſe de la terre, dõt elle ne porte que le nom & les armes. Quãt aux Princes & Eſ‍tats de l’Empire, ne doutez pas s’ils veulent (cõme ils doyuẽt) qu’ils ne puiſ‍ſent recouurer maintenant, les terres de Mets, Verdun, & Thou, que le Roy a vſurpe ſur l’Empire & auec ce, paſ‍ſer outre pour ſe rẽbourſer des deſpẽs que l’Empereur Charles leur lit faire deuãt Mets, & de ceux qu’ils ferõt au recouuremẽt de ces terres. A voſ‍tre auis, l’Elec‍teur Palatin entre autres Prĩces de la Germanie, n’a-il pas occaſiõ de ſe reſ‍ſentir de ce que le Roy taſchoit d’attirer en ſa cour le duc Chriſ‍tofle, & d’endormir le duc Iean Caſimir, par des penſions qu’il luy offroit, pendant qu’il faiſoit ſon appreſ‍t pour perdre tous ceux de la religiõ : & particulieremẽt l’Amiral, que l’Elec‍teur aimoit ſingulieremẽt ? Ie diray cela, que quãd ce Prince ſeul ſe voudra eſuertuer & reſ‍ſentir de l’outrage fait à l’Amiral & aux autres Huguenots, & qu’il y voudra employer ſeulemẽt le comte de Mãsfield (auquel, & à ſes Reiſ‍tremaiſ‍tres eſ‍t deuë grade ſõme de deniers par le Roy) le faiſant auec vne mediocre armee (ſous couleur d’aller querir leur argẽt) entrer vn peu auant en France (cõme la choſe luy eſ‍t aiſee) on ne vit iamais telle cõfuſion qu’il y auroit : tout le mõde crieroit le haro & au meurtre, cõtre ceux qui sõt cauſe de ces maux. Voila quãt aux prĩces eſ‍trãgers, leſquels me ſemblẽt auoir vn beau ſuiet d’entrer en Frãce. Mais ce que i’apperçoy au dedans, eſ‍t ce qui me trouble le plus. Ie ne doute point que la maiſõ de Mõtmorẽcy, leurs parẽs, amis, alliez, & partizãs, qui ſe ſentẽt vilainemẽt intereſ‍ſez en la mort de l’Amiral, & de pluſieurs autres ſeigneurs & gẽtilshommes qui leur appartenoyẽt de ſang, d’alliãce, ou d’amitié : ne taſchẽt de ſe venger en vne façõ ou en l’autre, du Roy, de ſa mere, de sõ frère, de ceux de la maisõ de Guyſe, & des autres cõſeillers, qui ont dreſ‍ſe & fait executer ceſ‍te tragedie en la Frãce : ou s’ils ne le fõt, ils ſõt les plus ladres, les plus couards, & les plus deſloyaux à leur ſang (afin que ie ne parle de leur patrie) que gẽtilshõmes furẽt onques. De moins ne peuuẽt-ils faire, que de ſe ioindre eux & leurs partizans, au premier Prince eſ‍tranger qui branſlera pour entrer en France : auſsi bien ſcauent-ils que c’eſ‍t fait d’eux, & de leur maiſon à iamais, celle de Guyſe ne la lairra ia debout : le Roy meſmes à ce que i’ay entendu, parlant ces iours paſ‍ſez à ſa mere à biẽ ſceu dire, que par le corps Dieu il n’a riẽ fait, s’il n’a les quatre fils Aymon, parlant des quatre freres de Montmorency. Ils ont beau ſe tenir efcartez, l’vn en Languedoc, l’autre à l’Iſle-Adam, l’autre çà, l’autre là,: l’on a beau faire ſemblant de n’auoir ſouci que de la chaſ‍ſe & de la vollerie : les voyages qu’il a faits en cour, ny tout le viſage qu’il y reçoit y eſ‍tant, ne le garantiront non plus que l’Amiral : & s’il ſe ſouuient de l’aduis qu’il donna au comte d’Aiguemont allant en Eſpagne, & de la faute qu’il fit à ne le croire, il ne s’y fiera. L’autre a beau s’employer à ce qu’on luy commande, & les autres ont beau contrefaire les fats & les mitouards : le Roy ne croira iamais qu’ils puiſ‍ſent oublier l’iniure qui a eſ‍té faite à leur maiſon : ſon conſeil eſ‍t trop fin & ruſé, pour ſe laiſ‍ſer perſuader vue ſi grande aſnerie.
La maiſon de Guyſe, maintenãt qu’elle ſe voit depeſ‍tree de ceux qui s’oppoſoyent à ſa grãdeur, & leſquels ſeuls pouuoyent empeſcher ſes deſ‍ſeins, n’ayant plus que ceux-cy de Montmorency à tuer, pour pouuoir dire, Tout le reſ‍te m’aime : à voſ‍tre aduis s’elle ſe ſcaura bien venger des traic‍ts, que la maiſon de Montmorẽcy luy a faits : de ce beau liure des marchands de Paris, que le mareſchal de Montmorency fit faire à la Planche contre leur maiſon : de la peur & honte qu’il fit receuoir au cardinal de Lorraine à ſon entree dans Paris, dont la chanſon de fy-fy a prins ſon origine. Et ie m’aſ‍ſeure s’il ne gaigne le deuant, qu’il ſera accommodé comme les autres.
Au reſ‍te, à quoy tient-il que ceux de Lorraine (qu’on ſcait bien eſ‍tre deſcendus de Charlemagne, & priuez de la couronne de France) ne la recouurent maintenant ? II ne tient ia qu’à vne habileté de main : Que s’ils y veulent aller à force ouuerte (mais qu’il n’en deſplaiſe au Roy) meſ‍ſieurs de Lorraine mettront deux fois plus de gẽs en campagne, qu’il n’y en ſcauroit mettre. Ils ont plus d’amis, & plus de villes partizanes qu’il n’a. Et tenez vous pour tous aſ‍ſeurez, qu’à tout euenement, ſi la couronne de France s’en va perdre, ou changer de maiſ‍tre, ils l’aimeront mieux ſur leur teſ‍te, que ſur celle d’vn Prince eſ‍trãger. Pour ma part, ayant veu le peu de ſeurete qu’il y a ſous le regne d’àpreſent ie l’aimeroy beaucoup mieux (puis qu’il faut que ie le die) en la maiſon de Lorraine, que là où elle eſ‍t. Et diray vne choſe que le Huguenot (deſpité pour iamais, & deſgouté en toutes ſortes de la maiſon de Valois) ſeroit bien aiſe, voire s’employeroit (à mon aduis) à ce que la maiſon de Lorraine recouuraſ‍t ce qui leur appartient : s’aſ‍ſeurant bien qu’elle lairroit la conſcience du Huguenot libre & l’exercice de ſa religion, & luy garderoit la foy qui luy auroit eſ‍té promiſe : ſe ſouuenant du malheur que la deſloyauté auroit apporté à ſon maiſ‍tre. Deſia ont-ils donné quelque occaſion aux Huguenots, de croire qu’ils ne leur ſont pas ſi aſpres comme on crioit. Ils en ont ſauué, comme a dit l’Hiſ‍toriographe, beaucoup, & en ſauuent ſecretement tous les iours.
Au reſ‍te, ils ont fait porter la marote au Roy (ſi vous y auez prins garde) de toute ceſ‍te tuerie, tant pour n’en auoir le blaſme, que pour moyenner que la furie des petits ou des grans s’eſleuant, elle ſe deſcharge ſur celuy qui ſe vante de l’auoir fait faire. Ils ſe ſont bien gardez, d’en vouloir prẽdre le faix ſur eux.
Mais voyons le traic‍t qu’a faic‍t Monſieur frere du Roy, & la Royne ſa mere, en ceſ‍te tragedie de Paris. Le ſamedi au ſoir, deuant le Dimanche du maſ‍ſacre, ils vindrẽt tous deux trouuer le Roy : lls luy remonſ‍trent, ils le prient qu’il haſ‍te l’execution de leur entrepriſe : ils ſcauoyent bien que ſi ceſ‍te occaſion ſe perdoit, qu’ils ne la recouureroyent iamais telle, comme ils l’auoyent lors ſur les Huguenots : qu’ils les tenoyent tous dans le filé qu’il leur auoit promis : que le moyen que ils auoyent tant de fois tenté (mais en vain) de les exterminer, eſ‍toit tout preſ‍t & preſent : qu’il ne falloit donc plus ſonger, qu’il eſ‍toit temps de s’en reſoudre : que le roy d’Eſpagne (ſi les affaires du prince d’Orenge alloyent mal, comme ils ſembloyent decliner depuis la route de Genlis) ſcauroit bien tout à temps ſe venger ſur la France, du mal qu’il auoit receu par ſon moyen & ſupport en ſes eſ‍tats du pays bas. Partant le ſupplioyent qu’il y fiſ‍t mettre la main à bon eſcient & ſoudainement, dés ce ſoir la ſans plus tarder : qu’ils auoyent donné ordre auec le duc de Guyſe, le duc d’Aumale, le duc de Neuers, & le comte de Rets, que toutes choſes fuſ‍ſent preſ‍tes & diſpoſees. Que ſi le Roy vouloit retarder plus longuement l’execution, la Royne ſa mere le prioit auec larmes, & ſon frere fort affec‍tueuſement de leur donner congé, en recompenſe des ſeruices qu’ils luy auoyent faits : qu’ils eſ‍toyent reſolus de ſe retirer hors de France, & de s’en aller en part où ils n’en ouyſ‍ſent iamais parler.
Par ceſ‍te chaude alarme, ils eſmeurent ſi bien le Roy, qu’il fut contraint de s’accorder qu’on executaſ‍t dés la nuic‍t meſmes, ce qu’il auoit deſigné de differer encore : pour voir cependant le train que prẽdroit ſon eſperance de Flandres, par le ſeruice que les Huguenots luy feroyent en ce pays-la. Ie vous laiſ‍ſe à penſer, quel traic‍t la mere fit en cela pour ſon fils bien-aime, contre le bien de celuy qui pieç’a l’auoit deſpitee, & qu’elle n’aime que bien peu dés quelque temps. En luy faiſant pratiquer vne des leçons de Machiauelli, qui eſ‍t de ne garder aucune foy, qu’autãt qu’on la cuidera tourner à ſon aduantage, elle luy a fait rompre l’autre (que Denys de Sicile entendoit mieux) entretenant pres de ſoy le plus meſchant hõme du monde, ſur qui le peuple voulãt recouvrer ſa liberté, peuſ‍t vomir toute ſa cholere. Et par meſme moyen la mere ayant attiré l’ire de Dieu & des hommes ſur l’aiſné de ſes enfans, elle a armé le m’aiſné d’vne grande & puiſ‍ſante armee, qui luy eſ‍t venue entre mains, comme lieutenant general, ſous couleur de vouloir raſer les Huguenots de deſ‍ſus la terre. A voſ‍tre aduis, eſ‍t-il maintenant à cheual ? a-il beau moyen d’accomplir ſes deſ‍ſeins, luy qui de ſi long temps abboye à la couronne ?

L’hiſ‍t. Ie n’auoy’ pas entendu ce traic‍t : II eſ‍t vray que ie ſcauoy’ bien, que Monſieur auoit belle enuie d’eſ‍tre Roy, de quelque Royaume que ce fuſ‍t : & que le Roy & ſa mere, pour le contenter ayans perdu l’eſperance du mariage & du Royaume d’Angleterre, auoyent depeſché en Poloigne pour taſcher de le marier auec la Reginelle ſœur du roy de Poloigne, toute vieille qu’elle eſ‍toit, eſ‍timans que ce ſeroit vn bon moyen pour le faire paruenir à ce Royaume là apres la mort de Sigiſmond lors regnant. I’auois bien ſceu auſsi qu’apres ceſ‍te depeſche, le Roy & la Royne ayans eſ‍té aduertis que le roy Sigiſmond eſ‍toit mort ſur ces entrefaites, auoyent enuoyé en ambaſ‍ſade Monluc eueſque de Valẽce, par deuers les Polonois auec des bien belles memoires & charge biẽ ample de richement mentir de beaucoup promettre, & de rien tenir : pour eſ‍ſayer par ceſ‍t artifice, de faire eſlire Monſieur à ce beau Royaume vacquant. Maintenant tant plus ie penſe à ce ſtratageme que tu m’as recité, tãt plus ie le trouue remarquable, & digne d’eſ‍tre logé en ſon reng au liure de mes memoires. Mais ie m’aſ‍ſeure biẽ ſi le Roy y aduiſe de pres, qu’il empeſchera bien le deſ‍ſein de l’autre.

Le pol. Tout auſsi bien comme l’autre ſe peut garder d’eſ‍tre attrapé, anticipãt ſon compagnon, par vn gaillard contrantidote.

L’hiſ‍t A bon chat, bon rat.

Le pol. Or ie veux laiſ‍ſer ces grands iouer leurs tours, comme mieux ils l’entendent : & acheuant mon diſcours dire en vn mot, ce que ie penſe de la portee des petits. Ie ſuis treſaſ‍ſeuré que quand tous les autres ſe tairoyent, les vrais Catholiques François & quelque nouueau Bodille, que les Hiſ‍toriens nous recitent auoir iadis tué Childeric roy de Frãce, ainſi qu’il reuenoit de là chaſ‍ſe, pour ce qu’il l’auoit fait fouëtter publiquement attaché à vn pal : & qui tua auſsi (outre de meſme deſpit) Vlcide la Royne enceinte, ſont bien gens pour dõner eſchek-& mat à la maiſon de Valois, s’ils entrent vn coup en furie.

