Revue Musicale de Lyon 1903-12-22/Le Crépuscule des Dieux
LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
Si Parsifal est la plus haute expression du genre musical appliqué à l’interprétation des sentiments le plus sublimes, c’est-à-dire à l’amour divin, si Tristan est la plus radieuse réalisation artistique de l’amour humain, l’Anneau du Nibelung n’en reste pas moins l’œuvre la plus complètement, la plus typiquement wagnérienne, en ce qu’elle synthétise dans leur plus haut degré de perfection, les procédés et l’art du maître. De la Tétralogie, trois parties déjà ont été représentées à Lyon, le prologue et les deux premières journées. Au moment où nous allons être admis à applaudir la dernière partie de l’œuvre, il n’est peut-être pas inutile d’en rappeler brièvement la constitution, et d’en résumer la méthode. Le plan de cette étude comportera donc, après une courte analyse des trois premières Actions de l’Anneau, celle, thématique et détaillée du Crépuscule des Dieux, et un exposé de la méthode suivie par le maître, en particulier pour l’emploi des motifs conducteurs et pour leur orchestration.
i. – das rheingold
Les filles du Rhin ont la garde de l’or : Leur bavardage indiscret révèle au nain Alberich que la conquête de l’or n’est possible qu’à celui qui maudira l’amour, mais qu’il procurera à son possesseur le pouvoir souverain. Alberich se rue sur le trésor confié aux ondines, et l’emporte.
Cependant, les dieux qui habitent les sommets embrumés des monts, se sont fait construire par les géants, un palais entouré d’une imprenable forteresse. Ils ont promis de livrer en échange aux géants Fafner et Fasolt, la déesse de l’amour, Freya. Le palais est achevé : l’heure de l’échéance sonne. Wotan, roi des dieux, voudrait éluder sa promesse : il consulte Loge, le subtil dieu de la flamme. Le rusé conseille à Wotan d’enlever à Alberich l’or volé aux filles du Rhin et de le donner aux géants, à la place de la déesse promise. Les géants acceptent le marché.
Dans un gouffre souterrain, Alberich gourmande et frappe la troupe noire des Nibelungen, que la puissance de l’or a soumis à son pouvoir. Il a forgé l’Anneau, signe de la puissance souveraine ; il a fait fabriquer par son frère Mime, le tarnhelm, heaume merveilleux qui permet à celui qui le porte de se métamorphoser instantanément.
Wotan, accompagné de Loge, pénètre dans le gouffre. Le rusé irrite la vanité d’Alberich, en refusant de croire au pouvoir du Tarnhelm. Le nain offre de se transformer devant les deux visiteurs : et de fait il apparaît d’abord sous l’aspect d’un dragon, puis sous celui d’un crapaud. Wotan bondit alors sur lui, et arrache le Tarnhelm. Alberich, ligotté, est ramené au séjour des dieux. On le force à rendre l’or, le heaume et l’Anneau précieux. Il maudit alors cet Anneau, qui désormais causera la mort de quiconque l’aura possédé.
Les géants viennent réclamer la rançon de la déesse. Ils exigent non seulement l’Or, mais aussi l’Anneau. L’effet de la malédiction déjà se fait sentir. Les deux frères se battent pour posséder le joyau. Fafner tue Fasolt, et part, emportant le butin. Les dieux passant sur un arc en ciel, entrent dans le Walhall, qu’ils ont payé de l’or maudit.
ii. – die walkure
Wotan a ramassé sur le seuil du Walhall une épée laissée là par les géants. Ce glaive c’est Nothung ou Détresse. Il la garde pour un héros qu’il chargera de reconquérir l’anneau livré à Fafner. Le héros que son cœur prédestine c’est son fils Siegmund, le Wälsung ou Fils de Loup.
