Reveille-matin des François/Second dialogue

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Le Reveille-matin des François, et de leurs voisins
(p. 209-398).
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Interlocuteurs.
Le Politique.L’hiſtoriographe.


Le Politique commence en chantant le Pſalme
C X X I I I I.



Le pol. Or peut bien dire Iſrael maintenant,

Si le Seigneur pour nous n’euſ‍t point eſ‍té,

Si le Seigneur noſ‍tre droic‍t n’euſ‍t porté,

Quand tout le monde à grand fureur venant

Pour nous meurtrir, deſ‍ſus nous s’eſ‍t ietté :

L’hi. Ie ſuis deceu ſi ce n’eſ‍t la voix de celuy que ie deſire le plus de voir en ce monde.

Le pol. Pieça fuſsions vifs deuorez par eux,

Veu la fureur ardente des peruers :

Pieça fuſsions ſous les eaux à l’enuers,

Et tout ainſi qu’vn flot impétueux,

Nous euſ‍ſent tous abyſmez & couuerts,

L’hi. Ou ie reſue, ou c’eſ‍t l’amy ſans nulle doute, Mon Dieu où peut-il eſ‍tre entré ? Seroit-ce point en ceſ‍te chambre ? Hola he, Ouurez vn peu, ie vous prie.

Le pol. Qui eſ‍tes-vous, qui ainſi heurtez ?

L’hi. Gens de paix, ouure l’amy.
Le pol. O Seigneur, C’eſ‍t l’Hiſ‍toriographe. Eſ‍t-il poſsible !

L’hi. Ce l’eſ‍t vrayement, mon grand amy.

Le pol. Que ie t’embraſ‍ſe, He qu’il y a de temps que ie ſouhaite d’auoir le bien que ie reçoy !

L’hiſ‍t. Il m’auient tout ainſi qu’à ceux qui ont longuement attendu, apres quelque bien rare choſe, qui mal à peine peuuent croire lors qu’ils l’ont en leur puiſ‍ſance, que ce ſoit ce qu’ils deſiroyent. Ainſi dy-ie m’auient-il de te voir maintenãt icy.

Le pol. Ie t’aſ‍ſeure mon grand amy, qu’il m’auient auſsi tout de meſme, en t’y voyant.

L’hiſ‍t. Si n’eſ‍t-ce fable, ny fantoſme, nous voicy tous deux, Dieu merci.

Le pol. Dieu ſoit loué, qui nous a conduits à ſauueté, & nous a faic‍t entrerẽcontrer lors que nous y penſions le moins. S’il te ſemble nous en remercierons enſemble noſ‍tre bon Dieu, de tout noſ‍tre cœur, & puis apres nous entretiendrons l’vn l’autre tout à l’aiſe du ſuccez de nos voyages.

L’hiſ‍t. Nous ne pouuons honeſ‍tement laiſ‍ſer paſ‍ſer ceſ‍te occaſion, de remercier bien humblemẽt noſ‍tre grand Dieu, ſans encourir le vice d’ingratitude, l’vn des plus deſplaiſans à Dieu, & moins ſouffrable entre les hommes. Mais il nous faut tenir la porte cloſe, pour euiter l’inconueniẽt qui nous pourroit ſuruenir, veu le lieu où nous ſommes : où le pur ſeruice & l’inuocation du nom de Dieu (comme en tout le reſ‍te de la Papauté) eſ‍t deffendue.

Le pol. I’eſpere que bien toſ‍t (comme il nous eſ‍t commandé de Dieu, expedient pour nos miſeres & neceſ‍ſaire pour noſ‍tre deuoir) il nous ſera auſsi permis de ſeruir Dieu par tout ouuertement. Apres que ſa Maieſ‍té aura fait iuſ‍tice de la grande Paillarde, qui a corrompu la terre par ſa paillardiſe, & qu’il aura vengé le ſang de ſes ſeruiteurs de la main d’icelle : lors que les Rois de la terre, qui ont paillardé auec elle, & ont veſcu en delices, pleureront & ſe lamenteront à cauſe d’elle, quand ils verront la fumee de ſon bruſlement : Lors dy-ie, qu’il n’y aura plus nuls Chananeens en la maiſon du Seigneur des armees. Et que tous ceux qui ſeront demeurez de reſ‍te, de toutes les natiõs qui auront fait la guerre à l’Egliſe de Dieu, adorerõt le Roy le Seigneur des armees. Ainſi que la predic‍t Zacharie en ſa Prophetie.

L’hiſ‍t. Ie l’eſpere auſsi tout ainſi. Cependant noſ‍tre deuoir eſ‍t, de marcher en tout prudemment, & d’attendre en toute patience ce temps là que le Pere a mis en ſa puiſ‍ſance.
Bien le pouuons nous prier qu’il abbrege ces iours-là, & qu’il haſ‍te la vocation de ſes eſleus.

Le pol. Tu dis vray. Or le prions donc à genoux, s’il te plaiſ‍t de faire les prieres ie te ſuyuray de tout mon cœur,

L’hi. Ie le veux bien. Prions,
Seigneur Dieu Pere eternel & tout puiſ‍ſant, Nous tes poures ſeruiteurs, ayans eſ‍té tranſportez par ta grace, du Royaume tenebreux, au Royaume de lumiere, & toſ‍t apres employez par ton Egliſe en des charges importantes à ton ſeruice : Te rendons graces, nous te louons, nous te magnifions Seigneur, pour les biens infinis (& qui, à dire vray, nous ſont incomprehenſibles) que tu nous diſ‍tribues iournellement de ta liberale & infatigable main, de ce que par ton bras fauorable tu nous as conduits & ramenez nous ayant adminiſ‍tré les choſes neceſ‍ſaires à noſ‍tre voyage, & nous deliurãt des dangers auſquels nous ſommes expoſez le plus ſouuent pour nos pechez. Nous te ſupplions Seigneur, qu’il te plaiſe en nous pardonnant nos fautes, continuer tes benedic‍tions & graces ſur nous, & ſur tes autres enfans & ſeruiteurs, comme tu cognois eſ‍tre expedient pour le bien de ta gloire. Sur tout Pere & Sauueur, fay nous touſiours fermement eſperer és promeſ‍ſes du ſalut eternel qui nous a eſ‍té acquis par le ſang precieux de ton fils ton bien-aimé. Et nous fay continuellement dependre de ta prouidence, par laquelle iuſqu’aux plus petits d’entre les oyſeaux, ſont nourris & ſouſ‍tentez, & les cheueux de nos teſ‍tes comptez & gardez, iuſques à tant Seigneur, que tu nous retires de ces miſeres, pour nous faire iouyr de l’immortalité bien-heureuſe, de laquelle iouyſ‍ſent ceux que tu as retirez en paix. Cependant Seigneur, nous te ſupplions de prouuoir en general & en particulier, à toutes les neceſsitez de ton Egliſe, de haſ‍ter le temps de la vocation des tiens, & abbreger les iours de la reſ‍tauration des choſes. Et de nous faire en particulier la grace que nous puiſsiõs bien toſ‍t eſ‍tre rendus en ſauueté, à l’Egliſe qui nous a enuoyé pour luy pouuoir rendre fidelemẽt compte de la charge qu’elle nous a donnee : fay-le Seigneur, pour l’amour de Ieſus Chriſ‍t ton Fils noſ‍tre ſauueur. Ainſi ſoit-il.

Le pol. Anſi ſoit-il. Or il faut que ie te dye deuãt que paſ‍ſer outre, que ie me reſiouy grandement, & m’eſmerueille quand & quand, conſiderant la peine que tu as eue, & les dangers par où tu as paſ‍ſé en faiſant vn ſi long voyage, de l’embonpoinc‍t que tu nous en rapportes.

L’hi I’ay eu de la peine vrayement pour la longueur du chemin, & diuerſité des Regions, par où il m’a conuenu paſ‍ſer. Mais la gayeté de cœur, de laquelle i’ay marché, m’a fait trouuer tout le labeur facile : Quant aux dangers, tu ſcay bien que celuy pour lequel ie marchois eſ‍t bon & fort pour garder ceux qui ſe retirent en ſa garde : auſsi m’a-il tellement garanty que les dangers ne m’ont approché que de bien loin. Le plus d’ennuy que i’ay ſenty, c’à eſ‍té (afin que ie n’en diſsimule rien) les Karhous & autres inſolences ou lon m’a voulu cõtraindre d’entrer par pluſieurs fois en trauerſant les Allemagnes : Les coups de coude pareillemẽt & les brocards de Franche dogues, dont les Anglois vſent ſouuent, conioints auec la vaine & ſuperbe contenance, & autres deſbauches qu’on voit en Angleterre, m’ont merueilleuſement offenſé.

Le pol. Il y auoit aſ‍ſez dequoy ſe faſcher : mais l’ennuy ſeroit grand au double, ſi ces ſottiſes eſ‍toyẽt pratiquees par quelques Chreſ‍tiens & gens de marque. Et ie me doute bien que les Karhous Allemans ne ſe trouuent que parmi quelques vieux yurongnes Papiſ‍tes, és tauernes & hoſ‍telleries où il ſeroit biẽ aiſé de ſe faire ſeruir à part pour fuyr la violence de ces Sacs-à vin. Quant aux cours des Princes & Seigneurs Proteſ‍tans, où tu auois le plus affaire, ie m’aſ‍ſeure que tu n’y as rien veu de ſemblable, ny pareillement parmi les Anglois de bonne eſ‍toffe (ſi leur contenance ne trompe mon iugement) rien que courtoiſie & douceur, accompagnee de toute modeſ‍tie.
L’hi. Pleuſ‍t à Dieu qu’ainſi fuſ‍t l’amy cõme c’eſ‍t pour la plus part, tout au contraire. Les plus grãs y font les plus lourdes fautes, voire les plus religieux ſont plus qu’il ne ſeroit à deſirer, embrenez de ces ordures.

Le pol. Que me dis-tu ?

L’hi. Il eſ‍t ainſi ie t’en aſ‍ſeure, & nul ne leur vient au deuant, ils s’en diſpenſent à leur gré.

Le pol. Et les Paſ‍teurs, quoy cependant ? ne reprenent-ils pas ces vices ?

L’hi. La plus part ſont des chiens muets, preſque tous compagnons d’Hely, il n’y a point de diſcipline.

Le pol. Si eſ‍t-ce que i’ay ouy dire qu’il y auoit en Angleterre pluſieurs Miniſ‍tres bons Paſ‍teurs, qui deſirãs la reformation de la vie & mœurs des hommes, & de quelques ceremonies externes qui ſont demeurees de reſ‍te de la Papauté, ne ceſ‍ſoyent de faire tout deuoir par eſcrit & de viue voix, pour mettre la diſcipline Eccleſiaſ‍tique au deſ‍ſus : Et quelque bon Prince Proteſ‍tant qui la vouloit mettre en ſes terres.

L’hiſ‍t. Tu dis vray : Mais ſon bon vouloir n’a pas eu l’effet deſiré : Et quant a ces bons perſonnages Anglois, du temps meſme que i'ay eſ‍té en Angleterre, ils ont eſ‍té merueilleuſement trauaillez par les Miniſ‍tres de la iuſ‍tice : Les vns ont eſ‍té bannis, les autres depoſez de leurs miniſ‍teres : Et leurs eſcrits parlans de reformation, condamnez comme ſeditieux.

Le pol. Eſ‍t-il poſsible ?

L’hi. Il eſ‍t ainſi.

Le pol. Quant au deſ‍ſein de ce bon Prince, ie ne m’esbahy pas par trop qu’il s’en ſoit allé en fumee, veu la tiedeur & lentitude de laquelle les Princes marchent, quand il eſ‍t queſ‍tion de repurger les Egliſes qui leur ſont commiſes. Conſiderãt aufsi la malice des Peuples qui abuſent le plus ſouuent du bon naturel de leurs Princes. Mais de ce fait-là d’Angleterre : i’en demeure tout eſ‍tonné. Quelle iniuſ‍tice ! Quelle d’eſloyauté ! Ie me doute bien d’où cela peut venir, il ne peut proceder que de la bobance, ambition & inſolence des Prelats Anglois, fauoriſee de la Chattemiterie de quelques vns du conſeil que ie te pourrois biẽ nommer. Mais qu’ils oyent (outre les paſ‍ſages de l’Eſcriture) ce que dit quelque grand perſonnage de noſ‍tre temps, parlant de la diſcipline Eccleſiaſ‍tique. S’il n’y a (dit il) nulle compagnie, ni meſmes nulle maiſon quelque petite qu’elle ſoit, qui ſe puiſ‍ſe maintenir en ſon eſ‍tat, ſans diſcipline : Il eſ‍t certain qu’il eſ‍t beaucoup plus requis d’en auoir en l’Egliſe, laquelle doit eſ‍tre ordonnee mieux que nulle maiſon, ny autre aſ‍ſemblee.

Pourtant comme la doc‍trine de noſ‍tre Seigneur Ieſus eſ‍t l'ame de l’Egliſe, auſsi la diſcipline eſ‍t en icelle, comme les nerfs ſont en vn corps pour vnir les membres & les tenir chacun en ſon lieu & en ſon ordre. Pourtant tous ceux qui deſirent que la diſcipline ſoit abbatue, ou qui empeſchent qu’elle ne ſoit remiſe au deſ‍ſus, ſoit qu’ils le facent à leur eſcient, ou par inconſideration, cerchent d’amener l’Egliſe à vne diſsipation extreme.

L’hiſ‍t. Cela eſ‍t tant bien dit que rien plus : Mais quel remede quand les principaux d’entre les gẽs d’Egliſe qu’on appelle, qui deuſ‍ſent porter le flambeau deuant les autres, ſe contentans d’auoir receu la doc‍trine, n’ont cure de reformatiõ. Et quel que bon exemple que leurs voiſins Eſcoſ‍ſois & autres peuples qui l’ont receuë, leur en ſachent dõner, n’ont pas honte de ſe monſ‍trer ennemis ouuerts de toute diſcipline, cependant la feinte ſimplicité du ſurpelis plié menu comme celuy d’vn preſ‍tre, la ſotte & ſuperflue clarté des chandeles en plein midy, le ſon ſans intelligence des Orgues, La gaye muſique gringotee ne manque point dedans leurs temples, en leurs ſeruices ordinaires. Là deſ‍ſus Monſieur l’Archeueſque, Monſieur le Primat, Mõſieur l’Eueſque, & autres tels officiers accompagnez de pages, laquets, eſ‍taffiers, & autres falots, iuſques à 20 30 40 100, & tel y en a iuſques à 200 cheuaux.

Le pol. O Seigneur, iuſques à quand y aura-il de tels Maiſ‍tre d’hoſ‍tels en ta maiſon ! Quels vignerons, quels moiſ‍ſonneurs ! ils ont prins l’Euangile en vain les paillards, & s'en ſont fait riches.

L'hi. Bellement ie te ſupplie, tu es trop prodigue cenſeur, ils ne ſont pas tous ainſi Dieu mercy, & pour le moins la doc‍trine eſ‍t pure parmi eux.

Le pol. Voire dea ! Mais où ſont les fruic‍ts de la vigne du grand Seigneur ? Ne ſont-ce pluſ‍toſ‍t des lambruſches que bons raiſins ? Et ne craignent-ils pas, ie parle à ceux que le Seigneur a eſ‍tablis guettes ſur Iſrael, que le Seigneur leur redemande les brebis qui periſ‍ſent par leur faute : Voire & les vns & les autres ne craignẽt-il pas que le Seigneur oſ‍te ſon Chandelier du milieu d’eux, & leur face ſouffrir la faim, ie dis la faim de ſa parole vraye paſ‍ture des ames, puis qu’ils en abuſent ainſi ? Et ceſ‍te Princeſ‍ſe leur Royne, qui a la reputation d’eſ‍tre tãt ſage & vertueuſe, qui porte le titre de chef de l’Egliſe en ſon Royaume, & de deffẽſatrice de la foy. Eſ‍t-il poſsible qu’elle & les ſeigneurs de ſon Conſeil endurent vne telle desbauche en la maiſon du Dieu viuant ?L’hi. Ce n’eſ‍t pas là tout, Il y a biẽ encore pis à craĩdre. Le pol. Noſ‍tre Seigneur ! qu’y pourroit-il auoir de pire, entre ceux qui ont receu l’Euãgile, que de n’ẽ vouloir (par maniere de dire) que la moitié, à ſc.la ſeule doc‍trine ?

L’hi. Ne ſeroit-ce pas choſe plus deplorable , ſi encores de ceſ‍te moitié-là ils en faiſoyent ſi peu d’eſ‍tat, qu’ils ne ſe ſouciaſ‍ſent, quand bien auiourd’huy ou demain elle leur ſeroit oſ‍tee.

Le pol. Cela eſ‍t bien certain.L’hi. Or ſont-ils preſque ſur le point de la perdre s’ils ne s’auiſent.

Le pol. Ie ſerois extremement marri, quoy que le peuple qui en abuſe ſoit digne d’en eſ‍tre priué, ſi ce que tu dis auenoit : Mais dy moy comment ce peut eſ‍tre. L’hi. ll ne faut que la ſeule mort de la Royne, pour tout chãger & rẽuerſer. Le pol. Cõment, Bon Dieu! En 14. ou 15. ans qu’elle a regné, n’a-elle ſceu eſ‍tablir telles loix & ordõnãces que la doc‍trine de l’Euãgile puiſ‍ſe demeurer pure apres ſõ deſpart bõ gré mal gré la Papauté ? A-elle ſi peu profité en la lec‍ture des bõs liures, que i’entens luy eſ‍tre tãt familiers ? Faudra-il qu’vn Cicero luy enſeigne ſa leçon, ſurpaſ‍ſant de zele enuers la Republique Romaine, le zele de ceſ‍te Royne, enuers l’Egliſe de Dieu ?
Quand il afferme n’auoir moins de ſoin de l’eſ‍tat auenir que de l’eſ‍tat preſent de ſa Republicque : he Dieu, quelle laſcheté voila.

L’hi. Ie t’aſ‍ſeure l’amy que ſi la Royne & ſon Conſeil ou le Parlement d’Angleterre ny remedie, qu’ils ſont venus comme à la veille de voir la ſubuerſion de leur eſ‍tat & de la Religion enſemble.

Le pol. Ha miſerables ! Et que tardent-ils, qui les empeſche d’y mettre la main deuant la main ?

L’hi. Rien ne les en deſ‍tourne que la deſbauche & la vanité de la cour, les delices des Prelats, la ſuperbe des nobles : Et pour le dire en vn mot le peu de zele que la plus part des Anglois a enuers le ſeruice de Dieu. Et Dieu par ſon ſecret iugement, pour ſe venger de telle laſcheté tient cõme en leſ‍ſe vne royne d’Eſcoſ‍ſe, que chacun cognoiſ‍t aſ‍ſez plus proche de la Couronne d’Angleterre, pour la laſcher tout auſsi toſ‍t apres la mort de ceſ‍te-cy. Et Dieu ſcait quel remuement on y verra s’ainſi aduient.

Le pol. O Seigneur ! Et vit-elle encore ceſ‍te fatale Medee ? Qui euſ‍t iamais cuydé cela ? Catherine de Medicis, & les enfans ont bien ſurpaſ‍ſé en luxure, en cruauté & perfidie treſ‍tous leurs deuanciers tyrans, ils les ont dy ie, iuſ‍tifiez, & aboly le plus de leur renom : Mais apres ceux-là, ie croy certes qu’on doit l’honneur à ceſ‍te-cy, d’auoir couché à toutes reſ‍tes ſon eſ‍tat, honneur & grandeur, & rafreſchy en plus de ſortes le ieu tragique malheureux. Il ſembloit bien que ſa priſon la deuoit auoir priuee des moyens de continuer ſes deportemens : Mais à ce que l’on a veu la violence de ceſ‍t eſprit, n’a peu eſ‍tre retenue ny empeſchee qu’elle n’ait tẽté le dernier effort de ſõ deſ‍tĩ, trainãt auec ſon deſaſ‍tre la ruine de tous ceux qui s’en ſont accoſ‍tez. L’infortuné duc de Northfolc a eſ‍té le dernier, qui par ſon ſupplice nous ſert de bon teſmoin, quelle n’a laiſ‍ſé peril à eſ‍ſayer. Ayant fait la plus haſardeuſe entrepriſe qui ſe peut faire, qui eſ‍t, d attenter ſur la vie de celle qui a la ſienne en ſa puiſ‍ſance, & de contraindre ceux qui ont ſa vie en leurs mains, de n’eſ‍timer point leur vie eſ‍tre aſ‍ſeuree s’ils ne luy oſ‍tẽt la ſiene : Mais qu’attendẽt ils ces Anglois ? N’y a-il ame qui remonſ‍tre à la Royne & à ſon Conſeil la neceſsité qu’ils ont de s’oſ‍ter vne telle eſpine du pied ?

L’hi. Voire dea : Il y en a eu des plus doc‍tes & plus zelez qui n’ont rien oublié à luy dire ſur ces arguments : Mais la royne d’Angleterre eſ‍t ſi bonne, elle eſ‍t tant pleine de clemence & douceur quelle ne prent point de plaiſir à voir reſpandre le ſang.

Le pol. Quelle douceur noſ‍tre Seigneur, & quelle clemence eſ‍t celle-là, qui traine auec ſoy la ruine d’vn eſ‍tat ſi beau & ſi grand, & de la Religion enſemble ! N’eſ‍t-ce pluſ‍toſ‍t la cruauté la plus extreme qu’on vit onques ? Si vne telle calamité ſe peut euiter par moyẽs iuſ‍tes & licites : Celuy qui ne l’empeſchera ne ſera-il pas coulpable de tous les mal-heurs qui en aduiendront : Sera-ce pas vne cruelle clemence pour eſpargner le digne de mort, faire mourir tant d’innocents, & vne double charge de conſcience à vn Prince de ne vouloir faire iuſ‍tice, ne procurer le ſalut de tout ſon Royaume. Dieu preſẽte ce choix à la royne d’Angleterre de faire iuſ‍tice, & aſ‍ſeurer ſon eſ‍tat & la Religion en Angleterre, ou refuſant iuſ‍tice, y ruiner l’eſ‍tat & la religion enſemble. Car on ne peut dire qu’apres le decez de la Royne d’Angleterre, les choſes eſ‍tant en l’eſ‍tat qu’elles ſont, il y ayt moyen d’empeſcher que la royne d’Eſcoſ‍ſe ne viene à ſucceder, & par conſequent tout l’eſ‍tat du Royaume à renuerſer, & la Religion à changer : tous ceux qui ne voudront eſ‍tre ſi meſchans que de quitter le ciel pour la terre, & renier leur religion, pour le moins bannis, chaſ‍ſez, eux & leurs enfans miſerables, cõme on a ia veu le pourtraic‍t au regne de la Royne Marie.

L’hi. Cela eſ‍t certain : Et beaucoup de gens de biẽ Anglois, auec leſquſls i’ay deuiſé de ceſ‍t affaire, ne s’attendent pas à mieux Encore dernierement la royne Elizabeth, eſ‍tant tombee malade (craignant que pire luy auint) il y en auoit deſia pluſieurs qui penſoyent à trouſ‍ſer leurs quilles.

Le pol. Ha poures gens ! Et comment eſ‍t-ce qu’vn Parlement (duquel l’authorité eſ‍t ſi grande, comme tu ſcay) ne fait ouuertement reſoudre ceſ‍te Royne en ce faic‍t-cy, en ce fait dy-ie, auquel il n’eſ‍t pas queſ‍tion ſeulemẽt de punir le paſ‍ſé, mais auſsi d’euiter le mal preſent & aduenir. Dieu aura bien puny d’aueuglement, ceux qui ne verront clair en ceſ‍t affaire. Ceux qui ont remis vn pareil forfaic‍t autrefois, l’ont remis à ceux de qui il n’auoyent occaſion de douter ſemblable conſpiration : mais de pardonner à ceux qui retiennent la meſme volonté, & meſmes moyens pour mal faire, c’eſ‍t pluſ‍toſ‍t temerité que douceur.
L’Angleterre tient (comme l’on dic‍t) le loup par les oreilles, ils ne le peuuẽt tenir long temps, & encores moins le laſcher, que en l’vne & l’autre ſorte il ne leur face beaucoup de mal. Le peril y eſ‍t tout euident, & ia eſ‍ſayé : vouloir encores choquer au meſme eſcueuil où l’on vient de faire naufrage, ce ſeroit à tort, comme dit le prouerbe, qu’on accuſeroit Neptune.
Cela eſ‍t bien certain, que tant que la royne d’Eſcoſ‍ſe y ſera, elle ne ceſ‍ſera de troubler ceſ‍t eſ‍tat, par conſpirations inteſ‍tines : Et ſi elle en eſ‍t vne fois hors (comme Charles de Valois s’eſ‍ſaye iournellement de l’en tirer) par guerre externe.
Il n’y a rien de ſi pernicieux à vn Royaume que d’y auoir vn ſucceſ‍ſeur, ayant des qualitez ſi pernicieuſes à vn eſ‍tat, que la royne d’Eſcoſ‍ſe. Car en premier lieu, C’eſ‍t vn ſucceſ‍ſeur ennemy, elle l’auoit aſ‍ſez monſ‍tré par les guerres paſ‍ſees. Mais en la conſpiration derniere elle a deſcouuert la plus capitale haine qui ſe peut mõſ‍trer.
L’ambition & cupidité de ceſ‍te Couronne, ne luy permet point d’attendre le temps de la ſucceſsion. Elle a autrefois vſurpé le titre & les armes.
A preſent par ceſ‍te conſpiration, elle a monſ‍tré d’en vouloir auoir la poſ‍ſeſsion & la commodité.
Dauantage, elle eſ‍t eſ‍trangere de nation, tellement que l’affec‍tion naturelle, comme ſeroit en vn autre ſucceſ‍ſeur qui ſeroit fils, ne peut arreſ‍ter l’ambition qu’elle a d’empieter le Royaume.
Item elle eſ‍t eſ‍trangere de religion, qui eſ‍t la pire qualité de toutes, d’autant meſmes, qu’elle a (comme i’ay entendu dire, les partis pieça dreſ‍ſez dans le Royaume, tellement qu’il n’y eſcherroit que le coup de l’execution.
La retention donques d’vn tel ſucceſ‍ſeur ne peut eſ‍tre que treſdangereuſe à tout eſ‍tat : Et au contraire l’extermination fort vtile & au grand repos & trãquillité d’iceluy, de ſorte qu’on ne peut douter que ce ne fuſ‍t vn grand bien à ce Royaume de luy oſ‍ter ceſ‍te eſpine du pied, qui ne ceſ‍ſe de le troubler & picquer : Et de s’expoſer au peril, qu’õ peut facilement & par moyens licites euiter, pour apres eſ‍ſayer d’eſ‍tre ſauuez par quelque voye miraculeuſe de Dieu, & aimer pluſ‍toſ‍t demourer touſiours en danger, en retardant ou refuſant iuſ‍tice, que s’aſ‍ſeurer de ſon ſalut auec la iuſ‍tice. Cela s’appelle en bon Frãçois, Tenter Dieu trop vilainement.
L’hi. Tu en parles bien à ton aiſe & ainſi comme tu l’entens : Mais ie me doute bien l’amy que ſi tu tendois vne oreille à l’accuſee & à ſes droits, que pofsible tu pourrois faire vne toute autre concluſion.
Le pol. Ia à Dieu ne plaiſe que ie tende l’oreille à ceſ‍te bonne Dame-là : I’entens qu’elle a trop de moyens pour corrompre les plus parfaits. Mais ſi ſerois-ie bien aiſe d’eſ‍tre en lieu où ſon faic‍t fuſ‍t traité, pour en dire ce qu’il m’en ſemble.
L’hi. Tu en as deſia dic‍t aſ‍ſez pour te garder d’en eſ‍tre iuge. Et nous auons (comme tu ſcay) à traiter d’vne autre matiere : toutefois pource que ceſ‍t affaire importe tant à l’Egliſe de Dieu, ſi tu veux, afin que faute de raiſons, on ne laiſ‍ſe plus lõguement vne punition ſi neceſ‍ſaire en arriere, ie tiendray le parti de la royne d’Eſcoſ‍ſe (par forme de deuis) & t’allegueray au mieux mal qu’il me ſera poſsible, tout ce que ces partizans alleguent, pour l’exempter de ſon dernier ſupplice, toy au contraire debatras ce qu’il te ſemblera eftre raiſonnable, ſelon l’eſ‍tat & la conſcience pour le biẽ de ce peuple-là. I’ay bon moyen d’en aduertir des Myllords qui me ſont amis. Apres cecy, ie te feray entendre le ſuccez de tout mon voyage.

Le pol. Ie le veux bien, & ſi ne fay point de doute que ie n’en puiſ‍ſe bien reſoudre ceux qui ſans paſsion auec vn iugemẽt pur & net, voudront meſurer mes raiſons. Mais deuant que paſ‍ſer outre, ie ſuis d’auis qu’en ce fait-cy (comme en toute autre matiere d’eſ‍tat) nous ayons deux conſiderations conioinc‍tement, L’vne, Si ce qu’on propoſe eſ‍t honeſ‍te, l’autre, S’il eſ‍t vtile. Ceux qui en matieres d’eſ‍tat, dient qu’il ne faut cõſiderer que l’vtilité, monſ‍trent qu’ils n’ont guere l’honneur, & encores moins la conſcience en recommandatiõ. Le populace d’Athenes ſuffit pour leur faire hõte au iugement qu’il donna, du conſeil que Themiſ‍tocles leur vouloit bailler ſãs le déclarer qu’à vn. Ils eſleurent (comme tu ſcay) pour l’ouyr non point le plus affec‍tionné à l’amplification de leur Republique, ains Ariſ‍tides le plus iuſ‍te, auquel apres qu’il leur eut rapporté que le cõſeil de Themiſtocles eſ‍toit fort vtile, mais, treſ-iniuſ‍te : Ils dirent tous d’vne voix qu’ils n’en vouloyent point : Nous auons donc en ce faic‍t-cy obligatiõ & deuoir de regarder autant la iuſ‍tice & honeſ‍teté côme l’vtilité publique du royaume d’Angleterre. De ce biẽ public s’il y a intereſ‍t ou nõ, i’en ay deſia, ce me ſemble, parlé aſ‍ſez : reſ‍te ſeulemẽt à vuyder, ſi le fait eſ‍t auſsi iuſ‍te & honeſ‍te, comme vtile & neceſ‍ſaire. Il eſ‍t bien certain & ne ſe peut nier, que c’eſ‍t vn des plus grans crimes qui ſe peuuent commettre enuers les hommes que de conſpirer contre le Roy en ſon royaume, contre ſon eſ‍tat & rauiſ‍ſement d’iceluy : l’exemplaire punition de Coré, Dathan, & Abiron le teſmoigne aſ‍ſez : Dauid ordonné & eſleu de Dieu pour eſ‍tre Roy apres Saul, s’eſ‍t contenté de ſe deffendre & ſe garentir ſans iamais attenter ſur la perſonne de Saul, à qui neantmoins il eſ‍toit deſ‍tiné ſucceſ‍ſeur de la bouche de Dieu. Et combien que Saul luy fiſ‍t guerre mortelle & iniuſ‍te, ſi eſ‍t-ce que Dauid ſe condamnoit comme digne de mort, s’il euſ‍t attenté contre Saul, & fit mourir celuy qui l’oſa entreprendre, quoy qu’il ſe couuriſ‍t du commandement & de la necefsité de Saul. Ce ſeroit vne ſuperflue & vaine oſ‍tentation de s’amplifier en long difcours ſur la preuue d’vne maxime ſi indubitable : Que celuy qui veut renuerſer l’eſ‍tat & attẽter ſur la vie du Seigneur ſouuerain d’iceluy (ie ne parle pas du tyran ny de la tyrãnie aufsi) eſ‍t digne du ſupplice de mort : & eſ‍t permis, voire cõmandé aux Peres de maſ‍ſacrer leurs enfãs, & aux freres leurs freres qui conſpirent contre l’eſ‍tat.

Auſsi qui regarde combiẽ de maux & de crimes ſont trouuez en ce ſeul crime, combiẽ de perſonnes y ſont offenſees : les ruines & calamitez qui s’en enſuyuent : la lõgue miſere qu’vn tel fait traine apres ſoy, il s’en trouuera tant d’expres & en ſi grãd nõbre, dõt chacũ eſ‍t ſeul digne de mort qu’il n’y a pas aſ‍ſez de ſupplices pour vne telle hydre de crimes. Il ne faut que ſe figurer l’image d’vne deſolatiõ vniuerſelle de tout le royaume, la cruauté des proſcriptions & calamiteux ſpec‍tacle des proſcrits, pour iuger le merite de celuy qui en aura eſ‍té cauſe. Et iettant les yeux plus loin conſiderer qu’il faut abolir toute eſpece de Republique & d’eſ‍tat, & rẽdre les hõmes brutaux ſans ſocieté ne iuſ‍tice, ſi tel crime n’eſ‍t condãné, d’autãt qu’il n’y a eſ‍tat qui puiſ‍ſe ſubſiſ‍ter, ſi telles cõſpiratiõs demeurẽt impunies. Et d’autre part leuant encores les yeux plus haut, conſiderer de qui procede l’authorité & puiſ‍ſance que Dieu a miſe aux Princes ſouuerains, qui leur rauit le ſceptre reſiſ‍te à la puiſ‍ſance de Dieu, & viole ce qu’il a voulu eſ‍tre ſainc‍t & inuiolable par deſ‍ſus autres choſes humaines. Ce ſeroit choſe trop ridicule de pẽſer excuſer ce fait, pour dire que le crime n’a pas eſ‍té effec‍tué, ny par cõſequẽt tous les ſuſdits maux en ſuyuis. Car en vn tel crime, ſi on attẽd l’executiõ, il ne reſ‍te plus moyẽ de le punir : il faut que l’ẽtrepriſe ſoit punie cõme le fait : autremẽt iamais il ni auroit punitiõ. Car ſi le crime euſ‍t eu reuſ‍ſy, qui euſ‍t puny les coulpables ? il n’y euſ‍t eu ny loy, ni iuge pour les cõdãner. Au cõtraire ils euſ‍ſẽt eu le pouuoir ſur la loy & iuſ‍tice. Les exẽples de ceux qu’õ lit auoir eſ‍té punis ne ſõt pour auoir executé : ains ſeulemẽt pour auoir attenté. Reſ‍te donc pour vn principe conſenty & indubitable par toutes les nations de la terre, & par toutes loix diuines & humaines. Que vne telle conſpiration eſ‍t digne de plus de morts & ſupplices que le coulpable ne ſcauroit ſouffrir : & par conſequent ſenſuit que la punition n’eſ‍t pas moins iuſ‍te & honeſ‍te, qu’elle eſ‍t vtile & profitable.

L’hi. Ie t’accorde cela ſimplement : Mais auſsi il faut que tu me confeſ‍ſes, par l’aduis de Ciceron meſmes ,que ſi l’on propoſe deux honneſ‍tes & deux vtiles, quand & quand qu’il faut prendre le plus vtile, le plus honneſ‍te & mieux ſeant.

Le pol. Ie l’auouë.

L’hi. Il y a plus : C’eſ‍t qu’en toutes choſes & ſurtout en tous iugemens, on traite premier des perſonnes, apres l’on traite de leur fait, ie dis notamment des perſonnes du iuge & de l’accuſé.

Le pol. Ie le confeſ‍ſe, mais que s’enſuyura-il pour tant ?

L’hi. C’eſ‍t que ſi nous conſiderons les qualitez de la perſonne de la royne d’Eſcoſ‍ſe, nous trouuerõs pour la premiere, quelle eſ‍t maiſ‍treſ‍ſe de ſõ Royaume, de pareille puiſ‍ſance que la royne d’Angleterre n’eſ‍t ſubiec‍te, inferieure ny iuſ‍ticiable. Qui es tu donc, dit l’Eſcriture, qui iuges le ſeruiteur d’autruy : Dieu a, comme auec vn cordeau, departy la terre entre les hommes, qui taſche de l’outrepaſ‍ſer, contreuient au dixième commandement perpetuel & inuiolable. Et d’aller reſuſciter quelques vieux droits de ſouueraineté, que l’Angleterre pretend deſ‍ſus l’Eſcoſ‍ſe, & en vouloir vſer pour rendre la royne d’Eſcoſ‍ſe iuſ‍ticiable de la royne d’Angleterre : Il n’y a homme de bon iugement, qui ne die que ce ſeroit des pretendues couleurs & recerches, pour ſe deffaire d’vne Princeſ‍ſe à qui l’on veut mal. Car puisqu’elle a eſ‍té auãt ſa priſon en poſ‍ſeſsion, de ſe dire Monarque en ſon Royaume, elle ne peut eſ‍tre par la contrainte tenue, qu’en la meſme conditiõ qu’elle eſ‍toit lors de la premiere heure de ſon empriſonnement.

Ce ſont les loix du grãd Empire Romain, en toutes les grandes guerres qu’ils ont eues par toute la terre : C’eſ‍t la raiſon naturelle qui le perſuade aſ‍ſez à vn chacun. Et de pretendre auſsi qu’elle n’eſ‍t plus Royne, qu’elle a eſ‍té priuee du Royaume par ſa deſmiſsion, & par la deliberation des eſ‍tats d’Eſcoſ‍ſe : Ce ſont des traits que la Royne d’Angleterre, ny autre Prince ne peut approuver, ſans faire tort à l’authorité que tous les Princes ſouuerains vſurpent & pretendent auoir, de iuger & donner la loy à leurs ſuiets, non point eſ‍tre iugez ny receuoir la loy d’eux, ou eſ‍tre cõtables de leurs ac‍tions qu’au ſeul Dieu quoy qu’ils facent. Tu ſcay bien que le noſ‍tre s’en eſ‍t ſouuent fait à croire. Et en telles occaſions, il ſemble que les Rois ſont tous vnis à reprimer & cõbatre le faic‍t des ſuiets : Tant s’en faut que la royne d’Angleterre s’en puiſ‍ſe ſeruir pour s’approprier authorité ſur le royaume d’Eſcoſ‍ſe. Il reſ‍te donc à la royne Marie Stuard, ceſ‍te qualité de Royne ſouueraine, non inferieure de la royne d’Angleterre, laquelle par conſequent ne peut iuſ‍tement cognoiſ‍tre ny iuger ſur elle : d’autant que le fondement plus grand & preallable pour ſolider vn bon iugement, c’eſ‍t d’eſ‍tablir la puiſ‍ſance & authorité legitime de celuy qui veut eſ‍tre iuge.
Les ambaſ‍ſadeurs des Rois ſont par toutes les plus agreſ‍tes nations, par toutes eſpeces de religions, inuiolables, & ceux qui les offenſent tenus pour execrables & violateurs du droic‍t des gens : à plus forte raiſon ceux qui offenſent les Rois, deſquels les ambaſ‍ſadeurs n’ont que la reputation. Les Romains ont laiſ‍ſé vn exemple qui eſ‍t en pluſieurs points cõforme au fait de la royne d’Eſcoſ‍ſe. C’eſ‍t des ambaſ‍ſadeurs venus de la part des Tarquins à Rome pour emporter leurs meubles apres leur reiec‍tion. Ces ambaſ‍ſadeurs firent vne conſpirariõ auec aucuns Romains pour remettre les Tarquins & renuerſer la Republique, tuer les Conſuls & principaux d’icelle : la conſpiratiõ eſ‍t deſcouuerte : les Romains ſont punis, iuſques à la que Brutus fit mourir ſes propres enfãs. quãt aux ambaſ‍ſadeurs, le fait eſ‍t debatu au Senat, où le droic‍t de gens le gaigna, & furent les ambaſ‍ſadeurs enuoyez en ſeureté. Celuy qu’ils repreſentoyẽt qui eſ‍toit Tarquin eſ‍toit chaſ‍ſé de ſon Royaume, comme la royne d’Eſcoſ‍ſe : les ambaſ‍ſadeurs auoyent faic‍t la conſpiration dans Rome, apres y auoir eſ‍té receus, comme la royne d’Eſcoſ‍ſe a fait en Angleterre apres y auoir eſ‍té receue. Et toutefois il fut iugé qu’encore en ce cas ils eſ‍toyent inuiolables.
La ſeconde qualité que la royne d’Eſcoſ‍ſe peut alleguer pour eſ‍tre exempte de la generale condãnation des cõſpirateurs, eſ‍t, qu’elle eſ‍t refugiee en Angleterre : chacũ ſcait cõme elle y eſ‍t venue à refuge apres la deſroute d’vne bataille, cõme elle y a eſ‍té receue à refuge & ſeureté de ſa vie : à ceſ‍te heure la faire mourir, on dira que c’eſ‍t l’ac‍te le plus indigne d’vn Prince qui ait eſ‍té fait iamais à autre Prince. Les plus barbares Princes ont eu ceſ‍te humanité de receuoir les rois deiec‍tez de leurs thrones, & les maintenir en toute ſeureté, les traiter auec honneur & dignité : & ont penſé que c’eſ‍toit leur propre grandeur de ſecourir, ou pour le moins retirer les rois expoliez de leurs eſ‍tats, ſoit par leurs ſuiets ou par autres Princes. Et n’y a eu iamais difference de religiõ, inimitié paſ‍ſee, ny autre occaſion qui ait empeſché ce reſpec‍t deu à la maieſ‍té des Rois & Princes ſouuerains, & à ceux qui leur appartienẽt. On lit de Chilperic 4. roy de Frãce, que les François chaſ‍ſerent de ſon royaume qu’il fut receu à refuge par le roy de Lorraine Loys. Alphõfe roy de Portugal chaſ‍ſé par ſõ frere Sancho roy de Caſ‍tille fut receu par le roy de Grenade Tilleda, biẽ qu’il fut Sarrazin : & quoy qu’il luy fuſ‍t predit, qu’il ruineroit ſa poſ‍terité : il ſe tĩt en ſeureté, & le laiſ‍ſa aller apres la mort de ſon frere en ſon royaume. Ces rois Loys II. & Charles 8. receurẽt Zizim ou Gemes Turc deieté de l’Empire par Baiazet ſon frere, voire meſmes le pape Innocẽt le receut Il eſ‍t vray qu’Alexãdre 6. ſõ ſucceſ‍ſeur luy fit en fin vn trait de Pape. Themiſ‍tocles fut receu par le roy des Perſes, & quoy que ſa ſœur luy demãdaſ‍t punitiõ, de ce qu’il luy auoit tué ſes enfans à Salamine, iamais ne voulut violer l’Azyle & refuge, qui eſ‍t és maiſõs des Rois pour tous les Princes affligez.
Il y a biẽ eu en pluſieurs Roys & Princes, cõme en tous eſ‍tats, de la meſchanceté & nõ guere moĩs d’exemples de ceux qui ont enfreint & violé ce ſainc‍t droit d’hoſpitalité, mais le conſentemẽt vniuerſel de toutes les nations de la terre a deteſ‍té ceſ‍te perfidie, la fin mal heureuſe de la plus part des perfides les condamne aſ‍ſez, les poetes s’en ſont ſeruis pour ſuiets de leurs tragedies, & les ont logez en leur enfer fabuleux, parmi les plus cruels tourmens qu’ils ont peu excogiter. Les hiſ‍toires en rapportent des exemples dignes pluſ‍toſ‍t d’eſ‍tre enſeuelis que recueillis en la memoire des hõmes, ſi n’eſ‍t pour la fin qu’ils ont eue miferable.
On n’a que faire de diſputer ſi la royne d’Angleterre à donné la foy à la royne d’Eſcoſ‍ſe, de la tenir en ſeureté : Car depuis qu’elle eſ‍t receue, la detenir vn ſi long temps, cela importe à ſes promeſ‍ſes de ſeureté : autrement il euſ‍t fallu dés le cõmencement ne la receuoir point, comme on voit par les hiſ‍toires Romaines, que quand ils ne vouloyent donner ſeureté aux eſ‍trangers qui venoyẽt à eux : Ils leur commandoyent dedans dix iours de deſloger de l’Italie, mais que depuis qu’ils les auoyent receus, ils les ayent recerchez de rien, on ne l’a veu jamais. Auſsi n’y a-il homme qui ne blaſme ceux qui de froid ſang font mourir vn qu ils tienent en leur puiſ‍ſance, encores qu’il ſoit leur ennemy, & par eux prins en guerre, ce que n’a eſ‍té la royne d Eſcoſ‍ſe.
La troiſieme qualité de la royne d’Eſcoſ‍ſe eſ‍t, qu elle eſ‍t priſonniere. Il ſembleroit que ceſ‍te qualité luy deuſ‍t preiudicier, par ce que par cela on cognoiſ‍t quelle n’a point eſ‍té receuë comme refugiee ny donné aucune foy : Mais c’eſ‍t au contraire : ſi elle auoit eſ‍té receue à refuge & promeſ‍ſe donnee, on luy pourroit imputer d’auoir conſpiré contre celle qui luy auoit vſé de ceſ‍te grande humanité : à preſent n’ayant receu aucune humanité de la royne d’Angleterre, elle ne luy eſ‍t de rien obligee, voire que pour luy auoir vſé de ceſ‍te rigueur & n’auoir exercé en ſon endroit, ceſ‍te generoſité & beneficence royale, comme les Rois dont i’ay parlé, elle auroit occaſion d’en prendre vengeance : Comme fit d’vn roy d’Hõgrie quatrieme, Federic duc d’Auſ‍triche, qui ayant fuy vers luy apres la deſroute d’vne bataille gaignee ſur luy par les Tartares : il le retint priſonnier, & le contraignit luy bailler d’argent & trois Comtez prochains d’Auſ‍triche. En fin eſ‍tant deliuré, luy fit la guerre, & le tua à vne bataille. Il eſ‍t certain que la royne d’Eſcoſ‍ſe a eſ‍té touſiours ſous bonne & ſeure garde, iamais n’a eſ‍té en liberté ſous ſa foy : vn priſonnier qui n’eſ‍t point ſur ſa foy & à qui on a baillé garde : il ne peut eſ‍tre blaſmé de recercher ſa retraic‍te par toutes les voyes qu’il eſ‍t poſsible. Meſmement qu’elle dira auoir eſ‍té iniuſ‍tement faic‍te priſonniere : Car où l’on pretend qu’elle ſoit priſonniere de iuſ‍tice, ou de guerre : autre tiers moyen agile ne s’en peut trouuer : d’eſ‍tre priſonniere de iuſ‍tice, i’ay deſia dit qu’elle n’eſ‍t iuſ‍ticiable de la royne d’Angleterre : Par ainſi elle ne peut eſ‍tre priſonniere de iuſ‍tice en Angleterre, par ce que le fondement d’vne vraye iuſ‍tice y deffaut, c’eſ‍t la puiſ‍ſance du Iuge : D’eſ‍tre priſonniere de guerre, on demande en quelle guerre les Anglois l’ont prinſe. Que l’on ſe repreſente ce que Elizee dit au roy d’Iſrael, quand il amena les Syriens miraculeuſemẽt aueuglez au roy d’Iſrael, leſquels voulãt faire mourir, le Prophete luy dit, qu’il ne les auoit pas prins par glaiue : & par ainſi qu’il ne les pouuoit faire mourir, ny retenir : ains les deuoit laiſ‍ſer aller en paix : comme il fit.
Si on vouloit ſubtilizer ſur les ac‍tiõs paſ‍ſees de la royne d’Eſcoſ‍ſe, & dire qu’elle eſ‍t chargee d’auoir fait mourir le feu roy d’Eſcoſ‍ſe ſõ mary, natif d’Angleterre : par ainſi qu’il eſ‍toit loiſible à la royne d’Angleterre de cognoiſ‍tre & iuger du tort fait à ſon ſuiet par vn eſ‍trãger le trouuãt en ſa terre. Ce ſeroit entre gens de bon iugemẽt vne couleur recerchee, pour maſquer vne charité de Cour : & ne fuſ‍t il que de ce que le feu roi d’Eſcoſ‍ſe ſe faiſant roy d’Eſcoſ‍ſe, quitta aſ‍ſez par la ſa naturelle patrie. Et la Royne meſme l’ayãt approuué pour roy d’Eſcoſ‍ſe, taiſiblemẽt abdica de ſoy ſon ſuiet : comme ancienemẽt les patrõs leurs ſerfs. Parainſi elle ne la peu tenir depuis pour ſon ſuiec‍t.
Et quand bien la iuſ‍tice, le droic‍t & la raiſon, permettroyẽt de faire mourir legitimemẽt la royne d’Eſcoſ‍ſe : encores propoſera-on à la Royne d’Angleterre, pour l’eſmouuoir à grace & cõmiſeration : Premieremẽt que la royne d’Eſcoſ‍ſe eſ‍t ſa prochaine parente. L’exẽple de Dauid enuers ſon fils Abſalon : du roy Charles 5. enuers le roy Philippe de Nauarre. Puis le naturel de la royne d’Angleterre ayant touſiours regné en telle douceur, quelle en eſ‍t louee & admiree par toute la terre : d’oublier ceſ‍te vertu ſi recommãdable aux Princes, que la debõnaireté par la cruelle effuſiõ de ſãg de ſes plus proches, les anciens Empereurs qui ont pardõné les cõiurations contr’eux faites, luy ſeront propoſez, leſquels elle a ſurpaſ‍ſé iuſques à preſent en ceſ‍te louãge d’humanité & clemence. Dauantage la punition qu’on en feroit ſi ignominieuſe : que ſi d’vn coſ‍té on met deuant les yeux la maieſ‍té Royale, en laquelle chacũ à veu la royne d’Eſcoſ‍ſe, eſ‍tant royne d’Eſcoſ‍ſe & de Frãce des deux plus ancienes Couronnes de toute la terre, & apres le ſpec‍tacle miſerable, qu’elle fuſ‍t liuree entre les mains d’vn bourreau : il n’y a ſi felon & cruel cœur tant fuſ‍t il ſeuere & hardy en la condãnation, qui ne fuſ‍t amolly & larmoyãt à l’execution. D’autre part le reſpec‍t du fils du roy d’Eſcoſ‍ſe ſera de quelque valeur, pour reſpec‍ter l’honneur de la mere inſeparable de l’honneur du fils : lequel ne peut eſ‍tre, s’il a bon cœur, qu’il ne ſe reſ‍ſente du des hõneur que ſa mere aura ſouffert par la main des Anglois : tellement que quãd la mere en ſeroit digne, ſi on aime ou reſpec‍te le fils : il faut luy deferer en ceſ‍t endroit qu’on ne deshonore point la mere & luy en elle conſequẽment. Outre les points que i’ay traic‍tez de la iuſ‍tice & de la cõmiſeration, encore adiouſ‍tera-on ce point de l’vtilité du royaume : car on dira ſi on viẽt iuſques là que d’entreprẽdre ſur la perſonne de la royne d’Eſcoſ‍ſe : les Rois voiſins auront vn beau pretexte, voire occaſion, digne de Rois, protec‍teurs des Princes affligez, d’entreprendre vne guerre contre la royne d’Angleterre : de ſorte que penſant aſ‍ſeurer ſon eſ‍tat elle le met en guerre & en danger : pour le moins le roy d Eſcoſ‍ſe ſon fils, comme nous venons de dire, s’il deuient grand : ne ſeroit pas vrayement fils s’il ne haiſ‍ſoit mortellement l’Angleterre, voyant l’outrage qui aura eſ‍té fait à ſa mere : & quoy qu’il trouue bon d’eſ‍tre Roy aſ‍ſeuré par ce moyen, ſi eſ‍t-ce qu’il fera comme Dauid de celuy qui auoit tué Abſalon ſon fils, ennemy & conſpirateur contre ſa vie & ſon eſ‍tat. Voila donc vne haine entre ces deux Royaumes qui ſont à preſent de bon accord , & vne guerre mortelle preparee à venir.
Ie te laiſ‍ſe à penſer maintenant l’amy, ſi ce ne ſont pas là des raiſons & circonſ‍tãces de tel poids qu’elles peuuent bien emporter à vne iuſ‍te balance, tout ce que tu pourrois dire alencontre pour vouloir comprendre la royne d’Eſcoſ‍ſe en la condemnation que nous tenons tous eſ‍tre treſiuſ‍te, ſur les conſpirateurs contre l’eſ‍tat & la vie d’vn Prince.