Ali. Tu m’as remis à la mémoire ce que Ronſard en fort bons termes, & ſans en rien diſsimuler, a mis en eſcrit de Bodille dans ſa Franciade, remiſe en lumiere depuis le maſ‍ſacre de Paris, quand en parlant de trois Rois freres, il dit tout à propos.

Trois fait neants, groſ‍ſes maſ‍ſes de terre,
Ny bons en paix, ny bons en temps de guerre,
La maudiſ‍ſon du peuple deſpité :
L’vn pour ſouiller ſon corps d’oiſiueté,
Pour n’aller point au conſeil, ny pour faire
Choſe qui ſoit au Prince neceſ‍ſaire :
Pour ne donner audience à chacun,
Pour n’auoir ſoin de ſoy ny du commun,
Pour ne voir point ny palais ny iuſ‍tices,
Mais pour rouiller ſa vie entre les vices :
Traiſ‍tre à ſon peuple,& à ſoy deſloyal,
Sans plus monter en ſon throne royal.

& peu apres,

De ſes ſuiets comme peſ‍te hay,
A contre cœur des ſeigneurs obey :
Chaud de cholere, & d’ardeur inutile,
Fera fouëtter le Cheualier Bodille
En lieu public, lié contre vn poſ‍teau,
Tout deſchiré de veines & de peau :
Bodille plein d’vn valeureux courage,
Touſiours penſif en ſi vilain outrage,
Ne remaſchant que vengeance en ſon cœur

Lairra couler quelque temps en longueur :
Puis ſi deſpit, la fureur l’eſpoinçonne,
Que ſans reſpec‍t de ſceptre ou de couronne
Tout allumé de honte & de courroux,
Ce Roy peu ſage occira de cent coups.
Luy de ſon Prince ayant la dextre teinc‍te,
Pres le Roy mort tuera la Royne enceinc‍te
D’vn meſme coup (tant ſon fiel ſera grand)
Perdant le pere, & la mere & l’enfant
Qui ſe cachoit dedans le ventre encore.

Et ſuyuamment adreſ‍ſant ſon langage au plus ieune frere, que lon dit n’auoir rien ſceu de ces deſ‍ſeins ſanguinaires, pour le contenir en office, il dit,

Seigneur Troyen, le Prince ne s’honore
De felonnie, il faut que la fierté
Soit aux lions : aux Rois ſoit la bonté,
Comme mieux nez, & qui ont la nature
Plus pres de Dieu que toute creature.

Et reprenant la deſcription de ce Roy, il adiouſ‍te,

Ce Roy doit eſ‍tre abuſé par flateurs
Peſ‍te des rois, courtizans & menteurs :
Qui des plus grans aſsiegeans les oreilles
Font les diſcrets, & leur content merueilles.

& peu apres,

Le plus ſouuent les Princes s’abeſ‍tiſ‍ſent
De deux ou trois, que mignons ils choiſiſ‍ſent :
Vrais ignorans, qui font les ſuffiſans,
Qui ne ſeroyent entre les artizans
Dignes d’honneur, groſ‍ſes lames ferrees,
Du peuple ſimple à grand tort honorees :

Qui viuent gras des impoſ‍ts & des maux,
Que les Rois font à leurs poures vaſ‍ſaux :
Tant la faueur qui les fautes efface,
Fait que le ſot pour habile homme paſ‍ſe
Quelle fureur ! qu’vn Roy pere commun
Doyue chaſ‍ſer tous les autres pour vn,
Ou deux, ou trois ! & bleſ‍ſer par audace
Vn maſle cœur iſ‍ſu de noble race,
Sans regarder ſi le flateur dit vray !
Ce Childeric doit cognoiſ‍tre à leſ‍ſay
Le mal qui vient de croire à flaterie,
Perdant d’vn coup & vie & ſeigneurie.


Le pol. A ce que ie voy, vrayement Ronſard triomphe de dire, & touche de merueilleux poinc‍ts. Ie n’euſ‍ſe iamais penſé, qu’il euſ‍t oſé mettre ces choſes ſi clairement en auant du viuant de ce Roy, quoy qu’il les couche ſous d’autres noms feinc‍ts.

Phil. Or confere ie te prie maintenãt ce que nous auons veu, auec ce diſcours.

Ali. Certes c’eſ‍t vn piteux eſ‍tat, ie ne ſcay qu’en dire.

Le pol. Comment eſ‍t-il poſsible que Ronſard ait publié cela ?

Ali. Il en dit bien d’auantage : Il deſcrit bien encores plus particulierement ce Roy & ſon règne, ſous le nom de Chilperic : l’impudicité de la cour, les meurtres, l’eſ‍toille nouuelle qui apparoiſ‍t, & autres ſignes : l’obſ‍tinatiõ du Roy iuſqu’à predire qu’il eſ‍touffera ſa femme pour eſpouſer ſa putain.

Le pol. He ie te prie ſi tu te ſouuiens de ce qu’il en dit, recite-le moy.

Ali. Ie n’ay pas retenu le tout : mais voicy ce que i’en ſcay.

C’eſ‍t Chilperic indigne d’eſ‍tre Roy,
Mange ſuiet, tout rouillé d'auarice,
Cruel tyran, ſeruiteur de tout vice :
Lequel d’impoſ‍ts ſon peuple deſ‍truira,
Ses citoyens en exil bannira.
Affamé d’or, & par armes contraires,
Voudra rauir la terre de ſes freres.
N’aimant perſonne, & de perſonne aimé,
Qui de putains vn ſerrail diffamé,
Fera mener en quelque part qu’il aille :
Soit temps de paix, ou ſoit temps de bataille,
En voluptez conſumera le iour,
Et n’aura Dieu que le ventre & l’amour,
Du peuple ſien n’entendra les complaintes,
Toutes vertus, toutes couſ‍tumes ſainc‍tes
Des vieux Gaulois, fuyront deuant ce Roy :
Grand ennemy des paſ‍teurs de ſa loy.
Les eſcoliers n’auront les benefices,
Les gens de bien les honneurs des offices.
Tout ſe fera par flateurs eshontez,
Et les vertus ſeront les voluptez.
Iamais d’enhaut la puiſ‍ſance celeſ‍te,
Ne monſ‍tra tant ſon ire manifeſ‍te,
Et iamais Dieu le grand Pere de tous
Ne monſ‍tra tant aux hommes ſon courroux :
Signes de ſang, de meurtres, & de guerre,
De tous coſ‍tez vn tremblement de terre
(Horrible peur des hommes agitez)
De fonds en comble abbatra les citez.
Iamais les feux la terre ne creuerent

En plus de lieux, iamais ne s’eſleuerent
Plus longs cheueux de Cometes aux cieux.
Iamais le vent (eſprit audacieux)
En fracaſ‍ſant & foreſ‍ts & montagnes,
Ne fit tel bruit : le ballay des campagnes,
Les pains couppez, de ſang ſe rougiront,
En plein hyuer les arbres fleuriront :
Et toutefois par ces menaces hautes,
Ce meſchant Roy n’amendera ſes fautes :
Mais tout ſuperbe, en vices endurcy,
Contre le ciel eſleuant le ſourcy
Au cœur bruſlé d’infame paillardiſe
Eſtouffera contre ſa foy promiſe,
En honniſ‍ſant le ſainc‍t lic‍t nuptial,
Sa propre eſpouſe, eſpoux tresdeſloyal,
Ioinc‍te à ſon flanc, le baiſant en ſon lic‍t,
Seure en ſes bras, l’eſtranglera de nuic‍t.
Cruel tyran ! à qui deſ‍ſus la teſ‍te
L’ire de Dieu pend deſia toute preſ‍te.

Puis en parlant de ie ne ſcay quel Clotaire, & de la vengeance qu’il fera de la Royne-mere, qu’il entend ſous le nom de Brunehaut, il adiouſ‍te apres,

Sage guerrier victorieux & fort
Qui pour l’honneur meſpriſera la mort,
De Brunehaut princeſ‍ſe miſerable
Fera punir le vice abominable,
Luy attachant à la queuë d’vn cheual
Bras & cheueux : puis à mont & à val
Par les rochers, par les ronces tiree,
En cent morceaux la rendra deſchiree :
Si qu’en tous lieux ſes membres diffamez,

Seront aux loups pour carnages ſemez.

& peu apres,

Les Leſ‍trigons, les Cyclopes, qui n’ont
Qu’vn oeil au front, en leur rochers ne ſont
Si cruels qu’elle, à toute peſ‍te nee :
Qui en filant menee ſur menee,
Guerre ſur guerre, & debats ſur debats,
Fera mourir la France par combats :
Mais à la fin ſous les mains de Clotaire
Doit de ſes maux receuoir le ſalaire.


Le pol. Mon Dieu, qu’eſ‍t-ce là ? qui vit iamais deſcrire mieux les choſes deſ‍ſous noms couuerts? He que ces Poetes ſont grands ouuriers ? il y en a mille & mille qui liront cela ſans l’entendre, & ce pendant on n’en ſcauroit dire dauantage en peu de mots.

Ali. Le bon eſ‍t, que Iamyn qui a fait les argumẽs de la Franciade de Ronſard, & qui cognoiſ‍t bien le ſens caché ſous l’eſcorce, & l’intention de l’Auteur l’a eſclarcy en l’argument du 4. liure, quand en parlant de l’erreur Pythagorique, touchant la tranſmigration des ames, il dit que Ronſard ſe ſert expres de ceſ‍te fauſ‍ſe opinion, afin que cela luy ſoit comme vn chemin & argument plus facile, pour faire venir les eſprits des vieux Rois en nouueaux corps : car ſans telle inuention, il euſ‍t fallu ſe monſ‍trer pluſ‍toſ‍t Hiſ‍toriographe, que Poëte.
Le pol. Voila qui va bien. Mais ſi ſeroy’-ie bien marri que la prophetie de Ronſard aduint touchant ceſ‍te poure Princeſ‍ſe la Royne regnante, qu elle fuſ‍t eſ‍touffee par ſon mari : quant à Brunehaut, il ne me chaut quoy qu’il luy puiſ‍ſe aduenir. Que pleuſ‍t à Dieu quelle ne fuſ‍t iamais venue en France, nous ne ſerions pas és peines où nous ſommes. Mais ie te prie, conſidere vn peu quel argument Ronſard baille à tous François, quand il monſ‍tre l’entrepriſe executee par Bodille, contre le roy Childeric, ſa femme, & ſon enfant, pour auoir eſ‍té ſeulement fouetté. A ton aduis, n’eſ‍t-ce pas autant que s’il diſoit, en argumentãt du moindre au plus grand : Vous tous qui auez eſ‍té en dix mille ſortes plus inhumainemẽt traic‍tez que Bodille, en vos perſonnes, honneurs & biens, de vos femmes & enfans : Vous deſquels les plus proches parens, alliez, amis & voiſins ont eſ‍té meurtris & violez, contre tout droic‍t, contre la foy publique : s’il y a quelque cœur maſle iſ‍ſu de noble race, s’il y a quelque generoſité de reſ‍te entre vous, que ne la monſ‍trez vous à ceſ‍te fois contre ce traiſ‍tre à ſon peuple, & à ſoy deſloyal ? cõtre ce mange-ſuiec‍t, cruel tyran, affamé d’or, n’aimant perſonne ? ce meſchant Roy, en vices endurcy (car voila vne partie des titres qu’il luy baille) Ne voyez-vous pas ſes deportemens, ceux de ſa mere, de ſon frere, de ſes autres conſeillers que ie vien de deſcrire : attendez-vous à voir dauantage de ſignes du ciel ? ou plus de teſmoins en la terre de ſon infame deſloyauté ? comme s’il diſoit, Vous ne ſcauriez. Aſ‍ſeure-toy Alithie, que Ronſard eſ‍t merueilleuſement ſubtil, il ſcait bien pinſer ſans rire.
Ali. Ouy pour le ſeur : Que ie ſeroy’ aiſe que on entendiſ‍t bien ſon diſcours, pour eſ‍tre eſmeus chacun en ſon deuoir. Mais ie ne voudroy’ pas que le tyran ſceuſ‍t qu’il euſ‍t eſcrit quelque choſe de luy, ſous quelque eſcorce que ce ſoit : ſans doute il le feroit mourir, ou pour le moins il l’en feroit deſdire par force, cõme il a fait eſcrire à monſieur de Puybrac par viue crainte, & auec la promeſ‍ſe d’vne abbaye, vne epiſ‍tre en latin à Staniſlaus Heluidius Polonois, pour donner couleur à ſa trahiſon du 24. d’Aouſ‍t.

Le pol. Tu dis vray, I’ay veu ceſ‍te letre dont tu parles, ie ne penſoy ’ pas que ce fuſ‍t Puybrac qui l’euſ‍t faite : il ne s’eſ‍t oſé nommer de honte le poure homme. Mon Dieu, que ie le regrette ! il n’a gueres profité iuſqu’à preſẽt, auec tous ſes eſcrits enuers les Polonois : tout le monde cognoiſ‍t deſia par trop la trahiſon de celuy, à la louange duquel il s’eſ‍t efforcé d’eſcrire. Il ne faut auiour d’huy que les traic‍ts que tu m’as recité de Ronſard, pour faire deuiner que c’eſ‍t, & de qui il parle : & ſi l’Hiſ‍toriographe met en lumiere ce qu’il en ſcait, comme il nous le vient de racompter, cela eſ‍t trop plus que ſuffiſant pour mõſ‍trer à tous gens de bien, la preudhommie des meurtris, & la felonnie des meurtriers.
L'hiſ‍t. Ne doute pas que ie ne le publie, auec toutes les circonftãces des tours qu’ils ont ioué pour ſurprendre ces poures gens : les letres, les menees plus ſecretes, les larmes feinc‍tes, les mots couuerts : tout ſera deduit par le menu. L’arreſ‍t du parlement auſsi qu’ils ont donné contre l’Amiral, long temps apres ſa mort : & celuy contre Briquemaut & Cauagnes, Ie n’en oublieray rien, Dieu aidant.

