Revue Musicale de Lyon 1904-01-19/Le Concert de la Schola

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Le Concert de la Schola

Le deuxième concert de la Schola Cantorum lyonnaise aura lieu, comme nous l’avons annoncé, mercredi soir, à 8 h. 1/2, aux Folies-Bergère. Le programme comprend des fragments d’Idoménée de Mozart, de Samson de Hændel, un fragment d’Orphée de Gluck, deux Cantiques de J. S. Bach, et la Pastorale de l’Oratorio de Noël du même Maître.

Il sera donné avec le concours de Mme Georges Marty, de Mlle Éléonore Blanc et de M. Jean David. Orgue, orchestre (60 musiciens), et chœurs (200 chanteurs), sous la direction de M. Georges Marty, chef d’orchestre de la Société des concerts du Conservatoire de Paris.

Nous donnons ci-dessous quelques renseignements sur les autres parties du programme, un court historique de la Schola lyonnaise et des notes biographiques sur M. Georges Marty.

{{c|Historique}

La Schola Cantorum lyonnaise date du mois de décembre 1902. La première idée en a été émise dans une réunion de quelques musiciens lyonnais, à laquelle assistait M. Vincent d’Indy. Dans cette réunion il fut question des grandes sociétés chorales d’Allemagne et de Hollande qui réunissent souvent tous les amateurs de musique d’une ville, en vue de l’exécution régulière des grandes œuvres des maîtres anciens et modernes. Ces sociétés, dont l’utilité au point de vue de la culture et de l’éducation musicale d’une ville est considérable, ont fait presque défaut jusqu’à présent à la France. Depuis quelques années seulement, un vif mouvement se fait dans ce sens, et déjà, sous l’impulsion de la Schola Cantorum de Paris et des Chanteurs de Saint-Gervais, des sociétés chorales d’amateurs ont été créées dans plusieurs villes dans le but d’exécuter les grandes œuvres anciennes et modernes et, en même temps, de faire pénétrer, par rayonnement, dans le public, le goût de la musique vraiment belle.

Cette réunion, toute privée aboutit immédiatement à la constitution d’un comité qui comprenait, avec les représentants des principaux organes de la presse lyonnaise, un certain nombre d’amateurs de musique[1].

Quelques jours après, M. Charles Bordes annonçait, dans une intéressante causerie, au cours de laquelle se fit entendre de M. Frölich, l’excellent baryton danois, l’établissement définitif et officiel de la Schola Lyonnaise.

Dès sa fondation, la Schola a été accueillie très favorablement ; au bout d’un mois, grâce à l’appui de la Presse, le nombre des membres adhérents actifs de la Schola atteignait le chiffre de 150 et peu après de 200. Une soixantaine de membres honoraires s’inscrivirent également : le succès matériel de l’œuvre était dès lors assuré. L’œuvre reçut du reste un sérieux appoint avec les membres de la Société des vendredis qui répondirent avec empressement à l’appel de la Schola.

Les répétitions commencèrent bientôt sous la direction générale de M. Witkowski, qui fut, dès le début, l’âme de la jeune Société, et le 29 avril 1903, la Schola donnait son premier concert dans la salle des Folies-Bergère. Le programme comportait la cantate Bleib bei uns de J.-S. Bach et des fragments de l’opéra Hyppolyte et Aricie de Rameau. Ce concert qui obtint un grand succès fut dirigé par M. Ch. Bordes et donné avec le concours de la Symphonie Lyonnaise de M. Mariotte qui rendit excellemment le Concerto en ré mineur de Bach, de M. Frölich, de Mlle Janssen, toujours dévouée aux œuvres artistiques, de Mlle de la Rouvière et de M. Jean David.

La Schola Cantorum lyonnaise vient de commencer sa deuxième année et le succès croissant qui a accueilli sa fondation fait espérer qu’elle vivra longtemps. Dès le début de sa deuxième saison, elle a trouvé de tous côtés des adhésions de plus en plus nombreuses, reçu l’appui de nouvelles bonnes volontés et, aussi obtenu de ses membres actifs une assiduité plus grande aux répétitions. En dehors des membres actifs, de nouvelles personnalités ont offert de la soutenir dans ses manifestations les plus belles et les plus désintéressées.