Le pol. Tes raiſons ont quelque apparence, pour emporter les paſsionnez au party que tu auois prins à deffendre : Mais elles ne peuuent en rien eſmouuoir vn cerueau bien fait vn iugemẽt cler, & vne conſcience nette, qu’elle ne iuge le plus honeſ‍te, le plus iuſ‍te & vtile eſ‍tre touſiours de mon party. Et qu’il ſoit vray, eſcoute vn peu en ſilence ce que i’en ſcay & ce que ie t’en veux dire.
Le premier poinc‍t que tu as allegué de ce que la royne d’Eſcoſ‍ſe n’eſ‍t iuſ‍ticiable de la royne d’Angleterre, ains eſ‍t egalle en puiſ‍ſance à elle, ſouueraine en ſa terre comme elle, & que ce ſeroit vſurper ſur le ſceptre d’autruy, &c. Tout cela à lieu (afin que ie me taiſe de ſa deſmiſsion) quand elle ſeroit en Eſcoſ‍ſe, ou qu’il ſeroit queſ‍tion de ce quelle a faic‍t en ſon Royaume : Car alors la royne d’Angleterre n’y a que voir, & ne la pourroit iuſ‍temẽt recercher en aucune façõ, ſous quelque pretexte que ce fuſ‍t (ſi ce n’eſ‍t pour l’opprefsiõ & tyrãnie qu’elle feroit à l’Egliſe de Dieu & au royaume de Iefus Chriſ‍t, lequel eſ‍tãt eſpandu au long & au large par toute la terre, n’eſ‍t enclos dans aucunes limites. La deffenſe duquel eſ‍t egalement & indifferemment recõmandee à tous Princes de la terre : Pour cecy dy-ie le Prince qui a eſgard à ſon deuoir, peut recercher, chaſ‍tier & combatre ſon cõpagnon qui fait la guerre à Dieu. Conſ‍tantin ſert de bon exemple qui rengea par armes Licinius à laiſ‍ſer en paix les Chreſ‍tiẽs qu’il perſecutoit en ſes terres. Mais de ce que la royne d’Eſcoſ‍ſe a fait eſ‍tãt en Angleterre, qui peut dõter qu’elle n’en puiſ‍ſe eſ‍tre iugee par la royne d’Angleterre ? La ſouueraineté des Rois a lieu en leurs Royaumes : mais depuis qu’ils ſont au royaume d’autruy, leur ſouueraineté n’a poĩt de lieu. Car en la terre d’vn ſouuerain, il n’y a perſonne qui ne luy ſoit inferieur, meſmes en ce qui concerne l’eſ‍tat & la ſeureté de la Republique. L’on voit cõme les Rois en ont touſiours vfé quelque autre Roy qui viene en leur terre, ſoit-il tant amy & parent qu’il voudra, quelle gratification qu’on luy vueille faire, iamais on ne permet qu’il commande ſouuerainement : ſi n’eſ‍t auec autant de puiſ‍ſãce que par courtoiſie on luy ottroye. C’eſ‍t vne choſe pleine de ialouſie que la ſouueraineté, qui ne ſe communique iamais à autruy, de ſorte que toutes les raiſons que la royne d’Eſcoſ‍ſe pourroit alleguer en ceſ‍t endroit font contre elle. Car ſi pour eſ‍tre ſouueraine elle pretẽd que nul ne peut ny doit attenter ſur ſa perſonne, par ce que ce ſeroit entreprendre ſur la perfonne & eſ‍tat d’vn ſouuerain. Pourquoy eſ‍t-ce qu’elle a entreprins & coniuré contre la perſonne de la royne d’Angleterre & ſon eſ‍tat meſmes en ſon Royaume ? Et tout ce qu’elle peut dire pour extoller la ſouueraineté & exemption des Rois fait contre elle. Parce que c’eſ‍t la premiere qui l’a violee, par ainſi elle ne s’en peut plus ſeruir, non plus que celuy qui enfreint vn priuilege, ne s’en peut plus aider, meſmes enuers celuy enuers lequel il l’a rompu, Celuy qui n’eſ‍toit reſpec‍té par le Conſul comme Senateur, diſoit qu’il ne le reſpec‍teroit auſsi comme Cõſul. Ie ne veux pas debatre ſi elle eſ‍t pareille, ou ſubalterne à l’Angleterre : ſi elle eſ‍t encores Royne ou priuee de ſon Royaume, cela eſ‍t certaĩ que les eſ‍tats l’en ont peu deſmettre. Mais quãd elle ſeroit plus aſ‍ſeuree royne ou monarque, quelle n’eſ‍t, puis qu’elle ne craint en la terre d’vn autre Roy faire des entreprinſes pour luy oſ‍ter la vie & la Couronne, ne peut il pas iuſ‍tement dire ? Pourquoy voulez vous que ie reſpec‍te la ſouueraineté que vous auez hors d’icy, que vous ne reſpec‍tez pas la miene en ma terre propre ?
S’il n’eſ‍toit permis à vn Roy de cognoiſ‍tre de tels faits ſur les eſ‍trangers Rois, le meſchãt ſeroit de meilleure condition que l’innocẽt. Il ſeroit loiſible de conſpirer par prodition cõtre les Rois : & les Rois ne pourroyẽt deffẽdre leurs vies & leurs eſ‍tats par la iuſ‍tice. Et tant plus doit il eſ‍tre loiſible à vn Roy de maintenir ſon eſ‍tat par vne iuſ‍te punition ſur vn autre Roy ou Monarque, que ſur vn autre qui ne ſeroit ſouuerain : d’autant qu’encores pourroit on deſirer que le Roy offenſé en requiſ‍t iuſ‍tice au ſuperieur du coulpable, pour n’eſ‍tre iuge ẽ ſa cauſe propre. Mais où il n’y a aucũ iuge par deſ‍ſus le coulpable : ou il faut que les Rois facent eux meſmes la iuſ‍tice, ou biẽ qu’ils ſoyent en pire condition, que les plus infimes. Car à faute de iuge ils n’auroyẽt aucune reparatiõ des torts qui leur ſeroyent faits. Et toutefois la où il n’y a point moyen d’auoir iuge, les loix permettẽt aux ſuiets meſmes de ſe faire iuſ‍tice de leur main.
Au reſ‍te ie te confeſ‍ſe, que (comme tu as dic‍t) les ambaſ‍ſadeurs ſont inuiolables, mais c’eſ‍t tant qu’ils ſe contienẽt aux termes d’ãbaſ‍ſadeurs : Mais quãd ils ſortent hors des bornes de leur eſ‍tat, ils ne doyuẽt plus eſ‍tre tenus pour tels. Les Romaĩs ont attribué la prinſe de Rome par les Frãçois au crime, qui auoit eſ‍té cõmis par Q. Fabius leur ambaſ‍ſadeur enuoyé aux Frãçois, où il tua hoſ‍tilemẽt vn Frãçois, & apres s’en alla à Rome. Les Frãçois demãderent aux Romains, qu’ils le leur baillaſ‍ſent, pour auoir le ſupplice que merite vn ambaſ‍ſadeur qui fait ac‍tes d’hoſ‍tilité.
Les Fecialiens eſ‍toyent d’auis qu’il le leur failloit liurer : autrement que les dieux en ſeroyent fort courroucez & deſplaiſans. Le peuple Romain au contraire ſauua ledic‍t ambaſ‍ſadeur : dont apres l’ire des dieux (comme ils diſent) fut telle contre Rome, qu’ils donnerent la Cité en proye aux François, & ne leur reſ‍ta de tout leur Empire que la petite tour du Capitole. Demades ambaſ‍ſadeur des Atheniens à Antipater, eſcriuoit des letres à Antigonus, pour venir prendre Macedoine & l’Empire de Grece qu’il diſoit ne tenir qu’à vn filet vieil & pourry, pource que Antipater eſ‍toit vieil. Caſ‍ſander le fit mourir cõme traiſ‍tre. Les ambaſ‍ſadeurs des Perſes venus à Amyntas, roy de Macedone, voulurent violer ſes concubines : Alexander ſon fils leur ſuppoſa des garſons qui les tuerent. Antonius fit donner les eſ‍triuieres à vn ambaſ‍ſadeur de Ceſar, & apres le luy enuoya, diſant qu’il auoit parlé trop ſuperbement. Que ſi le ſenat Romain a iugé les ambaſ‍ſadeurs des Tarquins eſ‍tre inuiolables par le droic‍t des gens, combien qu’ils euſ‍ſent conſpiré contre la Republicque : ç’à eſ‍té parce qu’ils ne faiſoyent autre, que la charge que leur maiſ‍tre leur auoit baillee : mais ils en voulurent bien punir le maiſ‍tre de ce qu’ils pouuoyent : Car combien que auparauant ladic‍te conſpiration le Senat euſ‍t accordé de rendre aux Tarquins tous leurs meubles, ſi eſ‍t-ce qu’apres ladic‍te conſpiration deſcouuerte ils les declarerẽt confiſquez & execrables auſsi. La conſequence n’eſ‍t pas bonne, ce qui eſ‍t permis à vn ambaffadeur, ſera permis au maiſ‍tre : car les ambaſ‍ſadeurs ne ſont pas inuiolables, pource qu’ils repreſentent leurs maiſ‍tres : Ains au contraire, les ambaſ‍ſadeurs qui vienent de la part de ceux qu’on voudroit le plus offenſer ne laiſ‍ſent pas d’eſ‍tre inuiolables : Et toutefois ſi on tenoit leurs maiſ‍tres, on les traiteroit hoſ‍tilement : Mais le priuilege des ambaſ‍ſadeurs eſ‍t fondé ſur vn droic‍t de gens, par ce que s’il n’y auoit franchiſe & immunité pour telles perſõnes, toute ſeureté humaine ſeroit perdue, & ceux meſmes qui les offenſeroyent ſont intereſ‍ſez à les cõſeruer, autrement on en feroit autant des leurs.

Les Conſuls Romains reſpondirẽt à Hanno ambaſ‍ſadeur des Carthaginiens, que leurs maiſ‍tres meritoyent qu’on ne leur tint point la foy nõ plus qu’ils l’auoyent tenue à leurs ambaſ‍ſadeurs : mais ils ne vouloyent pas punir au ſeruiteur ce que le maiſ‍tre meritoit, non pour autre choſe que pour la foy publique. D’ailleurs il y a des faic‍ts, qui ſont excuſables voire louables aux ſeruiteurs, freres, enfans & femmes pour vne fidelité & affec‍tiõ ſeruiable & offcieuſe, qui toutefois ſeroyent bien punis aux maiſ‍tres, peres & meres. Les hiſ‍toires des ſeruiteurs qui ont hazardé leur vie pour ſauuer la vie de leurs maiſ‍tres iuſ‍temẽt condamnez, ſont vulgaires & en louange à chacun. Mais ſi les condamnez euſ‍ſent fait de meſme, ils euſ‍ſent eſ‍té doublement punis.
La ſeconde qualité & circonſ‍tance de ce que la royne d’Eſcoſ‍ſe eſ‍t refugiee en Angleterre, & par ainſi ne peut eſ‍tre offenſee ſans reproche & note de perfidie, fait pareillemẽt contre elle. Car d’autãt sõ ingratitude eſ‍t plus puniſ‍ſable, d’auoir voulu oſ‍ter la vie à celle qui luy conſeruoit la ſiene. Si celuy qui n’a rien merité enuers le Prince qui le reçoit à refuge, veut que pour le ſeul reſpec‍t d’humanité on le conſerue : à plus forte raiſon doit il rendre le meſme deuoir à celuy, qui luy a fait deſia vn bon office de protec‍tion, Si ceux qui ont violé le droic‍t d’hoſpitalité aux Princes refugiez vers eux, ſont deteſ‍tables : combien le meritent dauantage ceux qui l’ont violé aux Princes qui les ont receus ?
Ie tiens la foy & ſeureté donnee par la ſeule reception de la royne d’Eſcoſ‍ſe, & accorde que ce ſeroit rompre la foy, d’offenſer celuy qui a eſ‍té receu à refuge : mais c’eſ‍t vne perfidie deteſ‍table d’offenſer celuy qui le reçoit.
Les poetes ont encores plus abondé en tragedies compoſees ſur ce ſuiet, de la punition de telles perfidies, que des premières. Les hiſ‍toires pareillement n’en rapportent que trop d’exemples : la ſeule hiſ‍toire de l’euerſion de Troye pour la perfidie commiſe par Paris à Menelaus, le conſentement de toute la Grece à la punir & ſi obſ‍tiner dix ans, auec toutes les incommoditez & malheurs qu’il eſ‍t poſsible.
Cleomenes roy de Sparte receu à refuge par Ptolomee, fuyant Antigonus, & ayant apres conſpiré contre luy, ſe tua. Ptolomee l’ayant deſcouuert fit pendre ignominieuſement ſon corps, comme indigne de ſepulture. Mais qui eſ‍t celuy là qui voudroit deffendre vne telle deſloyauté, d’vn qui auroit eſ‍té recueilly en ſa miſere par vn autre, & apres auroit conſpiré contre ſa vie ? Qui tient vn tel fait impuny oſ‍te tout le lien de la ſocieté humaine, & fait perdre tous les offices d’humanité entre les Rois, s’ils penſent qu’ayant receu vn autre Roy à refuge, il luy ſeroit loiſible cõſpirer contre celuy qui luy fait bon office, ſans crainte d’aucune punition. Il n’en faut faire iuges que ceux meſmes qui ſont refugiez chez autruy, ceux-là les deteſ‍teront comme pernicieux & dommageables à tous les Princes, tant à ceux qui reçoyuent, que auſsi à ceux qui ont beſoin d’eſ‍tre receus.
Pour la derniere qualité & circonſ‍tance : Tu dis que la royne d’Eſcoſ‍ſe eſ‍tant priſonniere & mal traic‍tee pour ſa condition & dignité Royale, peut licitement tenter tous les moyens pour eſchapper & recouurer ſa liberté. Ceſ‍te opinion eſ‍t veritable, mais qu’elle ſoit bien entendue : c’eſ‍t à dire qu’on ne peut point imputer deſloyauté à celuy, que l’on tient ſur garde, & ne ſe fie on en rien à ſa foy s’il cerche quelques moyens pour euader.
Mais que ſi vn priſonnier pour eſchapper commet quelque crime qu’on ne l’en puiſ‍ſe punir : il s’enſuyuroit que pour eſ‍tre priſonnier, il auroit toute licence de mal faire.
Le plus vrgent argument en ce faic‍t, eſ‍t, de ce que la royne d’Eſcoſ‍ſe pretend eſ‍tre iniuſ‍temẽt, & ſans legitime occaſion detenue priſonniere par la royne d’Angleterre, comme n’ayant eſ‍té prinſe en guerre ou autrement.
Et par ainſi, comme entre les Rois, le glaiue eſ‍t le vray iuge pour punir, & venger leurs faits : Si elle a voulu faire tous appreſ‍ts, pour venger par vne guerre le tort qu’elle pretend que la royne d’Angleterre luy faic‍t, elle ne fait que ce que tous les Rois feroyent en ſemblable cas, & cõme ce duc d’Auſ‍triche fit enuers le roy d’Hongrie duquel tu as parlé. Ie te reſponds que la royne d’Angleterre a ſi bien iuſ‍tifié ſon faic‍t enuers tous les Princes Chreſ‍tiens, & monſ‍tré que tant par les loix & conuenances des deux royaumes d’Angleterre, & d’Eſcoſ‍ſe, que par l’vſage obſerué entre les predeceſ‍ſeurs Rois de l’vn & de l’autre royaume, il luy eſ‍toit loiſible de retenir la royne d’Eſcoſ‍ſe, & luy eſ‍toit impoſsible de la laſcher ſans faire tort aux loix ancienes & à ſon eſ‍tat, qu’il n’eſ‍t beſoin de faire plus grande inſiſ‍tance ſur ce point.
Et meſmes quand bien la royne d’Eſcoſ‍ſe euſ‍t peu pretendre auoir eſ‍té iniuſ‍temẽt faite priſonniere apres auoir faic‍te ceſ‍te conſpiration, lon ne peut dire qu’elle ne le ſoit iuſ‍tement : comme il aduient ſouuent que d’vne bonne cauſe, la pourſuyuant par meſchans moyens l’on la rend mauuaiſe.
Pompee, Caton & le Senat Romain faiſoyent tort à Ceſar de luy refuſer le triomphe ſi iuſ‍tement acquis : toutefois par ce qu’il le pourſuyuoit par conſpirations contre la patrie, il n’y a homme qui n’ait iugé, qu’il auoit fait de ſa bonne cauſe vne mauuaiſe. Si on conſidere toutes les conſpirations qui ſe font à vn eſ‍tat, elles ſont la plus part accompagnees de quelque tort, que l’on a faic‍t à ceux qui vienent iuſques à ceſ‍te extremité & hazardeuſe entreprinſe : mais ne s’enſuit pas pour cela, qu’ils ſoyent innocens & non puniſ‍ſables.

La royne d’Angleterre meſmes ſuffira pour exẽple, en ce faic‍t : y eut-il iamais Princeſ‍ſe plus iniuſ‍tement & tyranniquement retenue priſonniere, plus ſeuerement traitee, plus ſouuent expoſee au danger de mort qu’elle fut par ſa feue ſœur : cõbiẽ qu’elle ne l’euſ‍t iamais offenſee ? Si eſ‍t ce que iamais n’entreprins, ne conſpira contre elle : & quand elle l’euſ‍t entreprins, il eſ‍t ſans doute quelle euſ‍t eſ‍té iuſ‍tement condamnee, combien qu’elle euſ‍t peu pretendre droic‍t à la Couronne. Auſsi Dieu a ouy ſa iuſ‍te plainte, & luy a fait iuſ‍tice de ſa main.
Quand la royne d’Eſcoſ‍ſe auroit eu ſeulemẽt ce but de recouurer ſa liberté, & employer les moyens tendans à s’eſchapper, elle ſeroit excuſable : mais d’auoir voulu vſurper l’eſ‍tat de la royne d’Angleterre & attenter ſur ſa perſonne : c’eſ‍t biẽ indignement recognu, ce que la royne d’Angleterre a fait en ſon endroic‍t. Elle a eu puiſ‍ſance ſur la royne d’Eſcoſ‍ſe, ſur ſa vie, (il eſ‍t certain) ſur ſon eſ‍tat. Les occaſions en ont eſ‍té ſi propres, ſi ſouuent par tant de guerres ciuiles & partialitez qui ſont en ce Royaume-là, qu’il n’y a homme qui par diſcours humain ne le recognoiſ‍ſe : ſi eſ‍t-ce qu’elle n’a voulu iamais attenter ſur ſa vie, ny la liurer és mains de ceux qui la vouloyent faire iuger par les eſ‍tats : encores moins faire entreprinſe ſur le Royaume. Mais au contraire elle a taſché par tous moyens à le pacifier & le conſeruer pour ſon fils : toutefois à preſent elle luy rend tout le contraire.
Ce que l’on peut alleguer pour attirer à clemence la royne d’Angleterre à pardonner ce fait, eſ‍t bien conſiderable pour auoir compaſsion de la royne d’Eſcoſ‍ſe. Auſsi vraye iuſ‍tice doit eſ‍tre accompagnee de compaſsion, & vuide de toute cholere, malice & cruauté. Mais que pour vne pitié, il faille au lieu de iuſ‍tice faire iniuſ‍tice : & s’il faut auoir pitié, en auoir plus d’vne ſeule perſonne, que de tout l’eſ‍tat vniuerſel, ce ſeroit meſurer à fauſ‍ſe meſure, & poiſer à faux poids la clemence, & l’humanité, car s’il faut eſ‍tre pitoyable, ce ſeroit pluſ‍toſ‍t eſ‍tre cruel, que humain, pour ſauuer vn particulier, que on n’aye point de pitié de tout vn peuple, de tant de nobleſ‍ſe, de tãt de familles, deſquels la mort, le pillage, la ruine, & la miſere eſ‍toit toute proiettee par ceſ‍te conſpiration, & ne ſcauroyent eſ‍tre aſ‍ſeurez que par la punition du chef de la coniuration.
Il y a eu des Empereurs qui ont pardonné les conſpirations : Veſpaſien les meſpriſoit toutes, par ce qu’il s’eſ‍toit perfuadé, qu’il ſcauoit le iour, heure, & eſpece de ſa mort.
Ce ſont des exemples dãgereux à imiter : comme de ce pere, qui ayant deſcouuert que ſon fils le vouloit tuer, le mena en lieu où il eſ‍toit ſeul, luy baille l’eſpee, luy dit qu’il le tuaſ‍t, s’il vouloit. Il y a plus de temerité en tels exemples, que de clemence.
Mais en ce fait : il y a vne conſideration plus importante, que en tous les exemples qui ſe peuuent propoſer : & qui met du tout la Royne hors de puiſ‍ſance d’vſer de clemence en ceſ‍t endroit, ſans offenſer Dieu : Car il n’eſ‍t pas icy queſ‍tion, d’vne conſpiration qui n’apportaſ‍t autre changement que d’eſ‍tat, & regne temporel, mais elle importoit changement de la Religion, en laquelle, quand les Princes voudroyent quitter leur offenſe, negliger le ſoin qu’ils doyuent du ſalut, & repos des ſuiets que Dieu leur a baillé en protec‍tion, encores ne peuuent-ils quitter l’offenſe, qui tend à renuerſer le regne de Dieu, ſon honneur, & gloire, & ſon vray ſeruice.
Il eſ‍t certain, que ſi la conſpiration euſ‍t ſorty ſon effec‍t, la Religion euſ‍t changé en Angleterre : l’intelligence du Pape, du roy d’Eſpagne, & du duc d’Albe le deſcouurent aſ‍ſez.
Que la royne d’Angleterre donques ſe repreſente, le iuſ‍te iugement que Dieu fit ſur Saul, pour auoir ſauué la vie à Agag roy d’Amalec, Roy qui auoit coniuré la ruine du peuple, & du ſeruice de Dieu. Ceſ‍te clemence le fit reietter de deuant la face de Dieu, rendit inutiles les prieres de Samuel, iuſques là, que Dieu luy deffendit de prier pour Saul : & fît que le Royaume fuſ‍t tranſporté de luy à ſon prochain, ainſi qu’en parle l’Eſcriture.
Achab ayant donné la vie à Benadab, ennemy & contempteur de la puiſ‍ſance de Dieu, fut condamné par la ſentence de Dieu, prononcee de la bouche du Prophete, qui luy dit que ſon ame ſeroit pour la ſiene. Dieu a voulu que les hommes fuſ‍ſent clemens & doux à pardonner leurs iniures, & ſeueres à punir les ſienes.
Et ſi on regarde bien l’hiſ‍toire ſainc‍te, en laquelle les iugemens de Dieu ſe cognoiſ‍ſent au vray, & par certitude : (Car aux prophanes, ils ne ſe cognoiſ‍ſent que par coniec‍ture.) On verra plus de punitions, ſur les Rois qui ont voulu eſ‍tre clemens aux deſpens de l’honneur de Dieu, que ſur ceux qui ont eſ‍té trop cruels. Saul eſ‍t puny pour clemence : Salomon eſ‍t loué de la ſeuerité : Ioſué, ayant ſans aucune humanité tué trente vn Roy, eſ‍t loué : Saul, & Achab, pour en auoir laiſ‍ſé eſchapper vn, ſont condamnez à mort : c’eſ‍t vne vertu fort recommandable aux Princes que clemence, mais le zele de la Religion, eſ‍t plus commandé que la clemence.
De vouloir perſuader qu’il n’eſ‍t point vtile, de prendre punition de ceſ‍te conſpiration ſur la royne d’Eſcoſ‍ſe, & vouloir faire peur à la royne d’Angleterre des Rois voyſins, elle a deſia eſ‍ſayé, que les entreprinſes des Rois voiſins ne ceſ‍ſeront pas pour reſeruer la royne d Eſcoſ‍ſe : Mais au contraire, il n’y a rien qui ait donné courage, volonté, ny moyen aux Rois voiſins, pour entreprendre ſur ſon eſ‍tat, que la reſerue qu’elle a faic‍t iuſques à ceſ‍te heure, de la royne d’Eſcoſ‍ſe. Il eſ‍t certain que tous les troubles paſ‍ſez en Angleterre, ont eſ‍té braſ‍ſez par elle, & fondez ſur l’eſperance de la faire royne d’Angleterre. Les Rois qui s’eſmouuroyent de ſa mort, ſont ia eſmeus : tant ſous pretexte de la ſeule detention, & du zele pretendu de leur Religion, que, pour dire plus vray, pour l’enuie qu’ils ont de ce beau Royaume, ſi riche, & ſi opulent, qu’ils eſ‍timẽt vne proye bien aiſee, pour eſ‍tre entre les mains d’vne femme, n’eſ‍tant appuyee de perſonne, & de laquelle ils imputent la clemence à timidité, & crainte de n’oſer chaſ‍ttier ceux qui troublent ſon eſ‍tat. La punition de ceſ‍te conſpiration, n’adiouſ‍tera rien à leur mauuaiſe volonté : mais l’impunité adiouſ‍tera bien aux moyens de l’executer. Le Pape, le roy d Eſpagne, ny le duc d’Albe, quelle parentelle, ny confederation, ou amitié ſi eſ‍troic‍te ont ils à ladic‍te royne d’Eſcoſ‍ſe, que pour ſon reſpec‍t ils ayent iamais voulu s’armer contre la royne d’Angleterre ? c’eſ‍t pluſ‍toſ‍t la haine que le Pape, le roy d’Eſpagne, & le duc d’Albe, portent à la royne d’Angleterre, l’enuie qu’ils ont de la voir ſi heureuſe, au plus fort des malheurs de tous ſes voiſins.
L’ambition qu’ils ont de ce Royaume ſi floriſ‍ſant, & encores l’indignatiõ qu’a le Pape, de voir le Religion plantee, tant en ce Royaume, qu’en celuy d’Eſcoſ‍ſe, de voir ſes reuenus, & ſon authorité du tout perdue, ſans eſpoir de recouurement. La royne d’Eſcoſ‍ſe ne leur ſert que de couleur, & de leur fournir de moyens à pratiquer troubles, & remuemens en tous les deux Royaumes : Quand la royne d’Eſcoſ‍ſe ny ſera plus, leur malice demeurera, mais leurs moyens ceſ‍ſeront, & entre autres celuy qui eſ‍t le plus ſpecieux, & auantageux pour leur party : C’eſ‍t que la royne d’Eſcoſ‍ſe ne peut faillir d’eſ‍tre royne d’Angleterre, par le droic‍t de prochaineté, & cours de ſon aage.
Cette conſideration apporte de grands malheurs à l’Angleterre : car les ennemis de la Religion & de la Royne, en ont le cœur enflé, voyant la ſaiſon de leur regne ſi proche : Ses plus affec‍tiõnez ſeruiteurs, en ſont au contraire intimidez, voyans leur ruine d’autant approcher : & les Princes eſ‍trangers ſont retenus à s’aſ‍ſocier à la royne d’Angleterre,ſi ce n’eſ‍t pour mieux la trahir (cõme noſ‍tre Tyran ſouhaite) ſachans bien que l’amitié qu’ils contrac‍teront auec elle, fera autant d’inimitié auec ſon ſucceſ‍ſeur : tellement que ce ſeroit contrac‍ter auec la perſonne, non point auec le Royaume : par ce qu’elle eſ‍tant moins, tout le Royaume ſera renuerſé.
On ne peut gueres baſ‍tir ſur vn fondement, qu’on voit ne pouuoir long temps durer : & (comme dit le prouerbe) Il y a plus de gens qui adorẽt le Soleil leuant, que le couchant. Il eſ‍t certain que ceſ‍te conſideration, desfauoriſe infiniment tous les deſ‍ſeins de l’Angleterre : Mais la facilité que la royne d’Angleterre a, de ſe priuer d’vn tel ſucceſ‍ſeur, & de s’en eſlire vn proche, qui ſoit capable & ſuffiſant, peut coupper broche à tous leurs deſ‍ſeins.
Quant à l’indignation que le Roy d’Eſcoſ‍ſe pourra auoir à l’aduenir, ou contre ceux qui auront fait mourir ſa mere, ou contre ſa mere, qui a fait mourir ſon pere. S’il regarde la raiſon, il a plus d’occaſion de ſe reſ‍ſentir du meurtre de ſon pere, auquel ny a ny occaſion, ny pretexte, ains vn parricide, & perfidie deteſ‍table : que de celuy de ſa mere, qui eſ‍t accompagné de toute la raiſon, & iuſ‍tice, qu’il eſ‍t pofsible de deſirer à vn iuſ‍te iugement : Ioint, que c’eſ‍t vne peur de ſi loin, & ſi incertaine : à ſcauoir de ce que fera vn enfant quand il ſera grand, qu’elle ne merite d’eſ‍tre reputee, au prix d’vn danger preſent & euident.
Outre ce que la comparaiſon eſ‍t fort inegale, de la crainte d’vne guerre externe, à vne conſpiration inteſ‍tine.
 Nous auons dit qu’en affaires d’eſ‍tat, il faut regarder ſi ce qu’on propoſe eſ‍t iuſ‍te, & vtile au public : les autres reſpec‍ts de clemence, de libéralité, de generoſité particuliere, doyuent touſiours ceder à l’vtilité publique : mais il y a encores vn tiers, qui ſurmonte tous autres : C’eſ‍t vne neceſsité publique. Celle-la eſ‍t preferee quelquefois aux loix diuines ceremoniales. Les Machabees qui ne voulurent combatre au iour du Sabbath, demourerent enſeigneurs à leurs ſucceſ‍ſeurs, de faire ceder les ceremonies diuines, à la neceſsité.
Les Romains diſent, que leurs maieurs auoyent ſouuent preferé la neceſsité, à la Religion : Les loix politiques luy cedent. Caton qui en a eſ‍té le plus rude obſeruateur, le perſuada au Senat en la queſ‍tion Catilinaire : aufsi le ſalut du peuple, eſ‍t la ſouueraine Loy d’vn eſ‍tat : car alors, la neceſsité publique fait licite ce qui autrement ne l’eſ‍toit point : A plus forte raiſon ſera-elle preferee à vne douceur, qui n’eſ‍t que volontaire : & à vne clemence, qui traine auec ſoy la ruine de l’eſ‍tat.
Que la neceſsité, & ſalut publique ſoit en ceſ‍t endroit, il eſ‍t aſ‍ſez aiſé à iuger, par ce que deſ‍ſus, où il a eſ‍té monſ‍tré que ceſ‍te conſpiration n’apportoit pas ſeulement changement d’eſ‍tat, mais ruine de Religion.
Il ne reſ‍te donques, que de bien fonder la verité, & certitude du delic‍t : Et auoir intention droic‍te, & ſincere. N’apporter haine, ny paſsions à ce iugemẽt : ains cerchant la verité, deſirer puſ‍toſ‍t trouuer l’innocence, que la coulpe. La coulpe eſ‍tant verifiee, auoir compaſsion du malheur auquel le coulpable eſ‍t cheu : Mais auoir vne balance, & meſure iuſ‍te à ceſ‍te pitié, qui eſ‍t, comme la haine particuliere, ne doit iamais nuire au public, aufsi la particuliere amitié, ou commiſeration, ne doit iamais faire contrepoids, à la pitié que le prince doit auoir, de la ruine publique, & generale de ſon Royaume : & encores moins, au zele qu’il doit à la conſeruation, & amplification du regne de Dieu.
Le Prince qui refuſe la iuſ‍tice à vn ſien ſuiec‍t, eſ‍t coulpable deuant Dieu, à plus forte raiſon celuy qui la refuſe à tous ſes ſuiets d’vn coup, & notamment à ceux deſquels on ſcait que leur mort eſ‍toit iuree par ceſ‍te conſpiration : leſquels (à ce que i’ay entendu) ſont des plus illuſ‍tres de ſon Royaume. Et qui par les fideles ſeruices qu’ils ont fait à la royne d’Angleterre, meritent qu’elle leur oc‍troye, ce qu’elle doit au moindre de ſes ſuiets, qui eſ‍t la iuſ‍tice des machinations qu’on fait contre leurs vies.
 Il eſ‍t certain qu’il n’y a fidele ſeruiteur de la royne d’Angleterre qui n’aye fait, & deu faire tous les offices qu’il a peu, de deſcouurir, accuſer, & cõdamner (chacun ſelon ſa vocation & qualité) vne ſi malheureuſe conſpiration, & qui par là ne ſoit expoſé, à la haine de tous les conſpirateurs, & de leurs complices : & plus ils y auront fait leur deuoir, plus ils en ſeront hays de ceux qui ſont les plus principaux de ceſ‍te conſpiration : de façon, que venant la royne d’Eſcoſ‍ſe à la ſucceſsion du Royaume, ceux qui ont deſcouuert à la Royne d’Angleterre ceſ‍te conſpiratiõ, ſont expoſez eux, & leurs familles, à la haine d’icelle, ſi on la laiſ‍ſe impunie. Qu’eſ‍t cela ſinon pour ſauuer le conſpirateur, & ennemy, laiſ‍ſer en proye en ſes mains, le fidele ſuiec‍t, & auec ce, donner vn treſ-mauuais exemple, à tous ceux qui doreſenauant ſcauront quelque ſemblable conſpiration (comme il eſ‍t à craindre, puisqu’on s’accouſ‍tume à telles fac‍tiõs en vn Royaume, que ceſ‍te-cy ne ſera pas la derniere) à n’eſ‍tre ſi volontaire à la deſcouurir, voyãt la ruine qui leur eſ‍t, & à leur poſ‍terite toute certaine, pour auoir voulu ſauuer la vie, & l’eſ‍tat à leur Royne.
Il ne faut pas aller gueres loin, pour voir les inconueniens, qui arriuent de pareils faits. Qu’eſ‍t-ce qui a rendu le roy d’Eſcoſ‍ſe dernier, delaiſ‍ſé des ſiens, expoſé à la cruauté de ſes ennemis, que pour auoir quitté ſes amis, leſquels luy auoyent deſcouuert ce qui touchoit à ſon honneur, & à ſa vie, s’eſ‍tans montrez ſes bons, & fideles ſeruiteurs, & s’eſ‍tans par la, rendus ennemis de la royne d’Eſcoſ‍ſe, & des miniſ‍tres de ſa lubricité ? Il voulut appaiſer ſes ennemis, & laiſ‍ſer ceux qui luy auoyent voulu faire ſeruice : il luy aduint que depuis, il n’y eut homme qui vouluſ‍t, ou oſaſ‍t luy vſer de pareils offices, lors que le beſoin en eſ‍toit plus grand : auſsi eſ‍t ce vne fidelité, & reſolution bien rare auiourd’huy, quand vn ſuiet deſcouure vn forfait, duquel il voit deux euenemens treſcertains deuant ſes yeux : à ſcau.que celuy qu’il accuſe, pourroit eſ‍tre quelque iour ſon Roy, & auoir ſa vie, ſon honneur, ſes biens, & de tous les ſiens en ſa puiſ‍ſance : & l’autre, Que quoy qu’il ſache dire & verifier, l’accuſé n’en ſouffrira rien.
Si le conſpirateur eſ‍toit quelque perſonne infame, de laquelle ils n’euſ‍ſent occaſion de craindre ſa haine, & inimitié, on pourroit dire qu’ils ont intereſ‍t particulier à ceſ‍te douceur, & clemence, & qu’il n’y auroit que l’exemple publique qui fuſ‍t fruſ‍tré : Mais eſ‍tant celle qui eſ‍t la plus proche à eſ‍tre leur Royne, contre laquelle ils ont deſcouuerte ceſ‍te machination, & les laiſ‍ſer en proye entre ſes mains, il n’y a pas vn de ceux qui s’en ſont meſlez, qui ne doiue penſer, que c’eſ‍t fait de ſa vie, de ſes biens, & de tout ce qu’il a de plus cher en ce monde, ſi la royne d’Eſcoſ‍ſe vient à eſ‍tre leur Royne.
Il eſ‍t à eſperer, que ceux qui ont eſ‍té fideles à la royne d’Angleterre, à la deſcouuerte, & verification de la coniuration, perſeuereront touſiours en la meſme fidelité, quelque danger qu’ils ſe voyent propoſé deuant les yeux. Or c'eſ‍t vne tentation bien dangereuſe, qu’vn Prince pour garantir vn qui eſ‍t digne de punition, mette en telle eſpece de deſeſpoir ſes plus loyaux ſeruiteurs.
Le refus de iuſ‍tice fait par le Prince à ſes ſuiets, meſmement à ceux qui ſont les principaux, pres de ſa perſonne, a eſ‍té touſiours dommageable au refuſant. L’exemple de la mort de Philippe, pere d’Alexandre, ſuffira pour tous : Le deſeſpoir où tous les ſuiets ſe voyent ſans eſperance de protec‍tion de leur Roy, les contraint d’aller cercher leur ſeureté ailleurs.
Or eſ‍t-ce le pire conſeil qu’vn Prince peuſ‍t auoir, de delaiſ‍ſer en deſeſpoir ſes principaux ſeruiteurs, & les contraindre d’aller cercher leur protec‍tion, ailleurs qu’à ſon Prince naturel.
Si l’on s’amuſe à l’opinion que l’on aura de la punition qui ſe feroit : C’eſ‍t choſe trop vaine, que les opinions, & rumeurs des hommes, pour les mettre deuant le ſalut : Fabius Maximus n’en eſ‍toit pas d’auis : Auſsi, quiconque s’arreſ‍te à cela, il monſ‍tre n’auoir guere droic‍te intention.