L’egl. Que dis-tu de l’arreſ‍t contre l’Amiral, & de celuy contre Briquemaut & Cauagnes ? Ie ne t’entens pas : a-il quelque arreſ‍t donné cõtr’eux ?

L’hiſ‍t. N’en ſcauez-vous autre choſe ?
L’egl. Non.
L’hiſ‍t. Ie vous le diray. Apres la mort de l’Amiral, & le maſ‍ſacre fait ſur les Huguenots dans Paris le 24. d’Aouſ‍t : le 26. enſuyuant, le Roy (comme ie vous ay dit) alla au palais de Paris : & là ſeant, aduoua tout le maſ‍ſacre auoir eſ‍té fait par ſon aduis & propre mouuement, commandant que lon informaſ‍t de la conſpiration qu’il auoit fait mettre à ſus à l’Amiral, auec les teſmoins qui ſeroyent trouuez les plus propres. Ce commandement & arreſ‍t fait, la cour de Parlement (apres auoir dit que le Roy auoit bien & vertueuſement fait, en faiſant meurtrir les Huguenots) deputa commiſ‍ſaires, fit informer parmi les tueurs, forma le procez au meurtri, & pareillement à Briquemaut & à Cauagnes (qui furent faits priſonniers en ces iours-la de maſ‍ſacre, & reſeruez pour ſeruir de bonne couuerture à quelque ſolennelle execution, qu’il leur ſembloit deuoir eſ‍tre faite par les voyes de iuſ‍tice ordinaires.) Il s’enſuyuit en fin arreſ‍t, par lequel (veues par la chambre ordõnee par le Roy en temps de vacations, les informations faites apres la mort, interrogatoires, confeſ‍ſions & denegations de quelques priſonniers, & les autres papiers qu’ils voulurẽt dire auoir veus) ledic‍t Amiral fut déclaré auoir eſ‍té crimineux de leſe maieſ‍té, perturbateur & violateur de paix, ennemy de repos, tranquillité, & ſeurete publique : chef principal, autheur & conduc‍teur de la dic‍te conſpiration, faic‍te contre le Roy & ſon eſ‍tat : Sa memoire damnee, ſon nom ſupprimé à perpetuité. Et pour reparation deſdic‍ts crimes, ordonné que le corps dudic‍t Amiral (ſi trouuer ſe pouuoit, ſinon en figure) ſeroit prins par l’executeur de la haute iuſ‍tice, mené, conduic‍t & trainé ſur vne claye, depuis les priſons de la conciergerie du Palais, iuſques à la place de Greue : & illec pendu à vne potence, qui pour ce faire ſeroit dreſ‍ſee & erigee deuant l’hoſ‍tel de ville, & y demeureroit pendu l’eſpace de vingt & quatre heures : Et ce faic‍t, ſeroit porté & pendu au gibet de Montfaucon, au plus haut & eminent lieu. Les enſeignes, armes, & armoiries dudic‍t feu Amiral, trainez à queues de cheuaux par les rues de Paris, & autres villes, bourgs & bourgades où elles ſeroyent trouuees auoir eſ‍té miſes à ſon honneur, & apres rompues & briſees par l’executeur de la haute iuſ‍tice, en ſigne d’ignominie perpetuelle, en chacun lieu & carrefoux, où lon a accouſ‍tumé faire cris & proclamations publiques. Toutes les armoiries & pourtraic‍tures dudic‍t feu Amiral, ſoit en boſ‍ſe, ou peinc‍ture, tableaux, & autres pourtraits en quelque lieu qu’ils ſoyent, caſ‍ſez, raſez, rompus & lacerez : Enjoignant à tous iuges Royaux, de faire executer chacun en ſon reſ‍ſort pareille laceration d’armoiries, & à tous ſes ſuiets du reſ‍ſort de Paris, de n’en garder ou retenir aucunes : Tous les biens feudaux dudic‍t feu Amiral mouuans de la couronne de France, reunis & incorporez au domaine d’icelle, & les autres fiefs & biens tant meubles qu’immeubles, acquis & confiſquez au Roy : declarant les enfans de l’Amiral, ignobles, vilains, roturiers, infames, indignes & incapables de teſ‍ter, ne tenir eſ‍tats, offices, dignitez & biens en France : leſquels, ſi aucuns en ont, ladic‍te chambre declaroit acquis au Roy : Ordonnant que la maiſon ſeigneuriale & chaſ‍tel de Chaſ‍tillon ſur Loin, qui eſ‍toit l’habitation & principal domicile dudic‍t Coligny, enſemble la baſ‍ſe cour, & tout ce qui depend du principal manoir, ſeront demolis, raſez, & abbatus, & deffendu de iamais y baſ‍tir, ny edifier : & que les arbres plantez és enuirons de ladic‍te maiſon & chaſ‍tel, pour l’embelliſ‍ſement & decoration d’icelle, ſeront coupez par le milieu : & en l’aire dudic‍t chaſ‍teau, vn pillier de pierre de taille erigé, auquel ſeroit miſe & appoſee vne lame de cuyure, en laquelle ſeroit graué & eſcrit ledic‍t arreſ‍t : & que doreſenauant par chacun an le 24. iour d’Aouſ‍t, ſeroyent faites prieres publiques & proceſsions generales dans Paris, pour rendre graces à Dieu de la punition de la conſpiration faite contre le Roy & ſon eſ‍tat. Le ſemblable & pareil arreſ‍t (excepté quant à ceſ‍te derniere clauſe, touchant le demoliſ‍ſement de maiſon) fut donné contre Briquemaut & Cauagnes. Si furent leſdic‍ts arreſ‍ts prononcez & executez le 27. & 29. d’Oc‍tobre, 1572. l’vn ſur vn fantoſme au lieu du corps de l’Amiral (lequel auoit pieça eſ‍té emporté de Mõtfaucon, & dependu par quelques vns qui l’auoyẽt reueré en ſon viuant) Et fut l’autre arreſ‍t executé ſur les perſonnes propres deſdic‍ts Briquemaut & Cauagnes, en la preſence du Roy qui les voulut voir mourir : eux proteſ‍tãs du tort qu’on leur faiſoit, & en demandans vengeance à Dieu.

L’egl. Ie puis bien dire maintenant auec Dauid, parlant de la meſchanceté des miniſ‍tres de Saul, & de leur iniquité & iniuſ‍tice.

Entre vous conſeillers, qui eſ‍tes
Liguez & bandez contre moy,
Dites vn peu en bonne foy,
Eſ‍t-ce iuſ‍tice que vous faites ?
Enfans d’Adam, vous meſ‍tez-vous,
De faire la raiſon à tous ?
Ainçois voz ames deſloyales
Ne penſent qu’à meſchanceté,
Et ne peſez qu’iniquité,
En voz balances inegales.
Car les meſchans dés qu’ils ſont nez
Du Seigneur ſont alienez.


Ali. Les iugemens de Dieu ſont grans : Mais ie veux bien dire en paſ‍ſant (ſans entrer aux particulieres occaſions de courroux que tous hommes donnent à Dieu par leurs pechez, & ſur tous, ceux qui ſcauent la volonté du maiſ‍tre & ne la font, car cela eſ‍t immenſe) qu’il ne ſe pouuoit faire, que le Seigneur ne fuſ‍t merueilleuſement emeu à ire, de ce que les Huguenots (comme s’ils euſ‍ſent perdu toute ſouuenance des bien-faits de Dieu, qui ſeul les auoit iuſqu’à lors conſeruez : voire tant de fois & par miracles tant extraordinaires retirez d’extremes perils) n’auoyent les yeux ny l’eſperance d’aucun repos ou felicité, que ſur le mariage du roy de Nauarre (comme s’il eulſ‍t eſ‍té le ſauueur de l’Egliſe) ayans bien quelque peu, voire trop legerement inſiſ‍té ſur la forme, mais ſur la matiere nullement.

L’egl. Il eſ‍t certain : Et ceſ‍te faute me poiſe beaucoup : Mais cependant i’ay tant d’aſ‍ſeurance de la loyauté de mon eſpoux, qu’il ne laiſ‍ſera d’accomplir le contrac‍t de noſ‍tre alliance : ce qu’il a eſ‍té, il eſ‍t, & ſera à iamais.

Ali. Il faut tenir ceſ‍te reſolution, & s’y conſoler : que Dieu eſ‍t tout ſage, tout bon, tout puiſ‍ſant, & ialoux de ſa gloire, & partant qu’il ne veut rien perdre du ſien : & qu’eſ‍tant la meſme verité, il ne defaudra vn ſeul iota de ſa parole, à ſçauoir de ſes promeſ‍ſes enuers ſes enfans, & de ſes iugemens enuers ſes ennemis, & le temps eſ‍t pres.

L’egl. Mais ſurquoy eſ‍t-ce ie vous prie que ces meſchans ont pris leur argument pour tout rauager & deſ‍truire, qu’elle occaſion en auoyent ils ? car de ceſ‍te conſpiration qu’ils ont impoſee aux mieux, c’eſ‍t vne couuerture ſi ſotte qu’on y voit le iour au trauers.

Ali. Ie ne ſache point qu’ils ayent eu autre occaſion de ce faire, que celle que Cain eut en tuant Abel, celle d’Herode en faiſant meurtrir les enfans. Le tout pour enſuyure les loix qui eſ‍toyent bien au long couchees dans les memoires qu’on bailla à l’Amiral deuant les nopces, que pleuſ‍t à Dieu qu’il les euſ‍t creues, & que quelque iour tout le reſ‍te des gens de bien y prene garde pour euiter à leurs ſurpriſes.

Le pol. L’hiſ‍toriographe ſcait bien les principaux poinc‍ts ſur leſquels la Royne-mere, qui tient ſes enfans dans la manche, & la France deſ‍ſous ſes pieds, auoit voulu prendre ſubiec‍t de ſe forger vne haine irreconciliable contre les Huguenots.

L’hiſ‍t. Pource qu il ſeroit trop long de reciter à preſent tous les particuliers incidens de ceſ‍te matiere, ie remettray à les deduire ailleurs amplement : & pour ceſ‍te heure vous diray, que rien ne l’a tant piquee contre les Huguenots, que la publication de ſes letres en pleine diette de Francford (en la preſence de l’Empereur Ferdinand, & de ſon fils & preſent Empereur) Ie dy l’original, eſcrit & ſigné de ſa main, par leſquelles elle auoit fait prendre les armes au prince de Condé aux premiers troubles, & dont par conſequent il eſ‍toit tout apparent, qu’elle auoit allumé le feu en France.
Et pour de tant plus legitimer ſa vengeance, elle s’eſ‍t voulu perſuader, qu’autres que les Huguenots n’auoyent publié ſon impudicité : Et que la reputation qu’elle auoit d’eſ‍tre ſorciere venoit d’eux, ce qu’elle ne pouuoit ſouffrir eſcouler de ſa memoire : meſmement que par leurs eſcrits elle cognoiſ‍ſoit bien, qu’il ne tiẽdroit à eux qu’ils ne luy tiraſ‍ſent le gouuernement & authorité des poings : Qu’elle cognoiſ‍ſoit bien auſsi, que l’Amiral n’oublieroit iamais les tours qu’elle luy auoit faits, & partant le vray expedient de leur oſ‍ter (aux vns en general le moyen de luy mal faire, & à l’autre en particulier de ſe reſ‍ſentir) c’eſ‍toit de tout exterminer, par les voyes que nous auons touchees au commencement de noſ‍tre diſcours, ſe confirmant en ce deſ‍ſein par pluſieurs autres impreſsions, qui d’elle-meſme & d’ailleurs luy ſuruenoyent tous les iours : mais ſur toutes, celle qui eſ‍t ſucceſsiue & à ſa maiſon, & à ſa nation, à ſçauoir, de hayr à mort ceux qu’vne fois ils ont offenſez, & qu’il ne ſe faut reconcilier à vn ennemy, que pour le deſ‍truire.
Ce qui l’irrita auſsi bien fort, fut vn tableau de quatorze ſeruiteurs ſecrets de la Royne, entre leſquels le Peron tenoit le premier reng peints au vif auec elle. Lequel le Cheualier de la Battereſ‍ſe ſuppoſa vn iour (ainſi que l’on m’a dic‍t) au lieu d’vn deſ‍ſein de ſa maiſon des Tuyleries, qu’il trouua ſur le lic‍t de l’antichambre de la Royne, & l’enleua ſubtilement, logeant en ſa place le tableau, lequel toſ‍t apres fut veu au grand regret de la Dame & detriment de ſa bonne renommee.

Le pol. Mais pourquoy eſ‍t-ce que la Battereſ‍ſe fit ce tour-là.