Siegmund blessé dans un combat, vient demander asile dans la demeure de Hunding, dont la femme Sieglinde l’accueille. Sieglinde n’aime pas Hunding ; elle révèle à Siegmund qu’un vieillard majestueux est venu, le jour de ses noces, planter au cœur d’un frêne un glaive que nul n’en a pu arracher. Elle appartiendra à celui qui saura conquérir cette épée. Siegmund reconnaît en Sieglinde, la fille de Wotan, sa propre sœur, sa fiancée en même temps. Il arrache du frêne le glaive promis qui n’est autre que Nothung et fuit avec Sieglinde.
Fricka, la femme de Wotan, protège Hunding. Elle obtient de son divin époux la promesse de punir Siegmund. Brünnhilde, la Walkyrie, la Vierge guerrière, qui préside aux combats, devra frapper le Wälsung et défendre Hunding. Mais Brünnhilde sait que Siegmund est le fils de Wotan : émue de pitié à la vue de son amour pour Sieglinde, elle désobéit au dieu et protège dans le combat le guerrier qu’elle a mission d’immoler. Wotan intervient, Siegmund tombe frappé par la lance divine, et Brünnhilde s’enfuit emportant Sieglinde.
Wotan a poursuivi la Walkyrie désobéissante. Il la condamne à quitter le séjour des dieux ; il va l’endormir, celui qui la réveillera sera son époux et son maître. Brünnhilde supplie, implore ; elle obtient enfin du dieu qu’il entoure de flammes la Roche du Sommeil. Seul le guerrier assez vaillant pour ne point trembler devant la lance du dieu, pourra réveiller la Walküre.
iii. – siegfried
Sieglinde protégée par Brünnhilde s’est réfugiée dans une forêt sombre. Elle y est morte en donnant le jour à un fils qu’elle a nommé Siegfried. L’enfant a été élevé par Mime le nibelung, frère d’Alberich, que nous avons vu dans le Rheingold forger le Tarnhem. Mime n’a d’autre but en élevant Siegfried que de l’envoyer tuer Fafner possesseur de l’anneau et couché, sous la forme d’un dragon, sur le trésor du Rhin. Pour cela il faudrait reforger Nothung, dont la lame brisée a été léguée à Siegfried par Sieglinde. Wotan, sous les traits d’un voyageur errant, annonce à Mime que celui-là seul qui n’a jamais connu la peur, pourra forger le glaive divin. Et, de fait, c’est Siegfried lui-même qui resoude les fragments de la lame.
Mime le conduit alors à l’antre du dragon. Fafner est mortellement frappé par le héros. Le sang qui coule de sa blessure brûle la main de Siegfried. Il la porte à sa bouche : à ce contact, une faculté nouvelle s’éveille en lui. Il comprend désormais le chant de l’oiseau, qui l’engage à se défier du nain. Mime, en effet, veut empoisonner Siegfried pour lui ravir l’anneau ; mais sa ruse est découverte : il tombe frappé. L’oiseau raconte alors à Siegfried qu’il y a sur la Roche du Sommeil, entourée de flammes, une femme merveilleuse. Le héros, sans se laisser arrêter par la lance de Wotan, traverse le feu et réveille Brünnhilde d’un baiser.
C’est ici que commence la troisième journée de la Tétralogie, dont l’Or du Rhin est le prologue, et dont la Walkyrie et Siegfried dont les deux premières journées. Le Crépuscule des Dieux comprend lui-même un prologue et trois actes, que nous allons successivement analyser.