Ce bon Empereur d’Antonin, aduertiſ‍ſoit les Proconſuls qui alloyent aux prouinces, de n’affec‍ter en la iuſ‍tice, reputation ny de ſeuerité, ny de clemence : car l’vne , & l’autre affec‍tion, deſuoyent du droic‍t ſentier de la iuſ‍tice.
 Ceux qui iugeront ſainement, & ſans paſsion de ceſ‍t affaire, ne pourrõt eſ‍timer la royne d’Angleterre que treſ-iuſ‍te Princeſ‍ſe, treſ-ſage, & bien zelee au ſalut de tout ſon peuple, & à la deffenſe & propagation de la vraye Religion Chreſ‍tiene.
 Ceux qui en iugeront par affec‍tion, & contre la raiſon, ne meritent qu’on ſe ſoucie de leur iugement, ny qu’on diſpute auec eux par raiſon, veu qu’ils la banniſ‍ſent de leur iugement, par leur paſsion particuliere.
Pour concluſion, la punition de ceſ‍te conſpiration ſur la royne d’Eſcoſ‍ſe, ſuppoſe qu’elle ſoit veritablement coulpable, quoy que ſachent dire & alleguer ſes partizans, eſ‍t treſ iuſ‍te, & legitime, par toutes loix diuines, & humaines : vtile, voire treſneceſ‍ſaire, pour le ſalut, & conſeruation de la perſonne de la Royne, & de tout l’eſ‍tat d’Angleterre, & meſmes de ceux, que la Royne a occaſiõ d’aimer le plus. Au contraire, l’impunité, eſ‍t vn vray refus de iuſ‍tice, & de protec‍tion à ſes ſuiets, vn meſpris du ſalut de ſon peuple, & (ce qui eſ‍t plus à regreter) vne deſertion, & contemnement de la conſeruation de l’Egliſe de Dieu, & de ſon pur ſeruice, lequel, comme tu as dic‍t au commencement, y ſeroit de tout point renuerſé, ſi la mort de la royne Elizabeth aduenoit, deuant le ſupplice deu à la royne Marie.
Dieu n’aura faute de moyens pour garantir ſõ peuple eſleu, & amplifier ſon regne : mais malheur au Paſ‍teur, qui aura nourry le loup dans le troupeau : & au laboureur, qui n’a chaſ‍ſé le ſanglier de la vigne du Seigneur. Et comme dit Ezechiel, au 33.chapitre : Celuy qui oit ſonner la trõpette, & ne reçoit point l’aduertiſ‍ſement, ſi l’eſpee vient, & l’occit, ſon ſang eſ‍t ſur luy : & encores apres il adiouſ‍te. La guette qui oyt le ſon de l’ennemy venant, & n’aduertit, ſi l’eſpee vient, & occit vn autre, le ſang de celuy-là eſ‍t ſur luy : Car il eſ‍t mort en ſon peché. Mais il redemandera (dit le Seigneur) ſon ſang de la main de la guette. Il ne faut point dire, ce danger eſ‍t loin de nous, ce ſera apres la mort de la Royne : Dieu luy face la grace de viure longuement : tout bon fidele le doit ſouhaiter : mais c’eſ‍toit le prouerbe des enfans d’Iſrael, duquel le Prophete crie tant, vous auez dit, la prophetie eſ‍t prolõgee, ou ſera d’icy à pluſieurs iours, & apres long temps : Non, dit le Seigneur : I’auanceray le iour, & ma Prophetie ſera auancee, non pas prolongee. Dieu vueille diuertir ce malheur, comme il monſ‍tre bien le vouloir : veu qu’il en donne les moyens ſi iuſ‍tes, honeſ‍tes, vtiles, profitables, neceſ‍ſaires, aiſez, & faiſables.
Amen.
Voila l’amy en ſomme, ce que ie penſe qu’on peut dire ſur ce faic‍t, pour l’eſclarcir, & pour reſoudre, & deſueloper les nuœds de toute la matiere. C’eſ‍t à toy maintenant, ſi tu le trouues bon d’en aduertir les grands de ta cognoiſ‍ſance : afin que rien ne les empeſche, de demander iuſ‍tice à haute voix, & crier tant, que les plus ſourds l’entendent.

L’hi. Ie ſuis tant ſatisfaic‍t : en ton diſcours graue, & prudent : Ie l’ay tellement imprimé au liure de ma memoire : i’ay ſi bonne enuie qu’il ſoit veu, & entendu, de tous les zelateurs du bien public de l’Egliſe de Dieu, & ay de ſi bons moyens, Dieu mercy, pour les en aduertir, que ie ne voudrois pour rien, que nous euſsions employé ceſ‍te heure, à autre deuis quel qu’il ſoit. Mainternant, ie te diray plus gayement comme il me ſemble, tout le ſuccez de mes voyages.

Le pol. Ie t’en prie beau ſire, mais que ce ſoit ſans digreſsion, le temps me dure, que ie ne ſache cõme c’eſ‍t que Dieu a beny tes ſainc‍ts labeurs.

L’hi. Certes amy, ie te puis dire, que i’ay preſque trauaillé en vain, & ie te diray en deux mots cõment reſeruant toutefois à dire quelques particularitez à l’Egliſe qui nous a enuoyé.
 Tu dois ſcauoir amy, qu’au deſpartir d’auec toy, i’ay tant fait par mes iournees, que ie me ſuis rendu, par grace de Dieu, en la Cour de la pluſpart des princes Proteſ‍tans, i’ay eſ‍té en celle de l’Elec‍teur Palatin, du duc Auguſ‍te de Saxe, du Marquis de Brandeboug, des Lantgraues de Heſ‍ſen, du duc de Vvitemberg, du Marquis de Baden, (Ie te les nomme ainſi qu’ils me vienent à la bouche, & non ſelon leurs degrez, ou l’ordre de mon voyage) I’ay eſ‍té à la Cour du duc de Pruſ‍ſe, du duc de Melzelbourg, du duc Iules de Brunzuich, du Prince d’An-halt, du duc de Lunebourg, des ducs de Pomeranie, du comte de Oldembourg, du comte de Hansbach , de l’Archeueſque de Magdebourg, du Roy de Suedde. du Roy de Dannemarc, des ducs de Olſ‍tian : & finalement en la Cour des Comtes de Emden, I’ay auſsi parlé aux Seigneurs du Conſeil des principales republiques d’Allemagne, qui ont receu l’Euangile, ie leur ay bien au long fait entendre, à chacun en particulier, l’hiſ‍toire tragique du Maſ‍ſacre de Paris. I’en ay trouué aucuns d’entre eux, qui eſ‍toyent deſia auertis, par des Eſ‍taffiers de Charles, qui, donnans leur ame au Diable, pour l’amour de leurs maiſ‍tres, auoyẽt voulu perſuader à ces Princes, que l’agneau auoit troublé l’eau au loup. Mais, pas vn d’eux n’auoit eſ‍té ſi mal auiſé de le croire.
Ie leur ay fait entẽdre, autant comme i’ay peu, & ſceu, le ſurplus de la perfidie de Charles de Valois, & des ſiens, leurs deſ‍ſeins, leurs entrepriſes, la calamité de l’Egliſe Françoiſe, le beſoin qu’elle a d’aide, le deuoir qu’ils ont de la ſecourir en ſa neceſsité, comme membres de l’Egliſe Catholique, que nous croyons tous n’ayant qu’vn ſeul chef Ieſus Chriſ‍t : ie leur ay remonſ‍tré le bien qu’il leur en reuiendra, s’ils le font, & le mal ne le faiſant pas : ie leur ay dit là deſ‍ſus, ce que Daniel en auoit prononcé en l’arreſ‍t que tu ſcay, i’ay accompagné mon dire d’authoritez de l’Eſcriture, des ſainc‍ts Doc‍teurs, d’exemples anciens, & modernes, de la raiſon diuine, & humaine : ie l’ay meſmes entrelardé de quelques fables ſeruãs à ce propos : entre autres, ie leur ay recité bien à point (cõme ils me l’ont par apres confeſ‍ſé) la fable que tu ſcay du bon homme Mercier.

Le pol. Ie ne ſcay quelle fable tu veux dire, ie l’orrois volõtiers dire, s’il te plaiſ‍t en prẽdre la peine.

L’hi. Ie penſois que tu la ſceuſ‍ſes mieux que moy : elle eſ‍t aſ‍ſez vulgaire, mais fort conuenable à noſ‍tre fait.Eſcoute.Il y auoit vne fois vn bon homme de Mercier, trafiquant, & frequentant les foires : monté d’vn bon & beau courtaut, qui menoit apres ſoy vn aſne, chargé des balles de ſa marchandiſe : Auint vn iour, ou pource que l’aſne eſ‍toit trop dru, frais, & gaillard, qu il s’eſgaroit à trauers chãps, ne ſe ſouuenãt plus des coups de baſ‍tõ qu’il en auoit receu au parauãt, ou pour quelque autre occaſiõ ſecrete, qu’auoit le maiſ‍tre d’ainſi faire : il auint dis-ie, qu’il s’auiſa de charger ſon aſne, d’vn ballot, d’enuirõ cent liures peſant, plus que ſa charge accouſ‍tumee, vn jour, auquel, par grand deſaſ‍tre les chemins eſ‍toyent empirez, pour l’iniure du temps de la nuic‍t : tellement que le poure aſne, n’auoit garde de regimber, pluſ‍toſ‍t ahanant ſous le faix, eſmouuoit. à pitiè tous ceux qui regardoyent ſa contenance, le ſeul cheual ne faiſoit que s’en rire. Le Maiſ‍tre etant cõtraint de s’arreſ‍ter en vn village, pour payer le peage, enuoya ſon courtaut deuãt, & l’aſne auſsi qui le ſuyuoit, au moins mal qu’il eſ‍toit poſsible, iuſques à ce qu’eſ‍tans arriuez en vn mauuais paſ‍ſage, duquel l’aſne preuoyoit bien qu’il luy eſ‍toit impoſ‍ſible d’eſchapper, ny de paſ‍ſer outre, ſans ſe rompre ou bras, ou iambe, & parauẽture auſsi le col, pria lors affec‍tueuſement le cheual de luy aſsiſ‍ter, & l’aider à paſ‍ſer ce mauuais chemin, ne luy demandant pour tout ſecours autre choſe, ſinon qu’il print ſur ſoy le ballot d’extraordinaire, iuſques à ce, tant ſeulement, qu’il euſ‍t paſ‍ſé par delà ce mauuais paſ‍ſage, promettãt le reprendre apres treſ volontiers deſ‍ſus ſon dos : mais il craignoit autant ce bourbier-là, comme ſa ruine preſente. Le cheual ſe moquãt de l’aſne, au lieu de luy vouloir aider, le menaçoit fierement du rude baſ‍ton de ſon Maiſ‍tre, qu’il diſoit ne pouuoir tarder : que d’obligation, il n’en auoit point à l’aſne, & quand bien il en euſ‍t quelqu’vne, elle ne s’eſ‍tẽdoit point iuſques-là, que de luy perſuader, de faire le vil office de Baudet, qu’il eſ‍toit cheual de nature, plus genereux qu’on ne penſoit, qu’il s’eſ‍toit trouué maintesfois entre les rengs des grands cheuaux : Somme, que quoy qu’eux deux n’euſ‍ſent qu'vn Maiſ‍tre, que leurs offices eſ‍toyent ſeparez, & qu’à chacun le ſien n’eſ‍t pas trop : s’aſ‍ſeurant d’auoir bien toſ‍t ſon paſ‍ſe temps à tenir compte des bõs petits coups de baſ‍ton. Baudet, ſe voyant eſconduit du cheual, craignant les menaces du Maiſ‍tre, voire, & s’aſ‍ſeurant des coups, autant, dit-il lors, me vaut-il mourir icy, que plus attẽdre : mon Maiſ‍tre me tuera de coups. Si ſe mit ſans plus marchãder, à deuoir de biẽ paſ‍ſer outre : mais le bourbier par trop profond, luy ayant rõpu ſon deſ‍ſein l’arreſ‍ta tout court, & de ſorte, qu’il luy fut force d’y mourir, le col caſ‍ſé ſous la charge. Le cheual auſsi mal-enſeigné, que beaucoup de gens de noſ‍tre aage, qui ne rient iamais mieux, qu’alors que quelque mal s’addreſ‍ſe, ſe print à rire auſsi graſ‍ſement, comme s’il eut fait quelque grande conqueſ‍te : mais le Maiſ‍tre arriué, ayant demandé nouuelles de Martin, le voyant mort ſous la charge, fit bien toſ‍t changer contenance, à ce beau monſieur le cheual, luy remonſ‍trant, qu’il eſ‍toit force, de luy charger le baſ‍t deſ‍ſus, qu’il ne vouloir pas laiſ‍ſer perdre ſa marchãdiſe, ny la laiſ‍ſer illec plus longuement.

Le pol.Hé que i’euſ‍ſe volontiers veu la contenance du cheual !

L’hi. Il faiſoit lors (ce dit le compte) vne bien piteuſe grimaſ‍ſe, & n’allegant rien que ſes droits, ſes qualitez, & ſes merites, diſoit, qu’il n’eſ‍toit couſ‍tumier à porter rien plus que la ſelle : Ce qu’il faiſoit bien volontiers, s’offrant à mieux porter ſon Maiſ‍tre, qu’il n’auoit fait par le paſ‍ſé : mais au reſte, qu’il le prioit de ne luy parler point du baſ‍t, que c’eſ‍toit le meſ‍tier des aſnes, qu’on en trouueroit bien vn autre, qui vaudroit trop mieux que Martin : mais, le maiſ‍tre, ne voulant prendre ces raiſons en payement, ayant attaché le cheual à vn arbre, & retiré le baſ‍t, & les balles du bourbier, auec vn regret indicible de la mort du poures Martin, chargea le tout, à l’aide de quelques paſ‍ſans, ſur le dos du ſeigneur Cheual : lequel, ſe rauiſant bien tard, de la faute qu’il auoit faite, refuſant d’aider à Martin, regretta tout le reſ‍te de ſa vie, la mort du bon poure Baudet.

Lepol. Ie t’aſ‍ſeure, que voila vne fable autant à propos, que nul autre qu’on euſ‍t peu forger de ce temps. Hé qu’il fut bien employé à ce vilain, & cruel cheual, de luy charger le tout deſ‍ſus.

L’hi.Il le confeſ‍ſoit bien luy meſmes, & qu’il en pouuoit (ce dit la fable) eſchapper à meilleur marché, s’il eut eſ‍té bien auiſé, ou ſi la compaſsion de l’aſne, luy fuſ‍t peu entrer dans le cœur : mais c’eſ‍toit trop tard.

Le pol. Il eſ‍toit du naturel de ceux, qui ſont ſages apres le coup, il auoit apprins des François, à ne cognoiſ‍tre point ſa faute, qu’alors que le remede eſ‍toit loin.

L’hi. Ainſi donc, cõme ie t’ay dit, pour retourner à mon propos, ces bõs Princes, & Seigneurs, trouuoyent ceſ‍te fable de fort bon gouſ‍t, & recognoiſſoyent facilement, que c’eſ‍toit vne pierre, que ie iettois en leur iardin. ie paſ‍ſay encore plus outre : Ie leur dis, tout ce que Daniel auoit auiſé eſ‍tre bon de faire, pour les vnir & liguer en vn corps, comme ils le ſont, ou doiuent eſ‍tre en vn eſprit, les vns, auec les autres, & tous enſemble auec nous. Ie leur diſcouru de beaucoup de petites choſes, que la concorde a faic‍t croiſ‍tre, & ſurgir : & de beaucoup d’autres bien grandes, que la diſcorde a fait cheoir, & perir. Ie leur dis auſsi là deſ‍ſus l’hiſ‍toire de ce bon vieux Prince, qui ayant vingt & deux enfans, luy vieux, caſ‍ſé, eſ‍tant au lic‍t malade, les ayant fait venir à ſoy, leur commanda de rõpre en ſa preſence, vn fagot de cheneuotes, qu’il auoit fait lier tout expres : mais, comme du plus grand, iuſques au plus petit, ils s’y fuſ‍ſent eſ‍ſayez en vain, luy ſeul, ayant deſlié le fagot, rompit, & fort aiſément, toutes les cheneuotes, vne à vne : leur remonſ‍trant par là, fort dextrement, cõbien l’vnion eſ‍toit puiſ‍ſante, au prix d’vne folle diſcorde. Ie leur dy, que ceſ‍te vnion, & eſ‍troic‍te amitié, & intelligence qui deuſ‍t eſ‍tre entre les Chreſ‍tiens, c’eſ‍t à dire, ce conſentement des choſes humaines, & diuines, conioinc‍t auec vne beneuolence, & charité, eſ‍toit le ſeul lien pour conſeruer & eux, & nous, & toute l’Egliſe de Chriſ‍t eſpandue par tout.
Que les choſes qui aſ‍ſemblent les gens en vn, ſont facilement trouuees entre nous, qui deſirons meſmes choſes, haiſ‍ſons meſmes choſes, & craignons meſmes choſes : que c’eſ‍t ce qui contrac‍te les amitiez parmi les bons, comme auſsi c’eſ‍t la cauſe des fac‍tions & ligues parmy les meſchans.
Pour tout cela pas maille (comme lon dit) & t’aſ‍ſeure, que, me ſouuenant de la prophetie de Daniel parlant de ceſ‍t Empire des Romains, il m’a ſemblé, afin que ie ne mente, parler aux vrais doigts de terre, deſquels Daniel le Prophete, fait mention, tous ſeparez les vns, des autres : aiſez à rompre, & à froiſ‍ſer, ou bien, ainſi que diſoit l’autre, tous preſ‍ts à vẽdre, s’ils trouuoyẽt quelqu’vn qui les vouluſ‍t acheter.
 Voyant que ie ne profitois de rien enuers eux, ainſi comme nous tombions d’vn propos, à l’autre : ie leur ay mis les iugemens de Dieu deuant les yeux. Ie leur ay dit, que ce n’eſ‍t pas le Iuif, qui qui tue Ieſus Chriſ‍t : car il attẽd ſon Meſsie. Que ce n’eſ‍t pas auſsi le Turc : que le Papiſ‍te ne tue nõ plus(par maniere de dire) Iefus Chrift en ſes mẽbres : Il penſe (comme dit l’Eſcriture) faire vn ſacrifice à Dieu, en ce faiſant : qu’il n’y a perſonne qui tue plus veritablement Ieſus Chriſ‍t en ſes membres, que les Rois, Princes, Potentats, & peuples, qui cognoiſ‍ſent Ieſus Chriſ‍t, qui l’ont receu : & laiſ‍ſant neant moins à leurs portes, & comme en leur preſence, maſ‍ſacrer leurs freres, combourgeois, & concitoyens, ſans leur donner aucune aide ne ſecours.
 En ſomme, l’amy, ie t’aſ‍ſeure, que ie n’ay, Dieu mercy, rien laiſ‍ſé à dire, de ce que i’ay eſ‍timé pouuoir ſeruir, à promouuoir vne ſi bonne cauſe. Pour tout cela, comme ſi le fait ne les euſ‍t en rien touché, pas vn d’eux n’a fait ſemblant de vouloir donner vn brin d’aide. Bien ont-ils confeſ‍ſé chacun à ſon tour, que l’ac‍te eſ‍toit treſ-inhumain : la trahiſon treſ-deteſ‍table : Charles de Valois, & tout ſon Cõſeil, le plus deſloyal de la terre : qu’ils ne s’y fieront iamais : Qu’ils s’esbahiſ‍ſent comme c’eſ‍t que les defunc‍ts, (deſquels la memoire leur eſ‍t honorable) apres auoir eſ‍té tant de fois trahis, s’eſ‍toyent, encores à ceſ‍te fois, oſé fier aux meſmes traiſ‍tres. Qu’ils donnent par aduis aux ſuruiuãs de nos freres, de ne iamais plus s’endormir aux paroles de Charles, ny des ſiens, & ne iamais plus mettre bas les armes (que Dieu, & vne iuſ‍te, & legitime deffenſe leur ont mis en main.) Que quant a eux, ils s’armeroyẽt volontiers pour nous : mais leurs gens ne marchent pas ſans argẽt, & nous n’auons pas les moyẽs d’en fournir : qu’ils ſeroyent bien aiſes de trouuer de l’argent, pour foire vne bonne leuee de Reyſ‍tres : mais ils ne ſcauoyent où en prendre, & leurs gens ſont mercenaires, regardans moins à Dieu, qu’à l’argent, cõme nous auons peu voir és troubles paſ‍ſez de la France, où il y auoit des leurs aſ‍ſez, d’vne meſme religion, ſeruans ſans aucune conſcience, ne honte à deux maiſ‍tres diuers, & contraires.
Pour le dire en vn mot, apres beaucoup de paroles, ils m’ont traité, comme l’on traite communément les poures, mendians l’aumoſne à la porte des riches : Ie vois bien qu’il y a pitié en vous, (ce leur dit-on) mais ie n’ay pas que vous donner. Allez de par Dieu, Dieu vous ſoit en aide : Voila comme ils m’ont renuoyé, à mon grand regret, à baſ‍t vuide. Voyant cela, apres les auoir menacez derechef des iugemens de Dieu, qui ne peut longuement ſouffrir vne telle laſcheté, en ceux qui ſe renomment ſiens, qui ne peut ſouffrir, l’Empire de ceux-là demourer debout, qui laiſ‍ſent fouler le ſien aux pieds : ie les ay laiſ‍ſez la : & ay paſ‍ſé de Emden en Angleterre, où i’ay trouué, les nouuelles que i’allois annoncer de la verité des Maſ‍ſacres, eſpãdues au long, & au large par toute l’iſle : les Eccleſiaſ‍tiques, les Nobles , & le peuple, tous eſchauffez à les vouloir venger, ne demandans, que congé de la Royne, pour pouuoir gueer leurs foſ‍ſez. I’ay trouué, en ſomme, les choſes ſi bien diſpoſees, qu’il m’a ſemblé, de prime face, qu’il ne ſeroit ia beſoin de leur faire plus grande inſ‍tance, ny pourſuite de ſecours, que d’eux-meſmes ſans eſ‍tre preſ‍ſez d’auantage, ils s’y achemineroyent aſ‍ſez.
Ce neantmoins i’ay fait la reuerence à la Royne, & aux ſeigneurs de ſon Conſeil, ie leur ay fait entendre l’occaſiõ de ma venue : & la charge que l’Egliſe m’auoit donné : ie leur ay dit là deſ‍ſus que qui voit bruſler la maiſon de ſon voiſin, doit auoir peur de la ſiene : que ces foſ‍ſez qui ſeparẽt la grãd Bretagne du reſ‍te du mõde, ne ſont pas ſuffiſans à empeſcher la flamme de la cruauté de la maiſon de Valois, de voler ſur les Anglois. Qu’on a accouſ‍tumé de porter de l’eau, à la maiſon du voiſin qui bruſle, encore que ce fut la maiſon de ſon ennemy. Ie leur ay auſsi auãcé les meſmes authoritez de l’Eſcriture, les exemples & raiſons, alleguees aux princes Proteſ‍tans, ie leur ay remõſ‍tré qu’il ny eſcheoit qu’à bailler congé à quelques Myllords, qui s’offroyent d’aller à leurs deſpens, à vn nombre de nobleſ‍ſe, & de peuple volontaire, pour voir bien toſ‍t vengé, l’outrage fait à Dieu, & à ſon Egliſe Françoiſe.
Sur cela, la Royne, & la plus part de ſon Conſeil, ne m’a ſceu que dire, ny oppoſer autre choſe, que la ligue, qu’elle auoit freſchement faite auec Charles de Valois, enuers lequel, quoy qu’elle le recognoiſ‍ſe pour tyran, traiſ‍tre, & meſchant, elle eſ‍toit reſolue de garder ſa foy promiſe. Qu’elle voudroit bien qu’il fuſ‍t mort, & que Dieu en fiſ‍t la vengeance, qu’elle l’en prie de bon cœur : mais, que d’aller contre ſa promeſ‍ſe, qu’elle ne le fera iamais. Surquoy, apres luy auoir repliqué, que telle promeſ‍ſe peut eſ‍tre à bon droit comparee à celle d’Herodes, à Herodias, & autres ſemblables, qui ne meritẽt pas d’eſ‍tre gardees, au detriment de la gloire de Dieu : Qu'il y a des promeſ‍ſes, leſquelles ſont bonnes à leur naiſ‍ſance, mais (comme Ciceron le dit) par traic‍t de temps vienent à eſ‍tre dommageables, & pernicieuſes : comme d’vn preſ‍t, qu’on aura promis faire, à vn qu’on tient eſ‍tre bon citoyen, auquel, ſi d’auenture il ſe rendoit ennemy de la Republique, on n’eſ‍t nullement tenu d’accomplir la promeſ‍ſe : qu’ainſi en eſ‍t il de ſa ligue.
Que ſa Maieſ‍té, a promis foy, & homage dés le Bapteſme, au Dieu viuant, ſouuerain Roy, duquel Charles de Valois eſ‍t ennemy iuré. Que dés lors qu’elle fut introduic‍te en l’Egliſe de Dieu, elle contrac‍ta auec les autres membres de l'Egliſe de quelque region qu’ils ſoyent, ligue, & cõfederatiõ inuiolable : que Dieu la ſõme de ſa foy, & toute raiſon diuine, ciuile, & des gens la diſpenſe de celle qu’elle a donnee au Fidefrage : lequel, comme elle peut cognoiſ‍tre, n’a iamais contrac‍té ligue auec elle, que pour la deceuoir, & tromper, & trahir ſous meſme manteau, les poures Huguenots François : Que Dieu, qui luy a fait tant de faueur, que de la tirer de la priſon, à la Couronne d’Angleterre, luy demande preſentement, qu’elle tire hors de la preſ‍ſe, les membres de ſon fils Ieſus, & autres raiſons pregnantes, tirees non ſeulement de l’Eſcriture, laquelle nous monſ‍tre en mille paſ‍ſages, que ie luy alleguois, la ſymmetrie, & bõne intelligẽce, qui doit eſ‍tre au corps de Chriſ‍t ains auſsi, des raiſons, tirees de la neceſsité, de l’eſ‍tat, & d’autres que le ſens commun ſimplement nous dic‍te, nous enseignant de nous oppoſer à ces vilains & execrables mõſ‍tres, & de les retrencher d’entre les hommes, comme ennemis iurez du gẽre humain : Ainſi que Ciceron meſmes, le nous enſeigne, en ſon liure des Offices, duquel ie luy alleguay le paſ‍ſage, en langue Latine, que ſa maieſ‍té entend fort bien, qui dit, que nous ne pouuons ne deuons nous aſ‍ſocier, ou auoir commerce auec les tyrans, pluſ‍toſ‍t nous en eſloigner, & diſ‍traire : & que ce n’eſ‍t pas contre nature, de deſpouiller, ſi nous pouuons, celuy, que nous pouuons honeſ‍tement tuer : que tout ce genre peſ‍tifere, & prophane, doit eſ‍tre exterminé de la communauté des hommes, eſ‍tant choſe treſraiſonnable, tout ainſi comme nous voyons, qu’on retrenche les membres eſ‍tiomenez du reſ‍te du corps, de ſeparer du conſorce, & commune ſocieté des hommes, ces beſ‍tes cruelles, & farouches.
Apres(dis-ie) luy auoir remontré cela, & pluſieurs autres choſes, touchant la charité Chreſtiene, & la nature de la vraye magnanimité, compagne honorable des grands, qui ne ſe monſ‍tre iamais mieux, qu’alors qu’on deffend en toute iuſ‍tice, les foibles, & oppreſ‍ſez & ſes alliez, des brigands, & volleurs : Trouuant ſa maieſ‍té auſsi froide, & gelee à la fin, que ie l’auois trouuee au commencement, ie m’apperceu, que cela ne pouuoit proceder que de la couardie, & puſillanimité du ſexe : & de ce, qu’elle voit ſon Royaume, deſpourueu d’vn grand Capitaine, auquel elle puiſ‍ſe fier vne armee, pour en eſperer vn bon ſuccez : Auſsi que le principal de ſes Conſeillers, qui gouuerne le temporel, & le ſpirituel, (cõme l’on dit, en toutes ſes terres) eſ‍t vn vray couard, & recreu, ſentant ſon clerc trop mieux que ſon gendarme : Et neantmoins (ſelon que quelques vns eſ‍timent) pour ſe dreſ‍ſer vn appuy apres la mort de ſa maiſ‍treſ‍ſe, eſ‍t aux gages de deux autres Rois : Voyãt, dis-ie cela, ie m’addreſ‍ſay ſans ſortir hors de l’Angleterre, à d’autres Myllords mieux zelez, par le moyen deſquels, & de l’Eueſque de Londres, auec quelques gentils-hommes, & marchands, du ſceu & conſentemẽt de la Royne, qu’elle preſ‍toit ſous main, & par l’ẽtremiſe du Sieur, Apfter Ciampernon, on amaſ‍ſa, partie par forme d’aumoſne, partie par forme de preſ‍t, dont quelques vns de nos freres de la Rochelle ſe ſont obligez, enuiron quarante mille francs : à l’aide deſquels, le Comte de Montgomery, qui pour lors eſ‍toit en Angleterre refugié, du vouloir & commandement ſecret de la Royne, accompagné du ieune Ciampernon, de l’vn des Morgans , & de pluſieurs autres gentils-hommes, & ſoldats Anglois, & François, dreſ‍ſa vne petite armee, d’enuiron cinquãte Nauires petits, & grans : entre leſquels, la Royne fournit vn ſien nauire, nommé la Prime-roſe, du port de quatre cens tonneaux : & euſ‍t baillé auſsi le nauire Biſcain de meſ‍ter Hacquin, n’euſ‍t eſ‍té que meſ‍ter Olſ‍tat, Vice-amiral Anglois, auoit enuiron ce temps-là, deſualizé ſur le nauire Biſcain, plus de vingt nauires François, & Vvallons, qui eſ‍toyẽt és haures, & en la coſ‍te d’Angleterre, armez, & preſ‍ts à accõpagner le cõte de Mõgomeri.

Le pol. Et cõment, bon Dieu ! Vn ſeul nauire, pouuoit-il bien deſualiſer vingt nauires armez ?

L’hiſ‍t. Fort aiſément, ainſi comme il les trouuoit dans les haures, où ils ne ſe doutoyent de rien, cõme n’eſ‍tans en rien coulpables, oyans que c’eſ‍toit par le commandement de l’Amiral d’Angleterre le myllord de Clynton, les poures gens n’oſoyent point reſiſ‍ter.

Le p. Voire, mais, quelle occaſiõ auoit le myllord de Clynton, de cõmander que l’on fiſ‍t vn tel vol ?

L’hi.Il n’ẽ auoit du tout point : mais voicy ſon pretexte. La Rovne d’Angleterre, ne ſe contentant point d’eſ‍tre liguee auec le plus meſchãt Tyrã de la terre, voulut auſsi eſ‍tre ſa cõmere, & preſenter au Bapteſme la fille de ce deſloyal : pource faire, elle luy enuoya en ambaſ‍ſade le myllord de Vvenceſ‍ter, pour faire l’office de la part de la Royne.

Le pol. Ie m’esbahys, cõment ceſ‍t que le myllord de Vvenceſ‍ter, ne ſupplia la Royne de l’excuſer, veu qu’il ne pouuoit honeſ‍temẽt & en bonne cõſcience, ie ne dis pas preſenter l’engeãce du Tyrã, ains vn autre enfant de quelque bõ Papiſ‍te que ce ſoit, deuãt l’idole abominable, à vn miniſ‍tre de Satan, ny voir prophaner le ſainc‍t Bapteſme, par leur creſme, par leurs crachats, & autres telles execratiõs cõtraires à l’inſ‍titutiõ, & pratique de Ieſus Chriſ‍t, des Apoſ‍tres, & de l’anciene Egliſe.

L’hiſ‍t. Il ne faut pas que tu t’esbahiſ‍ſes de cela, le myllord de Vvenceſ‍ter eſ‍t Papiſ‍te, Dieu luy face miſericorde. Ie m’aſ‍ſeure qu’vn mylord d’Oktincthõ, vn myllord de Bethford, le ſeigneur de Vvalzingham, qui pour lors eſ‍toit ambaſ‍ſadeur en Frãce, ou quelque autre religieux Seigneur, n’auoit garde d’accepter telle charge, ny la Royne de la luy donner : mais il y a bien de quoy s’esbahyr de la Royne, qui ſcait cõbien telle prophanation eſ‍t deſplaiſante deuant Dieu, & cependãt elle ſe moque de la cognoiſ‍ſance receue, & ſemble n’en faire que le cerf.

Le pol. C’eſ‍t merueille, de voir cõme les grãs (vers de terre neantmoins ) ſe diſpenſent de deſobeir à leur Souuerain, cõme ſi ſa loy treſentiere ne les attouchoit en rien. A ce que tu dis, il ſemble, que tãt plus ce tyrã eſ‍t meſchãt, tãt plus elle l’honore.

L’hi. Elle le fait pluſ‍toſ‍t pour crainte, que pour l’amour qu’elle luy porte : c’eſ‍t cela qui l’a fait auſsi vouloir eſ‍tre ſa belle ſœur, pẽſant eſchapper bien par là, les embuſches de ſon cõpere, & garãtir par ce moyen, l’Angleterre de ſes aguets : mais Dieu ſcait, ſi ce n’eſ‍t pas pluſ‍toſ‍t ſe perdre, ſe rẽdre malheureuſe deuãt le tẽps, & accelerer ſa ruine par les noces du frere, comme la Frãce, par les noces de la ſœur.
Or pour reuenir a mon propos, du vol, & deſualiſemẽt de tãt de nauires. Ainſi que le Myllord de Vvenceſ‍ter s’acheminoit en France, pour l’occaſion que ie t’ay dit, trauerſant de Douure, à Bologne ſur vn bateau, n’ayãt lors que trois bateaux paſ‍ſagers auec luy, il fut aſ‍ſailly par quelques courſaires Angiois, Frãçois, & Vvallons en petit nombre, qui eſ‍toyent dans vn petit nauire, nommé le Poſ‍te : aſ‍ſailly, dis-ie, de ſi pres, que bien peu s’en falut, que le bateau où eſ‍toit le Mylord, ne fut mis à fons, tant y a, que l’vn des bateaux de ſa ſuite, fut preſque tout pillé, & quelques vns de ſõ train tuez. Aucuns diſoyent, que quelque inimitié particuliere contre le Myllord de Vvenceſ‍ter, auoit fait dreſ‍ſer celle partie : les autres, l’amour du butin, & du preſent que la Royne enuoyoit à ſon Compere, au lieu duquel ils vouloyent ſuppoſer vn licol : d’autres penſoyent que c’eſ‍toit vn deſpit & vne enuie de rompre vn ſi vilain voyage, où Dieu eſ‍toit deshonoré. Comme qu’il en ſoit, cela fut cauſe que la Royne, lors irritée, donna charge à ſon Amiral, d’enquerir bien au vray du fait, & de chaſ‍tier les coulpables.
L’Amiral qui ne demandoit pas plus beau ieu pour grobiner, comme il en a bonne couſ‍tume, enquit ſi à point de ce fait, par le moyen de ſes ſuppoſ‍ts, qu’on ne laiſ‍ſa nauire François, ny Vvallõ, de ceux qu’on peut attraper, qui ne fut mis a blãc. Les capitaines, Mariniers, tout l’equippage, voire quelques paſ‍ſagers, furent faits priſonniers, entre autres vn gentil-homme mien amy, Poiteuin de nation, à qui noſ‍tre France doit beaucoup, Hiſtoriographe diligẽt & ſoigneux, & plein d’autres bõnes parties fut auſsi detenu, & tous enſemble ſi bien traitez en leur priſon, quoy qu’ils fuſ‍ſent innocens du fait, que le mieux traité d’entre eux, a bonne occaſion de s’en ſouuenir.
Ce trait, fut cauſe que le comte de Montgomery alla plus tard d’vn mois, au ſecours de la Rochelle, & plus foible de ces vingts nauires, & du nauire Biſcayn, que la Royne auoit promis, qui n’y oſa aller, de peur qu’on n’uſaſ‍t de reuẽche ſur ſon equippage : & fut ce vol cauſe en partie, que la Rochelle ne fuſ‍t point ſecourue, par l’armee du comte de Montgomery : lequel peu de temps apres, ayant ſinglé vers la Rochelle, à la veue, & port de canon des nauires, & galeres, & des forts de l’ẽnemy, qui tenoit le Canal, & entree de mer de la Rochelle gardez, apres luy auoir prefenté la bataille, ſe voyant à ſon auis foible, s’eſ‍tonna : l’ennemy le voyant marchander l’abbord, au lieu qu’à la premiere veue, ſon armee de mer, & de terre s’eſ‍toit (comme on dit) esbranlee, commença à ſe raſ‍ſeurer, & à ſe renforcer par mer, faiſant embarquer dans ſes nauires, à la veue de celles du Comte, enuiron de mille harquebouziers, qui fut cauſe, que le lendemain, le comte de Mõtgomery apres s’eſ‍tre preſenté au meſme lieu en bataille, n’eſ‍tant ſuyui que d’vne partie de ſon armee, rebroſ‍ſa ſon chemin vers Belle-iſle, qui eſ‍t ſur la coſ‍te de Bretaigne, print le chaſ‍teau, & l'iſle d’emblee, & là ſeiourna quelques iours. Vn des parens du comte de Rets, qui eſ‍toit Capitaine du chaſ‍teau de Belle-iſle y fut fait prifõnier, & ainfi pris, mené en Angleterre, où ie le vy chez le Seigneur de la Motte Fenelon, ambaſ‍ſadeur du Tyran.

Le pol. Puisque ce Capitaine eſ‍toit parent d’vn ſi honeſ‍te homme, il ne pouuoit eſ‍tre que braue, & bien excellent guerrier, on ne prent pas tels chats ſans mouffles.

L’hi. Tu ſerois bien marry, ſi tu ne diſois le mot en paſ‍ſant à ton accouſ‍tumee, he dea ! ceſ‍tuy-là n’eſ‍toit pas de ſes parens de maintenant, qu’il eſ‍t comte de Rets, encore moins des parens de Mõſieur le mareſchal de Rets, il luy appartenoit ſeulemẽt, du temps que le pere d’Albert Gondy, Florentin, marchand en ſon viuant à Lyon, venoit de faire freſchement Banque route, du temps auſsi que le Peron, eſ‍toit vn commiſ‍ſaire des viures, aux guerres de Mets : ou du temps qu’il eſ‍toit garſon de coutouër chez Bonuiſi à Lyon, & que ſa mere, fille de Pierre Viue, marchand de Lyon, couroit l’eſguillette par tout.

Le pol. Il ne paya donc gueres de rançon, le vilain, à celuy qui le fit priſonnier.

L’hi. Ie te le laiſ‍ſe à penſer, chacun ſcait biẽ qu’il n’auoit lors vn ſeul double qui fuſ‍t à luy, & auiourd’huy, chacun ſcait bien que pour auoir monté la Mere, ce Landry à tout ce qu’il veut, commãde par tout à baguette, fait changer le quarré, en rond, & a luy ſeul, plus de finances, qu’vne douzaine des plus grands : Mais, pour reuenir à nos moutons, d’où ce bouc m’auoit deſ‍tourné, le cõte de Montgomery eſ‍tant à Belle-iſle, les poures gens de la Rochelle, ayans veu que le ſecours auquel ils eſperoyent le plus, apres Dieu, ne les pouuoit en rien ſeruir, ny ſoulager, enuoyerẽt deuers le comte de Montgomery vn petit eſquif, auec ſept hommes dedans, qui paſ‍ſerent en deſpit de l’ennemy, au trauers de ſon armee, fauoriſez des vens, & des vagues : pour remercier le comte de Montgomery, & le prier qu’il ne ſe miſ‍t aucunement en plus grand danger pour eux, ains ſe reſeruaſ‍t à meilleure rencontre : qu’ils eſ‍toyent reſolus par la grace de Dieu, de ſe bien deffendre, contre les aſ‍ſaux de l’ennemy, & de mourir tous l’vn, apres l’autre, auec leurs femmes, & enfans, pluſ‍toſ‍t que ſe rendre à la mercy de ces perfides.

Le pol.Ce fut vn trait fort magnanime, que celuy de ces bõnes gens. Au lieu que le cœur, cõme il ſemble, leur deuoit faillir, & manquer : il leur eſ‍t lors, tout au rebours, accreu cõtre le ſens cõmun. La neceſsité eſ‍t puiſ‍ſante à faire reſoudre les gẽs : mais certes, Dieu les fortifie touſiours au beſoin.

L’hi.C’eſ‍t tresbien dit. Or le comte de Montgomery voyant le bon courage de ces poures Rochelois, apres leur auoir enuoyé vn batteau à l’auẽture, que l’on dit, auec deux milliers de poudre à canon, & quelque peu de muys de bled, qui par grace de Dieu, arriuerẽt à bõ port, & ſi à point qu’ils trouuerẽt ces bõnes gẽs preſque au bout de leurs poudres, & de leurs bleds, apres cela (dis-ie) craignãt que l’ẽnemy ne le vint charger à defprouueu à Belle-iſle, où il n’auoit ny port ny fort, rõpit ſõ armee, où (ſelon que la creãce en ce tẽps eſ‍t bonne parmy les Capitaines & ſoldats) elle ſe rõpit elle mefme. Le Capitaine Hippi ville, qui auoit vn fort bon,beau, & bien armé nauire, s’alla rẽdre à l’ennemy en Normandie : d’autres tindrẽt la mer & l’eſcumerẽt. Le Comte s’en alla rendre en Angleterre, auec vn biẽ peu de vaiſ‍ſeaux, ſur leſquels eſ‍toyent deux de ſes gendres, ſon aiſné fils, le capitaine Poyet, Caſaux, Maiſon-fleur, la Meauſ‍ſe, des Champs, le capitaine Sore, & certains autres capitaines, gentils-hommes & ſoldats.
La Royne, & les ſeigneurs de ſon Conſeil, qui s’eſ‍toyent promis de l’expedition du comte de Montgomery, vn ſecours de la Rochelle, & poſsible quelque choſe de plus, commencerent à ſon retour d’en rabbatre iuſques là, que au lieu qu’auparauant ils l’auoyent chery, & honoré comme vn demy dieu des batailles, en pleine cour à deſcouuert & preſque tout ioignant la barbe de l’ambaſ‍ſadeur du Tyran, à peine le vouloyent-ils lors voir en ſecret & à cachette.

Le pol. Quelques vns accuſent les femmes, de chãger fouuent leur maintien, & ſous couleur qu’elles ſont legeres, taxent leur ſexe à tous propos, d’vne inconſ‍tance inſupportable : mais quãd tout vn Confeil s’en meſle, c’eſ‍t les iuſ‍tifier de tout point.
Les Romains eſ‍toyent bien d’autre auis au retour de leurs Capitaines : ne les fauoriſans rien moins à la perte, qu’à la vic‍toire : comme Varro nous eſ‍t teſmoin, ayant perdu la grãd bataille qui donnoit Rome à Annibal (s’il euſ‍t ſceu vaincre, comme on dit.) Retournant ainſi tout batu dedans Rome bien deſolee, on ne laiſ‍ſa pas de luy faire comme vn petit triõphe à demy : il leur ſembloit bien que c’eſ‍toit aſ‍ſez de regret & de faſcherie à leurs Conſuls, & capitaines, le deſplaiſir qu’ils receuoyẽt de la perte d’vne bataille, & penſoyent eſ‍tre mal ſeant, redoubler leur mal, par reproches, ou par quelque autre chaſ‍timent : auſsi ſcait-on bien que les armes ſont iournalieres le plus ſouuent, & que tel a bien fait ſur le tyllac vn iour, qui s’en ira le lendemain cacher pres le leſ‍t du nauire : tel a rompu ſon ennemy, qui toſ‍t apres eſ‍t mis en route. C’eſ‍t preſque comme vn ieu d’eſchets, où les pions, mattent ſouuent les Rois, prenent les Cheualiers : les Roynes, forcent les Rocques, & chaſ‍teaux, par fois les fols qu’on loge pres des Rois, font auſsi eux-meſmes l’office, ou iouent au Roy deſpouillé.

L’hiſ‍t. Il eſ‍t certain. L’autre diſoit que tous les dieux iouent des hommes à la pelote, les eſleuant pour s’en mocquer, toſ‍t apres les iettant par terre : mais en ce fait-cy dont nous parlons, c’eſ‍t vne choſe treſ-certaine, que le Dieu des dieux, ſouuerain Dieu des armees, & batailles par ſon treſ‍ſecret iugement, ayant retiré les meilleurs, a affady le cœur des autres arcs boutans, ainſi qu’il ſembloit, de toute l’Egliſe Françoiſe : la dis-ie oſ‍té entierement à la Nobleſ‍ſe, (qu’on appelle) & là dõné & fait à croire aux petits & humiliez : à fin qu’à ſon accouſ‍tumee, par les choſes foibles, & baffes, il confondiſ‍t les fortes, & hautaines : & que par là toute la gloire, & honneur de la deliurance de ſes enfans luy fuſ‍t rendu.

Le pol. C’eſ‍t tresbien dit. Et pour certain, qui ne le voit eſ‍t bien aueugle. Dieu a beſogné puiſ‍ſamment (ce dit la Vierge, au I.de S.Luc) par ſon bras en diſsipant les orgueilleux en la penſee de leur cœur. Il a mis bas les puiſ‍ſans de leurs ſieges, & a eſleué les petits, il a rẽply de biens ceux qui auoyent faim, & a enuoyé les riches vuides. Il a releué Iſrael ſon ſeruiteur, en ayant ſouuenance de ſa miſericorde. Tu cognoiſ‍tras cecy plus clerement, l’amy, quand ie te reciteray ce qui s’eſ‍t paſ‍ſé dedans, & deuant la Rochelle & Sancerre pendant que l’ennemy les tenoit aſsiegez, & que tu entendras la deliurance miraculeuſe que le Seigneur a fait de ces deux villes & de nos freres qui eſ‍toyẽt dans Sancerre. Mais ie te prie pourſuy, & te deſpeche de peur que quelcun ſuruenant, n’interrõpe nos ſainc‍ts deuis.