L’hiſ‍t. On m’a dic‍t que ce fut par deſpit, & à cauſe de la ialouſie qu’il auoit conceu de ſe voir poſ‍tpoſé à tant de vilains, de voir (di-ie) qu’il n’auoit peu eſ‍tre receu en meſme charge auec ces quatorze, luy qui comme bon & beau eſ‍talon penſoit l’auoir mieux merité.
Ceſ‍te ſuppoſition de tableau enuenima fort la Royne contre les Huguenots, qu’elle cuydoit luy auoir ioué ce tour.
Pareillement elle s’eſ‍t fort offenſee de certaine Rithme, parlant des Roynes Fredegonde & Brunehaut, & de Iezabel & Catherine, & la monſ‍trant eſ‍tre pire que Iezabel ne fut iamais : pour ce qu’elle a touſiours creu que ces bõs offices luy eſ‍toyent faits de la part des Huguenots : Ie m’en vay te reciter les vers,

Si France pure de loix,
Pleine d’équité & droiture,
A ſouffert tout à la fois
Ruine & deſconfiture
Par la Royne Fredegonde
Maſ‍tinant le François monde
Auec ſon Landry infec‍t,
S’elle a eſ‍té en effec‍t
Foulee par Brunehaut,
Iezabel qui moins ne vaut
Et ſon eſ‍talon Gondy
Qui de plein ſault a bondy
Plus haut que nul de nos Princes,
Pourquoy parmy nos prouinces,
Maintenant qu’il n’y a loy
Ne couſ‍tume qui ſe garde,
Maintenant qu’il n’y a foy
Ny eſ‍tats qui les engarde,
Ne feront-ils de rauage
D’oppreſsion & carnage ?
Parle qui parler voudra
Tant que Iezabel voudra,
Mais que dy ie Iezabel,
I’entens dire Catherine
Qui la grand tour de Babel

Confuſion & ruine
De la maiſon de Valois
A baſ‍ty comme tu vois
Aux quatre coings de la France,
Et qui eſ‍t mille fois pire,
Ainſi que tu m’orras dire,
Que ne fut onc Iezabel,
Qu’il ſoit vray, le fait eſ‍t tel.


Sympathie de la vie de Catherine & de
Iezabel, auec L’antipathie de
leur mort.

S’on demande la conuenance
De Catherine & Iezabel,
L’vne ruine d’Iſrael,
L’autre ruine de la France :
Iezabel maintenoit l’idole
Contraire à la ſainc‍te parole
L’autre maintient la Papauté
Par trahiſon & cruauté :
L’vne eſ‍toit de malice extreme,
L’autre eſ‍t la malice meſme :
Par l’vne furent maſ‍ſacrez
Les prophetes à Dieu ſacrez ;
L’autre en a fait mourir cent mille
De ceux qui ſuyuent l’Euangile :
Iezabel pour auoir ſon bien
Fit mourir vn homme de bien :
L’autre n’eſ‍t encor’ aſ‍ſouuie
S’elle n’a les biens & la vie :
En fin le jugement fut tel,
Les chiens mangerent Iezabel,

Par vne vengeance diuine :
La charongne de Catherine,
Sera differente en ce poinc‍t :
Les chiens meſmes n’en voudront point.

Voila à mon aduis les choſes qui ont ainſi fait enrager ceſ‍te bonne dame. Et penſes tu ſi elle ne ſcauoit au vray que Ronſard a faic‍t les autres vers qu’Alithie recitoit tantoſ‍t d’elle & de ſes enfans, qu’elle ne creuſ‍t : que c’eſ‍t quelque Huguenot qui la gallope de la ſorte, quoy qu’elle donne auec les ſiens par trop d’argumẽt aux Papiſ‍tes de crier aux armes contre eux.
Ali. Ie le croy biẽ : Mais encore ne touchez-vous point à la vraye matiere qui l’a reduite à ces furieuſes idées. Tenez pour certain, que ceux qui vomiſ‍ſent comme elle, le don celeſ‍te (à ſcauoir la cognoiſ‍ſance de Dieu en ſon Fils Ieſus Chriſ‍t qui eſ‍t ſa parole) & malicieuſement ſe bandent contre la verité qu’ils cognoiſ‍ſent, ne trouuans aucun lieu de repentance, ſont tellement abandonnez de Dieu, qu’ils entrent aiſement en ceſ‍te rage canine, qui les fait mordre & deuorer tout ce qu’ils rencontrent.
Phil. Vous m’auez fait ſouuenir d’vn ſonnet qui fut fait pour elle y a enuiron cinq ans, ſur ce ſubiec‍t, lequel i’ay retenu par cœur, & ie le vous reciteray preſentement.

Lors qu’vn zele baſ‍tard, enfant de l’ignorance
Ton Henry furieux incitoit à pourſuyure
Par feu, ſang & tourmens, ceux qui deſiroyent viure
En la crainte de Dieu ſous ſon obeiflance,

Lors d’vne voix commune on bruyoit en la Frãce
Que (du monde caduc ta penſee deliure)
Des mains, des yeux, du cœur, ſans ceſ‍ſe au ſacré liure
Tu recerchois de Dieu la vraye cognoiſ‍ſance :
Mais ayant ſauouré par ton libre vefuage,
L’imperieux honneur, nay de ton mariage,
Il ne faut s’eſ‍tonner (auſsi n’eſ‍t-il e‍trange)
Si lon t’a ſoudain veu deſchoir de telle grace :
Car la truye a de propre & tient cela de race,
De retourner au baing de ſa première fange.


Le pol. le vous laiſ‍ſe à penſer de quel naturel peuuent eſ‍tre ſes enfans, qui ſont nourris de ſon laic‍t, & dreſ‍ſez ſa main. Et en cela remarquez la lourde faute que firent ceux qui auoyent puiſ‍ſance d’y pouruoir apres la mort du roy Henry, qui au lieu de s’en ſaiſir (pour les faire inſ‍tituer en toutes vertus) luy en laiſ‍ſerent le gouuernement, pour en faire des exemplaires de toute deſloyauté & execration : & pour le comble de tout malheur, elle les a faits inſ‍trumens de leur ruine, de l’eſ‍tat & de la couronne dont elle a receu tant d’honneur.

Phi. C’eſ‍t vne choſe eſ‍trange, que d’ouyr les propos que le Roy tient, & de l’endurciſ‍ſement que Dieu a mis en luy : en ſorte que ſi Dieu ne luy retardoit ſes malheureux deſ‍ſeins, le ſang de ſon peuple regorgeroit iuſques aux ſommets des montagnes, ſi tant il en pouuoit reſpandre.

Ali. Dieu pour certain eſ‍t courroucé, & pour l’appaiſer, faut s’humilier deuant luy, autremẽt qu’on n’a fait par le paſ‍ſé : & que les diſcours & iugemẽs humains cedent aux ſiens, ſe reſignant & ayant recours à ſa bonté & prouidence, par prieres continuelles & ardentes, auec aſ‍ſeurance qu’il a la volonté & la puiſ‍ſance de deliurer les ſiens quand il ſera temps.
L’egl. O Seigneur, mets ce tyran en la puiſ‍ſance d’vn meſchant, qui ne s’eſ‍tudie qu’à le tourmenter Que Satan ſoit touſiours à ſes coſ‍tez. Fay que luy & ſes bourreaux conſeillers & ſatellites, ſoyẽt par toute la terre recognus pour tels qu’ils ſont. Accourcy leurs iours, & pouruoy, ô Dieu, en leur place, de gens qui ſoyent ſelon ton cœur. Que leurs enfans ſoyent orphelins, leurs femmes vefues : Les leurs vagabons & errans ſoyent dechaſſez de leurs maiſons, cerchans leur pain, ſans que perſonne s’auiſe d’eſ‍tẽdre ſa miſericorde ſur eux. L’vſurier attrape leurs biens, & l’eſ‍tranger leur ſubſ‍tance. Leur poſ‍terité ſoit oſ‍tee du monde, le nom, dy-ie, de ce tyran ſoit aboli de la terre. Que l’iniquité de ſes peres ſoit continuellement deuat toy, & n’efface point les pechez de ſa mere : d’autant que tant s’en faut qu’ils ayent eu ſouuenance d’aider le poure en ſon aduerſité, qu’au contraire ils n’ont tendu qu’à tourmenter les perſonnes oppreſ‍ſees, laſ‍ſees, chetiues, & angoiſ‍ſees, iuſques à leur pourchaſ‍ſer la mort, voire apres la mort les pourſuyure.

Ils ont aimé la mal-encontre,
Fay donc, Seigneur, qu’ils la rencontrent :
La bonne encontre ils ont haye,
Que deux bonne-encontre s’enfuye.


Soyent entortillez de tous maux ainſi que d’vn habillement : Mais aide moy mon Dieu, mon Roy, & par ta bõté ſauue moy : Car Seigneur, ie remets en toy & moy & mon affaire, n’ayant eſperance qu’en ta bonté, & attendant ta iuſ‍tice ſur les peruers & iniques. Accompli & parfay ton œuure, Seigneur. Mets en veuë la preud’hõmie des tiens, afin que leur innocence & bonne vie reluiſe & apparoiſ‍ſe comme tu l’as promis, Que ſi (comme il peut eſ‍tre, & toy ſeul le cognois Seigneur) il y a quelques vns de tes enfans meſlez parmi ces deſloyaux, comme nous auons iadis veu Paul tõ vaiſ‍ſeau eſleu perſecuter les tiens auant ſa conuerſiõ : Abbrege les iours, Seigneur, haſ‍te le tẽps de leur vocation, afin que parauenture ils ne ſoyent comprins ſous meſmes iugemens, & periſ‍ſent parmi les faux vieillards de Suſanne. Suſcite tõ Daniel, Seigneur, pour la iuſ‍tification de ta ſeruante, & nous exauce pour l’amour de Iefus Chriſ‍t tõ Fils noſ‍tre Seigneur.


Ali.

Adonc tous pleins d’eſiouiſ‍ſance
Tes enfans qu’on a oppreſ‍ſez,
Voyans deſrompus & caſ‍ſez
Les peruers par iuſ‍te vengeance,
Dedans le ſang ſe baigneront
De ces meſchans, & puis diront :
L’innocent ne perd point ſa peine,
C’eſ‍t vn poinc‍t du tout arreſ‍té,
Quoy que le iuſ‍te ait enduré,
C’eſ‍t vne choſe bien certaine
Qu’il eſ‍t vn Dieu, qui iuge icy,
Les bons & les mauuais auſsi,