L’harmonie du réveil de Brünnhilde a traversé l’orchestre, suivie du thème de la Nature, dont les clarinettes, puis les hautbois, dessinent le chant soutenu par les vagues ondulations des cordes. Ce thème de la nature, qui, par une insensible altération deviendra celui du Crépuscule ou de la fin des dieux, présage dès l’abord la déchéance de la race des Elfes divins. C’est ce présage que vont développer les Nornes, filant sur la scène le câble des destinées, à l’instant où le rideau s’écarte. Elles disent la fin prochaine de tout, l’anéantissement des maîtres du monde. Wotan, en enlevant au frêne Ygdrasil la branche dont il fit sa lance, a blessé l’arbre sacré ; celui-ci, desséché, n’abrite plus la source sainte où les dieux puisaient la sagesse. Wotan alors, le fit abattre par les guerriers qui peuplent le Walhalla : des branches on fait un bûcher grandiose. Un jour Loge, le feu, allumera ce brasier et tout sera détruit. Une malédiction est sur le monde, depuis qu’Alberich a volé l’or pur du Rhin, et en a forgé l’anneau fatal. Siegfried a été suscité pour venger les dieux. Par lui viendra la purification suprême. Au thème de l’anneau (i), dont les tierces
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mineures passaient tristement à l’orchestre, a succédé la claire fanfare de Nothung, (ii et celle de la jeunesse de Siegfried. Mais en tendant le câble qu’elles filent les Nornes l’ont rompu. C’est le présage de la fin du monde. Lugubre, éclate le thème de la malédiction d’Alberich (iii) que répète deux fois la trompette basse.
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Les Nornes s’enfoncent sous terre. L’aube paraît.
Le motif de Brünnhilde éveillée à l’amour, de Brünnhilde devenue femme, (iv) chante aux clarinettes et aux violoncelles.
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Siegfried et la Walküre sont encore sur la Roche du Sommeil. Le héros s’apprête à partir pour conquérir une gloire nouvelle. Il jure à sa compagne, une éternelle fidélité, et part, monté sur Grane
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qui fut le cheval de la Walkyrie. Les thèmes de la Chevauchée (v) accompagnent son départ ; il disparaît tandis que le motif de Brünnhilde rappelle le tendre amour qui les unit. Au loin, on entend, progressivement adoucie, sonner la joyeuse fanfare du héros (vi), puis c’est,
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aux bois et aux cordes, le thème allègre qui peignait la joie de vivre et l’amour du jeune Siegfried, et qui, plus tard, est venu symboliser la joie de la conquête quand, à la fin du troisième acte de Siegfried, il pressait la Walkyrie dans ses bras. Cette vive mélodie s’éteint et se transforme en celle, estompée et imprécise du thème de la Nature. C’est que Siegfried est arrivé sur le Rhin, il descend le fleuve, prend contact avec le monde. Et c’est le chant des filles du Rhin (vii), le motif de
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Woglinde, puis le thème sombre de l’anneau maudit (i) que le voyageur porte à son doigt et que les ondines réclament. Une fois encore tout se fond dans l’élémentaire harmonie primitive de l’Urmelodie, le héros est parvenu au bout de son voyage[1]. Voici le manoir des Gibichungen.
La grande salle du palais de Gunther s’ouvre au fond sur une large esplanade au bas de laquelle coule le Rhin. Près d’une table chargée de cornes à boire, Gunther est assis, avec, à ses côtés, Gutrune sa sœur, et Hagen leur frère naturel, fils de leur mère Grimhilt et du nain Alberich. La fanfare de Gibichungen sonne à l’orchestre, tandis que les frères devisent, s’interrogeant sur les exploits à accomplir. Hagen reproche à Gunther de n’être point encore marié. Il lui révèle qu’une femme belle entre toutes pourrait devenir sienne, grâce à ses artifices. Et ici, le procédé cher au Maître apparaît dans toute sa beauté. Plus clairement que le récit de Hagen, le Golfe mystique dépeint la conquête de Brünnhilde. C’est d’abord le premier thème de la Chevauchée (v), indiquant la nature divine de la Walküre puis le crépitement du motif du feu, disant la vengeance de Wotan, et la prison
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de flammes. Alors chantent successivement le thème de l’oiseau (viii), guide du conquérant vers la Roche du Sommeil, celui des Wälsungen vaillants (ix), indiquant à quelle race élue et fatale appartiendra le héros ; une apparition estompée, une ombre, presque, de la seconde partie du thème des Wälsungen, apparaît aux violons, et c’est enfin la forte fanfare de Northung (ii), qui nomme pour ainsi dire et présente celui que Hagen vient de désigner[2].