L’hi. I'en ſuis cõtẽt : i'auray fait en deux mots. Ainfi dõc, quãd ie vey ceſ‍te petite armee qui auoit eſ‍té dreſ‍ſee, cõme tu as peu cõprendre, auec tãt de difficultez, que le Tyrã meſme auoit eſ‍ſayé de rõpre auparauãt, ayãt enuoyé à ceſ‍t effet par diuers iours ẽ Angleterre la Mauuiſsiere, Chaſ‍teauneuf de Bretagne, & Sainc‍t Iean frere du cõte de Montgomery, pour le deſ‍tourner, mais en vain : voyant (dis-ie) ceſ‍te partie la rõpue de tout poĩt, ſans eſperãce d’aucune reſ‍ſource, & quoy que ie m’eſ‍ſayaſ‍ſe de la faire renouer, & de perſuader à la Royne, d’enuoyer des forces au double, luy remõſ‍trant qu’autãt valoit, cõme diſoit l’autre, bien batu, que mal batu : & que touſiours l’Anglois auoit meilleur marché du Traiſ‍tre, l’allant cercher ſur ſes terres auec l’aide des offenſez, que de l’attendre ſur les ſienes apres la desfaite des bons. Qu’il eſ‍toit à craindre que l’Anglois, qui n’auoit bõnement oſé faire ſemblãt de s’en meſler, en fuſ‍t à la fin recerché à plein fonds : & que ce n’eſ‍toit pas oſ‍ter la guerre de deſ‍ſus ſes bras, ains ſeulement la differer. Voyant que tout cela ny ſeruoit de riẽ qu’à les faſcher, qu’à troubler le repos de ceux qui aiment mieux ouyr vn diſeur de bonnes nouuelles, qu’vn Michee, qui leur annonce leur ruine, afin qu’ils auiſent à eux. Apres que i’eu recommãdé au Seigneur auec nosfreres refugiez, nos freres aſsiegez : ie partis de ceſ‍te Iſle-là pour m’en venir par deuers les Seigneurs des ligues.
Là eſ‍tiant apres auoir fait entendre bien au lõg à quelques Seigneurs principaux nos affaires, & par conſequent, ce me ſembloit, les leurs, ie penſois pour la conformité de la Religion, qui eſ‍t entre quatre des plus puiſ‍ſans Cantons & nous, & pour la neceſsité de leur eſ‍tat, qui à bon droic‍t peut craindre l’entrepriſe d’vn Prince tyran & perfide, ennemy de toute liberté ciuile & ſpirituelle : & pour le deuoir auſsi que les Seigneurs des ligues ont a conſeruer & maintenir les François, comme leurs alliez & confederez : ie penſois dis-ie, bien profiter de tant envers eux tous que d’en arracher quelque braue & puiſ‍ſant ſecours contre l’oppreſsion du Tyran,
Mais ie trouuay tout au rebours, que deſia les Cantons Catholiques auoyent enuoyé au grand Boucher ſix mille de leurs poures hommes, pour luy aider à eſgorger & maſ‍ſacrer le reſ‍te des brebis Françoiſes.

Le pol. Qui iamais euſ‍t creu que ces gens euſ‍ſent fait vne ſi grande faute de fauoriſer le party d’vn cruel tyran & perfide : eux grans amis de liberté : eux reputez entre les hommes pour gens qui gardent leurs promeſ‍ſes , & qui deuſ‍ſent par conſequent hayr le Tyran qui les rompt au detrimẽt de tout vn peuple, ie dis peuple leur allié : c’eſ‍t vn dãgereux paradoxe que l’opiniõ de ces gens-là.

L’hi. La faim de l’or inſatiable conduit les gens tout à ſon gré.

Le pol. L’odeur du profit (diſoit l’autre) eſ‍t ſouefue, d’où ſoit qu’elle ſorte. Mais on n’ouyt iamais parler d’vn tel profit ſi execrable, qu’vn homme prene de l’argent d’vn ſien voiſin confederé pour l’aller tuer quand & quand, pour le piller & le deſ‍truire.
Ils ont beau dire, c’eſ‍t du Roy de qui nous receuons la ſolde. Car leurs penſions en temps de paix, & leurs gages en temps de guerre, ne ſont tirez aucunement que du labeur du poure peuple, eſclaue de ce Roy tyran. Auſsi ne ſont-ils alliez au Tyran, tant qu’au Royaume, qu’ils vont tous les iours depredant : mais qui les a enſorcelez encore à ce dernier voyage ? veu qu’il n’y auoit pas vn viuant de ceux qu’ils s’eſ‍toyent fait à croire qui abbayoyent au parauant à la (Côrôna) qu’ils appellent : ils ne pourront à leur retour, ſi quelqu’vn d’entre eux eſchappe, ſe vanter comme aux autres fois, d’auoir ſeuls gardé la Corona, Que lo Rey lor é byn tenu, que ſen celou Monſiou l’Animal & Dendelou ly hoſ‍ſon ota la Corona de deſ‍ſu la teta : puis qu’on ne cerche encore à ceſ‍te fois que d’eſchapper & ſe garder de la fureur des mains meurtrieres.

L’hi.Ils n’ont pas creu touſiours ce qu’ils ont dit : mais il falloit pour cacher leur folie, la couurir de quelque manteau : partant prenoyent-ils ce pretexte, comme le plus ſpecieux. Mais à dire vray la plus part ny alloit que pour deſrober, l’autre pour viure ſimplement, l’autre pour diſsiper l’Egliſe : leurs Chefs cerchoyent de s’agrandir, & d’apprẽdre en ſi bonne eſcole toute ſorte de corruption, & le moyen de tout vouloir & de pouuoir tout ce qu’on veut : à fin qu’vn iour ſuyuant l’exemple de leur beau compere Boucher par ſon moyen & ſa faueur, qu’ils s’aſ‍ſeurent d’auoir propice, ils puiſ‍ſent auſsi à leur tour gouſ‍ter que c’eſ‍t de commãder abſolument, & à baguette par deſ‍ſus tous leurs Citoyens.
Ces ſeules raiſons & non autres les ont fait marcher à ce coup, auſsi bien comme és autres fois.

Le pol. Qui a manié leur leuee ? Car Belieure ny eſ‍toit plus : & ils croyent ce bõ Apoſ‍tre, plus que nul de leur Kalendier.

L’hi. Ce Belieure, duquel tu parles, ny eſ‍toit plus vrayement : mais il auoit fait eſ‍tablir ſon aiſné frere en ſa charge, & luy meſmes y vint à point, ſecõdé d’vn bon coſ‍tiller meſsire Pierre Carpentier, (tu cognois l’homme) & aſsiſ‍té d’vn bon preudhomme le vieux ſecretaire Poulier.

Le pol. O Seigneur qu’eſ‍t-ce que i’oys dire de mõ ancien amy Poulier ! Que ie regrette ce bon homme !

L’hi. Auſsi eſ‍t-il à regreter. Car des autres paſ‍ſe ſans flux. Carpentier a touſiours eſ‍té vn maiſtre frippon effronté, vn Tholozat, c’eſ‍t à dire vn double. Les autres deux ſont entendeurs, ce ſont des Huguenots d’eſ‍tat : ceux à qui le Dieu de ce monde a cillé ou creué les yeux. Mais de Poulier, le cœur me fend, quand ie m’en ſouuiens, de regret.

Le pol. Mon Dieu que ie ſuis deſplaiſant, qu’il face ſi mauuaiſe preuue de la cognoiſ‍ſance qu’il a !

L’hi. C’eſ‍t ſans doute que le poure homme a trauaillé bien lourdement contre la verité cognue. Mais Dieu qui ſcait bien ramener ſes brebis de peur de les perdre, le vint trouuer en ces iours-là, & luy fit ſentir le petit doigt de ſa main forte, trebuſchãt luy & ſon cheual, en vn chemin plain & facile : & pour l’arreſ‍ter court ſur cul, il luy caſ‍ſa la iambe droite.

Le pol.Dieu vueille que ce coup de fouet luy face cognoiſ‍tre ſa faute. Mais quel pretexte propoſoyent-ils, ces gens de bien aux Catholiques ?

L’hiſ‍t. Nul autre, ſi non, quoy qu’il en fuſ‍t, que leur Compere vouloit eſ‍tre maiſ‍tre abſolu en ſon pais : qu’il vouloit, tout coupper & coudre à ſon plaiſir : que nuls ne luy deſplaiſoyenr tant que les Rochellois, qui ne vouloyent ouurir les portes à ceux qui les vouloyent tuer de par le Roy. Et ainſi tout honeſ‍tement, comme qui conuie à des noces, les preſ‍ſoyent d’aller au pillage & carnage des gens de bien, qu’ils diſoyent eſ‍tre des rebelles, ſeditieux à tout iugement.

Lepol. Ie leur nie bien c’eſ‍t article, qu’ils ſoyent ſeditieux ny meſchans, & pourrois bien deuant tous iuges qui ne ſeroyent point paſsionnez prouuer tout outre le contraire.

L’Hiſ‍t. Ie ſerois content de t’ouyr diſcourir ſur ceſ‍te matiere, s’il te plaiſoit prendre la peine de la traiter naifuement, ſelon la conſcience & l’eſ‍tat. Tu ſcais qu’il y a pluſieurs conſciences de timides ſcrupuleux, qui font eſ‍tat de ſe laiſ‍ſer frapper & de tendre auſsi toſ‍t l’autre ioue.

Le pol. C’eſ‍t tresbien fait à des priuez, & pour des iniures priuees de patienter & de ſouffrir, pluſ‍toſ‍t que de rendre la pareille : mais en ce fait il va bien autrement.

L’hi. Ie le ſcay bien, & ne ſuis pas ſi grue, que ie ne ſache comme il s’y faut porter. Et ne doute non plus qu’il ait eſ‍té & qu’il ſoit loiſible à nos freres de ſe garder contre l’inuaſiõ du Tyran, que contre brigans & volleurs, contre des loups & des ſangliers, ou autre beſ‍te plus farouche.
Ie dy d’auãtage auec l’ancien peuple Romain : que d’entre tous les ac‍tes genereux, le plus illuſ‍tre & magnanime eſ‍t, d’occire le Tyran : eſ‍tant, comme tresbien le monſ‍tre Ciceron, vn tel ac‍te, quand bien il ſera executé par vn familier du tyrã, tout plein d’honeſ‍teté & de bien ſeance, conioinc‍te auec le ſalut & l’vtilité de la choſe publique. Mais ce qui me fait deſirer d’entendre de ta bouche la reſolution de ce faic‍t : c’eſ‍t pour me ſeruir des argumens, authoritez & exemples deſquels ie ſcay que tu abondes, à confermer les timides, & reſoudre les ſcrupuleux.

Le pol. S’il faut que ie traite ce point, ie crain d’eſgarer ta memoire de ton diſcours encommencé.

L’hi. Point, poĩt, ne crain pas que ie laiſ‍ſe d’y reuenir, i’auray fait ẽ deux pas & vn faut, Mais cõmẽce ie te prie de traiter vn peu clerement ceſ‍te matiere : elle n’eſ‍t pas hors de propos.