Dan. Ie fuis innocẽt de ce ſang reſpandu : Et pour dire ce qu’il me ſemble d’vne telle perfidie & cruauté & d’vn ſi peruers iugement, Apres auoir veu pieç’a (cõme auſsi tout le monde a peu voir) la confeſsion de foy de ces vieux Lutheriens Frãçois, qui aimoyent mieux endurer tous tourmens que de riẽ quitter de la cognoiſ‍ſance que le ſainc‍t Eſprit leur auoit donné, de Dieu le Pere en noſ‍tre Seigneur Ieſus Chriſ‍t, laquelle ils recognoiſ‍ſent eſ‍tre le ſouuerain bien de l’homme, le ſalut eternel, ſans lequel la condition des hommes ſeroit plus miſerable que celle des beſ‍tes brutes : Et auoir veu que nul ne leur pouuoit arracher ceſ‍te eſperance, Que nulle tribulation, angoiſ‍ſe, perſecution, faim, nudité, couſ‍teau, ny feu, ne les pouuoit ſeparer de l’amour de Chriſ‍t, quoy qu’ils fuſ‍ſent pour ceſ‍te ſeule occaſion tous les iours tuez, reputez comme brebis de la boucherie, voire ſans comparaiſon plus rudement traitez : eſ‍tans iournellement bruſlez tous vifs à petit feu, & leurs langues couppees, pour les garder de donner gloire à Dieu deuãt le peuple, eſ‍tans en tout & par tout pour le dire en vn mot, maſ‍tinez en leur honneur, vie, & biens, comme les plus deteſ‍tables heretiques qui furent onques, & declarez criminels de leze maieſ‍té diuine & humaine, ainſi que plus à plein appert tant par les proces, procedures & areſ‍ts ſur ce faits, reſeruez iuſques à maintenant rie re les greffes des Parlemens, & des autres iuges de la France, que par les ac‍tes & confeſsion de foy d’vn grand nombre d’eux redigez par eſcrit és liures des martyrs & teſmoins de la vérité.
Auoir veu aufsi que pour vn de ces Lutheriẽs qu’on bruſloit, vn grand nombre d’hõmes, femmes & enfans, garnis de meſme foy & eſperance, en eſ‍toit ſuſcité iournellement : tellement que les cendres de leurs corps bruſlez & leur ſang reſpandu, ſembloit ſeruir à veuë d’œil de ſemence à l’Egliſe : Et que nonobſ‍tant cela, on ne laiſ‍ſoit pas de toujours bruſler iuſques à s’en prendre à la Sainc‍te eſcriture, au vieil & nouueau Teſ‍tament, qu’on n’auoit pas honte de bruſler s’il eſ‍toit trouué eſcrit en langage que le peuple peuſ‍t entẽdre, penſans arracher par ce moyen à aucuns d’eux les armes du poing, le bouclier de leur foy & le heaume de leur ſalut : & aux autres, en empeſcher du tout la cognoiſ‍ſance.
Veu pareillement la confeſsion de leur foy, que le prince de Condé ayant compaſsion d’eux, pour les tourmens qu’on leur donnoit & les blaſmes qu’on leur mettoit à ſus, voulut preſenter en eſcrit au Roy François ſecond à Amboyſe, afin qu’elle fuſ‍t examinee de gẽs doc‍tes par la ſainc‍te Eſcriture, & que la rigueur des feus qu’on allumoit iournellement contr’eux fuſ‍t moderee & faite ceſ‍ſer.
Veu auſsi la confeſsion de foy que les Huguenots preſenterent au Roy Charles 9. au colloque de Poiſ‍ſy, laquelle fut diſputee & maintenue publiquement par les miniſ‍tres du ſainc‍t Euangile, contre les Cardinaux, Eueſques, & Doc‍teurs de la Papauté, en la preſẽce dudic‍t Charles, & ſa mere, ſes freres, des Princes & Seigneurs de ſon conſeil : laquelle fut traduite & imprimee en pluſieurs lãgues, & qui eſ‍t entre les mains de tous ceux qui la veulent voir, conforme en tout & par tout à la parole de Dieu, contenue au vieil & nouueau Teſ‍tament, & au ſymbole des Apoſ‍tres.
Auoir veu auſsi l’Edic‍t fait toſ‍t apres ce colloque de Poiſ‍ſy au mois de Ianuier en l’an 1561. par Charles, du conſeil de ſa mere, de tous les Princes & Seigneurs de ſon conſeil, & d’vn grand nombre de Preſidents & Conſeillers de toute la France, qui pource furent aſ‍ſemblez : par lequel Edic‍t les feux & recerches cõtre ces poures gens furent ceſ‍ſez, leur conſcience delaiſ‍ſee en liberté (ſelon la confeſsion de leur foy) à eux permis de faire preſcher l’Euangile & adminiſ‍trer les ſacremens en leurs aſ‍ſembiees, és fauxbourgs des villes de France, par leurs Miniſ‍tres à ce appellez, ordonnez, & eſleus, comme plus à plein, és patentes ſur ce faites (qu’vn chacun a peu voir) eſ‍t eſcrit & contenu.
Conſideré auſsi le maſ‍ſacre fait à Vaſ‍ſy contre la teneur de ceſ‍t Edic‍t ſur les Huguenots, iouyſ‍ſans en paix du benefice d’iceluy : La requeſ‍te que le duc de Guyſe, le Conneſ‍table, & le mareſchal ſainc‍t André preſenterẽt peu de temps apres (les armes au poing) au Roy Charles, tendant à exterminer ceſ‍te religion-la, & ceux qui en faiſoyent profeſsion : les letres que la Royne, mere du Roy, en ces entrefaites reſcriuit de ſa main au feu prince de Condé, luy commandant de s’armer & faire armer le plus d’hõmes qu’il pourroit pour s’oppoſer aux deſ‍ſeins de ces trois & de leurs adherans, qui tenoyent l’enfant & la mere captifs : Le ſecours que la royne d’Angleterre & les princes d’Allemagne donnerent lors aux Huguenots, & tout ce qui s’en eſ‍t enſuyui iuſques au mois de Mars 1562. Veu & conſideré auſsi l’Edic‍t de pacification alors fait, confirmatif de celuy de Ianuier, leur permettant outre plus, qu’ils peuſ‍ſent auoir l’exercice de leur religion dans quelques villes : Les reſ‍tric‍tions & violemens dudic‍t Edic‍t de Mars faites en apres par le Roy & ſon conſeil, ſous titre de declaration de l’Edic‍t : Les menees faites durant cinq ans par la mere de Charles, les Lorrains, & autres de leur fac‍tion : L’obeiſ‍ſance des Huguenots : La creance, nourriture & leçon, que la mere a donné & fait donner ce temps-pendant à ſes enfans : L’entreueuë & parlement de la mere, de ſa feu fille d’Eſpagne, & du duc d’Albe à Bayonne, leur deliberation & promeſ‍ſes : Les leuees de Suyſ‍ſes faites par Charles en l’an 1567. Le peu de compte qu’il tenoit des plainc‍tes & remonſ‍trances des Huguenots, qu’on tuoit & outrageoit en beaucoup d’endroits de la France : La guerre ouuerte pour les exterminer : Le ſecours que les princes d’Allemagne Proteſ‍tans leur enuoyerent, ſous la conduic‍te du duc Iean Caſimir : Ce qui s’eſ‍t paſ‍ſé en ceſ‍te guerre la : L’edic‍t fait & publié pour la pacifier au mois de Mars 1568. La rupture de ceſ‍t edic‍t toſ‍t apres faite par Charles & ſes forces : La fuitte du prince de Condé, de pluſieurs autres Huguenots, & de leurs familles, qui faillirent à eſ‍tre attrapez dans leurs maiſons par les infrac‍teurs des Edic‍ts de la paix & foy publique : Le ſecours que le duc de Deux põts pour le commun lien de religiõ dõna aux Huguenots : Les batailles donnees en toutes ces guerres-la, principalement la bataille de Iarnac, où le prince de Condé fut fait priſonnier, & puis tué de ſang froid, par commandement du duc d’Aniou : La charge de l’armee des Huguenots par eux remiſe (apres la mort du prince de Cõdé) entre les maĩs de l’Amiral, ſous l’authorité des ieunes princes de Nauarre & de Condé. L’edic‍t de pacification de ces troubles fait par Charles & ſon conſeil, auec toutes les ſolennitez requiſes le 22. iour d’Aouſ‍t 1570. Les promeſ‍ſes & iuremens ſolennels faits par Charles, les Seigneurs de ſon conſeil, tous les parlemens, gouuerneurs & miniſ‍tres de la iuſ‍tice de France, de le garder inuiolablement & à iamais : Les outrages, violences, & iniuſ‍tices faites preſque par toute la Frãce aux Huguenots, durant deux ans depuis ledic‍t Edic‍t : Le ſemblant que Charles faiſoit de vouloir faire chaſ‍tier les ſeditieux & perturbateurs de paix & repos : Les menees que luy & ſa mere ont fait, pour faire venir à leur cour la royne de Nauarre, ſon fils, ſes neueux, l’Amiral, & autres ſeigneurs & gentilshommes Huguenots : Les nopces du roy de Nauarre auec Marguerite ſœur de Charles : La bleſ‍ſure de l’Amiral faite le dernier iour des deux ans apres la paix dernière : Le meurtre d’iceluy Amiral, & de tant de ſeigneurs gentils hommes, & autres, tant hommes, femmes, que petits enfans Hugnenots, maſ‍ſacrez inhumainement dans Paris, le Dimanche 24. iour d’Aouft 1572. & autres iours enſuyuans : les cruels maſ‍ſacres, violences, & rauiſ‍ſemens faits en pluſieurs villes & endroits de la France, & ceux qu’on fait iournellement, ſur la cõſcience, honneur, vie & biens des Huguenos : les armees & forces que Charles aſ‍ſemble, pour en exterminer la memoire deſ‍ſus la terre.
Veu pareillement l’areſ‍t donné par Charles, & par ſon parlement de Paris, contre l’Amiral : l’areſ‍t contre Briquemaut & Cauagnes, & tout ce qui fait à voir : ayans ouy ſur beaucoup d’autres, particularitez l’Hiſ‍toriographe, le Politique, & pluſieurs autres teſmoins dignes de foy : & ſur tout cela, eſcouté les plainc‍tes, requeſ‍tes, & prieres treshumbles de l’Egliſe, laquelle nous ſcauons auoir touſiours auparauant prié bien & affec‍tueuſement pour la conuerſion de ſes ennemis, conſeruation & accroiſ‍ſement de leur eſ‍tat & grandeur, pendant qu’elle y a veu quelque eſperance d’amẽdement. Le tout bien conſideré, Nous auons dit & diſons, que les Lutheriens & Huguenots de la France, n’ont tenu, comme ils ne tienent, aucun erreur ne propoſition fauſ‍ſe en matiere de la foy & religion : ains tienent la pure, vraye, & ſainc‍te doc‍trine Chreſ‍tienne, que la vraye Egliſe catholique (de laquelle Ieſus Chriſ‍t eſ‍t le chef) a tenu & confeſ‍ſé, tient & confeſ‍ſe, auec tous les ſainc‍ts martyrs qui ſont morts pour la ſeeller de leur ſang : la meſme (à qui bien l’entend) que les Egliſes d’Allemagne, d’Angleterre, d’Efcoſ‍ſe, de Suede, de Dannemarc, de Noruege, de Suyſ‍ſe, & tous autres eſleus & enfans de Dieu tiennent & confeſ‍ſent, ayans enſemble meſmes marques & ſacremens, ainſi qu’il appert ſuffiſammẽt à tout hõme, qui ſans paſsion, pour ſeulement donner gloire à Dieu, y regardera de pres. Qu’ils ont puiſé & tiré ceſ‍te doc‍trine des ſainc‍tes Eſcritures du vieil & nouueau Teſ‍tament, lequel les ennemis de Dieu ont taſché & taſchẽt iournellemẽt (mais en vain) d’abolir & eſ‍teindre : Ayant eſ‍té arreſ‍té au conſeil eternel de Dieu, que les cieux & la terre paſ‍ſeront, mais ſa parole demeurera eternellement, quelque perſecution que les ennemis de Dieu, en haine de la verité, dreſ‍ſent à l’encontre de ceux qui en font profeſsiõ, leſquels plus on les preſ‍ſera, plus ils croiſ‍tront, comme vn Iſrael en Egypte : & au contraire, Toute plante que le Pere n’a plantee, toute fauſ‍ſe doc‍trine, & ceux qui la maintienent & fauoriſent, ſeront arrachez de deſ‍ſus la terre. Partant ſont exhortez tous enfans de Dieu, de conſ‍tamment perſeuerer, & continuer en meſme foy & eſperance iuſqu’au dernier ſouſpir de leur vie, en adiouſ‍tant autant que faire ſe pourra à ces deux, la charité pour compagne, ſans laquelle la foy eſ‍t incognue & morte.
Ce faiſant qu’ils ne doutent nullement, quoy qu’il leur auiene de ſiniſ‍tre en ceſ‍te vie, que le Pere celeſ‍te ne les face participãs en l’autre, des choſes que l’œil ne ſcauroit voir, l’oreille ne ſcauroit ouyr, & l’entendement de l’homme ne pourroit comprendre, que Dieu a preparees deuant la conſ‍titution du monde à ceux qui l’aiment & le craignent : là où au contraire, les iniques, infideles & deſloyaux, ſerũt logez és priſons perpetuelles, où il y aura tenebres, grincement de dents, & peines (pour le dire en vn mot) infinies : lors qu’ils diront, Ne ſont-ce point ceux-la deſquels la vie nous ſembloit tant infame, & leur fin tant malheureuſe ? Nous inſenſez ! He, comment ſont-ils logez en telle gloire ? comme leur eſ‍t eſcheuë leur portion parmi les Sainc‍ts ?
Quant aux areſ‍ts de Charles & de ſon parlement de Paris, dõnez cõtre l’Amiral, Briquemaut & Cauagnes, nous les auons declarez & declarõs iniquement, iniuſ‍tement, & deſloyalement faits & donnez, & ſur fauſ‍ſes, deſloyales & impudentes calomnies, leſquelles les peruers ont accouſ‍tumé de prendre pour pretexte de leur cruautez, ainſi qu’il appert euidemmẽt en vn ſeul exemple pour tous : ſcauoir eſ‍t, en la mort cruelle & ignominieuſe que les Preſ‍tres de la loy, les Scribes & Phariſiens, voire le grãd Sacrificateur meſme, & le peuple de Ieruſalẽ, ont fait ſouffrir à noſ‍tre Seigneur Ieſus Chriſ‍t autheur de vie, le pendant entre deux larrons en croix, luy impoſant qu’il eſ‍toit vn ſeduc‍teur & perturbateur d’eſ‍tat, & qu’il ſe vouloit faire Roy, quoy qu’il marchaſ‍t en toute manſuetude & debonnaireté, faiſant au benefice de la nation des Iuifs des continuels miracles deuãt leurs yeux, & n’eſ‍tant venu que pour leur conuerſion & ſalut. Or le diſciple n’eſ‍t pas par deſ‍ſus le maiſ‍tre, s’ils l’ont perſecuté, auſsi vous perſecuterõt-ils. Au reſ‍te, entant que touche ceſ‍te perſecution (du mois d’Aouſ‍t & depuis en ça, faite ſur l’Amiral & ſur les autres fideles) nous auons dit & diſons, que c’eſ‍t la plus horrible, la plus eſ‍trange & deteſ‍table conſpiration, la trahiſon la plus poltronnemẽt menee, la deſloyauté proiettee de plus loĩ, & le maſ‍ſacre le plus barbare, qui ait eſ‍té ouy dés que Cain en trahiſon tua ſon frere Abel le iuſ‍te iuſques à maintenant. Et ne ſachant trouuer nom propre & conuenable à Charles, à ſa mere, ſon frere, à ſes conſeillers, fauteurs, ianniſ‍ſaires, & autres ſeruants : Nous diſons pour maintenant (en attendant qu’ayons rencontré des termes aſ‍ſez ſignificatifs pour exprimer le fait) qu’ils ont effacé la gloire de tous les tyrans les plus horribles, & des traiſ‍tres les plus felons qui ont eſ‍té, ſont, & ſeront à iamais, comme tels les auons bãni & banniſ‍ſons à iamais eux & toute leur poſ‍terité, de toute la ſocieté humaine. Ordonnant que doreſenauant ſera faite tous les vingtquatriemes iours des mois de l’an, memoire ſolennelle (en execration de leur abomination) du maſ‍ſacre fait le 24. d’Aouſ‍t & autres iours enfuyuans, ſur les Egliſes Françoiſes, vrais membres de l’Egliſe catholique, de laquelle ces tyrans ſe vantent en vain n’en tenans ny marque ny enſeigne, & n’ayãt pour toute religion, que le blaſpheme en la bouche, & l’atheiſme enraciné en leur cœur.
QVE ledic‍t iour du maſ‍ſacre 24. d’Aouſ‍t ſera à iamais nommé, La Iournee de la Trahiſon, Et le Roy (comme pluſieurs de ſes predeceſ‍ſeurs ont eſ‍té ſurnommez l’vn debonnaire, l’autre pere du peuple &c.) ſera appellé Charles le Traiſ‍tre, & aura pour blaſon par l’anagrãme de ſon nom, Chaſ‍ſeur Déloyal.
Et faiſant droit ſur la requeſ‍te & priere de ladic‍te Egliſe, touchant Charles, ſon parlement, & autres mancipes de ſa tyrannie, nous oſons hardiment aſ‍ſeurer, que ſadic‍te requeſ‍te, & toute autre qu’elle a fait & fera, ſera exaucee, pour l’amour de ſon chef le Fils de Dieu, lequel ne pourſuyura pas moins ceſ‍t outrage, que s’il eſ‍toit fait à ſa propre perſonne : ayant vne fois declaré, que qui la touche, touche la prunelle de ſon œil. Partant eſ‍t en ioint à l’Egliſe, & à tous ſes membres ſuruiuans, d’attendre en toute patiẽce l’aduenement du Seigneur, Ayans ſouuenance que Ieruſalem, apres le meurtre fait en la perſonne de noſ‍tre Seigneur Ieſus Chriſ‍t (d’autant que la vengeance tardoit à venir, cuidant eſ‍tre eſchappee & à deliure) ſe ſentit raſer iuſques aux fondemens, & vit diſsiper & deſ‍truire ſa nation quarante ans apres, par l’armee des Romains, deſquels neantmoins (en mettant à mort Ieſus Chriſ‍t) ils ſembloyent pourchaſ‍ſer l’amitié & la bonne grace. Qu’ils ſe ſouuienẽt auſsi que le premier monde moqueur & prophane, apres auoir meſpriſé par l’eſpace de plus de cent ans les admonitions de ce bon patriarche Noé, fut ſubmergé, lors qu’il y penſoit le moins : quand l’Egliſe de Dieu (laquelle toute conſiſ‍toit lors en huic‍t perſonnes) fut garantie & conſeruee, au milieu des flots & des vagues. Qu’Achab & Iezabel ſa femme, apres auoir quelque tẽps regné en perſecutant l’Egliſe, furent deſ‍truits, eux & toute leur race, par Iehu, que Dieu ſuſcita à ceſ‍t effet : & d’vne infinité d’autres exemples, par leſquels on voit à l’œil que le Seigneur apres auoir fouetté ſes enfans, iette les verges au feu. Et pource que (comme le peuuẽt conſiderer toutes perſonnes qui ont quelque ſentiment, ſolide iugement & bon diſcours) la ligue du Pape, du roy d’Eſpagne, & de tous les catholiques Romains, & la particuliere intelligence qui eſ‍t entre l’Empereur & ſes deux gẽdres Rois, ne tendẽt qu’à exterminer tous ceux qui ſe ſont retirez de l’obeiſ‍ſance de l’Egliſe Romaine : S’il eſ‍t ainſi que Ieſus Chriſ‍t n’a qu’vne Egliſe, dont la pluſpart des Allemagnes, d’Angleterre, d’Eſcoſ‍ſe, Dannemarc, Suede, Noruege, Pologne, Suyſ‍ſe, & generalement tous ceux qui font vraye profeſsion de l’Euangile par toute la terre, ſont les membres : s’il eſ‍t ainſi, dy-ie, qu’ils ſoyent tous freres en vn meſme eſprit, tous d’vn corps, membres l’vn de l’autre, ſelon l’intention du Seigneur, qui diſtribue vne meſme vie à tous les ſeruiteurs d’vn maiſ‍tre, ſuiets & ſoldats d’vn Roy & Capitaine Ieſus Chriſ‍t, qui n’a point fait de difference ou diſtinc‍tion des nations en la communication de ſon ſalut eternel. Qu’ils ſont enſemble la maiſon du Seigneur, edifiee ſur le fondement des Prophetes & Apoſ‍tres, en vn temple ſainc‍t, duquel Ieſus Chriſ‍t eſ‍t la maiſ‍treſ‍ſe pierre du coing : Et ſi derechef il eſ‍t ainſi, que les bras, les mains, les iambes, & les pieds d’vn meſme corps doyuent ſeruice au chef, & particulierement, ſecours les vns aux autres : Que les Princes, Princeſ‍ſes, & Potẽtats qu’il a cõſ‍tituez ſur les pays cy deſ‍ſus nommez, qui ſe diſent de l’Egliſe Chreſ‍tiẽne, auiſent de s’employer tous, à cõpoſer d’vn coſ‍té les differens qu’en particulier les vns d’eux ont auec les autres, & d’autre part, à traic‍ter entr’eux tous. chaudement (ſans marchander à qui cõmencera, à recercher les autres, car cela n’eſ‍t point de l’Eſprit de Dieu) & par bonne negociation, vne ligue generale, d’eux, leurs ſuiets, & pays pour ſe maintenir les vns les autres, s’oppoſer aux entrepriſes de l’Antechriſ‍t & ſes ſuppoſ‍ts : & ſe reſ‍ſentir autrement que par le paſ‍ſé, des outrages faits à leurs freres à l’occaſion de la religion, quelque autre pretexte qu’on y puiſ‍ſe auoir donné, Recognoiſ‍ſans (auec vſage relatif) que Dieu ne les a couronnez, ny conſ‍tituez ſur les autres & (qui plus eſ‍t) receus en ſon Egliſe pour leurs beaux yeux, ny pour les entretenir oiſeux, gras & en bõ point : mais pour feruir à ſa gloire, & au ſoulagcment de leurs freres (ie ne dy pas ſelon la chair) Ne doutans nullement que Dieu ne beniſ‍ſe, fortifie, & rẽde ſ‍table, la ligue qui aura vn tel fondement : & en ceſ‍te aſ‍ſeurance, employent leurs forces & moyens à maintenir l’Euãgile & tous ceux qui en font profeſsion, contre la rage de Satan & les ſiens : & ſans tarder ny perdre temps, conſiderans les langueurs & miſeres extremes dont ſont pourſuyuis ceux qui ſont ſous la tyrannie de l’Antechriſ‍t & ſes enfans. Et s’il y en a de ſi aueuglez par l’enſorcellement du monde, qui ne vueillent entendre à ceſ‍te ligue, le leur annõce au nom de Dieu, qu’ils ne ſçauroyent par leurs ſubterfuges charnels & prudences mondaines, euiter vn aſpre & horrible ſentiment des iugemens de Dieu (lequel n’a rien de cõmun auec la chair & le ſang, & ne veut point que ceux qui mettent la main à la charrue regardent derrière eux) & moins auec leurs ſubtilitez & aſ‍tuces aux affaires d’eſ‍tat, euiter ce que leur braſ‍ſe la ligue contraire, de laquelle ils ne peuuẽt ignorer le but, & la haine conceuë contr’eux : & en fin fuyr qu’ils ne comparoiſ‍ſent deuant le grand Iuge, deuant lequel les maximes de Machiauelli, ny de ſes ſemblables ou diſciples, n’ont aucune valeur. Que pour les defaillans, les autres ne laiſ‍ſent à la faire : & ſi du tout elle ne ſe peut, ceux auſquels Dieu aura reſerué la plus ſaine volonté & zele, s’employent autant que leurs moyens ſe pourrõt eſ‍tendre, à donner teſmoignage de leur pieté : ſachans que (ſans rompre la liaiſon de ce baſ‍timent de l’Egliſe, ſans offenſer la ſymmetrie de ce corps eſleu & precieux, ſans en ſomme commettre vne horrible laſcheté) ils ne peuuent differer de donner à leurs freres, le ſecours qu’ils voudroyent en pareil cas leur eſ‍tre donné. Et ſi le commãdement qui leur eſ‍t fait d’aſsiſ‍ter principalement aux domeſ‍tiques de la foy, & les exemples des anciens, & de ceux qui en moindre neceſsité ont ſecouru aux guerres paſ‍ſees les fideles de la France, ne les eſmeuuent : qu’ils ſe ſouuiennent des menaces qui ſõt faites en l’Eſcriture, cõtre les froids & contre les tiedes. Qui fera l’oreille ſourde à la clameur du poure (dit l’Eſcriture) il criera au iour de la tribulation, & ne ſera point exaucé. Allez (dira ce grand Roy au dernier iour) maudits de Dieu mon Pere, au feu eternel qui vous eſ‍t preparé : I’ay eu ſoif, i’ay eu faim, i’ay eſ‍té nud, vous ne m'avez point ſoulagé, &c. Qu’ils ſachent, qu’outre la ruine qu’ils en peuuent receuoir en leurs eſ‍tats & en leurs maiſons priuees, le Seigneur leur redemandera tout le ſang de leurs freres qui aura eſ‍té reſpandu deuant leurs yeux, faute d’aide & de ſecours, par leur nonchallance, dés l’heure qu’ils ont ſceu l’afflic‍tion de leurs freres, y ont peu remedier & ne l’ont pas fait.
Quant aux fideles François ſuruiuãs, nous leur auons eſ‍tabli & eſ‍tabliſ‍ſons par le preſent arreſ‍t & iugement, les loix & ordõnances politiques qui s’enſuyuent,
1Premierement, que comme les Niniuites à la voix de Ionas, les fideles auſsi à la voix de Dieu courroucé, parlant par ſes ſeruiteurs, & ſes verges & menaces, publient & obſeruent eſ‍troitement & ſans hypocriſie, par autãt de iours que l’Egliſe auiſera, en chacune cité ou ville, où Dieu les aura retirez, vn ſainc‍t & chreſ‍tiẽ ieuſne, qui ſerue à les humilier, abbatre & matter la chair, & eleuer l’eſprit à Dieu.
2Que par prieres publiques & treſardentes auec vn cõtinuel amendemẽt de vie, du plus grãd iuſques au plus petit, ils facent (comme de nouueau) ainſi qu’au temps de Ioſias, paix & alliance auec ce grand Pere de famille irrité pour leurs pechez : & ſur ce l’vn auec l’autre cõioints par vraye foy & charité, ils annoncent la mort du Seigneur, celebrans ſa memoire en l’ac‍tion de la ſainc‍te & ſacree Cene.