« Quels exploits a donc accompli ce héros, qu’il soit ainsi seul capable de réveiller la Walküre » demande Gunther. Et Hagen raconte la lutte de Siegfried et de Fafner (à l’orchestre : motif des géants, rappelant la conquête de l’anneau). Si le héros vient ici, et qu’il s’éprenne de Gutrune, il ira chercher Brünnhilde pour Gunther. Pour la première fois apparaît le thème du philtre, évidemment dérivé de celui du Tarnhelm. Et précisément, voici que sonne sur le Rhin, la fanfare de chasse du fils de Welse (vi), et bientôt Siegfried
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apparaît, ramant d’une seul main contre le courant. Il descend tenant en main son cheval. Hagen et Gunther vont au-devant de lui sur le rivage. « Suis-je ici chez le fils de Gibich ? » demande le voyageur, que semble nommer le thème de Siegfried gardien de Nothung (x). Aux accords de la fanfare des Gibichungen, Gunther se présente, et par d’amicales paroles engage le héros à pénétrer dans sa demeure. Hagen se chargera de Grane[3]. Dès les premières paroles de Hagen à Siegfried, le thème de la malédiction d’Albérich a retenti, lugubre présage, prophétisant l’assassinat du fils des dieux par le fils du Nibelung.
Aux souhaits de bienvenue de Gunther, soulignés par le thème claironnant des Gibichungen, Siegfried répond : « Sans terre ni gens, je viens à toi, je n’ai ni château ni cour, j’ai mon corps seulement qu’use à son gré la vie : j’ai seulement l’épée que moi-même j’ai faite. » Et pour peindre les souvenirs qu’évoque cette idée du glaive, l’orchestre chante successivement le thème des Wälsungen vaillants (ix) à qui l’épée était promise, celui de la conquête de Brünnhilde, les thèmes de la forge, de l’enclume (xi), de Nothung (ii)[4]. « Tu possèdes cependant le trésor du Rhin », demande Gunther. Et Siegfried répond qu’il a laissé l’or dans l’antre de Fafner, emportant seulement le heaume dont il ignore l’usage, et l’anneau qu'il a laissé à une femme en gage de sa foi. Les thèmes caractéristiques de l’enclume (xi), du dragon (xii), du Tarnhelm,
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de l’Anneau (i), de Brünnhilde (iv) se succèdent, complétant, commentant, développant le récit.
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Cependant Gutrune vient d’apporter les cornes à boire. Dans l’une d’elles, Hagen a versé le philtre d’amour. Siegfried boit d’un trait la liqueur magique. Aussitôt son regard s’attache brûlant sur la soeur de Gunther. Tout souvenir de Brünnhilde s’est effacé.
Cette idée du philtre a toujours semblé un regrettable artifice dans la structure du drame des Nibelungen. Autant celui de Tristan, essentiellement symbolique, était facilement explicable[5], autant ce changement subit de Siegfried oubliant la déesse qu'il a conquise au prix des plus terribles combats, ne se souvenant plus d’un seul fait passé, et partant conquérir une seconde fois, et pour un autre, sa propre femme, a semblé puéril et absurde. Des critiques dont l’absolu dévouement à l’idée wagnérienne ne saurait être suspecté, M. Schuré par exemple, ont déclaré ne pas comprendre. M. Ernst veut interprêter ce philtre comme un symbole, en l’assimilant à celui de Tristan et Isolde. Siegfried, dit-il, est victime de la fatalité, ainsi que le prouve l’apparition du thème de la Malédiction d’Alberich, au moment même où il pénètre chez les Gibichungen. En outre, Brünnhilde dit à la fin de l’acte ii, « le philtre qui m’enchanta mon époux, c’est Gutrune ». Cette seconde explication me paraît infiniment plus logique que la première. Si l’on veut bien se reporter aux description précédemment données, soit dans le poème, soit par l’orchestre, du caractère de Siegfried, on se rendra compte que la force du raisonnement et la suite dans les idées ne sont pas ses qualités dominantes. Il « chasse joyeux à l’action », ainsi que le disait Hagen, quelques pages plus haut. Dans cette course à l’action, le présent seul existe pour lui ; les beaux yeux de Gutrune ont eu, probablement, plus d'influence sur cette âme primitive que les herbes de Hagen. Le philtre du Crépuscule symbolise, non plus l’amour éperdu et transcendant d’un Tristan ou d’une Isolde, mais l’attrait violent et irrésistible qu’éprouve un jouvenceau plus qu’à demi sauvage pour une fille jeune et fraîche, préférable pour lui à une princesse lointaine, fût-elle même fille de Wotan.