Le pol. Ie le veux bien : Eſcoute.
Premierement il faut eſ‍tablir ceſ‍te maxime : qu’il n’y a qu’vn ſeul Empire infiny : ſcauoir, celuy de Dieu tout puiſ‍ſant, & par conſequent que la puiſ‍ſance de quelque magiſ‍trat & Prince que ce ſoit eſ‍t encloſe dans certaines limites & barrieres, hors deſquelles le Prince ne doit ſortir, ny le ſuiet, s’il les outrepaſ‍ſe, luy obéir : autrement ce ſeroit eſgaler l’Empire du Magiſ‍trat à celuy de Dieu ſouuerain : blaſpheme par trop horrible ſeulement à le penſer. Car quoy que le Magiſ‍trat repreſente l’image de Dieu, ſi ſe faut-il ſouuenir de ce que Dieu a dit par ſon Prophete : Ie ne dõneray pas ma gloire à vn autre. Les magiſ‍trats dõques ſont eſ‍tablis de Dieu, non afin qu’en partageant auec ſa Maieſ‍té ils ſe reſeruent partie de la gloire : ains afin que cõme Miniſ‍tres & ſeruiteurs du Seigneur ils raportent entierement à leur maiſ‍tre toute gloire & tout honneur.
Les Magiſ‍trats, s’ils n’auiſent de pres à leur deuoir, peuuẽt commettre des fautes bien lourdes : ſoit en commandant ce qui repugne à la premiere table de la loy de Dieu : ou en deffendant, ce qui eſ‍t commandé par la premiere table : Tels cõmandemens & deffenſes ſont prophanes & contre toute pieté. Ils offenſent auſsi contre la ſecõde table, quand ils commandent ce qui ne ſe peut obſeruer ſans violer la charité deue au prochain : ou deffendent de faire les choſes lesquelles nous ne pouuons delaiſ‍ſer ſans violer celle charité qui nous doit eſ‍tre inuiolable : tels edits doyuent eſ‍tre appellez iniques.
Ce fondement poſé, que nous deuons au ſeul Dieu toute obeiſ‍ſance ſans nulle exceptiõ, il s’en ſuit, qu’il ne faut pour rien obeir aux edic‍ts prophanes, ou iniques de quelconque magiſ‍trat ou prince que ce ſoit : & par conſequent, que les ſuiets ne peuuent obeir en bonne cõſcience au Roy commandant choſes prophanes ou iniques. Il n’y a pas faute d’exemples en ce point.
 L’edic‍t de Pharao, par lequel il commandoit l'homicide cruel & ſauuage des petits enfans des Hebrieux eſ‍toit inique tout outre. Les ſages femmes ny obeiſ‍ſent point : elles en ſont louees par l’eſprit de Dieu en l’Eſcriture : Dieu recompenſe la pieté de ces bonnes femmes, qui ont ainſi deſobey au tyran, leur edifie des maiſons, beniſ‍t & accroiſ‍t leurs familles.
L’edic‍t de Nabuchadnezar commandant d’adorer la ſ‍tatue, eſ‍toit prophane & contre la premiere table de la loy. Les compagnons de Daniel ny obeiſ‍ſent point : pourtant ſont louez du Seigneur, & conſeruez de ſa main forte au milieu des flammes du feu.
Les edic‍ts de Iezabel ont eſ‍té prophanes & iniques tout enſemble, en ce qu’elle commandoit de meurtrir les Prophetes de Dieu, & les gens de bien. Voila pourquoy Abdias au lieu d’y obeir nourriſ‍ſoit de tout ſon pouuoir les ſeruiteurs du Seigneur.
Les Iuifs entant qu’en eux eſ‍toit empeſchoyẽt Ieſus Chriſ‍t d'annoncer la volonté de Dieu ſon Pere auec deffẽſes menaces. Ieſus Chriſ‍t leur a reſiſ‍té en l’annonceant. Et quoy que nous puiſſions dire qu’en la maiſon du Pere Eternel il a eſ‍té eſ‍t & ſera à iamais fils Eternel de Dieu : toutefois ſelon la diſpenſation du temps d’alors, ſa condition & la police, il eſ‍toit comme perſonne priuee : & toutefois n’a il point obey.
Les Apoſ‍tres ayans receu commandement de ſe taire, & ne point annoncer Ieſus Chriſ‍t, n’auoyent garde d’y obeir.
Il ne ſeroit pas ſi toſ‍t fait ſi ie voulois reciter par le menu le nõbre des teſmoings qui ont ſouffert perſecution, pour n’auoir voulu obeir aux edic‍ts des Rois, Empereurs & autres Magiſ‍trats, auſquels tant s’en faut que nous ſoyons tenus d’obeir, lors qu’ils commandent choſes prophanes ou iniques : qu’au contraire comme nous pouuõs recueillir des exemples alleguez nous ne ſatisfaiſons iamais à noſ‍tre deuoir, ſi en deſobeiſ‍ſant d’ũ coſ‍té, à tels Magiſ‍trats, nous n’obeiſ‍ſons de l'autre aux edic‍ts & commandemens du Dieu ſouuerain, chacun de nous ſelon ſa vocation : vocation dis ie generale ou particuliere : generale par laquelle vn chacun eſ‍t appellé à pratiquer la charité enuers ſes prochains : particuliere ſelon l’eſ‍tat & office auquel vn chacun eſ‍t appellé.
Les ſages femmes donques Egyptiennes ont fort vertueuſemẽt fait en n’obeiſ‍ſant point à Pharao, & en s’acquittant de leur vocation particuliere ont de tout point accomply leur deuoir, conſeruant les enfans que l’edic‍t du tyran auoit deſtiné à la mort.
Ainſi auſsi Abdias, qui non ſeulement ne tua point, ains nourrit & fuſ‍tenta les Prophetes du Seigneur. Pareillemẽt les Apoſ‍tres, qui tant s’en faut qu’ils ſe teuſ‍ſent, qu’au contraire ils annoncerent plus librement la parole du Seigneur. Auſſi eſ‍toit ce leur vocation particuliere, à laquelle ils ne pouuoyent autrement ſatisfaire qu’en ce faifant.
Et partant auiourdhuy és terres des Princes prophanes, ſuperſ‍ticieux & tyrans, deſquels le nõbre n’eſ‍t que trop grand, qui deffendẽt d’annõcer la Parole de Dieu, & commandent d’aſsiſ‍ter aux ſeruices des faux dieux cõtrouuez dans le cerueau des hommes : s’il s’y trouue quelque Chreſ‍tien, (comme Dieu mercy il y en a bon nombre) nous ne dirons pas qu’il ſe ſoit acquitté de ſon deuoir, quand ſeulement il ſe ſera abſ‍tenu de communiquer aux faux ſeruices, ſi quand & quand il ne fait tout ce qu’il luy ſera poſsible pour ſe trouuer és aſ‍ſemblees Chreſ‍tienes, ouyr la parole de Dieu, & communiquer aux prieres & ſacremens de l’Egliſe Chreſ‍tiene.
Le roy Ozias ayant voulu vſurper l’office de Sacrificateur, fut dechaſ‍ſé hors du Temple par Azarias, & oc‍tante autres Sacrificateurs ſes compagnons : deſquels le fait fut approuué de Dieu, & celuy d’Ozias condamné : de ſorte qu’il en fut frappé de lepre de la main du Seigneur & contraint de finir ſa vie tout lepreux, & miſerable, en vne maiſon ſequeſ‍tree & à part.
Cela eſ‍t donc tout reſolu que nous pouuons en bonne conſcience deſobeir aux edic‍ts prophanes ou iniques des Magiſ‍trats, quels qu’ils ſoyent.
Reſ‍te à voir maintenant, s’on leur peut auſsi pareillemẽt reſiſ‍ter en bonne conſcience, & pour quelles raiſons : eſ‍tant choſe toute aſ‍ſeuree, que c’eſ‍t plus leur reſiſ‍ter, que leur deſobeir ſimplement.
Ia n’auiene que ie fauoriſe en ceſ‍t endroit le party de ces furieux & turbulens Anabaptiſ‍tes, que nous confeſ‍ſons tous pouuoir eſ‍tre dignement chaſ‍tiez par le Magiſ‍trat.
Qu’on ne penſe pas auſsi, que ie vueille porter le party des Seditieux, pourtant, ſi ie viens affermer que les ſuiets ſont tenus de reſiſ‍ter par armes, ſi beſoin eſ‍t, au Magiſ‍ttrat commandant chofes prophanes ou iniques,eſ‍tant vne telle reſiſ‍tence, qu’õ fait aux deſ‍ſeins d’vn Magiſ‍trat ſeditieux, vn vray moyen d’oſ‍ter la ſedition, & faire mettre vne bonne paix parmy les peuples.
Mais afin que la queſ‍tion puiſ‍ſe eſ‍tre plus clerement traitee & deſnouee, ie mettray en auant quelques maximes, comme preludes ſeruans à ce faic‍t.
Premierement qu’il y a vne mutuelle & reciproque neceſsitude & obligation d’entre le Magiſ‍trat & les ſuiets : comme il eſ‍t aiſé à cognoiſ‍tre, s’on conſidere l’origine, la cauſe & la fin de l’inſ‍titution des magiſ‍trats.
Cela eſ‍t bien certain que les magiſ‍trats ont eſ‍té creez aux peuples & non les peuples aux magiſ‍trats : tout ainſi que le tuteur eſ‍t cree à vn pupille, & le Paſ‍teur à vn troupeau : non pas le pupille au Tuteur, ou le troupeau au Paſ‍teur. Il falloit donc qu’il y euſ‍t quelques aſ‍ſemblees & troupes d’hommes deuant la creation des Magiſ‍trats. Encores peut-on bien trouuer auiourd’huy vn peuple ſans Magiſ‍trat, mais nullement vn Magiſ‍trat ſans peuple : C’eſ‍t donc le peuple qui a creé le Magiſ‍trat & non le magiſ‍trat le peuple : qui a, dis-ie, creé les premiers magiſ‍trats d’vn commun conſentement, pour la neceſsité qu’il ſe ſentoit auoir pour ſa conſeruation d’vn tel lien & conduite.
Aucuns peuples ont creé des Princes ſur eux, pour eſ‍tre gouuernez & regis en ceſ‍te façon ou en l’autre, tellement toutesfois qu’il demouroit touſiours par deuers le peuple vne bonne portiõ de la puiſ‍ſance & anthorité. On voit cela en l’eſ‍tat Democratique, auquel aucuns eſleus en ceſ‍te charge demandent les auis & recueillent les voix du peuple, n’oſans au reſ‍te rien ordõner ſans ſon conſentement. Ceux-cy ſont appelez Magiſ‍trats populaires.
Autres y en a, qui ayans mieux aimé le gouuernement Ariſ‍tocratique, ont choiſi & eſleu vn certain nombre des meilleurs de leurs citoyens, auſquels ils ont cõmis toute la conduite de leur eſ‍tat & choſe publique.
Ceux qui ont plus priſé le gouuernemert d’vn ſeul, l’ont eſleu & eſleué ſur eux pour les gouuerner & conduire comme Monarque & ſouuerain. Mais il ne ſe trouuera iamais, qu’il y ait eu vn peuple ſi ſot & mal aviſé, qui ait eſleué vn magiſ‍trat ſur ſes eſpaules, auquel il ait donné puiſ‍ſance & authorité abſolue de commander indifferemmẽt tout ce qu’il voudroit au peuple, qui l’auoit eſleu. Au contraire touſiours le peuple en ſe ſoumettant au magiſ‍trat, la auſsi lié & comme attaché à certaines loix & conditions, leſquelles il ne luy eſ‍t permis d’enfreindre ny outrepaſ‍ſer.
On voit encores auiourdhuy cela aux eſ‍tabliſ‍ſemens & couronnemens des Rois : où l’on leur offre certaine forme de iurement, qu’ils preſ‍tent deuant qu’eſ‍tre eſ‍tablis : s’aſ‍treignans par iceluy aux conditions qui leur ſont offertes.
Sous telles conditions le Magiſ‍trat regne, & ſous telles conditions luy doit le peuple obeir, n’eſ‍tant en rien honeſ‍te d’eſ‍tendre le commandement ny l’obeiſ‍ſance hors ou par deſ‍ſus icelles conditions, que nous pouuons appeller, vltro citróque & reciproquement obligatoires.
Nous auons vn ancien exemple de cecy aſ‍ſez à propros au regne d’Iſrael. Dieu eſlit Dauid & ſa poſ‍terité pour regir & gouuerner les Iſraelites. Ils ſe ſoumettent à ſon Empire, ſous certaines conditions & formule de iurement, que l’on peut recueillir des paſ‍ſages de l’Eſcriture, où l’hiſ‍toire du regne du roy Ioas eſ‍t traitee : Là il eſ‍t dit que Ioiada ſacrificateur ſ‍tipulant, l’alliance fut faite comme de nouueau entre Dieu, le Roy & le peuple.
Dieu teſmoignoit par la bouche du Sacrificateur, qu’il recognoiſ‍ſoit ce peuple là pour ſon peuple : & le peuple de ſa part reclamoit Dieu pour ſon Dieu.
Item le Roy de ſon coſ‍té promettoit de regner ſelon Dieu, & le peuple d’obeir au Roy ſelon Dieu.
Le meſme ſerment & alliance ſe trouue faite en l’Eſcriture ſous Ioſias & autres Rois. En ſomme iamais ne s’eſ‍t veu qu’il y ait eu homme eſ‍leué en degré par deſ‍ſus les autres, ſans auoir premierement fait quelques promeſ‍ſes & ſermens au peuple, ou à la nation à laquelle il eſ‍toit prepoſé.
On voit encores auiourd’huy les formules de iurement de l’Archeduc d’Auſ‍triche, du roy des Romains, du roy de France, quoy qu’elles ayent eſ‍té viciees par l’entremiſe de Meſ‍ſieurs les Papes Romains.
Apres auoir veu l’origine & forme de la creation des magiſ‍trats, voyons maintenant quelle eſ‍t la cauſe & occaſion, pour laquelle ils ont eſ‍té creez. Nous trouuerons qu’il n’y en a point d’autre que le ſalut du peuple. Afin, ce dit l'Apoſ‍tre, qu’ils ſoyent en terreur & eſpouuantement aux meſchans, & en ſeureté & conſeruation aux bons.
Ariſ‍tote en ſes Politiques dit tresbien : Que tout ainſi qu’au Pilote, l’heureuſe & proſpere nauigation : au medecin, la ſanté du patient : au Capitaine, la vic‍toire : auſsi au Roy le ſalut & conſeruation du peuple doit eſ‍tre touſiours deuant les yeux.
Et partant le peuple ayant eſleu ou autrement eſleué premierement, le Roy à ceſ‍te fin, le Roy auſ‍ſi eſ‍tant obligé à telle condition toutesfois & quantes qu’il s’en deſuoye : quand de bon prince il deuient Charles 9. quand ſeulement il prepoſe fon priue au public : augmentant auec le detriment du peuple ſes coffres & reuenus : lors l’obligation du coſ‍té du peuple eſ‍t rompue : lors eſ‍t le peuple deliuré de ce qu’il deuoit à ſon Roy. Ne pouuant l’Empire & gouuernement eſ‍tre dit iuſ‍te & legitime, auquel l’on a tellement eſgard au bien particulier du Prince qu’on en vient à intereſ‍ſer le public de tout le Royaume.
Outre ce que dic‍t eſ‍t, il faut qu’vn Roy ſoit legitimement appellé à la Royauté, ſelon les couſ‍tumes & loix du pais, pour pouuoir eſ‍tre dit Roy legitime. Autrement s’il vient à vſurper le ſceptre, il ſe rend indigne du titre & des priuileges d’ũ Roy Cecy ſoit dit tout en paſ‍ſant, en faueur de ceux de Lorraine : ſur leſquels, comme tu ſcay mieux, les predeceſ‍ſeurs de nos Valois ont vſurpé la Couronne.
Or les Rois ſont appellez au royaume, ou par ſucceſsion en lieux où le droit de regner eſ‍t tranſmis aux heritiers : ou par elec‍tion : ou par ſucceſsion & par elec‍tion tout enſemble. Ceſ‍te derniere façon de creer les Rois eſ‍t merueilleuſemẽt à l’auantage & benefice du peuple : eſ‍tant choſe tout aſ‍ſeuree que là où le droit de ſucceſsion eſ‍t ſimplement obſerué, le plus ſouuent la Royauté eſ‍t tranſportee à perſonnes indignes, d’où ſort vne infinité de malheurs & deſaſ‍tres, nous l’auons veu, nous le ſauons, nous le ſentons ſi nous ne ſõmes ladres. Là où l’elec‍tion ſeule eſ‍t pratiquee, on baille entree aux ſeditions & partialitez, deſquelles naiſ‍ſent le plus ſouuent des guerres ciuiles, ruine des peuples & eſ‍tats. Mais quand la choſe eſ‍t temperee, de ſorte qu’on ne reiec‍te pas temerairement la famille ſous laquelle le peuple a accouſ‍tumé d’eſ‍tre conduit : ains enquiert-on diligemment, ſi c’eſ‍t pour le bien du peuple de l’eſlire ou reietter : c’eſ‍t s’y conduire ſagemẽt de tout point Telle eſ‍toit ancienement la façon d’eſleuer les Rois. Ainſi a eſ‍té pratiqué en l’Empire de Dauid (duquel toutefois Dieu eſ‍toit l’autheur & en la famiile duquel il vouloit conſeruer le ſceptre) où les aiſnez n’ont pas eſ‍té eſ‍tablis indifferemment Rois. Roboam apres la mort de Salomon fut appellé par droit de ſucceſsion au Royaume : mais ce fut par l’auis des douze lignees, qui pour c’eſ‍t effet s’aſ‍ſemblerent.
Ces choſes ainſi premiſes, ie vien à la queſ‍tion propoſee. S’il eſ‍t loiſible aux ſuiets de reſiſ‍ter au magiſ‍trat, & iuſques où telle licence s’eſ‍tend. Mais deuant toute œuure, il faut entendre, que les ſuiets ne ſont pas tous d’vne meſme condition. Car les vns ſont ſimplement ſuiets priuez : les autres ne ſont dits ſuiets qu’à raiſon du magiſ‍trat ſouuerain : tels ſont les magiſ‍trats inferieurs.
Mais à ſcauoir mon ſi le Souuerain magiſ‍trat ou Roy eſ‍t tellement ſouuerain, qu’il n’ait nul fors que Dieu eſ‍tably deſ‍ſus luy. Il ſemble bien qu’on pourroit dire que apres Dieu le Roy eſ‍t le premier : ie l’accorde, mais non pas abſolument. Car, comme i’ay defia dit, les gens n’ont iamais eſ‍té ſi ſots & mal auiſez de donner à aucun tant de ſouueraine puiſ‍ſance, qu’ils ne ſe ſoyent touſiours reſeruez de tenir comme par les renes vne bonne & forte bride, de peur que la Royauté, cõme en vn chemin gliſ‍ſant, ne tombaſ‍t toſ‍t en tyrannie.
Mais ils n’ont ſceu ſi bien faire (tant le peuple eſ‍t aiſé à piper) que ce malheur, que ce deſaſ‍tre ne ſoit auenu mille fois.
L’authorité des anciens rois des Romains eſ‍toit ſouueraine, mais elle eſ‍toit retenue par le Senat.
Les anciens Rois dechaſ‍ſez par leur ambitiõ, violence, & paillardiſe, l’authorité ſouueraine demeura au ſenat Romain : tellement toutefois que l’authorité des Tribuns du peuple luy ſeruoit de frein & de bride.
Les Lacedemoniens auoyent deux familles à Sparte, deſquelles ils eſliſoyẽt leurs Rois : le frein & bride qui les tenoit en office eſ‍toyent les Ephores, c’eſ‍t à dire les voyans ou regardans & obſeruateurs. A ceux-cy eſ‍toit loiſible de condamner & chaſ‍tier les Rois, qui abuſoyent de leur charge, comme tu ſcay qu’il auint à Pauſanias.
Tel eſ‍t auiourd’huy en l’empire Romain le Sept-virat : ſcauoir les Princes Elec‍teurs. Ceux-cy n’ont pas ſeulement droic‍t d’eſ‍tablir les Empereurs, ains auſsi de les deſmettre. Teſmoin en eſ‍t : Vvenceſlaus Empereur priué par eux de l’Empire l’an 1400. Munſ‍ter recite la forme de l’abrogation.
Le mefme a eſ‍té obſerué aux Rois de France, du temps que l’authorité des Eſ‍tats (que ceux de Valois ont abbatue) eſ‍toit en ſa force : laquelle auſsi s’eſ‍tendoit iuſques là, comme tu ſcay, qu’il n’eſ‍toit permis au Rois de declarer, ny faire guerre, ny d’impoſer tribut ou ſubſides nouueaux ſans le conſentement des trois eſ‍tats : eſquels neantmoins les gens d’Egliſe n’eſ‍toyent aucunement comprins : ains ſeulement ceux de la Iuſ‍tice, ceux de la Nobleſ‍ſe, & le Peuple. Et eſ‍toit leur authorité telle, qu’ils depoſoyent les Rois quand l’occaſion le requeroit pour leur desbauche, inſolence, faineanciſe, incapacité & autres ſemblables choſes.
Nos hiſ‍toires nous font mention , comme tu ſcay trop mieux, de huic‍t Rois de France deſmis par l’authorité des Eſ‍tats.
Childeric en eſ‍t l’vn, deſmis en l’an 469. Eudon, l’autre deſmis vn peu apres. Vn autre Childeric, l’an 679. Theodoric l’an 696. Chilperic l’an 750. Charles le Gros, l’an 890. Odon, l’an 894. Charles le ſimpie, l’an 926.
Quant à noſ‍tre Charles le traiſ‍tre, ils ne l’euſ‍ſent ia deſmis : il n’eſ‍t pas vray-ſemblable : ils euſ‍ſent eu eſgard à ſes belles vertus, à ſa pieté, à ſa iuſ‍tice : ils euſ‍ſent porté reſpec‍t à ſa mere qui peut tout, & au Peron qui la ſurmonte, & gouuerne tout à ſon tour.
Mais ſi la liberté des Eſ‍tats, n’euſ‍t eſ‍té opprimee, ils euſ‍ſent bien deſmis d’autres Rois, qu’on euſ‍t peu nommer bons, tresbons, les comparant aux moindres traits de ceux que Charles a ioué au poure & miſerable peuple : cõme les Romains demirent Tarquin à raiſon de ſes outrages & violences.
En Angleterre les Parlemens, qui ont meſme puiſ‍ſance qu’auoyent les eſ‍tats en France, ont ſouuent condamné leurs Rois.
Cela eſ‍t hors de toute doute que ceux qui ont la puiſ‍ſance de deſlier, ont auſsi pouuoir de lier.
Et partant és lieux où ceſ‍t ordre eſ‍t eſ‍tably, qu’il y en a quelques vns qui ſeruent de bride aux Rois, & aux loix de ſeure garde : ie dis que ceux là ſans faillir peuuent & doiuent reſiſ‍ter aux iniques ou prophanes commandemens des Rois. Et ne peuuent ceux-là laiſ‍ſer la royauté & legitime gouuernement degenerer en tyrannie ſans commettre vne manifeſ‍te trahiſon enuers le peuple : qui a eſleu tels eſ‍tats principalement à celle fin, qu’ils empeſchent la tyrannie. Que ſi de malheur elle y ſuruient, (comme nous la voyons par nos pechez arriuee à ſon comble, diſpoſant des biens & des corps, de l’honneur & de l’ame à ſon gré) c’eſ‍t aux ſuiets priuez de recourir au remede vers les eſ‍tats : eſ‍tant choſe toute aſ‍ſeuree, que ces trois eſ‍tats ſont comme ſouuerains magiſ‍trats par deſ‍ſus le Roy en ceſ‍t endroit, quoy qu’ils ſoyent priuez & au deſ‍ſous du Roy pour vn regard ordinaire.
Que ſi ce droit là des eſ‍tats vient à deſcheoir & à ſe perdre ? Ie te reſpõs, & fort bien ce me ſemble : que les Rois qui ont ſi ſouuent en leur bouche, qu’on ne preſcrit rien contre eux, nous enſeignent auſsi de dire, qu’il n’y a point de preſcriptiõ contre les droits du peuple & des eſ‍tats. Et que la loy ciuile de laquelle nous vſons, qui a la raisõ pour ſon ame, nous enſeigne & apprẽt, qu’vn poſſeſſeur de mauuaiſe foy ne peut preſcrire aucunement.
Les rois de France promettẽt & iurent à leurs Couronnemens, qu’ils conſerueront, vn chacun en ſon ordre, reng & degré : quand ils font le contraire, qu’ils violent les bonnes loix & les bons edic‍ts en quelque façon que ce ſoit, ils ne ſont plus Rois, ains Tyrans.
S’ils repliquent : Il y a cent ans deux cens, voire ſix cẽs ans que nous vſons de tel & de tel droit. (Car tel eſ‍t noſ‍tre plaiſir) & pour autant ce droit nous eſ‍t preſcrit.
Ie reſpons, que ſi on fueillete les hiſ‍toires de noſ‍tre France, on trouuera qu’il n’y a pas plus de ſoixante ans que la liberté des eſ‍tats y a eſ‍té opprimee, & que les Rois y ont eſ‍té comme l’on dit mis hors de page. Mais quand bien ce ſeroit de plus long temps, ie tourne dire, que la preſcription contre les bonnes mœurs & cõtre les droits du peuple eſ‍t inualide. Mais l’on me dira : Les eſ‍tats ne peuuẽt ou ne veulent s’aſ‍ſembler, ou s’ils s’aſ‍ſemblẽt, la plus grãd part emporte, touſiours la meilleure : ne ſera-il donc permis à vne ou à l’autre partie des trois eſ‍tats, ce qui eſ‍t loiſible à toutes les trois enſemble ? Ie reſpons que non, pour euiter aux partialitez qui s’en pourroyent ſourdre : Ayans à ceſ‍té fin eſ‍té eſ‍tablis trois, que toutes choſes ſe fiſ‍ſent auec bon ordre & ſain iugement : & que le chemin ſoit couppé à la diſsipation du peuple, qui autrement s’en pourroit bien enſuyure.
Qu’eſ‍t-il donques beſoin de faire quand vne partie du corps eſ‍t ſi extremement greuee, qu’elle ne peut plus ſupporter ſon mal ? En tel cas il faudra diligemment conſiderer, quelle eſ‍t la cauſe de ſes plainc‍tes, & le but auquel elles tendent.
Car il y en peut auoir qui ſe plaindront de la tyrannie, enuers lesquels toutefois on n’vſera que de iuſ‍te & legitime commandement.
Eſ‍tans certains de la bonté & iuſ‍tice des complaignans, en ſe ſouuenant qu’il n’eſ‍t pas permis à vne partie, ſoit en chaſ‍teau, ville ou prouince, ce qui eſ‍t propre & appartenant au tout : apres que celle partie greuee aura admonneſ‍té & auerty les autres ſes compagnons de leur deuoir & charge : & qu’ils n’y voudront entendre : il luy ſera permis & loiſible par tout droit & raiſon diuine, humaine, politique & des gens : non de deſmettre le tyrã, iaçoit que par le droit il deuſ‍t eſ‍tre deſmis : mais fort bien de ſe ſouſ‍traire de ſa ſuiec‍tion, & de ſe deffendre contre la tyrannie, & violence de celuy, qui au lieu d’eſ‍tre Paſ‍teur & pere du peuple en eſ‍t le volleur & brigand.
Cela peut il faire en bonne conſcience, & laiſ‍ſer perir cependant qui veut perir à ſon eſcient. N’eſ‍tant aucunement raiſonnable que pour la laſcheté & nonchalance d’autruy mon droit, mon bien, mon honneur & ma vie, voire mon propre ſalut ſoit abandonné & perdu.
Par le droit Feudal, pour les meſmes cauſes que le vaſ‍ſal perd le fief, ſcauoir pour felonie, pour icelles meſmes le haut Seigneur le perd : pource que, comme dit la Loy, l’obligation d’entre eux deux eſ‍t mutuelle & reciproque. Le ſemblable eſ‍t d’entre vn Roy & ſes fuiets, qui luy sõt comme vaſ‍ſaux.
Chacun ſcait combien la puiſ‍ſance des Seigneurs, ou maiſ‍tres enuers leurs ſerfs & eſclaues eſ‍t grande : toutefois ſi le Seigneur ne prouuoit & ſubuient au ſerf en ſa maladie, le ſerf ſans autre manumiſsion eſ‍t declaré libre par la loy : laquelle n’a eſ‍té ordõnee qu’à celle fin que ceux qui ont quelque authorité & puiſ‍ſance n’en vienent point a abuſer.
La condition des ſuiets ne doit pas eſ‍tre pire que celle des ſerfs. Que ſi le ſerf eſ‍t fait libre, quand ſon Seigneur abuſe de ſon pouuoir, pourquoy ne ſera-il le ſemblable des ſuiets ?
Les Suiſ‍ſes, deſquels nous parlions n’agueres ſe ſont ſouſ‍traits, comme les hiſ‍toires en font foy de la ſuietion & obeiſ‍ſance de la maiſon d’Auſ‍triche, à laquelle ils s’eſ‍toyent obligez ſous certaines conditions :pource que la maifon d’Auſ‍triche ne les daignoit accomplir de ſa part. Ainſi ſont ils auiourd’huy libres, ayans ſecoué, non pas abbatu l’Empire de celle maiſon : laquelle cependant cognoiſ‍ſant ſa grand faute à approuué leur ſubſ‍trac‍tion & reuendication de leur liberté.
Quant à nos poures freres de la Rochelle, s’eſ‍tans autresfois diſ‍traits de la ſuietion des Anglois, ils ſe ſousmirent au Roy de France ſous certaines conditions, que Froiſ‍ſard recite en ſon hiſ‍toire.
Toutes les autres villes de la France pareillement ſont ſoumiſes ſous des conditions & auec ſpeciaux priuileges, qu’on leur a iuré & promis. Puis que celuy à qui elles ſont ſoumiſes, n’obſerue ce qu’il a promis, & qu’il n’y a point de moyen d’auoir vn iuge, pourquoy ne leur ſera-il loiſible de ſe diſ‍traire de telle ſuiec‍tion ? Et de ſe faire à vn beſoin iuſ‍tice à eux-meſmes de tant de concuſſions, extorſions, violences, paillardiſes, cruautez, trahiſons & autres telles infametez, deſquelle les brigans & volleurs abuſans du ſacré nom de Roy, de Pieté & de iuſ‍tice, commettent en leur endroit.
Ioram fils de Ioſaphat ayant ſuccedé à ſon pere au royaume de Iuda, introduiſit les dieux eſ‍trãges & le ſeruice des Idoles parmi le peuple. Lobna ville ſacerdotale en Iuda voyant cela, ſe retira de luy pour ne plus eſ‍tre ſous la main de Iorã : pource, ce dit l’Eſcripture, qu’il auoit delaiſ‍ſé Dieu le Seigneur de ſes peres. 2.Chron.21.
Il n’y a nulle doute qu’entre nous, les loix diuines ne doiuent eſ‍tre en plus grand poix & eſ‍time que les humaines.
Le Magiſ‍trat eſ‍t eſ‍tably pour eſ‍tre en terreur aux meſchans. Ceux-là ſont plus meſchans, qui violent les loix diuines, que ceux qui ſimplement contreuienent aux loix humaines. Or s’il eſ‍t permis de ſe ſouſ‍traire du magiſ‍trat violant la police humaine, à plus forte raiſon de celuy qui a violé toutes choſes ſainc‍tes, voire l’humanité meſmes, qui a deſpouillé toutes affec‍tions naturelles, ſecoué entant qu’en luy eſ‍t tout ioug et cognoiſſance de la deité, & corrompu & diſsipé en toutes ſortes la Religion, laquelle eſ‍t le principal lien de la ſocieté humaine.
Item s’il faut fuyr la ſedition en la police humaine, à plus forte raiſon la faut il fuyr en l’Egliſe de Dieu & aſ‍ſemblee Chreſ‍tiene : laquelle eſ‍t liee & conioinc‍te eſ‍troitement par le treſ‍ſainc‍t & ſacré lien du ſainc‍t Eſprit. Cependant en la tyrannie Eccleſiaſ‍tique du Pape, qui a corrompu toute doc‍trine & violé tout ordre en l’Egliſe, n ayant eſ‍té permis d’aſ‍ſembler vn Synode libre, qui euſ‍t eſ‍té comme les trois eſ‍tats en la police, auquel il euſ‍t fallu recourir, n’ayant, dis ie, eſ‍té loiſible de l’aſ‍ſembler, parce qu’il euſ‍t eſ‍té beſoin le demander aux meſmes tyrans, & par conſequent approuuer la tyrannie Papale : cependant, dis-ie, il a eſ‍té permis à vne partie, pendant que la plus grand part ſommeilloit en profondes tenebres, de ſe diſ‍traire d’icelle tyrannie, ſans encourir entre les bons le nom de ſciſmatique. Pourquoy eſ‍timerons-nous ceux-là ſeditieux qui ſe retirent de la ſuiec‍tion d’vn magiſ‍trat periure, perfide, cruel oppreſ‍ſeur de peuple, mangeſuiet, de l’infameté duquel toute la terre eſ‍t infec‍tee ?
L’hi.Mon Dieu que ie ſuis aiſe de t’auoir ouy auancer & deduire tant de bonnes & belles raiſons pour la iuſ‍tification de nos freres. Elles ne ſont que trop ſuffiſantes pour prouuer, qu’il a eſ‍té loiſible à la Rochelle & autres villes & provinces oppreſ‍ſees du reng deſquelles on peut mettre toute la France, au quatre coins & au milieu, de l’obeiſ‍ſance & ſuiec‍tion du tyran : & pour le moins de ſe deffendre contre l’inuaſion de ſes ſatellites, concuſsion de ſes officiers, oppreſsion de ſes gabelliers, violences & infametez de ſa cour : Et, pour le dire en vn mot, contre tout ce qui procede de luy & de ſes Ianniſ‍ſaires.
Et tant s’en faut qu’en ſe deffendant, ou retirant du tyran, on acquiere le nom de ſeditieux, qu’au contraire ceux-là ſont treſmauuais concitoyens, compatriotes, & mauuais voiſins, qui ne s’adioignent à eux.
Le pol. Cela eſ‍t hors de difficulté, que ceux qui deſirent la conſeruation de la France, & ſur tout de l’Egliſe de Dieu, ſe doiuent ioindre à eux. Et aſ‍ſeure toy, que ceux qui par couardie, ou autrement laiſ‍ſent les ſecourir, orront vn iour & à bon droit prononcer la ſentence contre eux, que Debora donna contre la ville de Meros, pourtant qu’elle ne vint point à l’aide du Seigneur cõtre Iabin roy de Chanaan. Iug.5.22.& 23.
Cependant le Seigneur ne lairra point de faire ſon œuure, pour paracheuer leur entiere deliurance, comme il a commencé, ainſi que ie te diray. Mais ie te prie paracheue ce que tu as à dire, & te deſpeche, afin que i’aye auſsi quelque peu de loiſir de t’entretenir de ce qui s’eſ‍t paſ‍ſé en mon voyage.
L’hi. Ie le veux bien : que pleuſ‍t à Dieu que les Seigneurs des cantõs Papiſ‍tes t’euſ‍ſẽt ouy diſcourir en plein Cõſeil de la iuſ‍tice de la cauſe de nos freres, de la puiſ‍ſance des magiſ‍trats, & iuſques où elle s’eſ‍tend. Ie m’aſ‍ſeure que cela ioint auec les autres occaſions qu’ils ont de tenir pour ſuſpec‍tes les forces des tyrans, qui ne pardonnent iamais aux loix, aux confederations & ligues : ains plantent touſiours leurs limites là où le bout de leurs eſpees s’eſ‍tend, les euſ‍t engardez de deſpeupler leurs terres, & de deſgarnir leurs maiſons de leurs gẽs. Cela, dis-ie, euſ‍t eſ‍té ſuffiſant, pour faire que le Conſeil euſ‍t arreſ‍té tout court les plus ambitieux & auares, & les euſ‍t engardé d’emmener leurs combourgeois à la boucherie. Cependant cela eſ‍t fait : il n’y a plus d’ordre, & ie m’aſ‍ſeure qu’ils ne feront pas grand mal aux noſ‍tres pour ce coup cy.
Le pol.Ie t’en reſpons & te le iure : ils n’ont eu garde d’approcher plus pres que de l’artillerie les murailles de la Rochelle, que ſi aucuns ont paſ‍ſé outre, ils ont eſ‍té tresbien frottez. Mais voila le mal qu’ils ont fait : ils ſe ſont faits battre & tuer, eux qui aiment leur liberté, pour nous vouloir rauir la noſ‍tre : & ont touſiours en ce faiſant veſcu deſ‍ſus Iaques bon homme. Puis rapporteront au retour l’argent & ſueur du bon homme, apres qu’ils l’auront bien pillé. S’ils apprenoyent vne fois à cognoiſ‍tre la grande difference qui eſ‍t d’entre vn tyran & la Couronne, qu’ils appellent, voire d’vn Roy à ſon Royaume : ie m’aſ‍ſeure qu’ils n’auroyẽt garde d’outrager, d’offẽſer & perdre vn ſi grand & ſi puiſ‍ſant corps, comme eſ‍t celuy de Frãce, à l’appetit d’vn ſeul tyran , & pour les paſ‍ſions d’vne femme.
L’hi.Certainement ie le croy. Mais, comme i’ay dit, c’en eſ‍t fait pour ce coup cy : vne autre fois ils pourront eſ‍tre poſsible quelque peu plus ſages.
Quant aux Cantons de la Religion, ils n’ont garde d’y auoir enuoyé de leurs gens : pluſ‍toſ‍t leur ont-ils deffendu ſur peine de la vie d’y aller, & cõmãdé de ſe tenir preſ‍ts & armez, tãt ils ont craint és premiers iours apres le maſ‍ſacre, que quelque orage tombaſ‍t deſ‍ſus eux, & ſur leur eſ‍tat. Et cela a eſ‍té cauſe, auec la crainte auſsi qu’ils auoyent de faire naiſ‍tre vne guerre ciuile d’entre eux & les cantons Papiſ‍tes, qui deſia, comme ie t’ay dit, eſ‍toyent embarquez du coſ‍té du tyran, qu’ils n’õt baillé aucun ſecours à nos freres : quoy qu’ils confeſ‍ſaſ‍ſent ingenuement d’y eſ‍tre tenus & obligez par la loy de Dieu & des hommes.
Bien eſ‍t vray qu’ils ont monſ‍tré & tous leurs ſuiets auſsi d’auoir vn extreme deſplaiſir & compaſsion de noſ‍tre fait m’aſ‍ſeurant en teſmoignage de leur bonne volonté que tous les François Huguenots foruſcis ſeront les tresbien venus & ſeurement cõſeruez en leurs terres : & qu’ils n’oublieront riẽ du deuoir de charité enuers eux : mais qu’ils ne pouuoyent du tout rien plus que cela pour maintenãt : deſia auoyent-ils recueilly à Baſle & bien fort honorablement les petits ſeigneurs de Chaſ‍tillon, & de Laual, Meſdames d’Andelot & de Teligny, la damoiſelle de Laual & pluſieurs autres gentilshommes & peuple François, & auſſi bon nombre de Miniſ‍tres refugiez, qu’ils entretienent çà & là à leurs deſpens deſ‍ſus leurs terres.
Le pol. Dieu ſoit loué, de ce que leur charité au moins ſe monſ‍tre en cela qu’ils recueillent liberalement ces ieunes Seigneurs & nos autres freres François : ils ne ſcauroyent mieux condamner toutes les ac‍tions du tyran, ſes proſcriptions & cruautez, qu’en vſant d’hoſpitalité enuers les poures oppreſ‍ſez qu’ils iuſ‍tifient en les hebergeant.
L’hi. Ie t’aſ‍ſeure l’amy, qu’ils le font fort volontiers. Le ſemblable auſsi (ce que i’auois oublié à te dire) font les Seigneurs Proteſ‍tans : & de meſme la royne d’Angleterre par tout ſon Royaume & pais, recommandant les eſ‍trangers autant quelle peut à ſes ſuiets.
Le pol. Dieu leur vueille rendre, & à tous ceux qui vſent de telle charité, le guerdon qu’il leur a promis au nom de ſon fils Ieſus Chriſ‍t noſ‍tre Seigneur.
L’hi. Ainſi ſoit-il. Oray-ie acheué de te dire tout ce peu que i’ay exploic‍té en mon voyage, excepté pour ne point mentir, quelques particularitez ſecretes, qu’on m’a chargé de faire entendre à ceux qui nous ont enuoyé. C’eſ‍t maintenant à toy l’amy, à m’entretenir à ton tour de ton voyage.
Le pol. C’eſ‍t bien raiſon. Sus donc, eſcoute.
Ainſi que i’approchois la France, par tout là où ie logeois i’oyois tant dire de nouuelles des volleries & inhumanitez qu’on exerçoit ordinairement par les chemins, emmy les champs & par les villes, & ie tenois cela pour ſi certain, qu’il me ſembloit bien que i’allois à vne mort toute preſente ou bien à vn ſecond enfer : tellemẽt que peu s’en fallut, tant mon infirmité fut grande, que ie ne rebroſ‍ſaſ‍ſe mon chemin auec vn vœu de iamais ny rentrer. Et n’euſ‍t eſ‍té que noſ‍tre Dieu, que ie me prins lors à prier, me fortifia & me fit paſ‍ſer outre ſur toutes ces difficultez, i’euſ‍ſe fuy auec vn Ionas, pluſ‍toſ‍t que de faire ma charge. A la fin ie m’y hazarday : mais ie ne fu pas ſi toſ‍t en France, que dés la premiere iournee ie m’apperceu trop cleremẽt que i’eſ‍tois au vray monde des miſeres & dans vn royaume de beſ‍tes, ou biẽ plus toſ‍t de traiſ‍tres & brigans. A la premiere hoſ‍tellerie où ie logeay, i’entendy vn qui ſe plaignoit de la grande cherté de viures : l’autre diſoit, les groſ‍ſes tailles qu’on va redoublant tous les iours, ces grands impoſ‍ts nous ruinent, nous mangent : & puis les inuentions nouuelles que ces bougres d’Italiens donnent au Roy pour arracher du peuple tous les deniers de ſa ſueur, nous acheuent à bon eſcient de peindre : au diable ſoyent les Atheiſ‍tes : ils vienent la plus part en France pour nous aider à eſcorcher, pour nous gabeller & nous tondre, & pour ſuccer iuſques au ſang les poures gens. Les autres y vienent auec vne main de papier, ou auec vn liure de raiſons, Dieu ſcait quel liure : ils dreſ‍ſent apres leur banque dans Paris, dedans Rouen, ou dedans Lyon : & lorsqu’ils ont bourſe garnie, ils font le ſaut, la Banque route. C’eſ‍t le vray moyen de gaigner, voire de paſſer en credit les plus grands Princes de la France. Et qu’il ſoit vray qu’on le demande au Peron, au comte de Rets. Tu te trompes, repliquoit l’autre, il eſ‍t paruenu autrement que tu ne penſes le bon homme : ne ſcay tu pas ce qu’on dit en prouerbe :
Pour bien ſeruir & loyal eſ‍tre,
De Maquereau on deuient traiſ‍tre :
Traiſ‍tre, Maquereau & Ruffien
Ne peut faillir d’auoir du bien.
De par le gibet, c’eſ‍t le moyen de paruenir. La Royne mere ayãt receu ceſ‍tuy-là, dont tu parles, entre ſes premiers eſ‍tallons, la recognu eſ‍tre vn digne inſ‍trument pour illuſ‍trer la grandeur de ſa race, & la Maieſ‍té de ſes enfans, pour redreſ‍ſer les ruines de la France, & pour appuyer & ſouſ‍tenir ce poure Royaume, que ceux de Guyſe auoyent tant esbranlé : qui, lequel donques ? ce Landry, ce fils de putain du Peron : la male peſ‍te qui le creue auec ſa dame Brunehaut, repliquoit vn autre poure homme : ils ont fait eux deux plus de mal que ne firent iamais enſemble tous les Lorrains & les Guiſars : ce n’eſ‍toit lors que belles roſes au prix des ronces, dont ceux cy eſgratinoyent le poure peuple. Et puis les Lorrains, les Guiſars, ce ſont des Princes appartenans en pluſieurs ſortes à la France : & poſsible auſsi que la France leur pourroit bien appartenir.
Mais ces deux-cy ces Florentins, auec l’aſne qu’ils ont choiſi, ce meſchant bougre de Chancelier : ces trois Italiens tant fameux, chacun ſcait d’où ils ſont venus : mais on n’entend pas leurs menees.
Ie ne ſcay pas s’on les entend, diſoit vn autre, ſi ſcay-ie bien qu’on eſ‍t biẽ ladre s’on ne les ſent.
Ce ſont ceux là qui nous ont remis auec le Gonſage, & Lanſac, ainſi auant dedans les miſeres & calamitez, qui nous accableront tous enſemble.
Adiouſ‍tez y le Roy luy-meſmes, & ſon frere le beau Monſieur : vous ne ſcauriez dire, lequel de tous ceux là vaut mieux que l’autre. Que pleuſ‍t à Dieu qu’ils fuſ‍ſent tous chaſ‍trez comme ils le meritent. Le chaſ‍timent du Parricide, c’eſ‍t de les ietter à val l’eau dans vn ſac de cuir, bien couſu auec vn ſerpent, ce me ſemble, vn coq & vn ſinge auſſi. O que cela conuiendroit bien à vn Charles le parricide ! à Catherine la couleuure, le coq ſeroit noſ‍tre Monſieur, & le Peron ſeroit le ſinge : ce ſeroit aſ‍ſez de ces quatre, les autres auroyent belle peur. On purgeroit toſ‍t le Royaume de garnemens : ie m’aſ‍ſeure bien, diſoit l’hoſ‍te, que s’ils s’en vont à la Rochelle, ils n’en reuiendront ia tous : ou il y aura de la iuſ‍tice auſsi peu au ciel qu’en la France. Toutefois ceux-cy n’ont garde d’aller auant dãs la meſlee, ils craignẽt les coups, les tyrans. Mais il y font aller les autres pour en auoir leur paſ‍ſetemps. Hé que de braues gentilshommes, que de ſeigneurs, que de ſoldats y vont mourir : c’eſ‍t grand pitié : c’eſ‍t grand dommage. Si l’eſ‍tranger nous venoit ſur les bras, A dieu la France, elle tomberoit aiſément és mains du premier aſ‍ſaillant, maintenant qu’elle eſ‍t deſpourueue & qu’elle s’en va deſpouillant iournellemẽt de ſes bras droits, de ſes parreins, ſes deffenſeurs.
Voila la plus part des deuis que i’entendois tenir à table, auprès du feu dans les logis. Et Dieu ſcait ſi ces harẽgueurs en deſpitant à tous propos accompagnoyent leurs beaux diſcours de iuremens & de blaſphemes, ie n’eu onques tant de regret, i’eſ‍tois contraint leur laiſ‍ſer dire, ie n’oſois point me deſcouurir ny faire ſemblãt de mõſ‍trer quel des partis ie maintenois. Cependant i’allois pourſuyuant mon chemin, n’ayant eu preſque iamais faute d’vn entretien de meſme eſ‍toffe ſelon les gens que ie rencontrois : Dieu voulut qu’vn iour ie trouuay par les chemins deux gentils-hõmes de la Religion, qui s’eſ‍toyent depuis les maſſacre reuoltez de peur de la mort, bien montez & armez de meſmes qui s’en alloyent tout droit au camp aſ‍ſemblé deuant la Rochelle : non pas, ce diſoyent-ils, afin de faire mal aux aſsiegez : que pluſ‍toſ‍t ils mourroyent mille morts que le penſer : ains ſeulement pour empeſcher qu’on ne confiſcaſ‍t tous leurs fiefs & qu’on les rendiſ‍t roturiers, ſuyuãt le ban qui en eſ‍toit fait & publié par toute la France contre ceux qui refuſeroyent de ſe trouver en celle armee : & auſsi pour plus ſeurement garantir, eux & leurs familles en monſ‍trant l’atteſ‍tation de leur ſeruice.
Ces poures gens à demy morts de la faſcherie qu’ils auoyent d’auoir offenſé Dieu contre leur conſcience portoyent vn incredible regret des cruautez exercees ſur nos freres, des trahiſons, deſloyautez & autres confuſions qu’on voyoit emmy le Royaume. Et en ſouſpirant maintefois monſ‍troyent de porter vne enuie de recouurer leur liberté, comme qu’il fuſ‍t, fuſ‍t ce au prix de leur vie, ſi l’occaſion ſi preſentoit.
Ceux-là m’aſ‍ſeurerẽt que Sancerre, où i’auois enuie d’aller tout premierement eſ‍toit de bien pres aſsiegee, & la Rochelle tout de meſmes, qu’il n’y auoit moyen d’y entrer ou de ſe gliſ‍ſer dans le parc des ouailles qu’en ſe meſlant auec les loups, lors qu’il y a eſcarmouche dreſ‍ſee : mais que le dãger y eſ‍toit grand de toutes parts. Oyant cela apres auoir prins langue d’eux ſur ce qu’ils ſcauoyent de l’eſ‍tat de nos freres aſsiegez : entendant qu’ils eſ‍toyent aſ‍ſez bien garnis pour quelques temps & reſolus d’eux tresbien deffendre, ie prins mon chemin tout droit vers nos freres du Dauphiné, que ie trouuay ẽ pluſieurs endroits de leur poure patrie eſpars ſous diuers Capitaines, qui par montagnes & couſ‍taux, qui par les champs, qui par les villes, par les villages & chaſ‍teaux.
Montbrun, Mirebel, l’Edyguier, & auec eux nõbre de gentilshommes eſ‍toyent ceux-là qui conduiſoyent nos poures freres ramaſ‍ſez, armez au moins mal qu’ils ont peu pour ſe conſeruer tous enſemble contre l’effort des ennemis, leſquels ils battoyent bien ſouuent & eſ‍toyent battus à leur tour.
Apres que i’eu fait entẽdre aux principaux des Chefs & du Conſeil l’occaſion de ma venue, & qu’ils m’eurẽt ouy tout au long, ils remercierent beaucoup de fois Dieu & l’Egliſe qui m’auoit enuoyé, de la bonne ſouuenance & cõpaſsion qu’elle auoit de leur eſ‍tat, des bons auis & ſainc‍tes ordonnances, que Daniel leur auoit dreſ‍ſees : les recognurent fort neceſ‍ſaires à leur conſeruation. Mais pour ce qu’il y pourroit auoir des difficultez ſur quelques articles : & principalement, quãd il ſeroit queſ‍tion de les mettre en pratique, pour le peu de cognoiſ‍ſance que les Frãçois ont d’vn eſ‍tat libre, & bien conduit : ayans eſ‍té preſque touſiours nourris en ſeruage, & commandez à baguette comme l’on dic‍t, au plaiſir de ceux que les Rois leur eſleuoyent deſ‍ſus la teſ‍te : Car tel eſ‍toit leur plaiſir : Ils prioyent que ie ne trouuaſ‍ſe pas eſ‍trange ſi eux, (qui auoyent eſ‍troic‍te confederation, & intelligence auec nos freres de Languedoc, Viuarez, & autres) me renuoyoient auec quelqu’vn d’entre eux au Conſeil qu’on tiendra à Niſmes, pour ordonner de leur eſ‍tat & police.
Quant à eux, ils cognoiſ‍ſoyent facilement qu’ils auoyent beſoin parmi eux de ces deux nerfs tant excellens pour tenir les vices en bride, & les ſoldats en leur deuoir : à ſcauoir de la diſcipline Eccleſiaſ‍tique, & de la diſcipline militaire : ayans au reſ‍te tout ce qui rendoit les hommes hardis, & vaillans : A ſcauoir eſ‍t, la bonne cauſe, qui rend la conſcience toute aſ‍ſeuree, d’où le bon cœur a accouſ‍tumé de ſortir, & la neceſsité de ſe deffendre, qui rend les couards, courageux pour conſeruer leurs biens, leurs vies, leur honneur, leur ſalut, & celuy de leurs familles, contre la rage de ces traiſ‍tres, qui les aſ‍ſaillent à credit, d’vn cœur animé à mal faire, alteré du ſang innocent, qu’ils eſ‍toyent tous bien reſolus de iamais plus ne s’y fier : & de ne plus poſer les armes, quelque paix qu’on leur ſceuſ‍t offrir, s’on ne leur bailloit de bons gages, bons oſ‍tages, & reſpondans.
Sur ces mots, de ne poſer les armes, pource que le ſeigneur de Gordes, qui cõmande pour le tyran en Dauphiné, auoit reſcrit à quelqu’vn des chefs de nos freres, des letres fort douces, luy promettant de le conſeruer, & bien traiter, s’il vouloit mettre bas les armes, il y en eut en la cõpagnie qui releuerent ces mots (de ne plus les poſer) leur ſẽblant bien qu’ils ne pourroyent moins faire, quand cela ſeroit commandé par le tyran, (ne voyans pas les bonnes gens, que ça eſ‍té touſiours la ruſe des ennemis, de les deſarmer premierement, pour les ſurprendre plus à l’aiſe ſous le beau manteau de la paix.) L’opinion de ceux-cy fut cauſe que la reſolutiõ fut reuoquee en doute, & la queſ‍tion miſe ſur les rengs, à ſcauoir mon qui premier doit laiſ‍ſer les armes, nos ennemis, ou nous. La matiere fut débattue à plein fonds, pro, & contrà, iuſques à ce qu’vn ieune homme, braue, & gaillard qui a l’entendement bien fait, nourry aux letres, & aux armes, & verſé en matieres d’eſ‍tat, là reſolut en ceſ‍te ſorte, & preſque ſous ces meſmes mots.
Si on diſpute par le droit, il n’y a celuy qui ne confeſ‍ſe qu’on ne peut iuſ‍tement requerir quelcũ qu’il ceſ‍ſe de parer, de mettre la main au deuant, & de ſe deffendre, que premier on n’ait ceſ‍ſé de tirer, de frapper, & d’offenſer : car eſ‍tant toute choſe qui a vie, naturellement apprinſe à la conſeruer, c’eſ‍t conſequemment vn ordre du tout naturel que qui cerche de l’oſ‍ter, doit ceſ‍ſer, premier que celuy qui ne taſche qu’à la retenir : & ne ſe peut preſumer qu’il en laiſ‍ſe la volonté, tãt qu’il en retient les moyens tous deſployez entre ſes mains. Donc pour vuider ceſ‍te queſ‍tion, il faut voir qui eſ‍t l’agreſ‍ſé, & qui l’agreſ‍ſeur, qui pourſuit, & qui ſauue ſa vie : qui tire les coups, & qui met le bouclier au deuant, & cela fait, elle eſ‍t reſolue.
Chacun ſcait, que quelques mois auãt ces troubles derniers, les François de la religion monſ‍trerent bien qu’ils ſe fioyent merueilleuſement en la parole de celuy qu’ils cuidoyent eſ‍tre bon Roy, quand ils remirent volontiers entre ſes mains, long temps auant le terme, les villes qu’il leur auoit baillees pour s’y couurir cõtre les coups des ennemis publiques de la paix.
Ceſ‍te fiance, ne pouuoit eſ‍tre ſans grande amour : ne ceſ‍te amour, ſans fort prompte obeiſſance. Ils eſ‍toyent tous paiſibles, & auoyent tellement effacé de leur eſprit toute ſouuenance de guerre, qu’à peine ſe ſouuenoyent-ils où eſ‍toyẽt leurs armes.