3Que cela fait, en chacune ville eſ‍tans aſ‍ſemblez en lieu public, ils iurent pour eux & leur poſ‍terité, d’accomplir inuiolablement les loix qui s’enſuyuent, à ſçauoir :
4Qu’en attendant qu’il plaiſe à Dieu (qui a les cœurs des Rois en ſa main) de changer celuy de leur tyran, & reſ‍tituer l’eſ‍tat de France en bon ordre, ou ſuſciter vn Prince voiſin qui ſoit manifeſ‍té (par ſa vertu & marques inſignes) eſ‍tre liberateur de ce poure peuple affligé.
Apres le ſerment fait, ils eſliſent auec voix & ſuffrages publiques en leur dic‍te ville ou cité, vn chef ou Maieur pour leur commãder, tant au fait de la guerre (pour leur defenſe & conſeruation) que de la police ciuile, afin que le tout y ſoit fait par bon ordre.
5Qu’à chacun deſdic‍ts Maieurs ils eſliſent vn conſeil de 24. hommes, leſquels & pareillement le Maieur, ſeront pris & choiſis ſans acceptiõ de la qualité, ſoit des nobles, ou d’entre le peuple, tant de la ville que du plat pays, comme ils ſeront cognus propres pour le bien public.
6Qu’outre leſdic‍ts 24. conſeillers qui ſerõt ordinaires auec le Maieur qui ſera le 25. y ait 75. hommes eſleus, leſquels auec le nombre de cent, qui ſeront pareillement indifferemment pris tant des habitans des villes que du plat pays : par deuant leſquels pourront appeller les parties és cauſes criminelles ſeulement, c’eſ‍t à ſçauoir, où y auroit condamnation de mort, banniſ‍ſement, ou mutilation de membres.
7Que ſans le cõſeil des 24. le Maieur ne puiſ‍ſe reſoudre ny faire aucune choſe de la guerre ou de la police (qui peuuent tomber ſous deliberation) Et és choſes de plus grande importance, le conſeil des 25. ne puiſ‍ſe aucune choſe determiner ſans le conſeil des cent : comme pour loy nouuelle, ou abrogation d’anciene, ordonnãce des monnoyes, leuee de deniers, accord de treſues ou paix & choſes directement touchantes au public, & d’importance.
8Que les choſes ordonnees par les chefs & conſeils ſoyent diligemment executees & volontairement, ſans aucune cunc‍tation (comme deuãt Dieu) ſur peine de correc‍tion exemplaire.
9Que tous les ans aux calendes de Ianuier, les 25. ſe depoſent de leurs charges en l’aſ‍ſemblee des cent, & puis demeurans perſonnes priuees (ſi non du nombre des cent) par l’aduis d’eux tous, on procede à nouuelle elec‍tion d’autres à ſçauoir d’vn Maieur & 24 conſeillers, qui ſeront choiſis comme eſ‍t dic‍t cy deſ‍ſus, & dont ne ſeront exclus ceux qui ſe ſeront nouuellement depoſez s’il eſ‍t trouué bon à la pluralité des voix, excepté le Maieur qui ne pourra eſ‍tre appellé à meſme charge, qu’il n’y ait deux ans d’interualle pour le moins : mais demeurera du nombre des 24. conſeillers pour ceſ‍te année, en ſorte qu’il n’y en aura que 23. à eſlire de nouueau : & puis le nouueau Maieur qui ſera le 25. & aduenant la mort de quelqu’vn d’eux dans l’an, ſeront aſ‍ſemblez les cent, qui y pouruoirront pour le reſ‍te de l’annee, ſelõ qu’ils verront bon eſ‍tre.
10Que ces 25. le iour enſuyant leur elec‍tõ caſ‍ſent les 75. & eſliſent autant en leur place comme deſ‍ſus, dont ſeront exclus ceux qui en auront eſ‍té l’annee derniere ſeulement, & ſoit ainſi pourſuyui ceſ‍t ordre tant que beſoin ſera.
11Que ſi quelqu’vn dudict conſeil des cent eſ‍t appellé à quelque charge ciuile ou militaire, ſoit depoſé d’entre les cent, ſinon qu’il fuſ‍t enuoyé en qualité de commiſ‍ſaire pour traiter de paix, guerre, ou autre affaire publicque, auec Princes ou Republiques.
12Que ceux qui ſeront comptables ne puiſ‍ſent eſ‍tre appellez à charge aucune quelle qu’elle ſoit, iuſques apres la reddition & cloſ‍ture de leurs comptes, & qu’ils ayent payé le reliqua s’ils ſont redeuables : & ſi aucun donnoit voix ou ſuffrages à vn comptable, ſoit condamné à vingt eſcus d’amẽde qu’il payera prõptement à peine de priſon.
13Que les officiers ordinaires de la iuſ‍tice s’ils ſont cognus gens de bien, demeurent en leur premier eſ‍tat, pour l’exercer comme de couſ‍tume, & iuger abſoluement des cauſes de leur iuriſdic‍tion, auec conſeil de douze de la qualité requiſe. Et ſi leſdic‍ts officiers ordinaires, ne ſont gens qui ayent accouſ‍tumé de s’acquitter de leur deuoir, & hors de toute chiquanerie : en les deſmettant, le Maieur & conſeil de chacune ville en pourra eſ‍tablir d’autres, de la qualité requiſe & neceſ‍ſaire pour exercer l’eſ‍tat de iudicature : & ſeront leſdic‍ts officiers ſuiets à cenſures, reprimendes, & chaſ‍tiemens s’il y eſchet.
14Qu’entre tous leſdic‍ts chefs & conſeils particuliers, ils eſliſent vn chef general, à la façon de Dic‍tateur Romain, pour commander en la cãpagne : auquel auſsi ceux des villes & citez obeiront en tout ce qui ſera de ſa charge, pour le benefice commun de leur conſeruation.
15La façon d’eſlire ce chef general ſeroit bõne, ſi (comme les Ioniens, Doriens, Béotiens, Achees, Dolopes, & autres peuples des douze floriſ‍ſantes villes de Grece, qui pour aduiſer à leur eſ‍tat, s’aſ‍ſembloyent deux fois en l’an : ou comme le conſeil des Amphic‍tyons du temps de Pauſanias) les Maieurs & Conſeils des villes ſe pouuoyent aſ‍ſembler en quelque lieu & ville commode pour toutes : Mais pource que cela leur eſ‍t malaiſé pour maintenant, ils pourront apres vne ſainc‍te priere, chacun Maieur & conſeil aſ‍ſemblé endroit ſoy, proceder à l’elec‍tion d’vn chef general, & enuoyer chacun Maieur & conſeil ſon vœu & ſuffrage à celuy de la ville, qui (par vn aduis courãt) ſera trouuee plus propre à recueillir tous les aduis des autres : afin que là, ſelon la pluralité des voix & ſuffrages qui y ſeront enuoyez de dehors, ioints auec celuy de dedans, celuy ſoit ſolennellement declaré & pronõcé chef general d’entre les membres, à qui Dieu, par le plus de voix, l’aura voulu accorder.
16Et combien que les neceſsitez des guerres n’attendent pas touſiours le conſeil, & que (cõme lon dit) la guerre ſe face à l’œil : neantmoins, qu’il ſoit eſleu par meſme moyen & eſ‍tabli par la meſme voye que deſ‍ſus, vn conſeil au chef general, duquel il ſoit tenu de prendre aduis, toutefois & quãtes que l’occaſion s’y preſentera, & que la neceſsité du temps & des affaires le permettra.
17Que par meſmes moyẽs ſoyẽt eſleus cinq ou ſix lieutenans au General, qui luy ſuccederont (ſelon qu’ils ſeront nommez) vn, apres la mort ou deſmiſe de l’autre, en meſme ou ſemblable charge pour euiter toute confuſion, deſordre, & incõuenient qui pourroit aduenir, par l’entrepriſe que les ennemis pourroyent faire en trahiſon, ou autrement, contre le General, pour priuer les membres de conduite par ſa mort.
18Que tous leſdic‍ts chefs & lieutenans ſoyent gens qui ayent (tant que faire ſe pourra) la crainte de Dieu, ſon honneur, ſa gloire, & ſon Egliſe, en ſouueraine recommandation : Et auec la prudence, ſoyent accompagnez de quatre choſes, que lon ſcait deuoir eſ‍tre en vn grand capitaine, ſcauoir eſ‍t, de ſcience militaire, de magnanimité & hardieſ‍ſe, de réputation & creance, & de proſperité en ſes entrepriſes.
19Que les conſeillers des chefs des villes & de la campagne, outre la cognoiſ‍ſance de l’art de la guerre, & de la police, ſoyẽt de ceux que Iethro beau-pere de Moyſe luy conſeilloit d’auoir pour ſoulagement, hommes vertueux, qui craignent Dieu, hommes veritables, qui ayent en haine l’auarice.
20Qu’ils prennent garde à ce que dit le ſage : Que la repentance ſuit de pres le conſeil leger, & que la plus part des fautes en la guerre & en l’eſ‍tat, ne ſe peuuent faire qu’vne fois : Partant qu’ils n’oublient ſe garder d’en faire, & n’oublient à remedier à tout ce que par conſeil ſe pourra remedier & pouruoir.
21Que ſur les deniers & threſor publicque (quoy qu’il ne doyue eſ‍tre en ceſ‍t affaire de religion & neceſsité commune à ſe conſeruer, appellé le nerf de la guerre) ſoyent commis par leſdits chefs & conſeils chacun endroit ſoy, en chacune cité, gens de bien & ſans fraude, tant pour receuoir que pour deliurer, & autres pour contreroller : & ſur tous eux, vn receveur & vn contrerolleur general, eſ‍tabli au lieu où ils auiſerõt le mieux & gens ſuperintendans aux finances : tous comptables au conſeil, pour euiter à toute fraude & maluerſation.
22Et pour euiter aux calomnies, leſquelles ſouuent ſont eſparſes & miſes à ſus aux Chefs & principaux membres du corps, par l’artifice des ennemis, ou par enuie, ambition, ou autres ſemblables peſ‍tes que le diable fait ſouuent gliſ‍ſer, & cerche d’introduire en l’Egliſe, ou qui naiſ‍ſent de quelque ſoupçon legerement pris par les ſoldats ou par le peuple : & pour empeſcher les deſordres qui en aduienent bien ſouuent : qu’il ſoit loiſible en chacune ville à vn chacun, d’accuſer pardeuant le Maieur & ſon conſeil tous ceux (ſoit de la nobleſ‍ſe, ou autres chefs, ou membres) qu’ils penſeront machiner, pratiquer, ou faire quelque choſe contre le bien public de la religion, & de la defenſe cõmune du corps. Et s’il aduenoit que le ſoupçon fuſ‍t ſur le chef & le conſeil ou partie d’iceluy, l’accuſateur pourra requerir que les cent ſoyent aſ‍ſemblez pour le bien public (à quoy ſeront tenus ſatisfaire le Maieur & le conſeil) & là par deuant eux tous propoſer ſon accuſation, afin d’y eſ‍tre pourueu comme ils verront bon eſ‍tre. Et ne ſe tiene pourtant aucun de ceux qui ſeront ainſi accuſez, pour offenſé, de l’accuſateur (qui ne doit eſ‍tre mené que d’vne bonne conſcience) ains pluſ‍toſ‍t l’accuſé ſoit aiſe & ioyeux, que Dieu face à tous ſes compagnons paroiſ‍tre ſon innocẽce (s’elle y eſ‍t.)
23Que ſuyuant les iugemens qui s’en enſuyuront, ſoit faite punition cõdigne des coulpables, ſans auoir eſgard en telles fautes, ny és autres, aux ſeruices paſ‍ſez que les coulpables, leurs parens & amis peuuent auoir faits : afin que la vertu (à laquelle parmi les hommes eſ‍t deuë recognoiſ‍ſance & guerdon) ne ſoit ſatisfaite de ſes merites (au preiudice de la gloire de Dieu & de la ſeureté cõmune) auec la remiſsion de la peine deuë à la faute : ains ſoit l’vne touſiours guerdonnee, & l’autre chaſ‍tiee & punie : & qu’auſsi aux faux accuſateurs ſoit impoſee peine, ſuyuant les loix, ordonnãces, ou couſ‍tumes des lieux.
24Que la neceſsité de tenir armee en campagne paſ‍ſee, le General en remettant ſa charge entre les mains du conſeil, ne deſdaigne point (ny les autres chefs inferieurs pareillement leur tẽps accompli) de retourner comme auparauant perſonnes priuees, ou auoir moindre charge.
25Que l’on introduiſe & obſerue treſ-eſ‍troitement, depuis le chef general iuſques aux moindres chefs & membres, la diſcipline eccleſiaſ‍tique & religieuſe, ordonnee & introduite par cy deuãt par les Synodes tenus en la France, auant la derniere diſsipation des Egliſes, par les Miniſ‍tres & Anciens d’icelles : afin que par ce moyen on voye à l’œil, le regne de Dieu & le ſceptre de ſa parole, eſ‍tabli & entretenu : & le regne de Satan, auec la cohorte des vices, que le monde & la chair entretienent, deſ‍truits, chaſ‍ſez, & abolis d’entre les fideles, comme il appartient à vrais enfans de lumiere : Eſ‍tans aſ‍ſeurez qu’en ce faiſant, ils ſeront benits à la ville & aux champs : ils habiteront en toute ſeureté, rien ne les eſpouuantera : le couſ‍teau meurtrier ne paſ‍ſera point par leur terre : Cinq d’entr’eux pourſuyuront cent de leurs ennemis, & cent, dix mille. Le Seigneur eſ‍tablira ſon alliance auec eux, & les fera croiſ‍tre & multiplier en paix & abondance de toutes choſes neceſ‍ſaires : là où au contraire, s’ils meſpriſent les ordonnances du Dieu viuant, s’ils laiſ‍ſent regner les vices & deſbauches parmi eux, la peur, le tremblement, les maladies, & autres langueurs, & toutes ſortes de maledic‍tions les pourſuyuront : Le Seigneur tiẽdra touſiours ſa face courroucee contr’eux : Ils mourront par la main de leurs ennemis, & fuyrõt ſans que nul ne les pourſuyue. Le Seigneur adiouſ‍tera auſsi (s’il n’y voit vn amendement) ſept fois au double de leurs playes, comme il en a menacé ſon peuple d’Iſrael, en la place duquel ils ont ſans doute eſ‍té plantez.
26Qu’à l’execution d’vne ſi ſainc‍te œuure, qu’eſ‍t l’eſ‍tabliſ‍ſement & obſeruation de la diſcipline eccleſiaſ‍tique, à vn frein tant ſainc‍t & neceſ‍ſaire, les Magiſ‍trats tienent la main aux Conſiſ‍toires dans les villes : & à la campagne, le General, ſon conſeil, ou autres capitaines, & tant qu’il y aura de gens de bien en l’armee.
27Qu’on introduiſe auſsi & qu’on pratique le plus exac‍tement que faire ſe pourra, entre tous les capitaines, chefs mineurs, & ſoldats, la diſcipline militaire, de laquelle ne ſera ia beſoĩ faire beaucoup d’articles & ordõnances : eſ‍tant la multitude d’icelles (ſi les chefs font leur deuoir) ſuperflue, & ne le faiſãt point, pernicieuſe & dõmageable. Il ſuffira que toute la diſcipline militaire ſoit puiſ‍ſãte d’enſeigner (ſous la loy de Dieu) & de faire pratiquer aux ſoldats l’art & meſ‍tier des Lacedemoniens, lequel en ſomme conſiſ‍toit en trois choſes : A bien obeir à leurs officiers, à porter gayement les trauaux de la guerre, & à vaincre ou mourir au combat.
28Qu’ils ſe ſouuienent de ce que Iudas Machabeen reſpõdit aux cœurs faillis, Que la vic‍toire ne giſ‍t pas en la multitude, & au grand nombre de ſoldats, ains la force eſ‍t du ciel : Partant, qu’en inuoquant continuellement le Seigneur, ils ſuyuent en leurs entrepriſes l’exemple de ce bon Machabeen, contre Nicanor, & autres ennemis du peuple de Dieu : Et n’oublient ce que Gedeon, aſ‍ſiſ‍té du Seigneur, fit de beau & de gaillard auec trois cents ſoldats, contre les Madianites : Car (à vray dire) tout ainſi que les ennemis au temps du Machabeen, auſsi bien auiourd’huy les meſchans aſ‍ſaillent-ils ce poure peuple, confus par leur iniuſ‍tice, trahiſon, & deſloyauté, voulans abbatre le ſeruice de Dieu & deſ‍truire hommes, femmes, & enfans : Et au contraire, les fideles cõbatent pour la gloire de Dieu, pour la deffenſe de ſon Egliſe, & pour leur vie & conſeruation.
29Que les capitaines s’eſ‍tudient à faire exercer les ſoldats aux armes, au combat, à l’eſcarmouche, à ſouſ‍tenir ou liurer vn aſ‍ſaut, Et que le General en particulier s’eſ‍tudie à apprendre à toute l’armee, de ſe renger en vn clein d’œil (ſi beſoin eſ‍t) en bataille, en pluſieurs & diuerſes ſortes, à garder leurs rengs, à ſe rallier, ſelon le lieu, les gẽs ou ſelon les ordres, reng, & conſ‍titution de bataille de l’ennemi, ou autre neceſsité occurrente.
30Que les chefs, & principalement le General, harengue ſouuent l’armee & les particulieres compagnies, pour encourager, retenir, louer, blaſmer, ou autrement renger le ſoldat, ſelon l’occaſion qui ſe preſentera.
31Que les ſoldats Chreſ‍tiens ayent honte qu’il ſe trouue entr’eux querelles, brigues, & debats, n’ayans iamais eſ‍té trouuez entre les ſoldats (quoy que prophanes) de l’armee de Annibal, en vn ſi long temps qu’il fit la guerre aux Romains, bien que ſon armee fuſ‍t compoſee de ſoldats de diuerſes natiõs, & langues : qu’ils conſiderẽt quelle vergongne ce ſeroit à vn homme, ſi ſes mẽbres s’entrequereloyent l’vn l’autre. Quel reproche ce ſeroit à vn pere de famille, ſi on voyoit ſes enfans s’entrepicquer : Et partant, qu’ils aduiſent de combatte en toute vnion & concorde la querelle du Seigneur, comme deuant ſa face.
32Et pource qu’il a eſ‍té enſeigné tant par theorique, que par pratique & experience : que des trois voyes du traic‍temẽt qu’on peut faire aux ennemis, la moyene eſ‍t touſiours dommageable, cõme celle qui n’acquiert point d’amis, & ne priue point d’ennemis : que tous les chefs & conſeils ſe reſoluent, à faire pratiquer exac‍tement ces deux extremes : ſçauoir eſ‍t, toute rigueur enuers les traiſ‍tres & ſeditieux armez, & toute la douceur qu’il ſera poſsible enuers les catholiques paiſibles.
33Que de ceux-là, nul ne ſoit eſpargné : & qu’à ceux cy, ne ſoit fait aucun outrage ne force, en leur conſcience, honneur, vie, & biens, ains ſoyent conſeruez en amitié, & en paix, comme cõpatriotes & freres bien-aimez : en leur communiquant de la doc‍trine de ſalut auec toute charité & affec‍tion chreſ‍ttiene, autant qu’ils ſe voudront rẽdre capables & dociles pour la receuoir : ſans vſer en leur endroit pour regard de la foy que d’vn bõ exemple, que chacun s’efforcera de leur donner en bien viuant, ſuffiſant moyen (s’il plaiſ‍t à Dieu le benir) auec la predication de l’Euangile, pour les amener à la cognoiſ‍ſance du ſouuerain biẽ de l’homme.
34Vray eſ‍t, que pourautant que l’eſ‍tat affligé des fideles pourroit auoir beſoin de viures, munitions & deniers, les Catholiques François (ainſi traic‍tez que dit eſ‍t) pourront eſ‍tre priez de les en ſecourir : & aduenant qu’ils refuſaſ‍ſent de le faire, y pourront en cas de grande neceſsité eſ‍tre contraints, par tous les plus honneſ‍tes moyens dont on ſe pourra auiſer : ce qui ne pourra tourner à blaſme, ſi on conſidere que Dauid en la neceſsité s’eſ‍t ſerui des pains de propoſition.
35Surquoy les Chefs & Conſeils ſeront aduertis, de bien & ſoigneuſement meſnager tout ce qui pourra tomber en meſnage, & profit publique, pour ne rien deſpendre ſuperfluement, & n’auoir à charger les amis plus que de beſoin : Prenãs garde à ce que Tite Liue dit, que la guerre ſe nourriſ‍t elle-meſme, comme l’enſeigne tresbien le lõg temps que Annibal a mené la guerre en Italie, ſans auoir aide, ou argent frais de la republique de Carthage :
36On ſcait bien que quand on ſera cõtraint de camper, ſi le ſoldat eſ‍t inſ‍truit & commãdé de ſe cõtenter de l’ordinaire du bon-hõme auec toute modeſ‍tie & crainte de Dieu, (ce qui auiendra aiſement, ſi outre la parole de Dieu, & les loix militaires qui leur doyuent ſeruir de bride & cõduite, le capitaine ou ſoldat conſidere le traic‍tement qu’il voudroit luy eſ‍tre fait, s’il eſ‍toit en la place du bon-homme, voire tout le village en corps, ſera bien aiſe de dreſ‍ſer eſ‍tappe, fournir munitiõs, argent & autres commoditez, entre les mains de ceux qui ſeront eſ‍tablis pour les receuoir.
37Ceſ‍te bonne & modeſ‍te façon de loger, outre que c’eſ‍t le deuoir du ſoldat Chreſ‍tiẽ d’ainſi le pratiquer, contentera infiniment le cœur du peuple des villes & du plat pays, qui ſcait combien ceſ‍te querele eſ‍t iuſ‍te, & la deffenſe contrainte : au contraire, le parti des ennemis, meſchant traiſ‍tre, deſloyal, & volontaire : tellement qu’au lieu que par le paſ‍ſé, les deſbauches & deſordres auoyẽt aliené le bon-homme, des fideles, en ſorte qu’en vn bien grand village, quand on alloit pour y loger, à peine y trouuoit-on à qui parler, maintenant auec vn tel deportemẽt, le bon-homme s’efforcera de recueillir le ſoldat, & de faire au reſ‍te tous les bons offices qu’il luy fera poſsible, cõtre les ennemis de la paix & ſocieté ciuile des Frãçois.
38Qu’il y ait vn ou pluſieurs bons preuoſ‍ts de camp, accompagnez de bon nombre d’archers pour punir à la rigueur & promptement, les fautes que le ſoldat desbauché pourroit faire, contre la loy de Dieu, & la police de l’armee.
39Que les Chefs ſe ſouuienent de ce que Polibe dit, que la partie la plus requiſe en vn grãd Capitaine eſ‍t, qu’il cognoiſ‍ſe les cõſeils & le naturel de ſon ennemi : & partãt ne ſoyent iamais ſans vn bon nombre d’eſpies (deſquels ils doyuent & peuuent auoir à rechange) de toutes parts.
40Qu’ils ayent entre toutes leurs maximes de negociation, ceſ‍te-cy en ſinguliere recommandation, De ne ſe fier iamais en ceux qui tant de fois & par ſi inſignes & prodigieuſes trahiſõs, ont violé & rõpu la foy, le repos, & la paix publique, ny iamais ſe deſarmer tant qu’ils feront pourſuite contre la doc‍trine de ſalut, ou cõtre la vie de ceux qui en font profeſsion : ſe gardans bien de faire iamais de ces paix, qui ſeruent d’inſ‍trumens à maſ‍ſacres. Que s’il aduenoit de tomber en quelques termes d’accord, ce ſoit auec telles conditions, qu’auant tout œuure, ſoit reſolument eſ‍tabli ce qui eſ‍t expedient pour la gloire de Dieu : & apres cela, ſi biẽ aduiſé à la ſeureté des poures Egliſes, quelles ne ſoyent plus à la merci des loups & tygres.
Que ſi (comme dit eſ‍t) il plaiſ‍t à Dieu de toucher le cœur des tyrans, & les changer, comme il en a la puiſ‍ſance, lors de bonne volonté ils ſe ſubmettent à ceux que Dieu leur a ordonnez pour Princes naturels, & leur rendent tout deuoir de bons & obeiſ‍ſans ſuiets. Mais ſi le mal eſ‍t venu uiſques au comble, & que la volonté de Dieu ſoit de les exterminer : s’il plaiſ‍t à Dieu ſuſciter vn prĩce Chreſ‍tien vengeur des offenſes, & liberateur des affligez, qu’à ceſ‍tuy ils ſe rendent ſuiets & obeiſ‍ſans, comme à vn Cyrus que Dieu leur aura enuoyé, & en attendant ceſ‍te occaſion, qu’ils ſe gouuernent par l’ordre cy deſ‍ſus eſ‍tabli par forme de loix.
Leſquel les loix, aduis, & ordonnãces, & autres qu’ils pourront d’eux meſmes ſelon l’occurrence des choſes, dreſ‍ſer & baſ‍tir, conformes aux preſentes ſelon la parole de Dieu : Nous leur auons ordonné & ordonnons d’obſeruer & entretenir de poinc‍t en poinc‍t, ſelon leur forme & teneur, & de lignee en lignee : ſe gardans bien de permettre, qu’elles reſ‍ſemblent (comme Anacharſis diſoit à Solon) aux toilles d’araignee, dans leſquelles ſi quelque choſe de leger tombe, il eſ‍t retenu, là où le peſant fardeau paſ‍ſe au trauers en deſchirãt la toille : Enquoy faiſans, nous les auons aſ‍ſeurez & aſ‍ſeurons, que quãd bien ils ne ſeroyent iamais ſecourus par leurs freres des autres nations (ce qui ſeroit trop indigne, & ie ne le veux ſeulement imaginer) ils ſe pourront conſeruer (moyenant la grace de Dieu) en ſon pur ſeruice, exercice de la religion Chreſ‍tiene, pleine liberté de leurs conſciẽces, & en toute ſeureté & repos, autant que les euenemẽs d’vne guerre iuſ‍te, biẽ fondee, bien conduite & ordonnee, le peuuent ſouffrir & endurer, ſous la garde de ce grãd Dieu des armees, du Roy des ſiecles immortel, inuiſible, ſeul Dieu ſage & puiſ‍ſant, auquel ſoit tout honneur & gloire à iamais.
L’egl. Ainſi ſoit-il. Et certainement ie le croy, ie m’en tien tout aſ‍ſeuree, & ſoubſcris fort volontiers à ton aduis & iugement.
Ali. Et moy.
Phil. Et moy auſsi.

