Revue Musicale de Lyon 1903-12-15/Chronique Lyonnaise

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Chronique Lyonnaise

grand-théâtre


La Fille du Régiment. — Le Chalet

Il est permis d’être éclectique. L’absence de tout exclusivisme est inscrit au programme de notre Revue. Mais il y a des bornes, et la Fille du Régiment se trouve nettement en dehors de celles-ci. Il est de toute évidence que Donizetti est un criminel, qui a commis plus de mauvaise musique qu’il n’était nécessaire pour le faire exécrer de tous les honnêtes gens, mais il n’y a rien dans toute son œuvre qui approche, en hideur, en bêtise, en stupide nullité, de l’abominable opérette dont on a régalé nos oreilles jeudi dernier. Offenbach a de l’esprit, Hervé a des drôleries, Lecoq a de la verve, Varney a des rythmes berceurs, Audran lui-même a parfois d’heureuses veines mélodiques, Donizetti n’a rien de tout cela : Il n’est que prétentieux et exaspérant. L’ouverture de la Fille du Régiment est plus inepte à elle seule que tous les chœurs de la Juive additionnés. Après cela on ne peut plus rien dire. C’est le maximum de l’injure.

Dans ce fumier, il y a cependant une perle, au moins comparativement. C’est la phrase de cor anglais qui souligne les adieux de Marie. Je ne sais pas de qui elle est, mais je me refuse à croire qu’elle soit du même auteur que les gloussements du Salut à la France et les « Rataplan, sergent, présent » qui ne discontinuent pas pendant cet inqualifiable duo du premier acte.

L’interprétation était digne de l’œuvre ; la toute maniérée et mignarde Mlle I. Davray, était fort peu indiquée pour jouer ce rôle martial ; les qualités vocales de MM. Boulo et Artus, n’ont, comme on sait, rien d’excessif. Tout compte fait, le plus intéressant était certainement M. Merle-Forest.

La soirée tirait son principal agrément de la représentation du Chalet, œuvre un peu défraîchie, et cependant bien supérieure à la pantalonnade militaire de Donizetti. On est heureux d’y rencontrer au milieu de longueurs déplorables, de roulades navrantes et de chœurs enfantins, quelques scènes, agréables comme le duo : Il faut lui faire oublier l’heure ou cette vieille phrase attendrissante : Dieu, soutiens mon courage, simplement écrite, et mélodiquement gentille.

Carmen

La publication à la fin de chaque saison théâtrale des statistiques indiquant le nombre de représentations des diverses œuvres musicales permet de constater certains faits de prime abord surprenants. C’est ainsi que le relevé des théâtres allemands montre que les pièces le plus souvent jouées outre Rhin sont les opéras comiques de Bizet. Djamileh, la jolie Fille de Perth, les Pêcheurs de Perles, œuvres exquises d’ailleurs, qui sont presque inconnues en France, figurent à chaque instant sur l’affiche de grands centres artistiques allemands, et Carmen y est joué plus souvent que Lohengrin, et détient ainsi le record. Les autres drames wagnériens ne viennent que bien après, conjointement avec Gounod en Allemagne, et Massenet en Autriche.

On ne peut dire que ce succès soit immérité, et qu’il ne s’agisse là que de l’engouement populaire qui a porté au pinacle les œuvres les plus regrettablement banales de l’école italienne, ou de l’école française milieu du xixe siècle. C’est que Carmen a toutes les qualités de fraîcheur, de charme et de séduction qui font la vogue des productions de M. Massenet, par exemple (Oh ! le succès de Cendrillon et de Grisélidis), et qu’en outre, elle a les fondamentales vertus de sincérité et d’inspiration qui constituent les œuvres véritablement grandes et définitives. Ce n’est point cette harmonie savamment descriptive, où l’analyste peut fouiller des journées entières, découvrant à chaque instant quelque intention nouvelle, quelque détail encore inaperçu, quelque trait non encore distingué dans un dessin poussé à fond : la mélodie de Bizet est essentiellement colorée, à larges touches, à vives oppositions de couleurs, chaude comme ce pays d’Espagne, dont il a si clairement interprété le folklore, vivante et vibrante comme cette page intense de Mérimée qu’il a si adéquatement traduite ; douces ou dramatiques, tendres ou violentes, toutes les pages semblent également inspirées sans que jamais transparaisse le procédé, le faire, la machination, comme dans cet autre compositeur français trop habile et trop « métier » dont nous parlions un peu plus haut.