Le 24. d’Aouſ‍t par le malheureux Conſeil des perfides, proietté de plus longue main, ſous l’appaſ‍t de banquets & nopces, les principaux d’entre eux furent meurtris dans le palais Royal, & dans la capitalle ville du Royaume : ce maſ‍ſacre fut ſuyui preſque par toutes les autres principales villes, contre la volonté du roy Charles neufieme, (s’il faut croire à ſes premières letres de declaration) nonobſ‍tant que les officiers de ſa Couronne, ſes autres ſatellites, courtiſans, & archers, & les gouuerneurs des prouinces (comme chacun ſcait) commençaſ‍ſent la tuerie, & que les parlemens, & ſieges Royaux y tinſ‍ſent la main : & que les maiſons de ville fiſ‍ſent, ou aidaſ‍ſent l’execution : tellement qu’en l’eſpace de quelques iours, tous ceux de la Religion qui ſe retrouuerent és villes furent miſerablement mis à mort : encores toutesfois ne priſmes nous pas les armes : mais partie de nous ſe contenta de fuyr, partie de fermer la porte, par vn mouuemẽt naturel, à la mort qui nous pourſuyuoit.
Finalement quelques vns de nos freres, fondez ſur leſdic‍tes letres que le roy Charles auoit eſcrites, eſquelles il declaroit, que ceux de Guyſe auoyent commencé ces tueries à Paris, pour preuenir la vengeance que l’Amiral reguary euſ‍t peu faire de ſa bleſ‍ſeure, ou ſes amis, pour l’indignation qu’ils en receuoyent, & ſur quelques autres declarations qu’il faiſoit, que ces Maſ‍ſacres auoyent eſ‍té faits contre ſa volonté, & qu’il en feroit la punition, ſe refolurent de deffendre leurs portes, contre ceux qui auec groſ‍ſes armees venoyẽt pour leur coupper la gorge dans leurs maiſons : & apres infinies proteſ‍tations, voyans les glaiues teints du ſang de nos freres, appreſ‍tez contre le leur, cercherent les moyens de s’en parer, & ſe couurir au moins mal qu’il leur fut poſsible Dont il appert que nous auons prins les armes pour nous deffendre, & non pour offenſer autruy, & que par conſequent c’eſ‍t à ceux qui pourfuyuent noſ‍tre mort, de mettre les armes bas les premiers.
La loy ciuile permet à l’eſclaue, pourſuyui par ſon maiſ‍tre courroucé, l’eſpee au poing, preſ‍t de la luy mettre au trauers du corps, de luy fermer la porte de ſa chambre meſme, pour s’y ſauuer : & s’il la veut forcer, de la barrer le mieux qu’il peut : & s’il l’efforce plus outre, de ſe mettre cõtre luy, pour luy empeſcher l’entrée.
Que ſi ce n’eſ‍t point le maiſ‍tre qui fait ceſ‍te violence : mais quelques gallands de maiſ‍tres ſeruiteurs, qui ſous l’authorité du maiſ‍tre le veulent tuer, il n’y a doute que la loy ne luy permette encores dauantage. Et ſi on luy dit, qu’il ouure hardiment, qu’on ne luy fera point de mal, & qu’il refuſe de ce faire tãt qu’on a des armes à la main, il n’y aura aucun qui le condamne : d’autant qu’en l’eſpouuantement où il eſ‍t reduit, ne pouuant, s’il ouure, & qu’on le vueille tromper, auoir recours qu’a ſe ietter par les feneſ‍tres, il ne peut eſ‍tre aſ‍ſeuré qu’on n’ait point de volonté de luy nuire, tant qu’il voit qu’on en retient les moyens en ſa main.
Or les Rois, quand ils ſont bons, ſont appellez Peres du peuple, & par conſequent ils doyuent traiter leurs ſuiets comme enfans. Et la loy qui donnoit aux Maiſ‍tres puiſ‍ſance de vie & de mort ſur les eſclaues, (qui depuis fut fort moderee par les Empereurs) n’eut oncques lieu ſur les enfans. Dont appert qu’en ce cas, il eſ‍t beaucoup plus permis aux enfans, qu’aux eſclaues : & plus requis des Peres que des Maiſ‍tres : eſ‍tant choſe toute aſ‍ſeuree que les ſuiets doyuent eſ‍tre tenus en autre reng que d’eſclaues.
Quel ſera donc l’office d’vn Pere en ceſ‍t endroit, d’vn pere (dis-ie s’ainſi le faut nommer) que les enfans, de la bonté deſquels il a ſi ſouuent abuſé, ne redoutent pas ſans grande occaſion, voyans leurs freres tout freſchement morts deuant leurs yeux ? Sera-ce ſeulement de leur monſ‍trer bon viſage ? de leur parler doucement d’vne paix ? de leur monſ‍trer la main ? Mais quand ils la voyent armee d’vn glaiue tout ſanglant : quand ils le voyent enuironné de ceux qui les ont tuez, & de leurs plus grands ennemis : mais quand ils ſcauẽt que luy-meſme a commandé tout ce forfait : a auoué tous les maſ‍ſacres, & proietté les trahiſons, Eſ‍t-il poſsible qu’ils le puiſ‍ſent reputer aucunement Pere ? Et quand bien ils ſeroyent ſi fols, pourront-ils bien hauſ‍ſer leurs yeux, pour luy cõtempler le viſage, ou prendre garde à ce qu’il dit ? Que fera donc vn Pſeudo-pere pour oſ‍ter ceux de deſeſpoir qu’il deuſ‍t traiter ainſi qu’enfans, & pour les garder s’il pourſuit de ſe precipiter tout outre ? Il iettera pour le moins ſon eſpee, il laiſſera toutes ſes armes bas. II fera retirer ceux deſquels ils ſe mesfient. Il caſ‍ſera ſes ſatellites. Il chaſ‍tiera tous ſes bourreaux, condamnera tous ſes forfaits. Lors s’approchant de ſes enfans, les conſolera de paroles : les deſchargera de toute crainte, & leur tendra ſa main plus douce : alors il ne faut parauenture point douter, qu’ils ne s’attendriſ‍ſent, qu’ils ne fondent en larmes, & ne ſe iettent comme à ſes pieds s’ils ſont vne fois aſ‍ſeurez que ces façons luy procedent du cœur.
Que ſi l’on dit qu’il y va de la reputation d’vn Roy de faire le ſemblable, ie dy donc qu’il n’eſ‍t pas honorable à ce Roy-là de porter titre de Pere de ſon peuple, veu que les titres ſe donnent pour l’effec‍t, & c’eſ‍t effec‍t conuient à ce nom-là.
Entre deux combatans en vn duel, il y a de l’hõneur à qui fait quitter les armes à ſa partie. Entre deux Princes, à qui contraindra ſon ennemy vaincu, deſnué de ſes armes, hors de tout eſpoir, de requerir la paix. Car on combat à qui ſera le plus fort, & le plus puiſ‍ſant : mais quand entre le Pere & les enfans pour la meſchanceté du pere on en vient là, l’honneur du pere eſ‍t acheué de perdre, s’il s’eſ‍ſaye de les vouloir forcer, de leur faire rendre les armes le pied ſur la gorge, de les mener en triomphe liez au derriere de ſon chariot. Celuy eſ‍t (dis ie) vn trop lourd deshonneur de le faire : c’eſ‍t ſe rendre ignominieux ſoy-meſme, & pourchaſ‍ſer ſa honte à ſes deſpens.
Son honneur eſ‍t de ſe montrer benin, & doux, enclin à pitié, recercher tous moyens de les regagner, & les retirer du deſeſpoir où il les a mis. Et le Prince qui ne ſuit ceſ‍te voye, ſous vn faux pretexte de conſeruer ſa reputation, la pert en ce point, & acquiert celle d’vn tyran inhumain. Pour ce auſsi qu’on penſe que ſes ſuiets vienent en cõpetence auec luy, & qu’il veut monſ‍trer qu’il eſ‍t plus fort qu’eux : comme ainſi ſoit qu’il deut mõſ‍trer (s’il luy eſ‍toit poſsible) qu’il eſ‍t meilleur Prince, qu’ils ne ſont ſuiets : & plus benin, & clement, qu’ils ne ſont obeiſ‍ſans.
Les bons Princes, ſont eſ‍timez eſ‍tre l’image de Dieu en terre. Dieu auquel les hommes ſont plus tenus qu’aux Rois, & Prĩces, veut auoir ceſ‍t honneur de nous aimer premier que nous luy : & ne le pouuons aimer, que premier il ne nous aye aimez. Il ne ſe courrouce iamais iniuſ‍tement, cõme les hõmes à toutes heures : & toutefois il ceſſe pluſ‍toſ‍t de nous hair, que nous luy : & deſpouille pluſ‍toſ‍t ſes armes, que nous noſ‍tre rebellion.
L’amour eſ‍t vne vertu non petite, & naturellement veut commencer du plus parfaic‍t, du vray Prince, vers ſes ſuiets : du vray pere, vers ſes enfans, deſcendant, pluſ‍toſ‍t que montant : & lors par vne certaine reflexion les enfans commencẽt à aimer le Pere : les ſuiets, le Prince.
Et cõme c’eſ‍t aux peres de cõmencer, auſsi eſ‍t-ce à eux-meſmes de recõmencer, s’il s’interrompt & s’ils vienent à desfiance, de cercher les moyens de les aſ‍ſeurer.
Brief, qu’on conſidere le droit, ou l’honneur, il eſ‍t touſiours requis à vn Roy, de quitter les armes premier, que ſes ſuiets : à plus forte raſon l’eſ‍t-il requis, ô compagnons, à vn tyran, traiſ‍tre, & perfide, duquel le mieux traité de ſes ſuiets reçoit ce mal de luy eſ‍tre ſerf, & eſclaue, cõtre tout droit & deuoir.
Ce ieune homme ſembla ſi vieux, ſi prudent & ſage en ſon diſcours, qu’il n’y eut homme en la compagnie qui ne couruſ‍t de pieds, & mains tout ſoudain apres ſon auis : ainſi fut la première reſolution d’entre eux priſe de ne plus ſe deſarmer, pendant que le tyran, & ſes ſatellites ſeroyent armez, comme de nouueau confirmee par les voix & ſuffrages de tous les aſsiſ‍tans : auſquels ſuyuãt les raiſons de ce vieux ieune homme ſembla bon d’ainſi le faire : tant pour conſeruer la reputation du roy Charles neufieme, auquel, comme à bon pere de famille (car ainſi auſsi s’appelle il ſoy-meſme) touche de ſe deſarmer le premier : Que (& plus veritablement) pour garder auec leurs vies, ce qu’ils doyuent auoir de plus cher en ce monde. Surquoy ils ſe ramenteuoyent l’vn à l’autre ce que Nancé capitaine des gardes du tyran, fit par ſon commandement en la iournee de la trahiſon, aux gentilshommes couchez en l’antichambre du Roy de Nauarre : leſquels, comme tu ſcay, il fit tuer, le tyran les regardãt d’vne feneſ‍tre, à la porte du Louure, apres les auoir tous deſarmez de leurs eſpees, & dagues, & pluſieurs autres exemples des anciens, & modernes tyrans qui en ont vſé tout de meſmes.
Et ſur tout ils ſe reſouuenoyent, comme d’auertiſ‍ſemens treſnotables, de ce Bordereau de memoires qui fut enuoyé, comme tu ſcay, au defunc‍t Amiral, vn peu auant les noces tragiques de la ſœur du tyran : lequel bordereau, tous eux diſoyent vouloir apprendre par cœur, pour ne l’oublier à iamais : ayant comme ils diſoyent le meſpris d’iceluy eſ‍té cauſe de la ruine & des miſeres que nous ſouffrons tous auiourd’huy.
L’hi. Voila de bonnes gens, & bien reſolus. Dieu les vueille fortifier, & maintenir en leur ſainc‍t propos. Il vaut mieux eſ‍tre ſage tard, que de ne l’eſ‍tre iamais : & ne le pouuant eſ‍tre aux deſpens d’autruy : il vaut mieux l’eſ‍tre à ſes deſpens : voire, aux deſpens de ſes freres : (quoy que le prix ſoit par trop cher) que de ne l’eſ‍tre point du tout, ny à quelque prix que ce ſoit : ſe ſouuenant qu’ils ont affaire à des ennemis, qui ſe ſont touſiours plustoſ‍t ſeruis de noſ‍tre ſimplicité, pour nous nuire, que des moyens qu’ils euſ‍ſent.
L’italien nous enſeigne vne tresbonne leçon en ſon meſchant petit prouerbe. Non viti fidare (dit-il) & non ſarai ingannato. C’eſ‍t à dire ne t’y fie point, & tu n’y ſeras pas trompé. S’il fut ia mais temps de faire ſon profit de la ruſe, & malice Italiene, il eſ‍t maintenant. Et s’il y eut iamais gens contre leſquels il ayt eſ‍té de beſoin d’employer & le bec, & les ongles, de ſe ſeruir de toutes peaux, d’eſlancer toute forte de chiens & de leuriers, voire bien de dogues, François, & Anglois il ne m’en chaut : c’eſ‍t maintenant qu’il le faut faire contre ces furieuſes, & enragees beſ‍tes Medici Valoyſes : maintenant, dis ie, qu’il ny a ny loy, ny foy qui de ces gens retiene la malice. Mais ie te prie pourſuy.
Le pol. Apres ceſ‍te reſolution, deux de la troupe furent ordonnez pour venir auec moy en Languedoc : afin de faire entendre aux noſ‍tres, la concluſion de ceux du Dauphiné, & d’en rapporter du Conſeil general ce qu’il trouueroit bon de faire pour la conſeruation d’eux tous. Eſ‍tans arriuez à Niſmes, (où le Conſeil de pluſieurs prouinces villes, villages & chaſ‍teaux faiſans profeſsion de la Religion, fut aſ‍ſemblé) luy ayant fait entendre le contenu de ma charge & ceux du Dauphiné leur legation : apres qu’ils eurent monſ‍tré cõbien ils eſ‍toyẽt ayſes de noſ‍tre venue : qu’ils nous eurent remercié du bon office que nous faiſions : & de la peine que nous prenions pour le corps de l’Egliſe Françoiſe, ils me reſpondirent, que deſia deuant ma venue le Conſeil eſ‍toit ſuffiſamment auerty de l’arreſ‍t, auis & ordonnances que Daniel auoit donné en nos affaires par vn petit dialogue qui a couru imprimé, contenant vn deuis paſ‍ſé d’ẽtre l’Egliſe, Alithie, & nous autres : qu’ils eſ‍toyent bien aiſes de l’auoir veu, & d’eſ‍tre auertis par le menu des ac‍tions de nos ennemis : qu’ils voudroyent bien que les tyrans euſ‍ſent auſsi veu ce Dialogue : afin que cognoiſ‍ſans en telle peinture muette leurs vilanies, ordures, trahiſons, & cruautez, que la peinture viue du ſang innocent, qui crie vengeance, va tous les iours ramenteuãt, deuant le jugement de Dieu, & l’humanité des hommes, ils apprinſent : comme Iudas, eſ‍tans conuaincus en eux-meſmes de l’auoir fort bien merité, d’eſpargner la peine au bourreau, s’eſ‍tranglãs tous à la bonne heure. Que puis que ces perfides n’ont pas eu honte de commettre telles infametez, qu’on ne doit point craĩdre de les publier par tout l’vniuers : & cõme ils ont noircy leurs ames de crimes ſi execrables, qu’on ne doit point faire difficulté de noircir leurs renommees par la legẽde de leurs vies : & quant au reſ‍te, il y a certains Catholiques, & autres François, qui ayans horreur de la confuſion que ces maſ‍tins Florentins, leurs enfans & ſuppoſ‍ts ont introduit en France : vont ramaſ‍ſant au vray en tous lieux & places le ſurplus de leurs faits & geſ‍tes qu’ils mettront en lumiere au premier iour, auec la legende ſecrete des honneſ‍tetez de la cour, & feront auſsi toucher au doigt à toute la Nobleſ‍ſe & peuple François endormy d’vn trop profond ſomne les indignitez, extorſions & pilleries inſupportables que le tyran & ſes ſatellites, hors de la Religion (de laquelle ils n’ont cure) ſeulement en ce qui touche la police, eſ‍tat & gouuernement du Royaume, exercent iournellement ſur les biens, vie & honneur des poures François. S’aſ‍ſeurans que ce ſera vn bon moyẽ pour faire qu’il s’en trouue quelques vns d’entre vn ſi grand & comme infini nombre d’eſclaues & forçats, qui ſeront contraints de honte, ou de regret pluſ‍toſ‍t au prix de leurs vies de recouurer leur liberté auec celle de leur patrie.
L’hiſ‍t. Telles gens meriteront bien, ſi Dieu veut qu’aucuns il s’en trouue, qu’on leur dreſ‍ſe des ſ‍tatues, ainſi qu’à des liberateurs & peres de toute la France. Et ne doute pas ſi cela auient (comme il eſ‍t treſneceſ‍ſaire) que tout le Royaume ne repoſe, quiconque ſoit que l’on eſliſe pour s’aſ‍ſeoir au throne vacant. Iamais le fils de ce iuge inique, que Cambyſes fit eſcorcher pour orner le ſiege iudicial de ſa peau à cauſe des torts & iniuſ‍tices qu’il faiſoit au peuple de Perſe, ne fut plus homme de bien eſ‍tant aſsis ſur la peau de ſon pere, que ſeroit celuy qui ſuccederoit au tyran, quand bien ſeroit vn de ſes freres : conſiderant la malheureuſe fin où la tyrannie conduit ceux qui l’exercent. Mais ie te prie comme s’eſ‍t fait cela, que l’on ait imprimé nos deuis que nous euſmes auec Alithie ? Et qui eſ‍t ce qui les peut auoir redigez ſi toſ‍t par eſcrit ?
Le pol. Ie ne te le ſcaurois dire, ſi d’auenture ce n’eſ‍t Euſebe Philadelphe qui fut preſent à nos diſcours. Mais tant y a qu’ils ſont imprimez, encore m’a on fait entendre qu’vn Catholique en a eſ‍té Imprimeur : & qu’il en a vendu luy meſmes à beaucoup de ſes cõpagnons auec vn certain autre liure qu’on nõme des fureurs Frãçoiſes, qu’vn Allemã fit en Latin toſ‍t apres les iours du maſ‍ſacre.
L’hi. Nous ſommes tous tenus à ceux qui s’eſ‍ſayent de nous remettre le cœur au ventre, comme on dit. Dieu vueille que tout cela ſerue à reſueiller les ſept dormans.
Le pol. On m’a dit qui a ia ſerui & ſeruira encore d’auantage, n’en doute pas. Les fers ſont biẽ fort eſchauffez. Mais, pour reuenir à mon dire, le Conſeil de Niſmes me fit auſsi entendre en ce que touche les quarante articles de la police de Daniel (car autãt y en a-il de marquez en ce Dialogue imprimé) qu’ils les trouuoyent fort bons, ſainc‍ts & dignes d’eſ‍tre obſeruez & gardez en ce prĩcipalemẽt, qui touche la diſcipline Eccleſiaſ‍tique & la diſcipline militaire qu’ils confeſ‍ſoyent eſ‍tre la bride, l’eſperon, l’eſpee & le bouclier l’vne de l’autre : & toutes deux enſemble la targe, la garde & le ſouſ‍tien de nous tous : ils trouuoyent auſsi fort neceſ‍ſaire le dernier d’iceux articles, ſuyuant lequel nos freres du Dauphiné ſe ſont reſolus de ne iamais plus ſe deſarmer, qu’ils auoyẽt arreſ‍té de faire auſsi le ſemblable, iuſques à ce qu’ils voyent la tyrannie bas & court bridee par nos ancienes loix de la France auec des bons & bien aſ‍ſeurez gages, gardiens de la liberté ciuile des François. Et cependãt ils auoyent enuie de dreſ‍ſer & entretenir apres tant de malheurs, qui leur ſont auenus par leur ſotte credulité, vn eſ‍tat aſ‍ſeuré, qui approchaſ‍t tant que faire ſe pourroit de celuy qui eſ‍toit iadis en leurs prouinces.
Pour ce faire ils auoyent donné charge à ſept des plus auiſez obſeruateurs de l’antiquité de recueillir de tous les bons liures qui traitent l’hiſ‍toire & eſ‍tat ancien des François & Gaulois, l’ordre, police & forme de gouuernement qui eſ‍toit parmi eux, auant que la tyrannie fuſ‍t en regne : & particulierement celuy de leur patrie du temps que la religion en fuſ‍t chaſ‍ſee, pour ramener le tout à leurs principes.
L’hi. C’eſ‍t tresbien fait : pleuſ‍t à Dieu que i’y fuſ‍ſe pour leur en dire ce que i’en ſcay. Le doc‍te Paſquier en ſon liure des recerches de la France, releuera grandement de peine ces ſept deputez. Et le grand Hotoman en ſa Francogaule, qu’il a mis de nouueau en lumiere les en iettera hors du tout tant il cotte dextrement les paſ‍ſages qui peuuent ſeruir en ce fait.
Ce ſeroit vne belle choſe, ſi l’on pouuoit (en retenant l’anciene religion) que les Albigeois du temps du comte Raymond : les poures de Lyon, ceux de la vallee de Pragela, ceux de Cabrieres & Merindol ont tenu & que nous tenons auiourd’huy plus dépuree Dieu mercy) ramener ceſ‍t eſ‍tat preſent tout confit & rouillé en vices au modelle de ce temps là. C’eſ‍t vn auis que tu ſcay biẽ eſ‍tre le ſouuerain remede à vn eſ‍tat du tout pourry & preſ‍t à cheoir comme eſ‍t celuy de France.
Le pol. Cela eſ‍t certain : & s’appelle radreſ‍ſer, non pas renuerſer l’eſ‍tat, le ramener à ſon principe. Et pour certain ces bonnes gens, pour la part qui les touche, ſont ſur le point d’en venir là.
L’hi. O le beau trait que ce ſeroit ! pourueu qu’il fuſ‍t ſuyui des autres pais de la France. Ce ſeroit vne belle pierre philoſophale, pour enrichir les poures gens qui ſont rongez iuſques aux os par les enfans de Catherine. Au moins ſeroyent-ils deſchargez des impoſ‍ts & tailles nouuelles.
Le pol. Tu dis vray. Quant au ſurplus de la police & l’ordre de Daniel, le Conſeil a eſ‍té auſsi d’auis de le pratiquer en ſubſ‍tance, retenant touſiours toutefois les noms des charges & eſ‍tats accouſ‍tumez en leurs prouinces. Vray eſ‍t qu’ils cognoiſ‍ſent, qu’il y aura grande difficulté aux Elec‍tions és premieres charges, pource, que le peuple n’eſ‍t pas accouſ‍tumé d’aller, comme l’ancien Romain querir leur Dic‍tateur, leur maieur ou gouuerneur à la charrue apres les bœufs. Et leurs gouuerneurs n’ont iamais accouſ‍tumé, comme vn Quntius Cincinnatus, de retourner à la charrue apres que la guerre eſ‍t paſ‍ſee ou que leur charge eſ‍t expiree.
Ains au contraire vn Caporal veut eſ‍tre quãd & quand ſergeanr, le Sergeãt veut eſ‍tre enſeigne, l’Enſeigne lieutenant, le Lieutenant Capitaine. Et ainſi touſiours en auant ſans s’abbaiſ‍ſer ny ſe deſmettre, en danger de monter trop haut.
L’hi. Voila qui va mal. Les Romains quoy qu’ils fuſ‍ſent autrement ambitieux & cupides d’hõneur & gloire auoyent en telle recommandation le biẽ & honneur de leur Republique, qu’ils quittoyent volontiers du leur pour le ſalut de leur patrie. En ceſ‍t endroit principalement ils auoyent cela de bon qu’ils ne refuſoyent point d’aller cõme perſonnes priuees en vne armee, à laquelle l’annee auparauant ils auoyent commandé en chef.
Quintus Fabius ayant eſ‍té Cõſul marcha gayement ſous ſon frere Marcus Fabius. Et Manlius Conſul en vne armee contre les Thoſcans, ne refuſa de ſe trouuer en la bataille commandé de ceux qui luy auoyent obei. C’eſ‍toit vn ordinaire à Rome que celuy ne deſdaignoit pas d’accepter la petite charge qui auoit exercé la plus grande.
Et combien que cela ne ſemblaſ‍t pas honorable pour le priué, ſi eſ‍toit-il bien fort vtile pour le public : car à la verité dire vne Republique ſe doit beaucoup plus aſ‍ſeurer & eſperer d’auãtage és deportemens d’vn citoyen qui d’vn grand degré deſcend volontiers au bas ou mediocre, que non pas de celuy qui ne taſche qu’à monter & à deuenir grand. A vn tel on ne ſe peut guere bien raiſonnablement fier s’on ne l’accompagne touſiours de gens de tel reſpec‍t, de telle vertu & reputation qui peuſ‍ſent par vn graue & prudent Conſeil & par leur autorité moderer le deſir de nouuelleté & de remuement qui ſe pourroit facilement loger dedans le cœur & cerueau d’vn tel homme.
Le pol. Il eſ‍t ainſi. Et auſsi nos freres eſperent que la Nobleſ‍ſe fille naturelle & legitime de la vertu & prudence, qui a ſa vraye ſource de la crainte de Dieu, ſe lairra tellement conduire au deſir qu’elle a de voir le regne de Dieu auancé, & l’Egliſe conſeruee, qu’elle fera fort aiſément tout ce qui pourra appartenir au bien d’vn ſi precieux ſeruice & à la liberté de ſon eſ‍tat & de ſa patrie, prepoſant touſiours le public à ſon particulier profit.
Que le peuple auſsi reſpec‍tera de tant les Nobles qui logeront ceſ‍te vertu, mere-nourrice de Nobleſ‍ſe, qu’il n’y a rien qu’ils ne facẽt pour leur obeir en ce qui ſera de leur charge, & pour les honorer en priué autant qu’ils peuuent deſirer d’eux. Et qu’au reſ‍te tous ces deux Eſ‍tats ſe ſouuiendront auec celuy de la Iuſ‍tice de ce que Valerius Corumus qui fuſ‍t fait Conſul dedans Rome le vingtroiſieme an de ſon aage dit pour lors à ſes ſoldats : que le Conſulat eſ‍toit le guerdon & le prix de la vertu & non du ſang. Et auſsi tous enſemble par vne bonne intelligence s’en iront cercher la vertu & la ſuffiſance, là où elle ſera logee, ſans reſpec‍t de l’aage ou du ſang, pour l’eſleuer en tel degré qu’ils cognoiſ‍tront eſ‍tre propice pour leur commun bien & ſalut.
L’hi. Si cela eſ‍t bien pratiqué ce ſera vne belle choſe. Auſsi ſi cela ne s’y trouue, i’eſpere bien peu de leur fait.
Le pol. Ne doute pas qu’il ne ſe face, i’en ay bon gage. Dieu mercy, il ſeroit bon voir que ceux-là qui profeſ‍ſent vn Ieſus Chriſ‍t, fiſ‍ſent conte de leur honneur au detriment de ſon Egliſe, & à la perte du troupeau : ou que l’ambition malheureuſe regnaſ‍t, où l’eſprit de Dieu doit auoir ſouuerain Empire.
L’hiſ‍t. Ia n’auiene, ce ſeroit aſ‍ſez pour tout ruiner. Car ceſ‍te ambition a touſiours ruiné les Republiques.
Le pol. Ne crain pas, tout ira bien, Dieu aidant. Au ſurplus touchant les autres principaux articles de la police de Daniel, comme i’ay dit, ils ſont reſolus de les pratiquer en ſubſ‍tance, ſingulierement le 17 où il eſ‍t parlé d’eſlire au Maieur general, ou gouuerneur cinq ou ſix lieutenans, nõ pour commander tous à vn coup, ains vn apres la mort ou deſmiſe de l’autre, la mort dis-ie, qui en peut auenir ordinairement ou extraordinairemẽt par l’aguet ou poiſon de l’ennemy, pource que ce bon nombre de lieutenãts conſeruera le Chef & les membres en plus grande ſeureté : le Chef, pour autant que l’ennemy dira, pourquoy le ferons nous tuer ? Il y a des lieutenans qui feront poſsible mieux que luy. Les membres, pour ce que le Chef mourant ils ne ſeront pourtant deſprouueus de chef, comme il nous eſ‍t auenu en ce dernier maſ‍ſacre du mois d’Aouſ‍t, à noſ‍tre treſgrand regret & ruine.
Le Conſeil trouua auſsi fort bons les 22 23. & 24 articles de Daniel. Le 22 leur ſembla treſneceſ‍ſaire pour deux raiſons : l’vne pour empeſcher que aucun des chefs ou quelque autre citoyen, n’attente ny entreprene rien ſur & au preiudice de leur commun eſ‍tat & liberté ciuile : l’autre, pource que cela auenant, ou eſ‍tant fauſ‍ſemẽt cuidé & creu par le peuple & impoſé à quelcun des grands, le peuple aura dequoy s’en reſoudre en propoſant l’accuſation, & pourſuyuant l’accuſé ſi beſoin eſ‍t, pour le rendre conuaincu, le faire condamner & punir ſelon que le merite le requerra.
L’hi. Cela va bien. Car autrement il pourroit auenir tout plein d’inconueniens, s’il n’eſ‍toit loiſible d’accuſer les plus grands. Et s’il n’y auoit ordre ſuffiſant eſ‍tably pour les chaſ‍tier, Quelqu’vn pourroit comploter auec l’ennemy : le peuple ialoux de ſa liberté ne pourroit que mal volontiers ſouffrir ſes deſportemens, on luy dreſ‍ſeroit des parties. Celuy là ſe voudroit preualoir de ſes amis, on viendroit de la aux fac‍tions & partialitez & moyens extraordinaires, qui ſont la ruine des eſ‍tats libres. Ou s’il eſ‍toit loiſible de calomnier & faire courre de faux bruits par cy par là contre vn chacun : comme il eſ‍t auenu maintesfois qu’õ a mis à ſus aux plus gens de bien qu’ils auoyent deſrobé le threſor publique, à d’autres qu’ils pouuoyent bien prendre vne telle ville s’ils euſ‍ſent voulu, & à d’autres qu’ils ont vendu pluſ‍toſ‍t que rendu par force vn tel chaſ‍teau, & pluſieurs autres telles calomnies.
Si, dis ie, il eſ‍toit impunément permis de calomnier, il n’y auroit homme de bien, qui ne fuſ‍t deſgouté de ſa charge, l’ennemy ſe pourroit preualoir de telles fautes, & en ſomme tout iroit en cõfuſion. Comme il cuyda auenir à Rome, apres que Furius Camillus l’eut deliuree des mains des François.
Il ſembloit bien que tous les citoyẽs Romains ſans faire tort à leur reputation deuoyent ceder à la vertu de ce grand Camillus, comme de leur liberateur, & à la verité auſsi chacun luy defferoit volontiers le premier reng. Le ſeul Manlius Capitolinus ne pouuoit ſupporter de le voir en telle reputation & credit, eſmeu d’vne meſchante emulation & ialouſie, & d’vne bonne opinion de ſoy meſme : luy ſemblant bien d’auoir pour le moins merité en ſauuant le Capitole des mains des François, autant que meritoit Camillus en les dechaſ‍ſant du tout. Cela fut cauſe que tout outré d’enuie ne ſe pouuant contenir pour la gloire & renom de Camillus, il alla ſemãt parmi le peuple pluſieurs faux bruits encontre luy, & contre les Senateurs Romains, pour les mettre en mauuaiſe opinion enuers le peuple. Entre autres choſes il diſoit que le threſor qu’on auoit aſ‍ſemblé pour bailler aux François & racheter le Capitole, auoit eſ‍té vſurpé par quelques vns des grands : que ſi on le pouuoit rauoir on le pourroit conuertir au profit publique, ſoulageãt d’autant le peuple des tributs ordinaires, ou en acquittant quelque autre debte. Ces faux bruits, ceſ‍te calomnie ſembla de telle importance & de ſi dangereuſe conſequence au Senat, qui voyoit deſia comme le peuple commençoit à tumultuer, qu’il fut contraint, pour remedier à la deſunion & deſordre qui s’en pouuoit enſuyure, de recourir au moyen extraordinaire, qui eſ‍toit accouſ‍tumé parmi eux és extremes dangers : ſcauoir de creer vn Dic‍tateur dedans Rome pour cognoiſ‍tre de ce fait.
Le Dic‍tateur creé, il fait appeller Manlius deuant luy, & eſ‍tant le Dic‍tateur conduit au milieu des Senateurs, & Manlius au milieu du peuple en vne place publique. Là, Manlius fut interrogué de ce qu’il ſcauoit du threſor publique, & luy fut cõmandé de dire entre mains de qui il le cuidoit eſ‍tre, que les Senateurs auoyent auſsi bonne enuie de ſe ſcauoir comme le peuple. Mais pour ce que Manlius n’en reſpondoit point pertinẽment, ains en tergiuerſant diſoit qu’il n’eſ‍toit ia beſoin de leur dire ce que eux meſmes ſcauoyent trop mieux, il fut mis en priſon par l’authorité du Dic‍tateur, qui de calomniateur fit deuenir par ce moyen Manlius accuſateur. Et eſ‍tant par apres ſa ſauſ‍ſeté & enuie cognue fut chaſ‍tié, comme il le meritoit.
Par là & par autres exemples auenus en beaucoup de Republiques mal ordonnees l’on peut voir aiſément, combien de maux peuuent auenir en vn eſ‍tat grand ou petit au detriment de la liberté ciuile : ſi ceſ‍t ordre & liberté de pouuoir accuſer quiconque ſoit d’entre les grans ny eſ‍t eſ‍tably. Noſ‍tre Frãce depuis que l’ordre des trois eſ‍tats a eſ‍té ſupprimé, que les offices de Iudicature de Conſeillers & Preſidens, &, pour le dire en vn mot, depuis que la police & la iuſ‍tice a eſ‍té eſ‍touffee & corrompue, vendue en gros & en menu en a produit d’exemples lamentables.
Il ne faut que ſe remettre en memoire les calamitez auenues pour le maſ‍ſacre fait à Vaſ‍ſy par le duc de Guyſe : & celles qui ont enſuyui la coniuration du Triumuirat, contre lequel nul n’oſoit mot ſonner, quoyque l’on ſceuſ‍t ſes entrepriſes.
Auſquelles on n’oſa s’oppoſer qu’auec vne biẽ forte armee, la quelle ſuyuie de pluſieurs guerres ciuiles a fait tomber la poure France de la fieure en vn chaut mal, comme l’on dit.
Le pol. Cela n’eſ‍t que trop veritable : Or ces raiſons & exẽples auec quelques autres ſemblables, qui furent amenez, ont eſ‍té cauſe que nos freres de Niſmes ſe ſont reſolus, comme ie t’ay dit, d’eſ‍tablir ceſ‍t ordre parmi eux. Sachans l’auantage qui leur en peut reuenir, & le bien que la creatiõ des Tribuns du peuple (qui eſ‍toyent les gardiens de la liberté ciuile & qui pouuoyent à vn beſoin former les proces aux plus grands) à apporté à l’anciene Rome du temps d’vn Martius Coriolanus & autres ſemblables eſprits qui eſ‍toyent retenus en crainte par l’authorité d’vn tel magiſ‍trat.
Quant au 23 article, ce qui le leur a fait approuuer a cité la ſouuenãce qu’ils ont des desbauches & licence à mal faire que la pratique contraire à cauſé par cy deuant en leurs armees, & en leurs villes & retraites. Si d’auenture il aduenoit qu’vn gentilhomme, vn capitaine ou ſoldat qui euſ‍t fait quelque force, larcin, meurtre, ou autre telle veillaquerie fuſ‍t condamné à mourir, a eſ‍tre harquebouzé, ou à paſ‍ſer par les piques. Si ceſ‍tuy là meſmes auoit fait quelque bon ſeruice auparauant, il n’y auoit pas faute de quelques fauoriz des grãs qui venoyẽt ſoudain aux requeſ‍tes interceder enuers le chef pour la vie du cõdamné, qu’ils diſoyẽt eſ‍tre bon ſoldat, ou quelque braue gentilhomme, qu’il eſ‍toit bien à cheual, qu’il tiroit bien l’arquebouſade, que c’eſ‍toit grand dommage de le faire mourir, & autres ſemblables remonſ‍trances, voire bien ſouuent remonſ‍trances de ce qu’il n’auoit iamais fait, par ceſ‍t artifice ils importunoyent tellement le chef qu’ils ſe faiſoycnt donner le criminel, & faiſoyent aller en fumee tout iugement & condemnation. Dont il aduenoit que le condamné au lieu de s’amender alloit multipliant ſes fautes, cuidant que tout luy fuſ‍t permis ſous couleur qu’on le penſoit eſ‍tre braue, gaillard & bien adroit ſoldat.
L’hi. Cela eſ‍t bien fort dangereux : il n’y a celuy qui ne condamne le fait des Romains en ſemblable cas, quand pour les merites d’Horace, qui par ſa vaillance auoit vaincu les Curiaces, & rendu par ce moyen là Rome maiſ‍treſ‍ſe des Albains, ils luy remirent la fratricide qu’il auoit commis enuers ſa ſœur, laquelle il meurtrit au retour de ſa vic‍toire, pour le regret qu’elle portoit d’y auoir perdu ſon mary. Au lieu qu’Horace deuoit eſ‍tre chaſ‍tié par ſupplice de mort, cõme il le meritoit tresbien.
Il vaut beaucoup mieux pratiquer ce que les Romains plus auiſez firent par apres enuers leurs citoyens & ſoldats en remunerant les bienfaits & bons ſeruices de quelque honneſ‍te petit guerdon ſelon la portee de la republique & diſpenſation du temps : & en chaſ‍tiant rudement les vices & les laſchetez, cõme ils firent enuers Manlius Capitolinus. Auquel pour auoir ſauué le Capitole, comme ie te diſois n’agueres, ils donnerent vne petite meſure de farine (preſent aſ‍ſez conuenable pour ce temps là) en recognoiſ‍ſance de ſa vertu, & ne laiſ‍ſerent pas pourtant de le condamner & ietter apres du haut en bas du meſme Capitole qu’il auoit peu deuant gardé, à cauſe de la ſeditiõ qu’il auoit cuidé faire naiſ‍tre dedans Rome par ſon enuie & meſchante nature.
Le pol. Il vaut beaucoup mieux, vrayement auſsi nos gens en ſont bien là logez.
Quant aux 11 & 24 articles, nos freres cognoiſſans de quelle importance ils ſont, n’ont garde de faillir à les obſeruer, ains en ſont du tout reſolus. Ils ſcauent qu’aux guerres paſ‍ſees ceux des ennemis auſquels ils donnoyent la vie, ceux qu’ils prenoyent à mercy les laiſ‍ſant aller bagues ſauues, comme il eſ‍t aduenu ſouuent, le lendemain ou l’autre apres, au lieu de leur ſcauoir bon gré de la vie qu’on leur laiſ‍ſoit venoyent pour rauir la leur ſe monſ‍trans plus cruels & rudes qu’ils n’auoyent eſ‍té parauant. Ainſi donc que les brigands s’aſſeurent de n’en auoir pas bon marché, ſi Dieu les baille entre les mains de quelcun de nos gallans hommes, ils ſont reſolus, ne te chaille.
L’hi. Voire mais. Les ennemis en pourront faire autant aux noſ‍tres.
Le pol. Tu dis vray s’ils leur tombent entre les mains. Mais auſsi que penſerois tu, que toſ‍t ou tard ils veullent faire ſi nous leur venons entre les mains, quoy qu’ils nous promiſ‍ſent la vie, ſi ce n’eſ‍t de tuer, empoiſonner, faire mourir ou nous forcer, que ie repute beaucoup pire ?
Or ceſ‍te reſolution de nos freres de ne prẽdre à mercy aucun des ennemis ſeditieux & armez fera trembler nos ennemis, qui nous aſ‍ſaillent & offenſent contre leur cõſcience & contre tout droit d’humanité pour complaire au deſir du tyran, fera dis-ie reboucher leur fer à la premiere goutte de ſang qu’ils ſentiront couler de leurs corps eux qui combattent de gayeté ou pluſ‍toſ‍t de malice de cœur ſans y eſ‍tre contraints, & fera qu’à la fin perſonne ne voudra venir à la guerre, ou porter armes contre nous quelque commandement que le tyran leur en face, nous voyans ainſi reſolus. Deſia y en a-il beaucoup qui ſe tienent bien loin des coups & tirent leur eſpingle arriere, aimans mieux eſ‍tre reputez couard & recreus, que fols & meſchans tout enſemble, en ſe faiſans battre à credit. Surquoy ie te veux dire vn trait, qui paſ‍ſe encores bien plus outre, du ieune Candole, que tu cognoiſ‍ſois beau-frere de ceux de Montmorency. Eſ‍tant en l’armee que le mareſchal Danuille auoit aſ‍ſemblé deuant Sõmieres que les noſ‍tres tenoyent, & qu’ils ont rendu à la fin, ſous honneſ‍te compoſition, que Danuille a gardee aux noſ‍tres, dont le tyran ne luy ſcait point de gré. Eſ‍tãt dis-ie là au camp ce ieune ſeigneur de Candole, & voyant tant de ſeigneurs, capitaines, gentilhommes & ſoldats que les noſ‍tres faiſoyent mourir en ſe deffendant vaillammẽt, il a dit & beaucoup de fois à ſon beau-frere Danuille en iurant & blaſphemant : hé que nous ſommes fols mon frere de nous faire ainſi bleſ‍ſer, battre, meurtrir & tuer à l’appetit de ces meſchans (parlant du tyrã, de ſa mere, de ſes freres & conſeillers) qui nous ont meurtri nos parens, nos amis & nos alliez ! Et qui nous payeront auſsi quelque iour en meſme monnoye.
L’hi. Ce trait vaut bien qu’on s’en ſouuiene : Cãdole auoit bon iugement. Mais qu’eſ‍t il deuenu le poure homme ?
Le pol. II eſ‍t mort en ce ſiege là, & auec luy durãt le ſiege plus de cinq ou ſix mille perſonnes des ennemis y ont eſ‍té tuez : ie te conteroye bien tout au long le commencement, le milieu & la fin de ce ſiege : mais ie ſerois trop prolixe, i’interromprois mon propos & auſsi tu le pourras voir tout à loiſir auec le diſcours du ſiege de la RochelIe & de Sancerre : tout cela eſ‍t imprimé, & ie le porte auec moy, ie te le monſ‍treray demain ſi tu as loiſir de le voir.
L'hi. Ie t’en prie beau Sire : mais retourne ſur ton diſcours.
Le pol. Comme ie te diſois, ceſ‍te derniere reſolution des noſ‍tres de pratiquer toute extremité de rigueur contre nos ennemis, auec ce qu’on les a deſia bien frottez Dieu mercy par tout où ils ſõt venus, refrenera vn peu leur rage, & refroidira leur cholere. D’autre part elle enflambera le cœur des noſ‍tres, qui combattans pour la neceſsité & deffenſe d’vne bonne cauſe ſembleront des demi Ceſars eſ‍tans reſolus de bien obeir à leurs chefs, de porter patiemment les trauaux de la guerre, & de vaincre ou de mourir, ſi l’on vient aux mains & au combat, pluſ‍toſ‍t que de jamais ſe rendre.
L’hi. Il n’y a rien qui face mieux vaincre, qu’vne ſainc‍te obſ‍tination en vn combat ou en bataille, ſuppoſé que tout ſoit rengé, & que le fondement ſoit bon : il me ſemble que dix des noſ‍tres en deuroyent combatre cinq cens de tels volleurs, de tels brigands, comme ſont tous ces ſatellites.
Le pol. Cela eſ‍t ſans doute : auſsi pour dire la verité ils les ont tresbien eſ‍trillez. Or quant au 33 article de Daniel touchant la douceur, de laquelle il veut qu’on vſe enuers les Catholiques paiſibles : Cela eſ‍t bien tout arreſ‍té qu’il ne leur ſera fait aucun outrage ne force en leur conſcience, honneur, vie & biens : ains ſeront conſeruez en paix & amitié comme bons compatriotes & freres bien aimez.
Sachans bien le regret que portent telles gens des extorſions & cruautez, dont on vſe en noſ‍tre endroit, & l’enuie qu’ils ont de voir la tyrannie bas, & les anciẽs ordres de la France remis au deſſus. A cauſe dequoy tant s’en faut qu’on les vueille ſurcharger, qu’au contraire on les eſpargnera, autant qu’il ſera poſsible aux contributiõs qu’on ſera contraint de faire pour noſ‍tre conſeruation, chargeans pluſ‍toſ‍t les noſ‍tres que ceux-là.
Quant aux Eueſques, preſ‍tres, moynes, & autres gens de l’Egliſe papale, qui ne porterõt point les armes & qui ſeront contens de viure parmi nous ſans rien attenter, & ſans eſmouuoir ou ſeduire le peuple qu’ils auoyent deceu, ie ſcay auſsi qu’on leur donra moyen de viure honneſ‍tement, & le mieux qu’il ſera poſsible. Le ſurplus de leur reuenu ſera pour deſcharger le peuple.
L’hi. Ce ſera vn ordre parfait, s’ils pratiquẽt tous ces articles.
Le pol. Ne doute pas qu’ils ne le facent, ſi Dieu leur preſ‍te ſa faueur. Mais pour te dire le ſurplus que i’ay apprins en mon voyage : apres la reſolution prinſe en ce Conſeil, ſur beaucoup d’autres choſes neceſ‍ſaires pendant que i’eſ‍tois de ſeiour à Niſmes, mal diſpoſé à voyager, nous receuions tous les iours letres de ce qui ſe paſ‍ſoit dedans & dehors la Rochelle, nous entendiſmes que apres que la Rochelle fut de toutes parts aſsiegee par les Ianniſ‍ſaires du tyran, ſes deux freres y arriuerent le 15 de Feurier 1573, menans le roy de Nauarre, le prince de Condé, & le ieune comte de la Rochefoucaut, comme en triomphe deuant eux, auec bon nombre de Seigneurs Catholiques, de courtizans, d’Atheiſ‍tes, d’Epicuriẽs, de blaſphemateurs, de Sodomites, & d’autres tels officiers, que le tyran auoit chaſ‍ſé d’aupres de luy & de ſa cour, non qu’il fuſ‍t marry de voir tels galans pres de ſa perſornne : ce ſont ſes mignons fauoris, ce ſont ſes appuis & ſouſ‍tien & les delices de ſa Mere : ains tout deſpit, tout enragé, blaſphemant touſiours de cholere, de ce qu’vn chacun n’alloit pas, comme il commandoit, en l’armee.
Depuis l’arriuee du duc d’Aniou, les Rochellois furent aſsiegez de plus pres, battus de beaucoup plus de pieces d’artillerie & en plus d’endroits furent menez, eſcallez, aſ‍ſaillis & trauaillez en toutes ſortes dont l’ennemy ſe pouuoit auiſer. Eux de leur part faiſoyent le plus ſouuent ſorties braues & gaillardes, aſ‍ſaillans courageuſemẽt les ennemis iuſques dans leurs trenchees, & les eſ‍trillans tellement le dos, ſous le ventre & partout, que pluſieurs de nos ennemis contraints d’abandonner la vie, quittoyent les charges les plus belles à leurs compagnons ſuruiuans, qui bien ſouvent ne gardoyent guere ce qu’on leur auoit delaiſ‍ſé, eſ‍tans les plus marris du monde de ce que nos bons Rochellois les viſitoyent par trop ſouuent : de ce qu’il les repouſ‍ſoyent trop rudemẽt de leurs murailles, ſouſ‍tenãs mieux qu’ils ne vouloyent & plus longuement leurs aſ‍ſauts. Nous ſceuſmes que le ſeigneur de la Noue qui par grãd merueille & admirable prouidẽce de Dieu auoit eſchappé les fillets des traiſ‍tres, ſe trouuant lors du maſ‍ſacre de Paris dãs Mons en Haynaut qu’il auoit aidé à ſurprendre par commandement du tyran, duquel ils attendoyẽt ſecours ſuyuãt ſa promeſ‍ſe donnee : nous ſceuſmes, dis-ie, qu’il eſ‍toit reuenu en France & à la cour, apres la reddition de Mons, ſous l’aſ‍ſeurance du duc de Longue-ville & le ſaufconduit du tyran : nous ſceuſmes qu’il eſ‍toit entré dés le commencemẽt des approches dans la Rochelle accompagné de l’abbé Gadagne auec charge expreſ‍ſe, que le tyran luy auoit donné de diuertir s’il eſ‍toit poſsible les Rochellois de leur conſ‍tance & opiniaſ‍treté, qu’ils appellent de ſe deffendre, & de leur promettre bon traitement, s’ils ſe vouloyent laiſ‍ſer tuer auec liberté de conſcience. A ceſ‍te nouuelle pluſieurs d’entre nous furent extremement marris de ce que ce gẽtilhomme auoit accepté telle cõmiſsion. Les autres eſ‍toyent faſchez ſimplement, de ce que au ſortir de Mõs il n’eſ‍toit allé en Angleterre, en Allemagne ou en Suiſ‍ſe, pour ſeruir à ce qu’il euſ‍t peu pluſ‍toſ‍t que reuenir en Frãce. D’autres excuſoyẽt ſon retour, à l’occaſiõ de ſes enfans qu’õ luy detenoit deſ‍ſous garde, qu’il deuoit taſcher de les rauoir : & qu’il n’auoit de moins peu faire que d’accepter cõtre ſon gré vne charge tant deshoneſ‍te : quelques autres eſ‍toyent bien aiſes, qu’õ luy euſ‍t dõné telle commiſsion.
Croyant bien que ceſ‍t homme là ne pourroit que beaucoup ſeruir pour faire ſagement reſoudre du chemin le plus expedient, les citoyens de la Rochelle. En ſomme les vns en parloyent d’vne ſorte, les autres d’vne autre. Quant à moy en telle diuiſion & partialité d’opinions, ayant ſceu que le ſeigneur de la Noue, pour tout cela ne s’eſ‍toit point ſouillé en Idolatrie, recueillant de là vn teſmoignage de ſa bonne conſcience, ie ſuſpẽdi, comme ie tiens encores ſuſpendu, mon iugement de ſon affaire : ne voulant rien temerairement prononcer d’vn gentilhomme ſi bien qualifié que ceſ‍tuy-là, que i’ay aimé & honoré, comme ie deſire de faire tout le reſ‍te de ma vie. Tant y a que nous ſceuſmes, comme ie t’a y dit, ſon arriuee dans la Rochelle, ce qu’il propoſa aux Rochellois, le peu qu’il y exploita pour le tyran, cõme il s’en retourna à baſ‍t vuide à la cour.
Nous ſceuſmes qu’il fut enuoyé pour la ſeconde fois auec le meſme Abbé & vne charge vn peu plus ample à la Rochelle : & qu’a ceſ‍te ſecõde fois y eſ‍tant rentré, n’ayant rien peu negotier de ſa charge au plaiſir du tyran il eſ‍toit demouré pour gage dans la Rochelle, ayant renuoyé ſon Abbé pour annoncer les nouuelles à ſon maiſ‍tre de la grande obſ‍tination des bons Rochellois.
Or ſi l’arreſ‍t & ſeiour que le ſeigneur de la Noue fit dans la Rochelle ſeruit ou non aux bonnes gens, ie ne t’en puis dire autre choſe pour n’y auoir point eſ‍té durant ce temps-là. Tant y a que i’ay depuis ouy dire aux Rochellois meſmes, & au ſeigneur de l’Anguillier, qui eſ‍toit de ſa tenue : que les Rochellois apres Dieu doyuent au ſeigneur de la Noue, tout ce qu’ils ont du premier cœur & de l’aſ‍ſeurance qu’ils eurent ſur ces premiers commencemens, qu’il leur mit le cœur au vẽtre, qu’il les ordonna mieux qu’on ne ſcauroit dire, qu’il les aguerrit leur faiſant faire pluſieurs bonnes & belles ſorties auec leur auantage qui leur ſeruoit de bonne curee, luy eſ‍tant touſiours le premier à la meſlee, & le dernier à la retraite.
Au ſurplus pource que le ſiege continuoit lõguement deuant la Rochelle, que les bleds & poudres approchoyent de leur periode, & l’eſperance d’eſ‍tre auituaillez alloit touſiours amoindriſ‍ſant. Les Rochellois ayans pour leur conſeruation fait tenter toute ſorte d’honneſ‍tes ſecours & remedes, furent contraints à la fin de regarder comme de nouueau à leurs titres & liberté, pour ſcauoir au vray quelle eſ‍toit l’obligation que pretendoit la maiſon de Valois ſur eux, s’elle s’eſ‍tendoit iuſques là de leur pouuoir rauir leurs vies, leurs biens, leurs honneurs & celuy de leurs femmes, & leurs familles : & iuſques à les faire perdre & damner auec tous les diables pour faire ſeruice aux Valois, comme ils demandoyent en ſubſ‍tance. Surquoy ayans trouué par eſcrit en bonnes & ancienes pancartes, que l’obligation eſ‍toit fort petite & bien aiſee, ſous des conditions toutefois qu’on leur auoit ſouuent rompu, eux ayans touſiours de leur part plus ſatisfait, qu’à leur deuoir. Et que lors c’eſ‍toit à tout rompre : apres auoir fait clerement voir leurs droits au Conſeil, qui pour ce fut aſ‍ſemblé d’entre eux & qu’ils eurẽt a vne autre fois recueilly l’auis ſur ce poĩt, trouuant le ſeigneur de la Noue differẽt bien fort d’opinion d’auec leur auis tout courant, pour des raiſons qu’il alleguoit, dont le peuple ne ſe pouuoit ſatisfaire : ils commencerent dés l’heure à mal eſ‍timer & parler de ceſ‍t homme tant renommé, iuſques là qu’il fut contraint, craignant que mal ne luy auint ſauter, comme on dit, de la poile & ſe ietter dedans les braiſes, accompagné de Champigny & de quelques autres amis, auec leſquels il s’alla rendre, ainſi que nous fuſmes auertis le mecredy onzieme iour de Mars en l’armee du duc d’Aniou : duquel ſelon l’apparence il fut recueilly volontiers & aſ‍ſeuré de ſa perſonne. Il ne fut pas ſi toſ‍t en l’armee de l’ennemy, que les ſoldats par deſ‍ſus les rempars luy reprocherent qu’il auoit delaiſ‍ſé Syon, pour aller en Egypte : mais i’en eſpere proù de bien.