L’hiſ‍t. Ie trouue ce que Daniel a dit ſi ſainc‍t, que non ſeulement ie ſoubſcris à la verité du faic‍t, à l’aduis qu’il dõne à tous Princes qui ont receu l’Euangile, & à l’ordre qu’il donne aux poures François. Mais auſsi (par la grace de Dieu, qui m’a touché en l’oyant diſcourir du faic‍t des Huguenots) pour beaucoup de circonſ‍tances, en la conſideration deſquelles il m’a fait entrer, ie croy qu’ils ſõt gens de bien, & qu’ils tienent la vraye pureté de religion Chreſ‍tiene : meſmement quand ie me remets en memoire de leur confeſsion de foy (qui eſ‍t imprimee au bout des Pſeaumes de Dauid) laquelle i’ay leue & releue pluſieurs fois : Mais pour ce que deuant qu’y mettre le nez, ie m’eſ‍toy’ touſiours propoſé de ne rien croire de ce qui y eſ‍t cõtenu, de peur d’eſ‍tre ſurprins, comme noſ‍tre curé nous a touſiours dit, qu’il eſ‍t mal-aiſé de lire vn liure des Huguenots ſans le deuenir : Ie n’y auoy’ pas prins garde de ſi pres, mais ie ſuis content d’eſ‍tre trompé de ceſ‍te ſorte. Et au ſurplus ie m’aſ‍ſeure, comme Daniel a dit, que Dieu ne laiſ‍ſera impunie (quoy qu’il tarde) la meſchanceté qui a eſ‍té faite aux poures Huguenots François : Et les meſchans ont beau en rire, car ils ne ſcauroyent attacher au bout de leur vie celle des Huguenots, qu’ils leur oſ‍tent ſi licencieuſemẽt, comme s’il n’eſ‍toit point de Dieu. Or à luy ſoit louange, de la grace qu’il me fait de m’ouurir les yeux, me communiquer ſa lumière, & m’eſlõgner des tenebres : le priant qu’il me fortifie, pour pouuoir, ſi beſoin eſ‍t, ſouffrir & endurer pour le teſmoignage de ſa verité, auec le ſurplus des fideles.