Quoique ce ne soit pas notre coutume d’insister sur l’interprétation ici, nous devons aujourd’hui nous arrêter à celle que Mme Charles Mazarin a donnée du rôle de Carmen, parce que cette interprétation est extrêmement personnelle et neuve. Mme Mazarin avait composé remarquablement le personnage de Salammbô. Sa beauté hiératique et froide, son allure hautaine, la profondeur de son regard, en faisaient une représentation intéressante de la femme antique, telle que nous la concevons, au moins d’après les reconstitutions un peu romanesques de Flaubert. Il n’y avait rien de moins en rapport avec le caractère de Carmen, passionnée, mouvementée, amorale, impulsive et inconsciente. Passer d’un rôle à l’autre, pouvait passer, à juste titre, pour un tour de force. En outre, l’artiste avait contre elle le souvenir d’actrices extrêmement remarquables, d’interprétations dort connues et présentes dans toutes les mémoires. Sans parler de Delna, que presque tous les Lyonnais connaissent, Carmen avait été joué d’une façon parfaite par Mme Bressler-Gianoli, une des artistes les plus consciencieuses et les plus admirables qu’il nous ait été donné d’applaudir. On ne saurait faire un reproche à Mme Mazarin d’avoir voulu faire autrement, et d’avoir cherché une version neuve de ce rôle ; bien au contraire, c’est là une preuve d’intelligence artistique et de goût qu’on ne saurait trop encourager et applaudir. Ceci dit, nous sommes en droit de discuter cette conception nouvelle et de la comparer aux précédentes. Il nous a semblé que l’innovation apportée avait surtout consisté à rendre plus intérieure, plus contenue, et d’apparence plus froide la passion qui anime ce personnage, que don José n’a pas absolument tort de traiter de diabolique. Il en est résulté que les scènes de séduction ont été moins chaudes, moins vivantes qu’il n’aurait fallu : mais dès l’instant où Carmen cesse d’aimer don José, où elle entre en révolte contre le caractère brutal de son amant, le jeu de Mme Mazarin a pris toute sa valeur, et, dans les deux derniers tableaux, elle a été, à mon sens, excellemment dramatique.

Quant à M. Gauthier, il n’avait jamais été aussi bon au point de vue scénique. Les mièvreries et les tendresses ne sont point son fait : il ne donnera jamais l’illusion d’être un Werther ni un Roméo : mais ce rôle de soldat amoureux et brutal convenait à son allure énergique et un peu rude. Lui aussi a donné là une note personnelle, malheureusement gâtée par sa fâcheuse habitude d’attaquer un demi-ton trop bas, et de faire du trapèze autour de la note juste.

Le côté le plus remarquable de cette reprise, était les modifications apportées à la mise en scène, sur la toujours intelligente influence de M. Flon. On a été aussi heureux qu’étonné de voir les chœurs vivre et s’agiter au premier acte : les passant causent, les femmes aguichent les soldats, les gamins jouent à saute-mouton. Que nous voilà loin de ces stupides masses chorales bêtement entassées sur les côtés de la scène. Au deuxième acte, on avait aussi supprimé les tutus et les volants, auxquels suppléaient des costumes espagnols infiniment plus vraisemblables. Ce sont là des détails d’une importance beaucoup plus grande qu’on ne pourrait croire au premier abord. Ce qui en tout cas n’est pas discutable, c’est que les chœurs et l’orchestre, grâce toujours à M. Flon, ont été tout à fait intéressants.

Edmond Locard.

Symphonie Lyonnaise

Un accident de mise en page survenu au dernier moment nous empêche de publier le compte rendu de la Symphonie Lyonnaise annoncé au sommaire. Nous ne pouvons que constater le succès obtenu par le concert du 11 décembre consacré tout entier à Hector Berlioz : Harold en Italie, Symphonie fantastique, etc.

LES CONCERTS

Nous avons annoncé le concert qui sera donné vendredi 18 décembre, dans la salle de musique classique de Dufour et Cabannes, par MM. Alberto Bachmann et Gabriel Jaudoin (Sonate, de Franck ; Variations symphoniques’', de Schumann, etc.). Nous donnons ci-dessous le portrait de M. Bachmann.

M. Alberto Bachmann est né à Genève en 1875, d’une famille d’origine russe et fit ses débuts en 1882, à Ostende, à l’âge de 7 ans.

Après avoir été lauréat du Conservatoire de Lille (à 10 ans), il fut l’élève d’Ysaye. Il a été violon-solo au Concerthaus de Berlin et à la Société Philharmonique de Munich et s’est fixé à Paris.

M. Bachmann a composé un certain nombre d’oeuvres : Aria, Élégie, Suite Espagnole pour deux violons, Bourrée pour trois violons, un Concerto, et écrit une méthode pour violon.