Durant le ſiege, à ce qu’on nous rapporta, nos freres de la Rochelle ont ſouuent parlementé auec le duc d’Aniou touchant quelques moyens de paix, de laquelle l’ennemy oyoit fort volõtiers parler ſe voyant fruſ‍tré de l’eſperance de pouuoir forcer la Rochelle, pource qu’il auoit perdu vn bien fort grand nombre de ſa nobleſ‍ſe, & treſgrãd nombre de Capitaines & ſoldats, & que les ſuruiuans auoyent le cœur failly, quoy que les Suiſſes en nõbre de 6 mil fuſ‍ſẽt arriuez à leur ſecours.
Enfin le duc d’Aniou ayant receu certaines nouuelles qu’il eſ‍toit eſleu roy de Poloigne, par les menees de Monluc Eueſque de Valence & de ſes autres agents. Elec‍tion autant à l’auantage & ſoulagement de l’Egliſe Françoiſe qu’à la ruine & ſubuerſion de la liberté des Polonois, ſi Dieu n’a bien grand pitié d’eux : ayant, dis-ie, receu ces nouuelles, ſon ambition luy cõmandant de ſe haſ‍ter à porter la couronne : il ouyt lors plus volontiers parler de paix qu’auparauant. Et ayant fait ſortir les deputez de la Rochelle pour parlementer, Il receut lors de leurs mains le 25 de Iuin leurs articles & leurs demandes qu’il enuoya incontinẽt par deuers Charles le tyran.
Toſ‍t apres l’armee de l’ẽnemy qui ne cerchoit que le repos toute haraſ‍ſee d’auoir eſ‍té ſi ſouuẽt battue & moquee, commença à ſe desbander çà & là. Et auſsi les noſ‍tres à auoir de relaſche plus qu’ils n’euſ‍ſent oſé penſer.
Ie ne te dis pas le nombre de ceux qui ont eſ‍té tuez du coſ‍té de l’ennemy : il paſ‍ſe plus de huic‍t mille. Ie ne te nõme pas auſsi les principaux d’entre eux qui y’ont eſ‍té tuez ou bleſ‍ſez pource que le diſcours qui ẽ eſ‍t imprimé en nõme la plus part.
Seulement ie te diray en paſ‍ſant, qu’vn ſeul boleuard appellé de l’Euangile, contre lequel l’ennemy s’aheurta le cuydant emporter de volee, à fait perdre à vne infinité des ennemis leur meſchante paillarde vie ſans qu’ils ayent rien exploité. C’eſ‍t de là d’où fut tiré vn coup de couleurine qui tua le duc d’Aumale derriere vn gabion. c’eſ‍t de là où l’eſpee vierge du Perõ ſe retirãt des trẽchees le iour qu’õ batit ce bouleuard de 40 canons fut bleſ‍ſé au dos qu’il luy auoit tourné : c’eſ‍t ce bouleuard que les Princes accompagnez de la Nobleſ‍ſe allerẽt aſ‍ſaillir le ſeptieme d’Aouſ‍tle Gonzague duc de Neuers, le marquis du Maine, Clermont, le Gas, & vn grand nombre d’autres aſ‍ſaillans furent bleſ‍ſez & plus de trois cens tuez. C’eſ‍t ce bouleuard que l’ennemy fit ſapper & miner, duquel vn grand quartier ſe renuerſa par deuers les Rochellois qui rendit l’endroic‍t plus fort que deuant : les autres quartiers de pierre, les pieces de bois & ruine de la terre, renuerſerent tous dans les trenchees de l’ennemy, choſe qui fit perdre la vie à plus de deux cens d’entr’eux choſe qui eſ‍toit fort horrible de voir emporter en l’air les bras, iãbes, & autres membres de Meſſieurs nos ennemis, & d’en voir tirer vn grand nõbre deſ‍ſous les ruines de la mine. C’eſ‍t ce bouleuard duquel (eſ‍tant batu de nouueau & eſ‍tant de nouueau miné & aſ‍ſailli en grande diligence par les Capitaines & ſoldats de l’ennemy, ainſi qu’ils eſ‍toyent preſques au deſ‍ſus) ils furent repouſ‍ſez par trois fois & contraints par les noſ‍tres de ſe retirer à leur courte honte, & grand perte de nos ennemis. C’eſ‍t auſsi ce bouleuard ſur lequel quelques troupes des ennemis eſ‍tans montees, & ayãt trouué vn Corps de garde des noſ‍tres endormy, le tuerent & mirent en pieces, l’onzieme du mois de May. Ce nõobſ‍tant ce bouleuard eſ‍t touſiours demouré aux noſ‍tres.
Tout cecy que ie te viens de dire, tu le verras au diſcours meſmes que nos ennemis en ont fait.
L’hi. C’eſ‍t vn bouleuard remarquable, & croy moy, ce n’eſ‍t ſans emphaſe & ſans vn myſ‍tere caché que ce nom-là de l’Euãgile luy a ainſi eſ‍té impoſé. A y regarder de bien pres il a produit meſmes effets que l’Euangile aſ‍ſailly a accouſ‍tumé de produire. Il a repouſ‍ſé les efforts de l’ennemy, & renforcé ceux qui le deffendoyẽt, pendãt qu’ils ont eſ‍té au guet & ſur leurs gardes. Mais quand ils ſe ſont endormis leur a laiſ‍ſé coupper la gorge : & en fin il eſ‍t demouré entre les mains des gens de bien ſans leur pouuoir eſ‍tre arraché. Le Seigneur a fait tout cecy ſe monſ‍trant grand & admirable en la conſeruation des ſiens.
Le pol. Cela eſ‍t ſans doute : or eſcoute, afin que i’acheue de te dire, ce qui s’eſ‍t paſ‍ſé durant ce ſiege de la Rochelle. Apres que les deputez de l’ennemy & les noſ‍tres eurent parlementé des moyẽs de paix, voyant que nos freres de la Rochelle demandoyent par leurs articles pluſieurs choſes cõcernans toute l’Egliſe Françoiſe, & ne vouloyent entendre à aucun accord, quoy qu’ils fuſ‍ſent merueilleuſement preſ‍ſez, affligez & haraſ‍ſez, ſans que de meſme le reſ‍te de nos freres receuſ‍t vn bõ ſoulagement en ſes oppreſ‍ſes, remonſ‍trans qu’il n’eſ‍toit pas honneſ‍te qu’vn de leurs membres ſouffriſ‍t peine ou plaiſir : ſans faire part & du mal & du bien aux autres membres de leur corps. Voyãt, dis-ie, qu’ils inſiſ‍toyent à cela, l’ennemy leur accorda qu’ils peuſ‍ſent librement communiquer auec ceux de Montauban, & ceux de Montauban auec eux pour le benefice de paix.
Et de fait ceux de Montauban vindrent, comme ie t’ay voulu dire, durant le ſiege à la Rochelle auec memoires de nos autres freres, ſous ſaufconduit de l’ennemy : & meſlerent leurs demandes & celles qu’ils eſ‍timerent eſ‍tre bon de faire, pour le reſ‍te du corps de l’Egliſe Françoiſe auec celles de la Rochelle. Leſquelles, comme ie t’ay dit, furent enuoyees au tyran ſur la fin du mois de Iuin dernier paſ‍ſé. Le tyran & tout ſon Conſeil eſ‍tonnez comme fondeurs de cloches, quand la fonte n’a pas bien pris, ne ſachans plus de quel bois faire fleches, n’ayant ny gens, ny argent, ny viures pour pouuoir plus long temps camper : & ne pouuant à force ouuerte emporter ceux de la Rochelle, ſe contentãt d’y auoir receu & d’auoir fait receuoir de meſmes à ſon frere le duc d’Aniou vn eſcorne & perte la plus grande, que iamais tyrans receurent en ce monde : & ne voulant pas que les ambaſ‍ſadeurs de Pologne, qui venoyent ſaluer leur beau roy le trouuaſ‍ſent embeſoigné en vn ſi cruel ouurage & en affaire ſi honteux : le tyran (dis-ie) fut contraint recourir au dernier remede, duquel il a toujours vſé pour nous ruiner & piper. Il fit ſur nos demandes & articles vn edit au mois de Iuillet, par lequel, apres auoir declaré dés l'entree que ſon intention a touſiours eſ‍té de regir & gouuerner ſõ royaume pluſ‍toſ‍t par douceur & voye amiable que par force, il accorde à ceux de la Rochelle, gentilshõmes, & autres retirez en icelle les points & articles qui y font ſpecifiez, tãt pour eux que pour les habitãs des villes de Montaubã & Niſmes, gentilshõmes & autres retirez en icelles & aucuns autres ſes ſuiets pour leſquels ils ont ſupplié. Premieremẽt que la memoire de toutes choſes paſ‍ſees depuis le 24 d’Aouſ‍t dernier paſ‍ſé à l’occasiõ des troubles & emotions auenues en la Frãce demourera eſ‍teinc‍te & aſ‍ſopie cõe de choſe nõ auenue, deffendãt à tous ſeſ ſuiets de quelque qualité qu’ils ſoyent qu’ils n’ayẽt à en parler ny en renouueller la memoire.
L’hi. Mon Dieu le vilain edit : ie te prie ne m’en recite pas d’auãtage : eſ‍t-il poſsible qu’il y ait tãt d’impudẽce en tout le reſ‍te des meſchãs qu’en ce perfide tyrã ? qui apres auoir tout rauagé & enſanglãté toute la Frãce aux quatre coins & au milieu, veut faire à croire maintenãt, qu’il a eu touſiours intentiõ de cõduire le tout doucement & par la voye amiable ? Ha malheureux ! Et eſ‍t-il poſsible encores qu’il oſe maintenant deffendre de iamais ne parler de ſi horribles cruautez ? ou penſe-il par ſon edit pouuoir effacer la memoire de ſes trahiſons cõme de choſe non auenue ? que n’entreprẽd il quand & quãd de deffendre ſur groſ‍ſes peines au ſang innocent reſpandu de ne demander point vengeance deuant le tribunal de Dieu ? ha ſchelme ! Et les pierres n’en parlerõt elles pas, quand les hõmes ſeroyent ſi laſches que de t’obeir en cela ? O le grãd coup que ce tyran a fait pour nous en ceſ‍t endroit, c’eſ‍t vn bel article de paix. C’eſ‍t autãt cõme s’il diſoit : il eſ‍t vray poures beſ‍tes que le 24. d’Aouſ‍t, & depuis en çà i’ay tué & fait tuer, & maſ‍ſacrer traiſ‍treuſemẽt, ſans differẽce d’aage de ſexe ny de qualité tous ceux que i’ay peu d’entre vous ? Et ne tiẽt pas a moy, que ie ne face mourir tout ce qui eſ‍t demouré de reſ‍te. Car telle eſ‍t mon intentiõ : mais ie veux & entens qu’on croye qu’il en va bien tout autremẽt, & qu’il n’en eſ‍t riẽ auenu, quoy que le ciel & la terre le ſache : ha beſ‍te furieuſe & enragee ſi iamais il en fut au mõde !
Si eſpere-ie qu’il t’auiendra quelque iour pour beaucoup qu’il tarde à tout le moins ce qui auint à Tryfus ce tyran inſigne, mais ſans comparaiſon meilleur que tu ne fus iour de ta vie. Ce vilain ayant deffendu par ſon edic‍t à ſes ſuiets de ne parler point l’vn à l’autre ny en public ny en priué, (craignant qu’entre eux ils n’auiſaſ‍ſent de ſe remettre en liberté) ſes poures ſuiets furent contraints pour exprimer leurs conceptions les vns aux autres d’vſer de geſ‍tes, de contenances & ſignes des yeux, de la teſ‍te & des mains tels qu’ils pouuoyent pour s’expliquer. Mais ces façons & moyens de ſe faire entendre, leurs eſ‍tans auſsi deffendus : vn poure bõ hõme outré du creuecœur & deſplaiſir qu’il ſentoit d’vn ioug ſi peſant, s’en alla au milieu de la place, cõmẽça à ſe plaindre en ſoy meſme, à lamenter, à gemir & à plourer, tellemẽt qu’il attira vne grande multitude de ſes concitoyens à larmoyer auecques luy pour leur dure & miſerable condition. Cela eſ‍tant entendu du tyran, ne pouuant ſouffrir ſeulement qu’on ſe plaigniſ‍t de ſes cruautez, s’en vint droit à la place, où ceſ‍te poure multitude deſarmee & plourante eſ‍toit aſ‍ſemblee : pour leur empeſcher encores celle naturelle faculté de gemir & larmoyer. Mais Dieu voulut que le peuple ne ſe pouuant plus contenir, s’eſ‍tant rué deſ‍ſus les gardes & ſatellites du tyrã, leur arracha des poings les armes & mit le tyran infame en mille pieces & lopins.
Le pol. Voila bonnes gens, compagnon, ie croy bien qu’apres ce beau trait Tryfus le tyran n’euſ‍t oſé les empeſcher ny leur deffendre de ſe complaindre & lamenter.
Mais reuenant à parler du noſ‍tre : Par ceſ‍t edic‍t meſmes il ordonne qu’il ne ſera loiſible ne permis à ſes procureurs generaux, ny autres perſonnes publiques ou priuees en quelque temps, ny pour quelque occaſion que ce ſoit faire mention, proces ou pourſuite des choſes auenues depuis le mois d’Aouſ‍t en ça en aucune cour ou iuriſdic‍tion.
L’hi. Cecy eſ‍t encores pire que les mots precedẽts n’eſ‍toyent. Car en deffendant à ſes procureurs generaux de n’en faire aucune pourſuite : c’eſ‍t tout autant que s’il diſoit : la coniuration que ie mis à ſus à l’Amiral & aux autres Huguenots pour auoir quelque couleur en mes cruautez, quoy quelle ſoit fauſ‍ſement excogitee par moy & mes ſpeciaux Conſeillers, & qu’elle n’ait apparence quelconque de verité ny meſme aucune veriſimilitude, eſ‍t toutefois tellement vraye, que ie veux qu’õ le penſe ainſi. Et partant mes procureurs vous en pourroyent vn iour tirer en cauſe deuant mes parlemẽs & autres iuges & officiers. Mais ie ne veux pas qu’ils le facent, pourueu que vous auſsi ne vous plaigniez nullement de ce qui vous a eſ‍té fait ny en faciez aucune pourſuite en aucune cour ou iuriſdic‍tion. Le tyran ſera toujours en liberté de nous en ietter le chat aux iambes quand il voudra & quand il nous tiẽdra en puiſ‍ſance. Mais quant à nous il ne veut pas que durant ſa meſchãte vie, ny apres ſa vilaine mort, ſi Dieu nous en donne quelqu’autre qui nous vueille faire raiſon, que nous en facions la pourſuitte deuant la iuriſdiction des hommes, ny deuant celle de Dieu. Il faut bien dire que ce tyrã a excedé du tout les bornes de toute impieté & iniuſ‍tice. Pour l’honneur de Dieu, fay moy ce plaiſir que nous ne parlions plus des edits de ce bourreau, de ce ſauuage : ſi nõ que de bonheur il s’auiſaſ‍t d’en faire vn qui commandaſ‍t de l’eſ‍trangler auec la truye & les cochons, tous ſes ſuppoſ‍ts & conſeillers. En ce cas ie ſerois d’auis qu’on vſaſ‍t vers eux de douceur, ne permettant pas qu’ils tombaſ‍ſent en la miſere de Neron, qui ne trouua lors qu’il ſe vit reduit en extreme deſ‍treſ‍ſe, vn ſeul amy ny ennemy, qui luy vouluſ‍t faire ce plaiſir de le deſpecher & tuer. Ie ſerois, dis-ie, bien d’auis qu’on ne les fit gueres languir, de peur qu’ils ne ſe retrac‍taſ‍ſent, quãd ils verroyẽt l’ẽfer ouuert & tout preſ‍t à les receuoir.
Le pol. Ie ſerois biẽ de meſme auis. Et croy qu’auſſi tous les bons Catholiques en deſireroyẽt tout autãt pour ſe voir par là deſpeſ‍trez du ioug de ce mãge-ſuiet. Mais cependãt tu me ſemble trop difficile à ne vouloir point que ie parle de ceſ‍t edit tãt ſignalé : ie dis ſignalé notãment, cauſant la paix ou le relaſche que nos freres en ont ſenti lors : alors que pas vn de nous ne s’y oſoit ny s’y pouuoit attendre : tu és bien vn merueilleux homme à ne conſiderer pas cela.
L’hi. Ie le conſidere bien, & ren graces à Dieu de bon cœur pour la deliurãce miraculeuſe des poures aſ‍ſiegez. Mais ie ſuis tant ſaoul d’ouir parler de ces edits, i’en ay les oreilles tãt battues, qu’auſſitoſ‍t que i’en entends vn mot, peu s’en faut que ie ne rende ma gorge, & ſur tout s’il y a quelque choſe bõne pour nous en ſon edit, & qu’il l’appelle irreuocable. Car en ce cas touſiours il nous faut croire qu’il en fera cõme de ceſ‍tuy-là de l’an 1570 au mois d’Aouſ‍t, qui n’a ſerui à autre choſe qu’à nous attraper & nous perdre, quelque irrevocable qu’il fut. Et ſe faut touſiours ſouuenir de ce dont on auertit le deffunc‍t Amiral. Que le tyran ne permettra iamais que ſes ſuiets, qui ſe ſerõt vne fois eleuez en armes pour quelque occaſion iuſ‍te ou iniuſ‍te que ce ſoit, iouyſ‍ſent de la faueur & benefice des loix : A plus forte raiſon me dois-ie faſcher de ce vilain edit des ſõ entree ſi effronté & inique.Le pol. Toutefois ſi en diray-ie encores deux ou trois traits ſous ton congé.
L’hi. Tu le peux faire : mais ie m’aſ‍ſeure que s’il falloit eſplucher le ſens caché & les myſ‍teres contenus dedans les articles de tels edits irreuocables, que ce ne ſeroit iamais fait. Et l’heure me ſemble fort tarde, il eſ‍t temps de penſer ailleurs.
Le pol. I’auray fait en deux mots. C’eſ‍t qu’il ordõne que la Rochelle, Niſmes, & Montaubã, & les gentilshõmes & autres qui iuſqu’alors ſe ſont cõſeruez en la Religiõ pourront iouyr de l’exercice d’icelle. Et ceux qui pour crainte de mort ou autre infirmité ont eſ‍té cõtraints de faire promeſ‍ſes & obligatiõs, & bailler cautiõs pour chãger de religiõ ſõt deliurez de telles promeſ‍ſes & cautiõs.
L’hi. Les premiers, quoy qu'il leur promette n'aurõt pas ſeulemẽt la vie, s'ils s’arreſ‍tẽt à ceſ‍t edit. Les derniers cõfeſ‍ſans leur fautes sõt abſous du ſouverain roy de telles promeſ‍ſes. Mais il vaut mieux mourir vne autre fois que d’en plus faire.
Le Pol. Au reſ‍te la Rochelle, Niſmes & Montauan iouirõt, ce dit ceſ‍t edit de leurs priuileges anciens, & modernes droits de Iuriſdic‍tion & autres eſquels ils ſeront maintenus & conſeruez ſans auoir aucune garniſon, en baillant durant deux ans quatre des principaux bourgeois de chacune deſdic‍tes villes, qui ſeront choiſis par le tyran entre ceux qu’ils nommeront & changez de trois en trois mois pour demonſ‍tration & ſeureté de leur obeiſ‍ſance.
L’hi. Ce terme de deux ans m’eſ‍t fort ſuſpec‍t, quand ie me ſouuiens des deux ans de l’autre edic‍t irreuocable. Et ces bourgeois qu’on baillera ne ſeront pas à leur retour ſi aſ‍ſeurez qu’au parauant. Et aſ‍ſeure toy qu’il n’a voulu qu’on fiſ‍t ce changement de trois en trois mois, que pour auoir meilleur moyen de corrompre tant plus de gens : afin de ſurprendre ces villes. Au demeurant ie t’accorde qu’elles iouyront de leurs priuileges, ſi elles pratiquent les articles de Daniel, la reſolution de ceux du Dauphiné, & celle que tu m’as dic‍te de nos frères de Niſmes, autrement ie ny voy point d’ordre, quelque edic‍t que le tyran face.
Le pol. Auſsi ne s’y fient-ils pas, & ſcauent fort bien dés ceſ‍te heure à quoy ils ſe doyuent tenir. Mais tant y a que la Rochelle en ſent quelque ſoulagemẽt, non par la vertu de l’edit, ains par la vertu de la force ou pluſ‍toſ‍t par grâce de Dieu, qui a fait retirer l’armee & le camp de nos ennemis.
Quant à ceux de Montauban & Niſmes & toutes les Egliſes de la Guienne, Languedoc, Viuarez, Geuoudam , Scneſchauſ‍ſee de Thoulouze, Auvergne, Rouergue, haute & baſ‍ſe Marche, Quercy, Perigort, Limoſin, Agenois, Armaignac, Cõmẽges, Cõſerãs, Bigorre, Albret, Foix, Laurageois, Albigeois, pays Caſ‍trez, de Villelaugues, Mirepoix, Carcaſ‍ſez, & autres pays & prouinces adiacentes, eſquelles par grace de Dieu y a grande quantité d’Egliſes, pas vne d’elles n’a fait conte, ny n’a daigne s’amuſer aux paroles de ceſ‍t Edit, n’auſ‍ſi pareillemẽt nos freres que ie t’ay dit du Dauphiné.
L’hiſ‍t. O qu’ils ſont ſages ! pourueu qu’ils ſachent ſe tenir touſiours ſur leurs gardes, & ne plus s’attendre au Tyran. C’eſ‍t le ſeul moyen pour r’auoir leurs libertez & priuileges, & pour garder auec leurs vies, leurs biens, cheuances, & honneurs, que perſonne ne leur rauiſ‍ſe la liberté de leur conſcience, & l’exercice de la religion.
Mais ie te prie de me dire, cõme il va de ceux de Sancerre. C’eſ‍t Edic‍t dernier n’en parle il point ?
Le pol. Rien du tout. Quoy que nos freres de la Rochelle en ayent fait bien grande inſ‍tance, ſachant le calamiteux eſ‍tat où ils eſ‍toyent reduits, Mais ie te diray ſommairement ce que i’en ſcay.
Quant à nos poures freres de Sancerre, le Sieur de la Chaſ‍tre Gouuerneur pour le Tyran en Berry, les aſ‍ſiegea dés le mois de Ianuier dernier paſ‍ſé, fit batterie auec dixhuic‍t ou vingt pieces d’artillerie, en diuers endroits de leur ville, fit breſche de cinq cens pas, & le ieudy deuant Paſques, leur liura vn aſ‍ſaut fort & rude, duquel ſe voyant viuement & bien repouſ‍ſé auec ſa courte honte, & perte de bon nombre des ſiens, comme l’hiſ‍toire, que ie te monſ‍treray, en fait mention : il s’eſ‍t contenté de les tenir aſ‍ſiegez, par le moyen de quelques forts & trenchees, qu’il fit faire pour empeſcher les noſ‍tres de ſortir, & les viures d’aller à eux : s’aſ‍ſeurant par ce moyen, de les faire à la longue mourir de faim.
Et en ceſ‍te façon, les a tenus de tous coſ‍tez enfermez, ſans les aſ‍ſaillir de plus pres, que de la portee d’vn moſquet, depuis le mois de Mars iusques au mois d’Aouſ‍t dernier.
Durant lequel temps, ces bonnes gens ont eu vne infinité de mal aiſé, de faim, de poureté & diſette. Laquelle plus ils alloyent auant, plus s’alloit augmentant, iuſques là, qu’ils ont eſ‍té contrains de manger cuyrs, ſouliers, parchemins bouillis, & autres telles eſ‍tranges viandes.
Cependant, la parole de Dieu qui leur eſ‍toit iournellement preſchee, nourriſ‍ſoit leurs armes en toute abondance.
Eux ſe voyans reduits en telle perplexité, qu’ils n’attendoyent plus que la mort, prioyent ſans ceſ‍ſe le Seigneur pour leur deliurance. Que ſi ſon bon plaiſir eſ‍toit, de les expoſer es mains cruelles & barbares de leurs ennemis, qu’il les fortifiaſ‍t & raffermiſ‍t de cœur, de corps & d'ame en vne conſ‍tante foy & eſperance de la vie eternelle, iuſques au dernier ſouſpir de ceſ‍te-cy.
Les ſoldats, le Peuple, les femmes & iuſques aux petits enfans de la ville, qui ſuruiuoyent à la faim, languiſ‍ſans es trenchees, emmy les rues & dans les maiſons, ne ceſ‍ſoyent de tendre les mains au ciel, d’y eſleuer leurs yeux, attendans ſecours du treſ-haut.
Leurs miniſ‍tres faiſoyent vn ſingulier deuoir a les cõſoler, à les exhorter & encourager à bien faire, & à mieux eſperer. Leur remonſ‍trans : que combien que la conſpiration des ennemis s’eſ‍tendit iuſques à vouloir racler la memoire des bons de deſ‍ſus la terre, afin qu’il n’y euſ‍t que le ſeul regne des meſchans en vogue : que toutefois il en iroit tout autrement.
Que les Roys de la terre auoyent beau ſe mutiner, beau comploter, & s’eſleuer contre le Seigneur pour rompre & ſecouer ſon ioug, & pour ruiner ſon Egliſe : que celuy qui habite es cieux s’en rira : que le Seigneur ſe moquera d’eux, leur parlera en ſon courroux, & les eſ‍tonnera par ſa fureur, qu’il les caſ‍ſera par ſon ſceptre de fer, & les briſera comme vn vaiſ‍ſeau de potier. Qu’ils s’aſ‍ſeurent que la pierre, que Nabuchadonozor vit en ſonge couppee ſans mains, caſ‍ſera le fer, la terre, l’airain, l’argent & l’or de l’image & ſeront comme la paille que le vent emporte, & que ceſ‍te pierre deuiendra vne grande montagne, & remplira toute la terre, briſant tout autre Royaume, Principauté & hauteſ‍ſe, qui s’oppoſe au Royaume eternel de Ieſus Chriſ‍t.
Partant mes freres (leur diſoyent-ils) ne vous faſchez point, pour raiſon des mal-faiſans, que vous voyez ce ſemble proſperer. Car ils ſeront coupez ſoudain comme le foin, & viendront à faner comme l’herbe verde.
Attendez en patience le Seigneur, ayez ferme fiance en luy, & ne portez point d’enuie, n’ayez meſmes aucun regret de celuy, qui eſpere en ſes laſchetez. Car les malins ſeront exterminez, mais ceux qui ont leur attente au Seigneur, ſeront benis de luy. ils ne ſeront point confus au mauuais temps.
Le Seigneur eſ‍t puiſ‍ſant pour donner la manne du ciel, pour faire ſortir de l’eau de la pierre dure. Mieux vaut peu de choſe au iuſ‍te, que foiſon de biens aux meſchans, ils ont (dit Dauid) deſgainé leur glaiue, & ont bandé leur arc pour abbatre le poure & indigent, & pour meurtrir ceux qui cheminent droit.
Mais leur glaine entrera dans leur propre cœur, & leur arcs ſeront rompus. Il eſ‍t vray, (mes freres diſoyent-ils) que c’eſ‍t vn argument ſuffifant ſelon la chair pour chopper & faire cõme banque route à Dieu, de voir comment les ennemis de l’Egliſe proſperent, qu’ils ſe glorifient en cruauté & violence enuironnez d’orgueil, comme d’vn carcan, que la graiſ‍ſe leur pouſ‍ſe leurs yeux hors de leur chef malicieux, & que bien ſouuent, ils ont dauantage que n’a deſiré leur courage.
Au cõtraire voir vn Dauid, voire toute vne Egliſe en deſ‍treſ‍ſe, ſes iours desfaillir comme fumee, ſes os hauis, cõme vn tiſon, fõ cœur frappé & ſeché ſemblable au Pelican du deſert, ou comme le hibou qui ſe tient es lieux ſauuages, ſemblable au paſ‍ſereau priué de ſa compagnie, qui ſe tient ſur la cime du toic‍t, le voir manger la cendre comme le pains & meſler ſon boire de pleurs.
Mais certes ſi nous ſommes enſeignez comme il appartient par la parole de Dieu, nous trouuerons que le Seigneur a logé les meſchans en lieux gliſ‍ſans pour les precipiter en ruyne, pour les deſ‍truire en vn inſ‍tant, & les conſumer d’vne maniere eſpouuantable.
Et d’autre part, nous voyons que Dieu encline ſon oreille au beſoin, à la clameur de ceux qui patiemment l’attendent, les tire hors du bourbier, les deliure des dangers, affermit leurs pieds, adreſ‍ſe leurs pas, & les loge ſur vn roc fort & aſ‍ſeuré. Nous verrons vn Elie, au temps de la plus grande famine nourry par les corbeaux, & & quelques fois par les Anges. Nous le verrons enuoyé à la vefue, qui n’a point de pain, ains ſeulemẽt pleine main de farine, & vn peu d’huyle, n’attendant que la mort. Nous le verrons nourry, la vefue ſuſ‍tentee, la farine, & l’huyle continuer à les nourrir,& ne defaillir nullement.
La main du Seigneur n’eſ‍t point abbregee, ſon bras n’eſ‍t point accourcy, le Seigneur eſ‍t le Roy qui ſeul peut tout ce qu’il veut, il ne permettra point, qu’vn cheueu de noſ‍tre teſ‍te tombe en terre ſans ſa volonté, partant ne nous effroyons aucunement pour le deſ‍ſein des hommes qui ont iniuſ‍tement deliberé de nous mettre tous à mort auec nos femmes & enfans, ſoyons pluſ‍toſ‍t aſ‍ſeurez, que ſi le Seigneur a ordonné de nous deliurer tous, ou aucuns de nous que nul ne luy pourra reſiſ‍ter, s’il luy plaiſ‍t que nous mourions tous, ne craignons point.
Car il a pleu à noſ‍tre Pere, nous donner vne autre habitation, qui eſ‍t le Royaume celeſ‍te, auquel il n’y a point de mutation, poureté, miſere, larmes, pleurs, dueil, ou triſ‍teſ‍ſe, ains felicité & beatitude eternelle.
Il vaut beaucoup mieux eſ‍tre logez auec le poure Lazare au ſein d’Abraham, qu’auec le mauuais riche, auec Cain, auec Saul, auec Herode, ou auec Iudas en enfer.
Cependant il nous faut boire du breuuage que le Seigneur nous a preparé vn chacun ſelon ſa portion.
Il ne faut pas que nous ayons hõte de la croix de Chriſ‍t, ny regret de boire du fiel duquel il a eſ‍té le premier abbreuué : ſachans que noſ‍tre triſ‍teſ‍ſe ſera tournée en ioye, & que nous rirons à noſ‍tre tour, quand les meſchans pleureront, & grinceront les dens.
Par telles & ſemblables paroles, les paſ‍teurs ſollicitans iournellement le peuple, de ſe preparer à receuoir totu ce qu’il plairoit à Dieu leur enuoyer, les enſeignoyent & entretenoyent de plus en plus en tout deuoir & bon office de pieté & crainte de Dieu. Lors que contre toute eſperance, Dieu citant par maniere de dire, comme deſcendu pour voir leur afflic‍tion, le vingt & ſixieme du mois d’Aouſ‍t dernier paſ‍ſé : lors que ils ne pouuoyẽt, ſelon l’apparence humaine, autre choſe faire (s’ils ne vouloyent renier Dieu) tout à plat, que ſe laiſ‍ſer mourir de faim, ils furent receus à compoſition par le ſeigneur de la Chaſ‍tre (non ſans le ſceu du Tyran, quoy qu’au parauant, il euſ‍t dit, qu’il les feroit manger l’vn l’autre, Dieu luy ayant pour ce regard flechy & amolly le cœur) qui leur promit de leur laiſ‍ſer la vie & biens ſauues, & l’exercice de la Religion à la forme de l’edic‍t, moyennant qu’il donnaſ‍ſent quarante mille francs au Tyran : ce que les poures gens ont fait & accomply.
Quoy que les ennemis par apres contre toute foy donnee ſelon leur couſ‍tume, ayent pillé & deſrobé ce que bon leur a ſemblé de leurs meubles, demantelé leur ville, enleué iuſques à leur horologe, & maſ‍ſacré quelques vns d’entre eux, & notamment le Bailly & Gouuerneur de Sancerre. Et contraint les autres, qui ne iouiſ‍ſent d’vn ſeul brin de liberté, d’eſ‍tre vagabons & errans a la mercy des volleurs & brigans. Au ſurplus, ie ne veux pas oublier à te faire entendre, que l’vn des moyens, deſquels Dieu s’eſ‍t principalement ſeruy pour la deliurance de ces bonnes gẽs de Sancerre, a eſ‍té la venue des ambaſ‍ſadeurs de Pologne, qui arriuerent en la Cour du Tyran, quelques iours au parauant la compoſition de Sancerre.
L’hiſ‍tor. Ie te prie declare moy vn peu par le menu ton dire, ie ne puis pas bonnement entendre comment ce peut eſ‍tre que les Polonois ayent ſeruy à faire deliurer les Sancerrois.
Le pol. Ie te diray comment. Les Polonois apres la mort de leur Roy Sigiſmond dernier decedé ſollicitez par l’Eueſque de Valence, & le ieune Lanſac, leſquels comme tu ſcay, leur furent enuoyez en ambaſ‍ſade, d’elire à leur Royaume vaquant, le Duc d’Aniou apres quelques remiſes, ne firent que bien peu, ou point de difficulté d’en faire elec‍tion pour des conſiderations particulieres, reuenans comme il leur ſembloit au bien de leur eſ‍tat.
Mais ayans toſ‍t apres entendu les nouuelles des trahiſons de ceux de Valoys & des maſ‍ſacres qu’ils auoyent fait faire en la France ſur les fideles, indignez extremement contre ceſ‍te maiſon, ils furent bien fort marris, d’auoir fait vn ſi meſchant choix, & n’euſ‍ſent pour rien voulu auoir eleu d’vne ſi trayſ‍treſ‍ſe race, homme qui leur deuſ‍t commander, craignant qu’il ne leur miſ‍t vn iour leur Patrie en pareille combuſ‍tion que la France. Tellement que volontiers ſe fuſ‍ſent departis de ceſ‍te elec‍tion, pour proceder à Elec‍tion nouuelle, n’euſ‍t eſ‍té que deſia, ils auoyent irrité tous les autres competiteurs, qui pretendyent de paruenir au Royaume de Pologne, en ce principalemẽt qu’ils les auoyent poſ‍tpoſez au Duc d’Aniou. Contrains donques & forcez de s’y tenir, d’autant meſme que le Turc allié de la maiſon de Valoys les en ſollicitoit auec des conditions auantageuſes pour la Pologne.
Ceux de la nobleſ‍ſe & des autres eſ‍tats de Pologne faiſans profeſ‍ſion de meſme religion que nous (leſquels à ce que i’entens ſont en bien fort grãd nombre & des principaux du pays) eſ‍timans que le faic‍t de France attouchoit de pres à leur eſ‍tat & affaires, tant pour la pieté & crainte de Dieu, que pour la charité & compaſ‍ſion de nos freres affligez & le meſme danger auquel ils pourroyẽt tomber : voulans eſprouuer le traitement quais pourroyent attendre d’vn eſ‍tranger par celuy qui ſeroit fait aux naturels ſubiets en pareil cas, deuant que bien aſ‍ſeurer & raffermir, l’elec‍tion du Duc d’Aniou, entrerẽt en conference & negotiatiõ nouuelle auec l’Eueſque & Lanſac, deſquels entre autres choſes le 4 de May 1573. ils obtindrẽt par promeſ‍ſe ſolenelle iuree & ſignee de leurs mains au nõ de leur maiſ‍tre le tyrã, Que pour remettre la paix en France, le tyran aboliroit tout ce qui a eſ‍té fait durãt les guerres ciuiles, que les fideles François pourroyent habiter par toute la France ſans eſ‍tre recerchez en leur conſciẽce, ni contraints d’aſ‍ſiſ‍ter aux ſeruice de la Papauté Que ceux qui ſe voudroyent retirer hors de la France pourroyent vendre leurs biens, ou iouyr de leurs renenus en terres qui ne ſont ennemies de la Frãce. Que les heritiers des meurtris ſeroyent remis en leur bon nom & honneur nonobſ‍tant tous edic‍ts & arreſ‍ts. Que les eſ‍tats des defunc‍ts qui auroyent eſ‍té vendus, ſeroyent rembourſez en deniers à leurs heritiers.
Que les foruſcis pour la religion pourroyent r’entrer en leurs biens & honneurs, & habiter ſeurement ou bon leur ſembleroit de la France. Que les villes qui tenoyent lors la religion auroyent l’exercice libre d’icelle ſans aucun contredit ne garniſon. Que l’on enquerroit diligemmẽt des meurtriers & maſ‍ſacreurs, & que punitiõ exẽplaire en ſeroit faite. Et que l’Eueſque & Lanſac à leur retour en Frãce ſeroyẽt de ſorte que le Duc d’Aniou s’employeroit enuers le tyrã pour obtenir de luy vn lieu en chaſcune prouince de la France, auquel l’exercice de la religion ſeroit librement faic‍t.
Ces articles ainſi promis & iurez aux Polonois, les ambaſ‍ſadeurs François s’en reuindrent à la Cour du tyran pour dõner les certaines nouuelles de l’elec‍tion du Duc d’Aniou. Toſ‍t apres les eſ‍tats de Poloigne enuovyerent en France pour ſaluer leur Roy eſleu & prendre de luy le ſerment en tel cas requis vne ambaſ‍ſade fort honorable. Laquelle ils chargerent auſ‍ſi de pourſuyure l’accompliſ‍ſement de ces articles, dequoy principalement la nobleſ‍ſe de la religion, & ſix ou ſept des Palatins de Poloigne leur firent treſgrande inſ‍tance : eſ‍timans que de la pratique de ces articles dependoit entierement la paix de la France & vn eſ‍ſay de ce qu’ils deuoyent eſperer en Pologne.
Ces ambaſ‍ſadeurs Polonois ne furent pas ſi toſ‍t arriuez à la Cour du tyrã, qu’apres l’auoir ſalué & ſon frere leur Roy eſleu, deuant que parler de leurs affaires de Pologne, ils leur parlerent de remettre la paix en France & de l'y conſeruer & entretenir mieux qu’ils n’auoyẽt fait par le paſ‍ſé Autrement ils ne voyoyent point que l’alliance auec le Frãçois peuſ‍t ſeruir aux Polonois pendãt que la France ſeroit en vn tel galbuge & en vn ſi mauuais meſnage. Surquoy le tyran leur ayãt reſpondu qu’il auoit deſia tout pacifiié par ſon edit, leur en fit mõſ‍trer vne copie, laquelle ayãt veue & biẽ cõſideré les mots de l’edic‍t le trouuãt court & captieux en tout & par tout, ny voyãt riẽ auſ‍ſi qui fauoriſaſ‍t ceux de Sãcerre, que les ambaſ‍ſ. Polonois auoyẽt entẽdu eſ‍tre extrememẽt preſ‍ſez, eſmeus de la cõpaſ‍ſiõ de leur fait, ils firẽt inſ‍tãte requeſ‍te à la mere du tyran pour leur deliurãce. Et trouuans la l’Eueſque de Valence, ils le ſommerent de ſa foy donnee en Pologne touchãt les articles de paix. Mais la mere du tyrã qui ſauoit bien l’eſ‍tat des poures Sãcerrois, s'aſ‍ſurãt qu’auiourd’huy ou demain ils ſe rendroyent la hart au col à toute mercy, reſpondit que Sãcerre eſ‍toit à vn Seigneur priué, qui auoit eſ‍té offenſé par ſes ſuiets. Et que le Roy luy auoit preſ‍té ſes forces pour les chaſ‍tier, & ne luy vouloit faire tort anticipant deſ‍ſus ſes droits. L’Eueſque ayant auoué ce qu’il auoit promis & iuré, faiſoit ſemblant de prier pour ceux de Sancerre, affermant que iamais il ne fuſ‍t venu à bout de ſa charge enuers les eſ‍tats de Pologne ſans les voix, ſuffrages & faueur des Seigneurs & gentils hommes de la Religion. Cependant il prioit les ambaſ‍ſadeurs Polonais de luy donner relaſche de deux ou trois iours, pour ſe pouuoir acquiter de ſa promeſ‍ſe & qu’ils ne doutaſ‍ſent nullement que les choſes iroyent mieux qu’ils ne penſoyent.
Or vſoyent ils & la mere & l’eueſque de ceſ‍t artifice & renuoy pour auoir cependant leur plaiſir de l’entiere euerſiõ des Sancerrois, qu’ils ſcauoyent comme i’ay dit eſ‍tre preſ‍ts à ſe rendre, pour euiter à mourir de male faim.
Les Polonois ſe voyãs ainſi rẽuoyez ayãs appris par le bruit courant l’extremité des Sancerrois retournent le lendemain trouuer la mere Catherine, la prient & l’adiurent d’auoir compaſ‍ſion des Sancerrois, qu’ils ne ſoyent pas pirement traitez que les autres, qu’on donne bien le pain aux chiens, qu’a plus forte raiſon le doit on fournir aux Chreſ‍tiens. & que la cruauté eſ‍t par trop grande, de vouloir faire mourir de faim ceux qui (comme ils eſ‍toyent informez) n’auoyẽt en rien failly : ſi d’auenture on ne veut appeller faute, ſeruir à Dieu purement, & defendre ſa propre vie. Partant la ſupplient d’y auoir eſgard.
A cela la bonne dame leur reſpõdit, que lon traitoit leur compoſition & que de bref ils en auroyent quelque bon contentement.
En ces entrefaites la compoſition que i’ay dit de Sancerre fut faite, & portee à ſigner au tyran, qui en blaſphemant reſpondit, comme il auoit deſia dit quelques iours auparauant, que par la mort Dieu il ne vouloit point de compoſition & qu’il n’en ſigneroit point. Que par le ventre Dieu il les vouloit voir manger les vns les autres. Et de faic‍t il ne l’euſ‍t point ſignee, ſans ce que ſa mere & ſes plus ruſez conſeillers luy remonſ‍treront que s’il ne ſignoit ceſ‍te compoſitiõ il gaſ‍toit tout ce qu’on pouuoit attendre de la negociation de Pologne : que les Polonoys auec leſquels ils n’auoyent encores rien conclu eſ‍tans informez d’vne telle rigueur, s’en offenſeroyent grandement & ſeroyent bien gens pour rebroſ‍ſer leur chemin ſans vouloir paſ‍ſer outre à leur charge.
Cela, di-ie, fut cauſe que le tyran la ſigna, Dieu luy ayant par ſa prouidence fleſchy le cœur pour ce regard. Voila le moyen duquel Dieu importuné d’autre part par les prières des ſiens, & ayãt ſon honneur par maniere de dire engagé à leur conſeruation, s’eſ‍t ſeruy pour la deluirance de ces pouures Sancerrois. Et ne doute point auſ‍ſi que les nouuelles de la venue des Polonois, dés lors qu’elles furent entendues à la Cour du tyran, & au camp deuant la Rochelle, comme ie t’a y dit, n’ayent eſ‍té aucunement cauſe de faire leuer le ſiege & d’accommoder les affaires de nos freres de la Rochelle.
L'hi. Ce ſont choſes merueilleuſes que les œuures de noſ‍tre Dieu. Et a y bien penſer, à vray dire, on ne ſe peut remettre à la memoire l’iſ‍ſue du ſiege de la Rochelle, de Sancerre, & du ſiege de Soimmieres, dont tu me parlois n’agueres, qu’on ne voye clairement & à l’œil que Dieu y a monſ‍tré & fait paroiſ‍tre : d’vne part l’innocence & iuſ‍tice des ſiens : & d’autre part par confequent l’iniuſ‍tice & infame deſloyauté de ſes ennemis. Car l’eſ‍tonnement des trahiſons & maſ‍ſacres ſi cruels & inopinez eſ‍toit plus que ſuffiſant pour faire perdre le cœur aux plus vaillans & aguerris.
Les longs & obſ‍tinez ſieges, tant de rudes & furieux aſ‍ſauts & autres exploits & ruſes de guerre eſ‍toyent baſ‍tans pour emporter des places beaucoup plus fortes. Et toutesfois Dieu a tellemẽt pourueu aux ſiens par vne admirable bonté & prouidence, & a tellement encouragé le peu qui reſ‍toit qu’ils ont fait teſ‍te à toute la force de leurs fiers & ſanglans ennemis ſans ſecours d’aucun de leurs voiſins, quoy que les ennemis en ayent emprunté de toutes pars ſelon leur couſ‍tume, ayans perdu de leurs gens en ces trois ſieges plus qu’ils n’auoyent perdu en toutes les trois guerres paſ‍ſees.
Cela me fait, quand ie le conſidere, eſperer encores plus auant. Que comme Dieu par vne faueur ſpeciale : & ſecours extraordinaire a beſongné iuſqu’à preſent, qu’auſ‍ſi vn iour en nos preſences & deuant nos yeux ou des noſ‍tres, il fera l’entiere vengeance du ſang innocent reſpandu & nous dõnera vn tel relaſche que nous n’oſeriõs demander pour luy ſeruir ſans nulle crainte en toute paix & ſeureté. Ce qui me le fait ainſi croire outre les promeſ‍ſes que nous en auons en l’Eſcriture, & l’eſ‍ſay que Dieu en a fait freſchement en telle deliurãce eſ‍t ce que i’ay particulieremẽt marqué en l’elec‍tion du Roy de Pologne, laquelle n’eſ‍tant faite (ce ſembloit) que pour aſ‍ſouuir l’ambition du Duc d’Aniou, a neantmoins ſeruy à faire venir d’vn pays bien fort lointain des hommes Chreſ‍tiens & genereux pour porter parole vertueuſement pour le ſoulagement des bons : lors que nos affaires eſ‍toyent en ſi miſerable eſ‍tat que nos Patriotes & tous nos voiſins nous meſcognoiſ‍ſoyent en plain iour : & que nul d’eux ne s’oſoit entremettre d’en dire vn seul petit mot, ou s’il le faiſoit à l'aduenture, c’eſ‍toit par maniere d’acquit. Mais ie te prie conte moy vn peu ce qui s’eſ‍t apres enſuyui de la pourſuite des Polonois.
Le pol. Ie te diray ce que i’en ſcay. Apres que la compoſition de nos freres de Sancerre fut ſignee par le tyran, ſa mere fit entendre aux Polonois que les Sancerrois eſ‍toyent contens & qu’ils auoyẽt ce qu’ils auoyent demãdé. Et au reſ‍te que quand les Polonois en ſeroyẽt d’aduis elle ſeroit bien aiſe de voir leur charge touchant les affaires de Pologne parfaite & accomplie.
Les Polonais bien aiſes penſans que nos freres de Sancerre euſ‍ſent eſ‍té bien traitez, monſ‍trerent d’auoir enuie de deſpecher le ſurplus de leurs affaires : Mais deuant que d’entrer plus auant ayant examiné & conferé l’edit du tyran auec les articles que l’Eueſque & Lanſac leur auoyent iuré & promis, & trouuant que l’edit eſ‍toit bien fort eſloigné deſdits articles : en ce principalement qu’ils promettent vne diligente inquiſition & ſeuere punition des maſ‍ſacreurs, desquels ce bel edit defend de parler ſeulement, & d’en renouueller la memoire : ils ſe reſolurent d’en ouurir propos au tyran. Et de faic‍t, l’eſ‍tans allé trouuer, ils luy firent vne roide & ferme inſ‍tance ſur l’execution deſdits articles que ſes ambaſ‍ſadeurs leur auoyẽt promis en ſon nom.
Mais le tyran leur reſpondant en vn mot leur dit qu’il n’auoit rien promis de cela, ni auſ‍ſi donné charge à perſonne de leur en rien promettre : les Polonoys oyans vn tel langage & voyans là l’Eueſque preſent, le ſommerent de ſa promeſ‍ſe luy firent recognoiſ‍tre ſon ſeing appoſé au bas des articles, & luy ayans demandé, qu’il diſ‍t au vray, comme il en alloit. Il confeſ‍ſa d’auoir ſigné les articles, mais que ç’auoit eſ‍té ſans charge ny mandement, conſiderant que s’il ne les ſignoit, il ne pouuoit venir à bout de ſa charge à ſon honneur.
L’hi. O quel honneur, traiſ‍tre pariure ! hé comme il meriteroit bien des eſ‍triuieres en cuiſine.
Le pol. Tout cela luy fut reproché en la preſence du tyran par les Polonoys, leſquels irritez d’vn ſi deſloyal patelinage, ſe partirent de la preſence du tyran ſans luy rien dire dauantage de ce iour-là.
L’hi. A dire la vérité, humainement parlant, le tyran euſ‍t eſ‍té vn grand ſot d’auouer en c’eſ‍t endroit-là mõſieur l’Eueſque auec ſa mitre. Car de là ſenſuyuroit ſi les articles s’obſeruoyẽt, cõme il eſ‍t treſraiſonnable & expediẽt pour le bien de paix, que monſieur le tyran, ſa mere, ſon frere ſon beau pere, le Peron, ſes autres conſeillers & ſuppoſ‍ts ſeroyent traitez, comme meritent les plus laſches & villains meurtriers, que le diable aye iamais mis en beſongne depuis Cayn iuſquà preſent.
Le pol. Cela eſ‍t certain. Voila pourquoy ayãt penſé à ſes affaires, il ſe garda bien d’y conſentir. Mais à parler à bon eſcient qui voudroit examiner de pres la pratique du tyran, de ſa mere & de l’Eueſque & ſauuer l’honneur de ſa mitre, il trouueroit que ce Cornu (quoy que le tyran l’ait deſauoué) n’a iamais rien promis aux Polonois touchant ces articles, que par commandement du tyran, pour leur perſuader en Pologne (engageant en cela ſa conſcience auſsi bien que Puybrac a vẽdu la ſiene par ſon Epiſ‍tre, Ornatiſsimi) que le tyran eſ‍toit bien fort homme de bien, Trefchreſ‍tiẽ & paiſible, & que tant s’en faut qu’il euſ‍t iamais fait faire ou conſenty à ces maſ‍ſacres, qu’au contraire il ſeroit touſiours bien aiſe d’en faire faire vne diligente enqueſ‍te & punition treſrigoureuſe.
Mais maintenant que les Polonois abuſez par ces piperies en font arriuez ſi auant, qu’il leur eſ‍t malaiſé de ſe retrac‍ter : & que d’autre part le fait des maſ‍ſacres eſ‍t cognu de tous eſ‍tre procedé du commandemẽt du tyran & de ſes principaux ſuppoſ‍ts : craignant qu’on ne le prinſ‍t au mot, il le nye comme vn meurtrier.
Au reſ‍te quant aux autres articles iurez auſsi aux Polonois, il eſ‍t bel à voir pour la plus part, s’on les confere auec l’edit du tyran, que l’Eueſque n’en a auſsi rien promis que par expres commandement, comme choſe que le conſeil du tyrã eſ‍toit deſia reſolu d’accorder de parole ſeulemẽt par eſcrit à nos amis, penſant par là les appaiſer, comme les enfans d’vne põme : mais ne voulant que l’on penſaſ‍t que les Polonais nous euſ‍ſent apPorté ce meſchant petit relaſche, le tyran par ſon edit ſe haſ‍ta de nous l’accorder au parauant leur arriuee.
Or pour reuenir aux Polonois, eux eſ‍tans quelque iour apres ce beau tour qui leur fut ioué, entrez à traiter des affaires de leur Royaume : apres auoir receu le ſerment du duc d’Aniou, qu’il n’attenteroit rien de parole ny de fait contre les loix de Pologne : ains les regiroit & gouuerneroit ſelon icelles, ils voulurent auſsi qu’il leur promiſ‍t d’entretenir & laiſ‍ſer paiſibles les Polonois en leur religion reformee Papiſ‍tique & autre, telle quelle y eſ‍t.
Et comme ſur ceſ‍t article, il ſe print à faire quelque difficulté, les ambaſ‍ſadeurs luy repliquerent qu’il falloit donc qu’il fiſ‍t ſon conte, qu’il ne leur ſeroit iamais Roy, qu’ils ne veulent point vn tyran, lequel leur force la conſcience, ny vn qui ſous vn faux pretexte de zele de Religion leur diſsipe la paix publique, qu’ils ont enuie de nourrir.
Et inſiſ‍terent tellement ſur cela, qu’il fallut que le duc d’Aniou leur en paſ‍ſaſ‍t le ſerment & promeſ‍ſe.
L’hi. Ha poure gentilhomme ! Il eſ‍t à craindre ie t’aſ‍ſeure qu’il en ait bleſ‍ſé ſa conſcience, tant il fait du religieux. Quel zelateur !
Mais i’oſe dire que ſi l’on euſ‍t requis de luy vn ſerment en propres termes de ſeruir à iamais au diable, qu’il en euſ‍t donné la parole d’auſsi bon cœur, & auſsi bien qu’il luy ſert de fait en ſa vie, pluſ‍toſ‍t que d’eſ‍tre repouſ‍ſé d’vn Royaume ſi opulent.
Au reſ‍te on voit bien par là quelle eſ‍t la Religion de ceſ‍te maiſon de Valois. Vne partie de Pologne eſ‍t pleine, comme chacun ſcait, d’Anabaptiſ‍tes & d’Arriens, qui ſont vrays ennemis de Dieu & de ſon Chriſ‍t noſ‍tre Seigneur : & neantmoins il leur va promettre de les conſeruer & garder.
Il y a auſsi, par grace de Dieu, vn grand nombre de Polonois, qui font profeſsion de meſmes Religion que nous : il promet de les y laiſ‍ſer & de les y entretenir. Il fait bien quoy qu’il ſoit contraint : i’en ſuis treſaiſe, Dieu ſoit loué.