Le pol. Et moy i’en dy, i’en croy, & en prie tout autant : eſ‍tant preſ‍t & appareillé de faire tout ce qui ſera aduiſé expedient pour la gloire de Dieu, & la conſeruation de ſon Egliſe, autant qu’il me ſera poſsible, par ſa grace.

L’egl. Loué ſoit l’Eternel à iamais, qui a manifeſ‍té ſa vertu & puiſ‍ſance conioinc‍te à ſa bonté & grace en ces deux bonnes gens icy. Vous ſoyez les tresbien receus en la maiſon du Seigneur. Ie taſcheray de faire que voſ‍tre conuerſion y ſoit cognue de tous, afin de nous en reſiouir enſemble, & en rẽdre graces ſolẽnelles au Seigneur. Ce fait, vous Hiſ‍toriographe, irez par deuers les Rois, Princes, & Nations, qui ont receu l’Euangile : leur faire entendre tout ce qui s’eſ‍t paſ‍ſé en France cõtre les Chreſ‍tiens, & l’arreſ‍t que Daniel en a donné, afin qu’ils aduiſent de pres à leur deuoir. Et vous, Politique, irez trouuer nos freres & membres François, pour leur declarer l’arreſ‍t, l’aduis, & ordonnances, que Daniel a donné ſur ce faic‍t. Et tiendrez la main auec eux, à ce que le tout s’effec‍tue pour la gloire de noſ‍tre Dieu, & conſeruation de ſes enfans.

L’hiſ‍t. Ie le veux bien.

Le pol. I’en ſuis content.

L’egl. Le bon Dieu vous benie & conduiſe touſiours par ſon ſainc‍t Eſprit, pour l’amour de ſon Fils Ieſus Chriſ‍t noſ‍tre Seigneur. Amen.

FIN.