Quoi qu’il en soit, Siegfried a tout oublié, et lorsque Gunther lui parle de Brünnhilde et du désir qu’il a de l’avoir pour épouse, il met au service de son hôte son bouillant courage et propose d’aller chercher la Walkyrie à travers les flammes qui la défendent. « Qu’un serment nous enchaîne ! » dit Gunther : ils boivent quelques gouttes de leur sang mêlé dans du vin. Une fois encore le thème de la Malédiction d’Alberich (iii) vient annoncer la trahison et promettre la mort aux deux guerriers qui viennent de se jurer alliance. Hagen, dont le thème des forges de Bibelheim (xi rappelle la sombre origine refuse de se joindre à eux. C’est lui qui gardera la burg. Gunther et Siegfried partent pour la Roche du Sommeil.
Resté seul, rêvant au bord du fleuve, le fils d’Alberich songe. Au loin la fanfare de Siegfried (vi) s’éloigne. Le thème de l’anneau (i), les sombres accords qui résonnaient déjà lorsque Alberich venait guetter aux abords de l’antre de Fafner, la plainte des filles du Rhin (vii), nous révèlent les projets qui traversent l’esprit du triste frère de Gunther. La brume s’épaissit sur la scène. Les motifs de la chevauchée (v) et celui de Brünnhilde réveillée à l’amour (iv), s’appellent et s’enchevêtrent. Nous voici transportés de nouveau à la Roche du Sommeil.
La Walkyrie songe à son époux combattant au loin. Des stridences, un mouvement au milieu des nues l’éveillent. Les accords descendants de la chevauchée[6], le motif arpégé qui symbolise l’échevêlement des nuages, se succèdent sur un rythme précipité. C’est Waltraute, une Walküre, une sœur de Brünnhilde, qui bravant l’ordre de Wotan, a franchi l’espace depuis le Walhall jusqu’au Rocher où Loge veille. Longuement elle dit la détresse des Alfes divin ; Ygdrasil abattu et la Lance brisée ; et Wotan morne, résigné au Crépuscule déjà grandissant, et refusant de toucher aux pommes de Freya, symbole d’éternelle jeunesse. À ce désespoir, à cette fin prochaine, un seul remède : effacer la Malédiction qui pèse sur le monde, sans quoi les dieux mêmes vont périr. Que Brünnhilde rende aux filles du Rhin, l’anneau maudit par Alberich, et le monde sera purifié : le Rhin à jamais gardera l’Or. Mais cet anneau, c’est le gage d’amour que Siegfried partant a laissé à son épouse. Rien ne peut décider la Walküre à le livrer. L’amour des héros est plus pour elle que la vie même du dieu. Que le monde s’abîme, que tout périsse, elle ne livrera point le gage de sa foi. Waltraute épouvantée s’enfuit.