Cependant il ne peut laiſ‍ſer viure ceux de ſa nation, qui croyans vne meſme choſe, ont tous les iours prié pour luy. Ils ne ſcauroyent mieux faire paroiſ‍tre qu’ils n’ont aucun ſoucy de Dieu, que par ceſ‍te diuerſité de traitement : en laquelle ils monſ‍trent au doigt, comme en tout le reſ‍te de leur vie, qu’ils ne font aucun conte que de leurs delices & de ce qu’ils penſent ſeruir à leur grandeur, & n’employans la Religion, par maniere de dire, que comme vne maquerelle d’eſ‍tat, & couuerture de leurs cruautez.
Le pol. Il eſ‍t ainſi : mais pour pourſuyure, ces ambaſ‍ſadeurs Polonois ayans receu ceſ‍te promeſ‍ſe, & s’aſ‍ſeurans de la luy faire bien garder & de le tenir en bride ſous les loix de leur patrie, ne ſe pouuoyent pas bien contenter de voir la poure France ſi mal traitee par ceux-là qu’elle a eſleuez.
Partant dreſ‍ſerent vne requeſ‍te bien ample pleine de toutes ſortes de raiſons diuines & humaines, & de moyẽs encore plus amples propres à eſ‍tablir la paix : & ainſi faic‍te & ſignee ils la baillerent à leur Roy pour la preſenter au tyran. Mais à ce qu’on m’a fait entendre, on les renuoya tous à Mets : où le tyran auec ſa cour alloit accompagner ſon frere qui s’en alloit en ſon exil, où Dieu la voulu releguer, pour le bien de chacũ de nous. Que Dieu doint à ces bonnes gens autant de biẽ & de bonheur, que nous auons ſouffert de mal, de malheur & de mal encontre ſous ceſ‍te race de tyrans.
L’hi. Amẽ, par ſa grace. Ie ſerois treſmarry qu’ils euſ‍ſent le moindre mal de tous les noſ‍tres. Mais ie te prie dy moy vn peu, eſ‍t-ce tout ce que tu as apprins durant le temps de ton voyage ?
Le pol. C’en eſ‍t bien la plus grande partie. Mais encor y a-il quelque trait, que i’ay apprins, Dieu ſoit loué, qui te ſeruira à l’hiſ‍toire : & à monſ‍trer de plus en plus l’honneſ‍teté de nos Valois.
L’hi. Ie te prie, amy, dy le donques, & ne crain pas que ie le cache. Leurs ac‍tes ont bien merité qu’on n’attende apres leur mort à dire leur vilaine vie.
Le pol. Tu dis vray : & c’eſ‍t vne hõte, au lieu qu’vn chacun deuſ‍t crier à l’eau, au feu, à l’arme, à l’aide contre ces traiſ‍tres malheureux, qu’il s’en trouue encor’ de si laſches qui n’oſent leur tenir propos qu’en leur diſant voſ‍tre clemence, voſ‍tre bonté, voſ‍tre douceur, voſ‍tre Maieſ‍té treſchreſ‍tiene : ores qu’ils ſachent qu’il n’y a ſchelmes plus vilains que ceux cy.
l’hi. Ie ne croy pas qu’vn homme rond parle iamais de leur clemence, ny de leur bonté & douceur, ſachant combien ces miſerables ſont cruels, felons, inhumains. Quant au titre de Treſchreſ‍tien on le deuſ‍t, pour ne point flatter, changer en Archiantichreſ‍tien, pour appliquer des noms és choſes qui fuſ‍ſent ſignificatifs.
Le pol. On le deut faire vrayement. Mais ie gage qu’outre ce que leurs flatteurs, & quelques autres qui s’en approchent ayans affaires à eux prophanent ordinairement ces beaux & ſacrez mots, les attribuants à ces perfides : qu’il y aura encores quelques vns des Treſ illuſ‍tres princes d’Allemagne, qui au voyage que le frere du tyran y fera s’en allant en Pologne, n’auront pas honte de l’en appeller & de luy faire auſsi bel accueil, que l’on feroit à vn honneſ‍te homme.
Si quelcun pour legere faute ſe trouuant mis au bã de l’Empire, eſ‍t recueilly par quelque Prince, ſoudain l’Empire luy courra ſus. Mais à ceux-cy qui ſont attaints, ſont conuaincus & condamnez deuant Dieu & deuant les hommes, d’eſ‍tre des ſchelmes execrables & ennemis du genre humain, ſous couleur qu’ils ſont des gros ſchelmes, vn chacun les honorera, iuſques à ſe confederer & ſe liguer auec eux. Quelle miſere !
L’hi. Ne ſcay tu pas que le prouerbe en a donné ſon iugement. La cenſure tourmente les pigeõs, laiſ‍ſant aller les corbeaux libres. Mais n’entrons pas ie te prie plus auant en ceſ‍te matière : tel luy baiſera la main qui la luy voudroit voir bruſlee : & tels ira-il viſiter qu’il voudroit deſia voir par terre : leur dam, s’ils ne ſcauent choiſir l’occaſion que Dieu leur appreſ‍te.
Or dis maintenant ie te prie ce que tu m’as encores à dire.
Le pol. I’en ſuis content. Apres que i’eu ſeiourné à cauſe de mon indiſpoſition quelque temps à Niſmes, où nous receuions (comme ie t’ay dic‍t) tous les iours à force nouuelles, entendant qu’on traitoit la paix : & que les ambaſ‍ſadeurs Polonois de la Religion eſ‍toyent en chemin pour venir en France, ie m’acheminay par l’auis de nos freres à Paris, où la cour du tyran eſ‍toit, pour voir vn peu ſa contenance & celle de ſes courtizans à leur retour de la Rochelle.
Ie trouuay à mon arriuee, qui fut ſur la fin de Iuillet, que l’edit dont ie t’ay parlé eſ‍toit deſia ietté au moule : tellement toutefois que de honte, quelque meſchant & trupellu qu’il ſoit, on ne l’oſoit point publier au Parlement ne dans Paris : craignant de faſcher les Sires Pierres, & d’appreſ‍ter à d’autres à rire pour leur argent tout deſpendu meſchantement.
Cependant nos beaux aſsiegeurs eſ‍toyent de retour à la Cour, non pas tous, non, comme il faut croire : ains ſeulement les reſchappez : ie parle de nos courtiſans. I’y vy les trois Rois qu’on appelle : le tyran, le roy de Pologne, & le tiers, le roy de Nauarre : qui pour rendre graces à Dieu pour la paix ou leur deliurance, ne ceſ‍ſoyent de le deſpiter & de le prouoquer à ire par leur laſciue puanteur & autres tels Sardanapaliſmes.
Ie ſceu que ces trois beaux Sires s’eſ‍toyent fait ſeruir à la table en vn leur banquet ſolennel à des femmes toutes nues, auſquelles apres le banquet ils bruſlerent auec des torches allumees le poil de leurs parties honteuſes.
Apres cela comme ils eſ‍toyent en peine de ſcauoir en quoy ils employeroyẽt le reſ‍te de la nuit, ie ſceu qu’ils auoyent mandé à Nantouiliet preuoſ‍t de Paris de leur appreſ‍ter la collation, qu’ils la vouloyent aller prendre chez luy. Et que de fait ils y allerent, quelque excuſe que Nantouillet ſceuſ‍t alleguer pour ſes deffenſes.
Ie ſceu qu’apres la collation, la vaiſ‍ſelle d’argent de Nantouillet & ſes coffres furent fouillez & pillez par les Rois & leurs ſatellites : & diſoit-on dedans Paris, qu’on luy auoit pris & volé plus de cinquãte mille francs. Et qu’il euſ‍t mieux fait le bon homme de prendre à femme Chaſ‍teauneuf, fille de ioye du roy de Pologne, que de l’auoir refuſee : qu’il euſ‍t mieux fait auſsi d’auoir vẽdu ſa terre de Nantouillet au duc de Guyſe, que de ſe faire ainſi piller à ſi grands & puiſ‍ſans volleurs.
En ſomme ie ſceu que le lendemain le premier Preſident de Paris fut trouuer le tyrã, & luy dire que tout Paris eſ‍toit eſmeu pour le vol de la nuic‍t paſ‍ſee : & que quelques vns vouloyent dire qu’il l’auoit fait pour rire, & qu’il s’y eſ‍toit trouué luy-meſmes.
A quoy le tyran reſpõdit, que par le ſang Dieu, il n’en eſ‍toit riẽ & que ceux qui le diſoyẽt auoyẽt mẽty : dont le Preſidẽt treſcõtent : i’en informeray donques, ſire (replica- il) & en feray faire iuſ‍tice. Non, non, reſpondit le tyran, ne vous en mettez pas en peine, & faites entẽdre à Nantouillet qu’il aura trop forte partie, s’il en veut demander raiſon. Voila que ie ſceu au vray quant à ce fait.
Apres ie ſceu qu’vn autre jour les Rois firent dreſ‍ſer partie à douze de leurs courtiſans, contre douze filles de ioye des plus honneſ‍tes de Paris : & que pour la mieux voir iouer, ils firent tendre en vne ſalle douze lits de cãp ſans rideaux, ou chacun auec ſa chacune en la preſence de ces Rois n’auoit pas honte de deffier ſes compagnõs à paillarder.
L’hi. O mon Dieu, qu’eſ‍t-ce que i’oy dire ! hé que voila d’infames ac‍tes ! Ie ne croiray iamais que Neron, Caligule, Heliogabale, & le vilain Sardanapale ayent approché que de loin à l’infameté de ceux cy.
Le pol. Or eſcoute. I’apprins à Paris d’auantage : que le tyran auoit mandé & eſcrit deux fois à ſon frere le roy de Pologne durant le ſiege de la Rochelle, qu’il deuſ‍t faire eſ‍trangler la Mole vn gentilhomme Prouençal, fauory du duc d’Alençon.
L hi. Ie le cognoy bien : & qu’elle raiſon en auoit il ? la Mole eſ‍t-il pas Papiſ‍te & le balladin de la cour ?
Le pol. Il eſ‍t vray. Mais tant y a que le tyran le cõmanda, quoy que ſon frere ne fit rien que mõſ‍trer ſeulement les letres à la Mole, afin qu’il auiſaſ‍t vn peu de plus pres à ſon fait que par le paſ‍ſe.
L’hi. Et ne dit-on pas l’occaſion qui eſmeut le tyran à cela ?
Le pol. On dit qu’il n’en auoit point d’autre que l’occaſion de ialouſie, de tant que la Mole eſ‍toit fauorizé d’vne jeune princeſ‍ſe que ie ne nomme point pour le reſpec‍t de ſon mary, plus que le tyran n’euſ‍t voulu. Apres ie ſceu que pour ceſ‍te occaſion meſme, le tyran voyant que ſon frere n’auoit voulu faire deſpecher la Mole, fit vne nuic‍t deſ‍ſein luy-meſmes de l’eſ‍trangler dedãs la cour, où la Molle eſ‍toit retourné apres le camp de la Rochelle.
Et pour ce faire ſachant que la Molle eſ‍toit en la chambre de la ducheſ‍ſe de Neuers dãs le Louure, il print auec luy le duc de Guyſe, & certains gentilshommes que ie te nommeray iuſques à ſix, auſquels il commanda ſur la vie d’eſ‍trangler celuy qu’il diroit auec des cordes qu’il leur diſ‍tribua.
En ceſ‍t equippage le tyran portant vne bugie allumee, il diſpoſa à la ſortie de la chambre de la ducheſ‍ſe de Neuers, ſes compagnons bourreaux ſur les briſees que la Mole deuoit prendre pour aller à la chambre de ſon maiſ‍tre le duc d’Alençon. Mais bien ſeruit au poure ieune homme de ce qu’au lieu d’aller à ſon maiſ‍tre, il deſcẽdit trouuer ſa maiſ‍treſ‍ſe : ſans rien ſcauoir de la partie, laquelle il ne pouuoit autrement eſchapper qu’en deſcendant en bas, comme il fit au lieu de monter à ſon maiſ‍tre, comme les autres le penſoyent.
L’hi. Voila vn ieune homme perdu, s’il ne prend garde de bonne heure aux embuſches de ce tyran.
Le pol. Il a beau ſe donner de garde : s’il ne prent l’expedient de Bodille : & s’il ne fait, comme l’on dit, d’vne pierre deux galands coups, deliurant ſoy & ſa patrie de ce monſ‍tre pernicieux, & mettant le duc en ſa place : maintenant que l’autre eſ‍t bien loin. Autrement ceſ‍t fait de la Mole : le tyran iamais ne pardonne à pas vn de ceux qui le faſchent, quelque mignon de cour qu’il ſoit. Et ie t’en diray vne preuue que poſsible tu ne ſcay pas.
L’hi. Ie t’en ſupplie. Ie ſuis tout preſ‍t de t’eſcouter, ſi c’eſ‍t quelque preuue nouuelle qui puiſ‍ſe ſeruir à l’hiſ‍toire.
Le pol. Ce que ie te veux dire, n’eſ‍t pas nouueau à quelques vns qui me l’õt dit pour choſe ſeure. La plus part ignore le fonds de la trahiſon du tyran : & cecy me ſemble tout propre pour aider à bien l’eſclarcir.
Tu ſcay que Lignerolles fut tué à Bloys la cour y eſ‍tant, & que le bruit courut entre aucuns, que le roy de Pologne, qu’on appelloit lors Monſieur l’auoit fait tuer pour auoir deſcouuert au tyran vn paquet d’Eſpagne qui venoit à Monſieur, traitant de quelques intelligences ſecretes auec l’Eſpagnol.
Autres penſoyent que c’eſ‍toit ſimplement Villequier, qui pour deſmeller ſa querelle s’eſ‍tãt accompagné de ſes amis, auoit anticipé ſur Lignerolles luy en preſ‍tant vne dans le ſein.
Mais voicy la vraye occaſion de la mort de Lignerolles que i’ay apprins eſ‍tant en Cour, de la bouche d’aucuns des grands, qui cuidoyent que ie fuſ‍ſe encores Papiſ‍te.
Le tyran & ſa mere qui deſiroyent ſur toutes choſes faire mourir l’Amiral & d’exterminer tout le reſ‍te des Huguenots de la France. Apres auoir cerché dés la paix de l’an 1570. parmi tous ſes ſuppoſ‍ts & courtiſans vn qui fuſ‍t aſ‍ſez habile à leur tracer quelques moyens pour executer ſubtilement leur proiec‍t, puis que la force ny auoit de rien peu ſeruir. S’aſ‍ſeurans qu’il n’y auoit aucun à leur gré mieux auenant à forger vne laſcheté, quelque beſ‍te qu’il ſoit, au reſ‍te, pour l’inſigne meſchanceté qu’il nourrit dans ſon courage, que l’Italien Birague, Gardeſeaux : ne voyans pas auſſi qu’il y en euſ‍t vn qui ſceuſ‍t mieux garder leur ſecret.
L’ayans fait venir à eux, luy communiquerent leur deſ‍ſein & volonté : & luy donnerent charge expreſ‍ſe d’auiſer de tout ſon pouvoir à leur tracer ce qu’il croiroit pour ſeruir à l’execution de leurs deſirs.
Birague ſe voyant de tant honoré, tout aiſe de ce qu’on l’auoit prepoſé en affaire ſi important aux autres de ſa nation, leur promit de faire en ſorte qu’ils auroyent contentement.
Il ne faut pas douter (ie diray cecy en paſ‍ſant) qu’il ne ſe promiſ‍t dés lors d’auoir l’eſ‍tat de Chãcelier qu’on luy a du depuis baillé en recompenſe de ce ſeruice.
Quelques iours ſe paſ‍ſerent durant leſquels, (comme tu peux penſer) le vilain eut beau diſcourir tout à loyſir & à part ſoy de ce qu’il iugeoit neceſ‍ſaire.
A la fin il ſe reſolut qu’il eſ‍toit du tout expedient de mettre en auant de traic‍ter & reſoudre à quelque marché que ce fut le mariage de la ſœur du tyran auec le prince de Nauarre, afin de pouvoir attirer par ce cordeau les Huguenots, l’Amiral auec la Nobleſ‍ſe à la diſcretion de la cour. Que pour faciliter ceſ‍t affaire, il ne falloit nullement pardonner à beaux ſemblants, preſens, promeſ‍ſes, & autres telles attrapoires & eau benite de cour iuſques qu’on les viſ‍t dans Paris, où la cour pour ceſ‍te occaſion ſe remueroit au beſoin : eux y eſ‍tãs venus, recueillis & careſ‍ſez qu’il falloit pour le temps des nopces leur dreſ‍ſer vn fort à plaiſir bien trouſ‍ſé & bien equippé, comme à mode de guerre, au Pré aux clercs, ou pres des Tuyleries, ſous couleur de faire exercer les courtiſãs, les vns à aſ‍ſaillir, les autres à deffendre le fort pour l’esbat & paſ‍ſetemps des dames. Qu’il eſ‍toit de beſoin de faire que l’Amiral fuſ‍t le chef des aſ‍ſaillans : & qu’il fuſ‍t ſuyui des gentilshommes de la Religion, qui lors ſe trouueroyent en cour, deſquels il ne falloit pas douter qu’il ne s’en trouuaſ‍t vn bon nombre : & que ceux qui deffendroyent le fort fuſ‍ſent des plus feaux & aſ‍ſeurez courtiſans, Capitaines & ſoldats du tyran : deſquels les chefs auroyent le mot de guet de tout ce qu’il leur faudroit faire. Qui ſeroit, ſelon ſon auis, de charger à plomb leurs harquebouzes, les encarrer & tirer droit à l’Amiral & à ceux de ſa trouppe, leur courre ſus à bon eſcient, & les tuer, comme qu’il en fuſ‍t, apres auoir fait quelque ſemblant au commencement de combatre & de ſe deffendre ſeulement pour le plaiſir.
Que cela fait on viendroit facilement à bout des autres Huguenots quelque part qu’ils ſe retiraſ‍ſent. Quant à la couuerture du fait, lors qu’il ſeroit executé, qu’on trouueroit aſ‍ſez de pretexte, qu’il n’y auoit pas faute de quelque groſ‍ſe conſpiratiõ, dont on les prouueroit autheurs, pour leur ietter le chat aux iambes.
Apres que Birague ſe fut reſolu de la ſorte, luy ſemblant qu’on ne pouuoit mieux, il fit entendre au tyran & à ſa mere tout ce qu’il en auoit tracé. Eux conſiderans que l’affaire ſeroit aſ‍ſez bien cõduit, s’on le demenoit de la ſorte, apres auoir fait à Birague quelques difficultez ſur la forme, & ſur la matiere : & le moyen de l’exploic‍ter, ſe reſolurent à la fin de ſuyure ce chemin là & ces briſees par l’auis meſme du comte de Rets, à qui ils le cõmuniquerent, qui s’y accorda de tout point. Si mirent le mariage ſur les rengs, & firent tour ce que tu ſcay, pour tirer les noſ‍tres en cour.
Quelques iours apres ceſ‍te reſolution le tyran la voulant faire entendre à ſon frere le duc d’Aniou, le fit coucher auec luy, comme il a de couſ‍tume, quand il le veut entretenir de quelque choſe d’importance. Et luy ayant communiqué tout, le fit iurer & promettre de n’en iamais rien reueler, d’auoir ſeulement bon courage, qu’il s’aſ‍ſeuroit d’en voir le bout.
Le duc d’Aniou trouuant ceſ‍te entreprinſe biẽ difficile à digerer, ſe diſpenſa de la communiquer à Lignerolles ſous vn grand & profond ſilẽce, que Lignerolles luy iura.
Afin que Lignerolles qui eſ‍toit ſon plus grand mignõ, ſelon le iugemẽt & diſcours qu’il en pourroit faire, luy dit librement ſon auis, apres y auoir bien penſé pour mieux faciliter l’affaire.
Mais comme Lignerolles, ne trouuant rien à redire à vne trahiſon ſi bien proiec‍tee, luy fiſ‍t la choſe biẽ aiſee : ſans en rien parler d’auãtage leur deſ‍ſein demoura couuert. Iuſqu’à ce qu’vn iour le vieux Briquemaut, qui ſolicitoit auec Teligny, & les autres les affaires de la Religion à la Cour : eſ‍tant allé parler au tyran pour auoir quelque iuſ‍tice des meurtres commis à Rouen ſur les fideles apres la paix, & le trouuant froit & reſ‍tif d’en commander le chaſ‍tiement : s’auança de dire au tyran qu’il ſeroit à craindre, s’il n’en faiſoit faire vengeance, que les Papiſ‍tes deuinſ‍ſent ſi inſolens qu’ils ſe permiſ‍ſent encores d’auantage, & que les Huguenots ne les pouuans ſupporter fuſ‍ſent contraints de recourir aux armes, s’ils n’y voyoyent autre moyen d’en auoir iuſ‍tice : dont s’enſuyuroit qu’on retourneroit en guerre auſsi forte qu’auparauant.
Ce langage eſmeut le tyran à commander au mareſchal de Montmorency de s’en aller iuſqu’à Rouen, pour voir de remedier à tout.
Cependant Briquemaut s’en eſ‍tant allé de la preſence du tyran : le tyran fit vuider ſa chambre pour pouuoir blaſphemer à l’aiſe & ſe deſpiter tout ſeul.
Lors que Lignerolles eſ‍tant admis dans la chambre du tyran pour luy parler de quelque affaire, le trouuant eſmeu de cholere, s’auança de luy demander tout doucement l’occaſion de ſon mal talent : qu’il eſ‍toit aiſé à iuger que ſa Maieſ‍té eſ‍toit eſmeue.
Ventre-Dieu, ce dit le tyran, & qui ne ſeroit en cholere ? d’ouyr ce bougre de Briquemaut, (ainſi appelle-il le plus ſouuent les gens de bien) me brauer & me menacer que ie ſuis pour rentrer en guerre, ſi ie ne punis ceux de la ville de Rouen.
Hé Sire, reſpond Lignerolles, & ne pourriez vous attendre ſans tant vous faſcher de ces choſes, l’aſ‍ſaut & deffenſe du fort.
Or cela diſoit Lignerolles penſant rappaiſer le tyran, & luy voulant faire ſentir qu’il auoit eu part au Conſeil : ſe mõſ‍trant par là auſsi ſot, qu’il ſe cuidoit eſ‍tre habile.
Le tyran l’entendant ainſi parler, ſe doutãt d’eſ‍tre deſcouuert : Quel fort, repliqua-il, mort-dieu ie ne ſcay que vous voulez dire. Le fort Sire, dit Lignerolles, du iour des noces que ſcauez.
Le tyran en ayant ouy plus qu’il n’euſ‍t voulu, changeant de propos, renuoya Lignerolles, qui s’auiſa poſsible bien tard qu’il auoit vn peu trop parlé.
Soudain apres le tyran ayant mandé ſa mere, luy demanda s’elle auoit deſcouuert leur pot aux roſes, que par le ſang quelqu’vn en auoit ia parlé. Mais trouuant que ſa mere n’en auoit rien decelé, il fit venir le comte de Rets, auquel d’abordee il va dire : Petit vilain, par le ſang Dieu, ie t’ay fait trop grand, petit beliſ‍tre : mais ie te feray bien ſi petit, qu’on ne te verra pas ſur terre : tu deſcouures mes ſecrets, Bougre, ie me donne, &c.
Ce poure vilain du Peron ſe voyant ainſi rudoyé, plus mort que vif & tout tremblant, commença à reſpondre au Sire, que iamais il n’auoit penſé ſeulement d’en ouurir la bouche : le ſuppliant de le faire pendre, s’il trouuoit qu’il ne fuſ‍t ainſi.
Le tyran ne ſachãt que dire, s’en alla lors trouuer ſon frere, luy demandãt s’il n’auoit point parlé à quelcun de ceſ‍t affaire. Et comme ſon frere, en le ſuppliant de luy pardonner, luy euſ‍t confeſ‍ſé qu’il s’en eſ‍toit deſcouuert à Lignerolles, & non à autre, le cognoiſ‍ſant homme ſecret & de diſcours, afin d’en auoir ſon auis pour mieux executer le cas. I’ay bien cognu, dit le tyran, que quecun luy auoit parlé : vous m’auez fait vn deſplaiſir qui me gardera de vous rien plus dire : quant à Lignerolles, c’eſ‍t vn ſot, il faut qu’il meure. Car eſcoutez ie ne veux pas qu’il en ouure iamais la bouche.
Le duc d’Aniou, cognoiſ‍ſant ſa faute, celle de Lignerolles & la cholere du tyran, ne ſceut autre choſe que dire, ſinon qu’il ne s’y oppoſoit pas. Dés ceſ‍te heure-là le tyran ayant fait venir à ſoy ſon frere baſ‍tard le Cheuallier, luy cõmanda d’aller trouuer le ieune Villequier, de luy fournir ſix ou ſept bons hommes pour eſcorte, & luy dire de ſa part que par le ſang il eſ‍toit laſche, couard & recreu de courage, s’il n’eſ‍ſayoit à auoir raiſon de Lignerolles, qui luy auoit fait tort.
Le Cheualier ne faillit pas à s’aquitter biẽ de ſa charge, laiſ‍ſant Villequier reſolu, armé & accõpagné de meſmes. Mais Villequier en trouuant Lignerolles, ſeigna du nez ſans l’oſer attaquer comme le tyran deſiroit.
Qui fut cauſe que le tyran l’ayant ſceu manda querir Villequier, & apres luy auoir dit des pouilles, luy defendit de ſe trouuer iamais deuãt luy, s’il ne tuoit à ce coup Lignerolles : luy donna vne eſpee bonne & bien trenchãte & l’arma luy-meſmes de ſon iacque de maille, cõmandant au cheualier de l’accõpagner mieux que la premiere fois de gens, qui ne fiſ‍ſent point faute de tuer bien mort Lignerolles, & qu’il le leur diſ‍t de ſa part. Ce commandement fait, la partie fut dreſſee de nouueau en laquelle le Cõte de Mansfeld papiſ‍te qui pour lors eſ‍toit à la Cour & S. Iean de Montgomery & quelques autres gentils-hommes accompagnerent Villequier, qui eſ‍tant allé tout reſolu trouuer le poure Lignerolles, l’attaqua de cul & de teſ‍te, le bleſ‍ſa, & comme il s’enfuyoit la bonne aide de ſa quadrille l’ataignit & porta par terre d’vn coup d’eſpee à trauers le corps. Ainſi mourut le beau fils Lignerolles l’vn des fauoris de la Cour.
Quant au deſ‍ſein, que ie t’ay dit baſ‍ty par le garde-ſeaux Birague, cõbien que l’on dreſ‍ſa ſuyuant ſa trace, le fort pour le temps des nopces : toutesfois, pource que l’on ſentit que l’Amiral ne vouloit point eſ‍tre de la partie , & que bien peu de nobleſ‍ſe de la Religion y voudroit aſ‍ſiſ‍ter : le tyran fut contraint, pour aſ‍ſouuyr ſon laſche deſir, de prendre vn autre expedient par l’aduis de ces premiers conſeilliers & du Duc d’Aumale & de Neuers, auxquels il communica le fait vn peu auant les nopces.
En ces entrefaites le Duc de Guiſe, qui doutoit que l’Amiral auquel il portoit particuliere inimitié, luy eſchappaſ‍t & qu’il ſe retiraſ‍t de la Cour, comme il en auoit enuie, luy fit tirer le coup d’arquebouſade que tu ſcay le vendredy deuant le maſ‍ſacre. Qui fut cauſe qu’ils changerent encore leur proiec‍t, faiſans à l’œil & ſelon l’occurrence (au deſceu de ceux à qui ils auoyent cillé les yeux auec leurs careſ‍ſes de Cour) leur traiſ‍treſ‍ſe & deſlovalle guerre ſur les gens de bien, mal-auiſez. Voila ce qu’en i’en ay peu apprendre de plus veritable en la Cour.
Hiſ‍toriog. Ce fait eſ‍t autant remarquable que nul autre de ceux que tu m’as recité afin que vn chaſcun cognoiſ‍ſe la deſloyauté des tyrans : & que les Courtiſans apprennent ce qu’ils en doyuent eſperer.
Le pol. C’eſ‍t merueille qu’en voyant tant d’exemples apparens, voyant le danger preſent, perſonne ne ſe veut faire ſage au moins aux deſpens d’autruy : & que de tant de gens qui s’approchent ſi volontiers des tyrans, il n’y a pas vn qui ait l’auiſement & la hardieſ‍ſe de leur dire, ce que dit le regnard au lion (qu’on dit eſ‍tre le Roy des beſ‍tes, qui faiſoit, comme dit le conte, le malade dans ſa taſniere) ie t’irois voir luy dit-il (Sire) & bien ſouuent de bon cœur : mais ie voy tant de traces de beſ‍tes qui vont en auant vers toy & en arriere qui reuienent ie n’en voy pas ſeulement vne.
L’hiſ‍t. Si feu monſieur l’Amiral euſ‍t ſceu ce conte & qu’il euſ‍t parlé en regnard, il nous en euſ‍t à tous mieux pris. Mais la brebis comme tu ſcay, ne ſcait rien faire que beeler, & ne ſcachant auec les loups hurler pour deſguiſer ſa voix, elle n’a garde d’eſchapper. Mais quant à ces autres Courtiſans : quel remede ?
Quand ces miſerables voyans reluire le threſor du tyran, qu’il tire de la ſueur du peuple, & de la deſpouille des bons, regardent tous eſ‍tonnez les rayons de ſa brauerie : & alléchez de ceſ‍te clarté s’approchent de luy, ſans regarder qu’ils ſe mettent dans la flamme qui ne peut faillir à les conſumer.
Ainſi le Satyre indiſcret voyant, comme diſent les fables anciennes, eſclairer le feu trouué par Promethee, le trouua ſi beau qu’il l’alla baiſer & s’y bruſler.
Àinſi le Papillon qui eſpere iouyr de quelque grand plaiſir ſe met au feu de la chandelle, qu’il voit eſ‍tre clair & luyſant, eſprouuant en iceluy ſon autre vertu qui le bruſle.
C’eſ‍t vne choſe bien certaine que ces coquins mendie-faueurs ſouffrent vne peine incredible, à qui y regarde de pres : eſ‍tans contrains d’eſ‍tre nuic‍t & iour après à ſonger pour plaire au tyran, & ſe rompre, ſe tuer, & trauaiiler pour inuenter nouueaux moyens de trahir, de tuer, de paillarder, de piller, de deſrober, & qu’ils laiſ‍ſent leur gouſ‍t pour le ſien, & neantmoins ſe craindre de luy plus que de tout homme du monde : auoir touſiours l’œil au guet, l’oreille aux eſcoutes pour eſpier d’ou viendra le coup, pour deſcouurir les embuſches, pour ſentir la mine de ſes compagnons, pour aduiſer qui le trahiſ‍t, rire à chaſcun, ſe craindre de tous, n’auoir aucun, ny ennemy ouuert, ny amy aſ‍ſeuré, ayant toujours le viſage riant & le cœur tranſy, ne pouuant eſ‍tre ioyeux, & n’oſer eſ‍tre triſ‍te.
Le pol. Tu as deſcrit en deux mots, la vie de ces miſerables. Mais pour en parler à bon eſcient & ne plus flatter le dé, comme l’on dit, tout ainſi que la Repub. de laquelle les Roys philoſophent ou en laquelle les Philoſophes ſont gouuerneurs (ſelõ le dire de Platon) eſ‍t heureuſe ſur toutes autres : Et que c’eſ‍t vn treſgrand heur d’eſ‍tre ſuiet à vn bon Prince qui ſoit ſuiet à la loy, laquelle ait pour ſeure garde de peur qu’elle ne ſoit violee, quelques eſ‍tats ou parlemẽs. Ainſi que iadis noſ‍tre Frãce, & cõme encores quelques vns de nos voiſins l’ont pour le iourd’huy parmy eux. Auſ‍ſi eſ‍t-ce vne grãde miſere de demeurer ſous la ſeruitude d’vn tyran, chaſ‍ſeur deſloyal, & d’vn conſeil de meſme eſ‍toffe, qui ne garde ni foy, ni loy, aucune equité ou droiture, non pas meſme l’humanité, ni les loix que nature imprime dans le cœur des plus mallotrus. C’eſ‍t (di-ie) vn extreme malheur non ſeulemẽt pour les Courtiſans : ains auſ‍ſi pour tous les François de quelque religiõ & condition qu’ils ſoyẽt d’eſ‍tre ſuiets à vn maiſ‍tre, duquel on ne peut iamais s’aſ‍ſeurer qu’il ſoit bon, puis qu’il eſ‍t touſiours en ſa puiſ‍ſãce d’eſ‍tre mauais quãd il voudra, & d’auoir pluſieurs tels maiſ‍tres : c’eſ‍t autant qu’on en a eſ‍tre autant de fois extrememẽt mal-heureux. Mais ie ſcaurois volõtiers, comme il ſe peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tãt de villes & tant de prouinces, endurẽt ſi long tẽps vn tyran ſeul, qui n’a moyen que celuy qu’on luy donnes, qui n’a puiſ‍ſance de leur nuire, ſinõ tant qu’ils ont vouloir de l’endurer, qui ne ſcauroit leur faire mal aucũ, ſinõ alors qu’ils ayment mieux le ſouffrir que luy contredire ? Tant plus i’y penſe, plus i’en ſuis esbahy.
L’hi. Et moy de meſmes, ie t’aſ‍ſeure. Mais ie te prie, mon grand amy, que i’aye ce bien maintenant de t’ouyr ſur ceſ‍te matiere, faire vn peu le preſ‍tre Martin. Ce ſuiet eſ‍t propre à ce temps & ie ſcay bien que tu l’entens auſ‍ſi bien qu’homme de noſ‍tre aage. Commence, ie t’eſcouteray, i’ayme mieux veiller toute nuic‍t.
Le pol. I’en ſuis content : auſ‍ſi bien y a il longtemps que i’en ſuis ſi gros, que ie creue d’enuie que i’ay d’enfanter ce que ie ſens de c’eſ‍t affaire : Mais ie proteſ‍te bien que ie n’en parleray point comme les Huguenots en parlent, ils ſont trop doux & trop ſeruiles : i’en parleray tout amplement en vray & naturel François, & comme vn homme peut parler des choſes ſuiettes à ſon iugement, voire au ſens commun de tous hõmes : afin que tous nos Catholiques, nos patriotes & bons voiſins & tout le reſ‍te des François qu’on traite pire que les beſ‍tes, ſoyent eſueillez à ceſ‍te fois pour recognoiſ‍tre leurs miſeres, & auiſer treſ‍tous enſẽble de remedier à leurs malheurs. A la verité dire, mon compagnõ, c’eſ‍t vne choſe bien eſ‍trange de voir vn milliõ de milliõs d’hommes ſeruir miſerablemẽt ayans le col ſous le ioug, non pas cõtrains par vne plus grãd force : mais auicunemẽt (ce me ſemble) enchãtez & charmez par le nom ſeul d’vn, duquel ils ne doyuẽt ne craindre la puiſ‍ſance, puis qu’il eſ‍t ſeul : ne aimer les qualitez, puis qu’il eſ‍t en leur endroit inhumain & ſauuage.
La nobleſ‍ſe d’entre nous hõmes eſ‍t telle, qu’elle fait ſouuẽt que nous obeiſ‍ſons à la force : il eſ‍t beſoin de temporiſer, nous ne pouuons pas touſiours eſ‍tre les plus forts. Si dõques vne natiõ eſ‍t contrainte par la force de la guerre de ſeruir à vn (comme la cite d’Athenes aux 30. tyrans) il ne ſe faut esbahir qu’elle ſerue : mais ſe plaindre de l’accident, ou pluſ‍toſ‍t ne s’esbahir ny ne s’en plaindre : ains porter le mal patiemment & ſe reſeruer à l’auenir à meilleure fortune.
Noſ‍tre nature eſ‍t ainſi, que les communs deuoirs de l’amitié emportẽt bõne partie du cours de noſ‍tre vie. Il eſ‍t bien raiſõnable d’aimer la vertu, d’eſ‍timer les beaux faits, de recognoiſ‍tre le biẽ d’où l’on la receu, & diminuer ſouuent noſ‍tre aiſe pour augmẽter l’hõneur & auãtage de celuy qu’on aime & qui le merite. Ainſi donc ſi les habitans d’vn pays ont trouué quelque grãd perſonnage qui leur aye monſ‍tré par eſpreuue vne grande prouidence pour les garder, vne grande hardieſ‍ſe pour les defendre, vn grand ſoin pour les gouuerner : ſi de là en auant ils s’appriuoiſent de luy obeir & ſe fier tant de luy que de luy donner quelque auantage (ie ne ſcay ſi ce ſera ſageſ‍ſe de l’oſ‍ter de là où il faiſoit bien pour l’auancer en vn lieu où il pourra mal faire) mais il ne peut faillir d’y auoir de la bonté du coſ‍té de ceux qui l’eſleuent, de ne craindre point mal de celuy de qui on n’a receu que bien.
Mais bon Dieu ! Que peut eſ‍tre cela ? Comment pourrons-nous dire que cela s’appelle ? Quel mal heur eſ‍t celuy la ? Quel vice ? ou pluſ‍toſ‍t, quel mal-heureux vice ? voir vn nombre infini de perſonnes, non pas obeir, mais ſeruir, non pas eſ‍tre gouuernees, mais tyranniſees : n’ayant ni biens, ni parens, ni femme, ni enfans, ni leur vie meſmes qui ſoit à eux. Souffrir les paillardiſes, les pilleries, les cruautez, non pas d’vne armee, non pas d’vn camp Barbare, contre lequel il faudroit deſpendre ſon ſang & ſa vie, mais d’vn ſeul, non pas d’vn Hercule, ne d’vn Samſon, mais d’vn ſeul hommeau le plus laſche & femelin de toute la nation. Non pas accouſ‍tumé à la poudre des batailles, mais encores à grand peine au fable des tournois. Non pas qui puiſ‍ſe par force commãder aux hommes, mais tout empeſché de ſeruir vilemẽt à la moindre femellette. Appellerõs-nous cela laſcheté ? Dirons-nous que ceux-la qui ſeruent à vn ſi laſche tyran ſoyent couars & recreuz ?
Si deux, ſi trois, ſi quatre ne ſe defendent d’vn, cela eſ‍t eſ‍trange & poſ‍ſible pourra-l’on biẽ dire lors à bon droit que c’eſ‍t faute de cœur. Mais ſi cent, ſi mille endurẽt d’vn ſeul, ne dira l’on point qu’ils ne veulent, non pas qu’il n’oſent, ſe prẽdre à luy : Et que c’eſ‍t non couardiſe, mais pluſ‍toſ‍t meſpris ou deſdain. Si l’on voit, non pas cẽt, non pas mille hommes : mais cent pays, mille villes, vn million d’hommes n’aſ‍ſaillir pas vn ſeul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’eſ‍tre ſerf & eſclaue : Comment pourrons-nous nommer cela ? Eſ‍t-ce laſcheté ? Or y a-il en tous vices naturellement quelque borne, outre laquelle ils ne peuuent paſ‍ſer. Deux peuuent craindre vn & poſ‍ſible dix le craindront : Mais mille, mais vn million, mais mille villes ſi elles ne ſe defendent d’vn ? Ce n’eſ‍t pas couardiſe, elle ne va pas iuſques la : non plus que la vaillance ne s’eſ‍tend pas qu’vn ſeul eſchelle vne ſeule fortereſ‍ſe, qu’il aſ‍ſaille vne armee, qu’il conquiere vn Royaume, Donc quel mõſ‍tre de vice eſ‍t cecy, qui ne merite encore pas le nõ de couardiſe, qui ne trouue pas de nom aſ‍ſez vilain, que la nature deſauoue auoir fait, & la longueur refuſe de le nommer.
Qu’on mette d’vn coſ‍té cinquante mille hommes en armes : d’vn autre autant, qu’on les range en bataille, qu’ils viennent à ſe ioindre, les vns combatans pour leur franchiſe, les autres pour la leur oſ‍ter : auſquels promettra-on par cõiec‍ture la vic‍toire ? Leſquels penſera l’on qui plus gaillardement iront au combat ? ou ceux qui eſperẽt pour le guerdon de leur peine l’entretenemẽt de leur liberté ? Ou ceux qui ne peuuent attẽdre autre loyer des coups qu’ils dõnent, ou qu’ils reçoiuent, que la ſeruitude d’autruy ?
Les vns, ont touſiours deuant les yeux le bon heur de la vie paſ‍ſee, l'attente de pareil aiſe à l'auenir, il ne leur ſouuient pas tant de ce qu'ils endurent ce peu de temps que dure vne bataille, comme de ce qu’il cõuiendra à iamais endurer à eux, à leurs enfans, & à toute leur poſ‍terité.
Les aurres n’ont rien qui les enhardiſ‍ſe, qu'vne petite pointe de leur conuoitiſe, qui ſe rebouche ſoudain cõtre le dãger, & qui ne peut eſ‍tre ſi ardẽte, qu'elle ne ſe doiue (ce ſemble) eſ‍teindre par la moindre goutte de ſang, qui ſorte de leurs playes.
Aux batailles tant renommees de Milciades, & de Themiſ‍tocles, qui ont eſ‍té donnees deux mille ans y a, & viuent encore auiourdhuy, auſ‍ſi freſches en la memoire des liures, & des hõmes, comme ſi c’euſ‍t eſ‍té l'autr'hier, qui furent donnees en Grece, pour le biẽ de Grece, & pour l'exemple de tout le mõde, & qu'eſ‍t-ce qu’on penſe qui donna à ſi petit nombre de gens, comme eſ‍toyent les Grecs, non le pouuoir, mais le cœur de ſouſ‍tenir la force de tant de nauires, que la mer meſmes en eſ‍tait chargee, de deffaire tãt de nations, qui eſ‍toyent en ſi grand nombre, que l’eſcadron des Grecs, n'euſ‍t pas fourny ſeulement de Capitaines aux armees des ennemis : ſinon qu'il ſemble que ces glorieux iours-là, ce n'eſ‍toit pas tant la bataille des Grecs contre les Perſes, cõme la vic‍toire de la liberté, ſur la domination, de la franchiſe, ſur la conuoitiſe.
C’eſ‍t choſe eſ‍trange, d'ouyr parler de la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la defendent.
Mais ce qui ſe fait tous les iours deuant nos yeux, en noſ‍tre France. Qu'un homme maſ‍tine cent mille villes, & les priue de leur liberté, qui le croiroit, s’il ne faiſoit que l'ouyr dire, & non le voir? Et s’il ne ſe voyoit qu’en pays eſ‍trange, & lointaines terres, & qu'on le diſ‍t, qui ne pẽſeroit que cela ne fuſ‍t pluſ‍toſ‍t feint ou trouué, que non pas veritable ? Encores ce ſeul Tyran, il n'eſ‍t pas beſoin de le combatre, il n'eſ‍t pas beſoin de le deffaire, il eſ‍t de ſoy-meſme desfait : mais que le pays ne conſente pas à ſa ſeruitude : il ne faut pas luy oſ‍ter rien, mais ne luy donner rien : il n’eſ‍t pas beſoin, que le pays ſe mette en peine de faire riẽ pour ſoy, mais qu'il s'eſ‍tudie à ne rien faire contre ſoy.
C'eſ‍t donques le peuple meſme, qui ſe laiſ‍ſe, ou pluſ‍toſ‍t ſe fait gourmander, puis qu’en ceſſant de ſeruir, il en ſeroit quitte.
C'eſ‍t le peuple qui s’aſ‍ſeruit, qui ſe couppe la gorge : qui ayant le choix, ou d’eſ‍tre ſerf, ou d'eſ‍tre libre, quitte ſa franchiſe, & prent le ioug, & pouuant viure ſous des bonnes loix, & ſous la protec‍tion des Eſ‍tats, veut viure ſous l'iniquité, ſous l'oppreſ‍ſion & iniuſ‍tice au ſeul plaiſir de ce Tyran. C'eſ‍t le peuple qui conſent à ſon mal, ou pluſ‍toſ‍t le pourchaſ‍ſe : s'il luy couſ‍toit quelque choſe à recouuurer ſa liberté, ie ne l'ẽ preſ‍ſerois point : combiẽ qu’eſ‍t ce que l’homme doit auoir plus cher, que de ſe remettre en ſon droit naturel, & par maniere de dire, de beſ‍te reuenir homme?
Mais encore ie ne deſire pas en luy vne ſi grãde hardieſ‍ſe, ie luy permetz, qu'il aime mieux vne ie ne ſcay quelle ſeureté de viure miſerablement, qu'vne douteuſe eſperance de viure aiſe.
Quoy ſi pour auoir la liberté, il ne luy faut que la deſirer ? S'il n'eſ‍t beſoin, que d'vn ſimple vouloir, ſe trouuera-il nation au monde, qui l'eſ‍time trop chere, la pouuant gaigner d’vn ſeul ſouhait ? & qui pleigne ſa volonté à recouurer le bien, lequel on deuoit racheter au prix de ſon ſang, & lequel perdu tous les gens d'honneur, doiuent eſ‍timer la vie deſplaiſante, & la mort ſalutaire.
Certes tout ainſi, que le feu d'vne petite eſ‍tincelle, deuient grand, & touſiours ſe renforce : & plus il trouue de bois, plus il eſ‍t preſ‍t d'en bruler. Et ſans qu'on y mette de l’eau pour l’eſ‍teindre, ſeulement n'y mettant plus de bois, n'ayant plus que conſumer, il ſe conſume ſoy-meſmes, & vient ſans force aucune, & n’eſ‍t plus feu. Pareillement les Tyrans plus ils pillent & exigent, plus il ruynent & deſ‍truiſent, plus on leur baille, plus on les ſert, de tant plus ils ſe fortifient, & deuienent touſiours plus forts, & plus frais, pour aneantir & deſ‍truire tout, & ſi on ne leur baille rien, ſi on ne leur obeyt point, ſans cõbatre, ſans frapper, ils demeurẽt nuds & desfaits, & ne ſont plus rien, ſinon comme la racine eſ‍tant ſans humeur, ou aliment, la branche deuient ſeche, & morte.
Les hardis, pour acquerir le bien qu'ils demandent, ne craignent point le danger, les auiſez ne refuſent point la peine. Les laſches & eſ‍tourdis ne ſcauẽt ny endurer le mal, ny recouurer le biẽ, & s’arreſ‍tent en cela de le ſouhaiter. La vertu d'y pretendre leur eſ‍t oſ‍tee par celle laſcheté : le deſir de l’auoir, leur demeure par la nature. Ce deſir, ceſ‍te volõté, eſ‍t commune aux ſages & aux indiſcrets, aux courageux, & aux couards, pour ſouhaiter toutes choſes, leſquelles eſ‍tans acquiſes, les rendront heureux & contens. Vne ſeule choſe en eſ‍t à dire, en laquelle, ie ne ſcay comme nature defaut aux hommes pour la deſirer, c’eſ‍t la liberté, qui eſ‍t toutefois vn bien ſi grand & ſi plaiſant, qu’elle perdue, tous les maux vienent à la file, & les biens meſmes qui demeurent apres elle, perdent entierement leur gouſ‍t, & ſaueur, corrompus par la ſeruitude,
La ſeule liberté, les hommes ne la deſirent point, non pas pour autre raiſon (ce ſemble) ſinon que s'ils la deſiroyent, ils l’auroyent : comme s'ils refuſoyent faire ce bel acquet, ſeulemẽt par ce qu'il eſ‍t trop aiſé.
Poures & miſerables François, peuple inſenſé! nation opiniaſ‍tre en ton mal, & aueuglee en ton bien! vous vous laiſ‍ſez emporter deuãt vous le plus beau, & le plus clair de voſ‍tre reuenu, piller vos chãps, voller vos maiſons, & les deſpouiller de meubles anciens & paternels, vous viuez de ſorte, que vous ne vous pouuez vãter que rien ſoit à vous. Et ſembleroit que meshuy, ce vous ſeroit grãd heur, de tenir à meſ‍tayrie vos biens, vos familles, & vos vies. Et tout ce deſgaſ‍t, ce mal-heur, ceſ‍te ruine, vous vient non pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemy, & de celuy que vous faites ſi grãd, qu'il eſ‍t, pour lequel vous allez ſi courageuſement à la guerre, pour la grandeur duquel ne refuſez point de mettre à la mort vos perſonnes. Celuy qui vous maiſ‍triſe tant, n’a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'vn corps, & n’a autre choſe, que ce qu'a le moindre hõme du grand & infiny nõbre de vos villes. Sinon qu’il a plus que vous tous, vn cœur deſloyal, felon, & l'auantage, que vous luy donnez pour vous deſ‍truire, d'où a-il pris tant d'yeux, dont il vous eſpie? ſi vous ne les luy baillez. Comment a-il tant de mains pour vous frapper ? s’il ne les prent de vous : les pieds, dont il foule vos citez, d’où les a-il, s'ils ne ſont des voſ‍tres ? Comment a-il aucun pouuoir ſur vous, que par vous ? comment vous oſeroit-il courir ſus, s’il n’auoit intelligence auec vous ? que vous pourroit-il faire, ſi vous n'eſ‍tiez recelateurs du larrõ qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, & traiſ‍tres à vous meſmes.
Vous ſemez vos fruic‍ts, afin qu’il en face deſgaſ‍t, vous meublez & rempliſ‍ſez vos maiſons pour fournir à ſes pilleries & volleries, vous nourriſ‍ſez vos filles, afin qu’il ait dequoy raſ‍ſaſier ſa luxure : vous nourriſ‍ſez vos enfans, afin que pour le mieux qu’il leur ſcauroit faire, qu'il les mene en ſes guerres, qu'il les conduiſe à la boucherie, qu'il les face les miniſ‍tres de ſes conuoitiſes, les executeurs de ſes vengeances, & bourreaux des conſciences de vos concitoyens : vous rompez à la peine vos perſonnes, afin qu'il ſe puiſ‍ſe mignarder en delices, & ſe veautrer dans les ſales & vilains plaiſirs : vous vous affoibliſ‍ſez afin de le rẽdre plus fort, & roide à vous tenir plus courte la bride.
De tant, d'indignitez, que les beſ‍tes meſmes ne les ſouffriroyent point, vous pouvez vous en deliurer ſi vous eſ‍ſayez, non pas de vous en deliurer : mais ſeulement de le vouloir faire. Soyez reſolus de ne ſeruir plus, & vous voy la libres, ie ne veux pas que vous le pouſ‍ſiez, ou esbranliez : mais ſeulement ne le ſouſ‍tenez plus, & vous le verrez comme vn grand Coloſ‍ſe, à qui on a deſrobé la baſe, de ſon poix, de ſoy meſme fondre en bas & ſe rompre.
L'hiſ‍t. Il n'y a rien de plus veritable entre les choſes humaines, que ce que tu viẽs d'enſeigner: que pleut à Dieu, que ces beaux mots euſ‍ſent pieçà eſ‍té ſemez au beau milieu d'vne grande aſ‍ſemblee de nos Catholiques François, ie m'aſ‍ſeure, qu’ils y auroyent eſ‍té fort bien recueillis, & qu’il n'y auroit celuy d'entre eux, qui n’en fiſ‍t bien ſon profit : nul auquel ils ne creaſ‍ſent par maniere de dire, vn nouvel eſprit dans le ventre. Et quoy que le peuple François ſemble auoir perdu longtẽps y a toute cognoiſ‍ſance, & que par là, on puiſſe iuger, que ſa maladie ſoit cõme mortelle, puis qu'il ne ſent rien plus ſon mal : ſi eſ‍t ce, que i’oſerois promettre, que ce diſcours vn peu dilaté, & accompagné de raiſons, & d’exemples & de quelque belle forme d’adminiſ‍tration de l’eſ‍tat, de la iuſ‍tice, & de la police, approchante à celle que nos anciens Peres auoye parmy eux, du temps que les Eſ‍tats eſ‍toyent en regne, dõt M. Hottoman nous a fait vn fort gentil & riche recueil en ſon œuure Gaule françoiſe, i’oſeroy (dis-ie) aſ‍ſeurer que cela reueilleroit les coqs, leur feroit hauſ‍ſer les creſ‍tes, battre les aiſles, & courir ſus de bec & d’ongles, contre ceux la qui les tienent captifs : & ſeroit ſuffiſant moyen pour faire qu’vn chacũ pẽſaſ‍t à recouurer ſa liberté, à crier apres les Eſ‍tats à les redreſ‍ſer, & remettre. On verroit bien toſ‍t l’aage d’or, que les Tyrãs ont effacé de France, pour y planter celuy de fer, d’oppreſ‍ſion, & d’infameté, reluire comme au parauant, la paix, l’amitié & concorde ſurgir & croiſ‍tre à veue d’œil, & faire à iamais ſa demeure parmy nos naturels François : he que ceſ‍t vne grand pitié ! qu’vne ſi belle nation, ſi grande & ſi opulente, ſoit par ſi long temps mal menee, à l’appetit de ſix ou ſept : deſquels le meilleur ne vaut pas qu’on prenne peine de le pendre. Mais ie ſcaurois fort volontiers, s’il te plaiſoit de me le dire, comment c’eſ‍t, que tous nos François ſe ſont ainſi laiſ‍ſé deſchoir, & comme ceſ‍te opiniaſ‍tre volonté de ſeruir s’eſ‍t ſi auant enracinee dans leurs mouelles, qu’il ſemble maintenant, que la memoire de la liberté ne ſoit pas ſi naturelle.
Le pol. Si ie n’eſ‍tois accablé de ſõmeil, ie te diſcourrois bien au long, d’où procede la maladie & la matiere peccãte d’icelle. Mais ie t’aſ‍ſeure l’amy, que i’ay les yeux pieçà cillez, & les leures comme couſues. Nous aurons demain bon loiſir : ie ſuis d’auis ſi tu le veux, que nous ſeiournions nos cheuaux, en attendant qu’vn Courrier viene, que nos freres du Languedoc me doyuent enuoyer bien toſ‍t.
L’hiſ‍t. Quel courrier eſ‍t-ce ? Ie cognoiſ‍troye ie point ?
Le pol. C’eſ‍t Spoudæe. Ie croy bien que tu le cognoy.
L’hiſ‍t. Mon Dieu ! he ie ne cognoy autre. Il n’a garde de faillir à nous apporter des nouuelles.
Le pol. C’eſ‍t pour cela qu’on me l’enuoye, & ie l’ay chargé à mon deſpart, de paſ‍ſer par cy hardiment, & de s’enquerir de mes nouuelles, en ce logis cy où nous ſommes.
L’hiſ‍t. Cela va bien, que i’en ſuis aiſe ! attẽdons le pluſ‍toſ‍t trois iours.
Le pol. Ie le veux bien. Le Seigneur nous face la grace de repoſer en ſeureté, & nous doint à noſ‍tre reſueil, de le ſeruir en toute crainte, au nom de ſon fils noſ‍tre Seigneur Iefus Chriſ‍t.
L’hiſ‍t. Ainſi ſoit-il.
FIN.

Fautes à corriger.
Page 24.ligne,17. à ſes, liſez aſ‍ſez. pag. 31. lig. 27.auſ‍ſi : liſez. Auſ‍ſi la.pag,66.lig. 15. commiſ‍ſaire : liſez Clerc de commiſ‍ſaire.pag.152.lig.24 preceder : liſez proceder, lig.ſuyuante, liſez auoyent. lig.ſuyuante, liſez pretendoyent. pag.160.lig.30. qe.liſez ait.