Revue Musicale de Lyon 1904-01-12/La Tétralogie

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LA TÉTRALOGIE

Jugée à Lyon en 1876

Nous retrouvons, en feuilletant une collection du Passe-Temps, l’écho suivant paru dans le numéro du 10 septembre 1876 :

actualité excentriques
La Tétralogie de Richard Wagner

On sait que l’Allemand Richard Wagner est le champion de la musique de l’avenir. Or, pour réaliser le triomphe de la dite musique, il vient d’inaugurer dans la petite ville de Bayreuth un théâtre construit exprès où il a fait représenter, sous le titre de Niebelungering une série, de quatre soirées consécutives (excusez du peu, comme disait Rossini) et qui forment le prototype et le résumé de son système dramatique et musical.

Par malheur, il paraît que, malgré les efforts inouïs fait pour chauffer à blanc l’enthousiasme d’un public spécial et admirablement disposé, le résultat a été absolument négatif et que le malheureux auditoire, en dépit de tout son bon vouloir, a succombé sous le fardeau de l’immense ennui qui se dégage comme un brouillard opaque, de ces quatre partitions interminables et mortellement stériles. En somme, R. Wagner a fait four même auprès de ses compatriotes, et le théâtre ne va pas, dit-on, tarder à fermer ses portes sous prétexte d’extrême chaleur.

Notes Historiques sur
le Crépuscule des Dieux

Le Crépuscule des Dieux fut composé après Tristan et les Maîtres-Chanteurs et la partition coûta à Wagner cinq années de travail, d’octobre 1869 à novembre 1874. Le poème est de beaucoup antérieur. Dès 1846, Wagner avait étudié à fond les mythes germaniques et scandinaves relatifs à Siegfried et, en 1848, il avait déjà esquissé un drame, la Mort de Siegfried qui devint le noyau de tout l’Anneau du Nibelung. En en développant les principaux motifs dramatiques, il fut amené à écrire successivement les trois autres drames qui forment la Tétralogie, d’abord Siegfried jeune (1851), qui devait servir d’explication à la Mort de Siegfried ; puis la Walkyrie (1852) qui expliquait les destinées du jeune Siegfried ; enfin (1852), l’Or du Rhin, qui exposait toute la genèse de cette grande épopée dramatique. La Mort de Siegfried fut alors complètement remaniée et devint le Crépuscule des Dieux. Dès 1853, le poème complet avait été imprimé aux frais de Wagner à un très petit nombre d’exemplaires et communiqué à ses amis. Le poème de 1853 subit encore quelques modifications par la suite et fut enfin publié définitivement en 1863, onze ans avant que les partitions fussent achevées. Celle du Crépuscule parut chez Schott, à Mayence, en janvier 1876, tout juste trente ans après que Wagner se fut pour la première fois occupé des mythes germaniques et scandinaves relatifs à Siegfried.

Voici les dates exactes de composition des différents actes de la Götterdämmerung. Le premier acte était terminé, dans l’esquisse orchestrale, le 11 janvier 1870 ; le second, le 5 juillet de la même année ; le troisième, le 9 février 1872. L’ensemble fut achevé le 21 novembre 1874.

La première représentation de l’Anneau du Nibelung eut lieu à Bayreuth du 13 au 17 août 1876.

C’est le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles qui a donné la première exécution française du Crépuscule des Dieux. On sait que ce fut en 1876, à Bayreuth, que fut créée la Tétralogie. Onze ans après seulement, en 1887, MM. Dupont et Lapissida montèrent la Walkyrie, à la Monnaie. Siegfried fut joué en 1891, sous la direction Stoumon-Calabresi ; l’Or du Rhin fut représenté sept ans après, en 1898, sous la même direction et le Crépuscule des Dieux fut monté, de façon admirable, par MM. Kufferath et Guidé, le 24 décembre 1901.

L’interprétation de cette dernière œuvre était confiée à Mme Litvinne (Brunnhild), M. Dalmorès, notre ancien compatriote, qui fut pendant longtemps cor solo au Grand-- Théâtre (Siegfried), Mlle Friché (Gutrune), M. Bourgeois (Hagen), M. Albers (Gunther), M. Viaud (Albérich), Mmes Friché, Dhasty, Verlet, Maubourg et Tourjane (Nornes et Filles du Rhin).

L’orchestre était dirigé par M. Sylvain Dupuis. L’œuvre fut exécutée sans coupures.

La première représentation du Crépuscule en France fut donnée le 17 mai 1902, sur la scène du théâtre du Château-d’Eau.

On se rappelle que ces représentations furent organisées sous le patronage de la Société des Grandes auditions musicales, par MM. Alfred Cortot et Willy Schütz.

Plusieurs des artistes de la Monnaie reprirent les rôles qu’ils avaient créés cinq mois auparavant à Bruxelles : Mme Litvinne, M. Dalmorès, M. Albers. Les autres rôles étaient chantés par M. Vallier (Hagen) qui créa l’an dernier Wotan de l’Or du Rhin au Grand-Théâtre, Challet (Albérich), Mmes Olitza (Waltraute), Mlle Jeanne Leclerc (Gutrune), Mmes G. Vicq, Deville et Leclerc (les Filles du Rhin). D’autres artistes remplacèrent aux représentations suivantes ceux que nous venons de nommer et parmi ceux-là, nous citerons Mlle Janssen que nous allons entendre dans le rôle de Brunnhild, M. Frœlich qui obtint, l’an dernier, un si grand succès à Lyon, aux concerts de la Schola Cantorum et M. Dufriche, l’un, le meilleur, des ténors qui furent sifflés, dans le courant de la saison dernière, au Grand-Théâtre.

L’orchestre fut dirigé par Hans Richter, Félix Motl et Alfred Cortot qui fit à cette occasion ses débuts comme chef d’orchestre.

À Bruxelles, les différentes journées de la Tétralogie avaient été, en l’espace de quatuorze années, représentées dans l’ordre suivant : La Walkyrie, Siegfried, L’Or du Rhin, le Crépuscule des Dieux. À Paris La Walkyrie fut également représentée en premier lieu (Opéra, mai 1893), puis Siegfried (Opéra, 3 janvier 1902) ; L’Or du Rhin n’a pas encore été joué. M. Bertrand avait eu, dit-on, l’idée de le monter en y ajoutant un ballet !…

À Lyon, l’ordre des représentations est le même qu’à Bruxelles : La Walkyrie (1894) ; Siegfried (15 février 1901) ; l’Or du Rhin (31 mars 1903) ; enfin, le Crépuscule des Dieux dont la première sera donnée demain.

Voici la distribution du Crépuscule des Dieux à Lyon : Brunnhild, Mlle Janssen ; Siegfried, M. Verdier ; Gutrune, Mlle Rogery ; Gunther, M. Rouard ; Hagen, M. Sylvain ; Alberich, M. Artus ; Nornes et Filles du Rhin, Mmes Domenech, de Véry, La Palme et Pierrick.