Cependant le crépitement des flammes dont on ne voyait que le reflet au loin, s’accentue et progresse. Un visiteur survient-il donc ? Seul Siegfried peut traverser le feu. Au-devant de lui Brünnhilde s’empresse. Horreur ! ce n’est pas lui. La fanfare des Gibichungen a retenti. Un guerrier couvert du heaume s’avance. C’est Gunther, ou plutôt c’est sous les traits de celui-ci que Siegfried vient pour la seconde fois conquérir Brünnhilde. Mais elle ne dort plus du magique sommeil. Ardemment elle résiste, appelant Siegfried à son aide, Siegfried qui ne peut plus l’entendre, Siegfried qui a tout oublié. Par deux fois il terrasse la vierge guerrière. Il lui arrache l’anneau et désormais soumise, il l’emmène pour la livrer à Gunther[7]
(À suivre),Chronique Lyonnaise
grand-théâtre
Le ballet de M. Philippe Flon, créé à la Monnaie de Bruxelles en 1887, repris à Liège puis à Anvers, vient d'obtenir à Lyon le plus grand et le plus légitime succès.
La donnée a le grand mérite d’être excessivement simple. Les affabulations de ces sortes de spectacles ne brillent généralement ni par la clarté ni par l’esprit. Myosotis n’est qu’un prétexte à figuration. C’est l’histoire d’un papillon butinant dans un parterre de fleurs.
Au lever du rideau, un jardinier M. Soyer
- ↑ Cette page admirable est connue sous le nom de Rheinfahrt ou voyage sur le Rhin. C’est un des nombreux passages purement symphoniques de la Tétralogie, (Prélude de l’Or du Rhin, Chevauchée des Walkyries, Murmures de la forêt, Traversée du feu, Marche funèbre du Crépuscule).
- ↑ Pour se rendre compte des détails voir la partition du Crépuscule (partition d’orchestre, t. 1, p. 210), p. 47, dernière ligne, dernière mesure : thème de la chevauchée (la♯ ré♯)(clarinette basse), le même aux cors, p. 48, l. 1, thème du feu, p. 48, l. 1 et 2 (gr. flûtes, 1ers violons). Thème de l’oiseau l. 3 et 4 (cors en fa et trompette), thème des Wälsungen vaillants, p. 49, l. 1 et 2 (violoncelles et altos), seconde partie de ce thème (p. 49, l. 2, violons divisés) (voir pour cette division du thème, la partition de la Walkyrie acte 1er, p. 32, l. 3) ; thème de Nathung l. 3 (quatre cors). À la 3e mesure de la ligne 3, la portée de main droite contient une altération de la fanfare de Siegfried (2e, 3e et 4e cors), tandis qu’à la portée de main gauche, figure le thème de Nothung à l’état pur (violoncelles).
- ↑ Ici encore il faut remarquer avec quelle extraordinaire précision, le dessin de l’orchestre serre de près la description de la scène, et en détaille les intentions. Lorsque Siegfried demande : Qui prend mon cheval ? le thème arpégé qui constitue le second motif de la chevauchée des Walküren passe aux cors (partition, p. 62, l. 4), et dès que Hagen a parlé, le thème de la malédiction d’Alberich sonne au même instrument. « Je t’ai reconnu à ta vigueur » dit Hagen et c’est le thème de Siegfried gardien de l’épée, p. 63, l. 1 (1er et 2e cors). Puis ce sont les deux motifs de la chevauchée, diversement contrepoints, coupant ou soulignant l’appoggiature du thème de Brünnhilde est là constamment présente, contraste frappant avec ce qui va se produire après la scène du philtre. Seul l’orchestre pouvait peindre de tels psychismes, et seulement avec le procédé essentiellement descriptif des motifs conducteurs.
- ↑ Page 65, l. 1, 2 et 3, il y a là six leit-motive parfaitement distincts en douze mesures.
- ↑ V. dans la Revue Musicale de Lyon, mon étude sur Tristan et Siegfried.
- ↑ Succession descendante, par intervalles chromatiques d’accords de sixte (tierce mineure et sixte mineure, premier renversement de l’accord parfait majeur).
- ↑ Pendant la scène du combat, aux thèmes des Walkyries (v) répondent celui de la Destinée (xiii), la malédiction d’Alberich (iii) et les faits sombres qui déjà avaient paru lorsque le Nibelung veillait devant Niedhöhle, et pendant la rêverie de Hagen, à la scène précédente.