Les répétitions pour le second concert ont repris au mois de novembre. Elles ont lieu le vendredi soir et dès la semaine prochaine les schistes commenceront l’étude du premier acte d’Alceste de Gluck et du premier tableau (le Baptême) du Chant de la Cloche de Vincent d’Indy, œuvres qui seront exécutées au troisième concert, le 9 mars sous la direction de l’éminent compositeur de l’Étranger.

Pastorale de l’Oratorio de Noël (1734)
(J. S. Bach)

La seconde partie de l’oratorio de Noël célèbre l’adoration des bergers. Le morceau joué sous le nom de Pastorale lui sert d’introduction : c’est une Sinfonie tout imprégnée du sentiment de la nature. On y ressent la poésie des nuits claires, en y trouvant l’image d’un ciel aux profondeurs cristallines où vibre le scintillement bref des étoiles. Le balancement égal et continu des rythmes y évoque l’harmonieux pèlerinage des astres à travers les grands espaces nocturnes et les hautbois des pâtres y semblent répondre à ce concert des cieux.

On peut dire de ce fragment qu’il contient en germe le poème symphonique moderne. Le grand maître d’Eisenach l’a écrit dans la forme classique, mais il s’y trouve visiblement préoccupé du côté descriptif.

« Samson » de Hændel

Hænder qui, comme on le sait, est né la même année que J. S. Bach (1685) avait écrit en 1733 deux oratorios, Athalie et Déborah, mais ce ne fut qu’en 1740 que, établi en Angleterre, il se consacra entièrement à l’oratorio. En 1740, il donna le Messie que l’on considère généralement comme son chef-d’œuvre. L’ouvrage, de très amples dimensions, écrit, dit-on, en vingt-quatre jours, fut exécuté pour la première fois à Dublin. Cette œuvre valut l’année suivante à Hændel, un succès considérable à Londres, et à partir de 1749, il put la donner chaque année au bénéfice d’une œuvre de bienfaisance. Samson est le second des oratorios de cette période. Il fut écrit, en 1742, sur des morceaux tirés du poème de Milton et obtint aussi le plus éclatant succès.

Ce qui caractérise ces œuvres, c’est l’éclat, l’ampleur, la majesté ; les idées mélodiques de Hændel sont intéressantes et généralement d’une grande noblesse ; son harmonie est serrée et d’une rare saveur. Il s’entend surtout à superposer, à étager les voix et la plupart de ses chœurs, comme on pourra s’en rendre compte à l’audition des fragments de Samson, produisent un grand effet.

Les oratorios de Hændel se composent d’un certain nombre de solos, de duos, de trios, ou de chœurs, se rattachent plus ou moins étroitement au sujet de l’œuvre, accompagnés par l’orchestre et réunis par des récitatifs expliquant le sujet et soutenus seulement par la basse continue qui, au concert de la Schola, sera réalisée sur l’orgue.

On a l’habitude de comparer Hændel à J.-S. Bach. Ces deux maîtres, nés la même année, dans le même pays, sont très éloignés l’un de l’autre : déjà bien différents par leur éducation musicale et leur caractère, ils diffèrent surtout par leur métier et leur conception artistique. Bach fut, avant tout, un poète lyrique. Toute sa vie et sous toutes les formes, ce sont les émotions de son propre cœur qu’il a essayé de traduire. Et toujours Hændel, au contraire, a été un dramaturge, un infatigable créateur d’âmes vivantes et de sentiments en conflit. Mais il a été, lui aussi, un poète ; et si l’œuvre de Bach est plus intime et d’un agrément plus raffiné, la sienne est presque aussi parfaitement belle. Hændel est le grand classique de son art et tel il apparut jadis à tous les musiciens, à Gluck, à Mozart, à Beethoven et déjà à Sébastien Bach qui le vénérait comme un dieu.

On sait que les Anglais considèrent l’Allemand Hændel comme leur plus grand compositeur et ils ont raison en ce sens que la direction et le développement de l’activité créatrice du Maître furent déterminés pour une part par les circonstances extérieures de sa vie, par le milieu dans lequel il vécut, par les goûts et les besoins esthétiques de son public et, d’autre part, il a subi fortement l’influence de Purcell et tout ce que ses œuvres, comparées à celles de Bach, ont de plus facile, de plus agréable, de plus aisément compréhensible, provient de l’école anglais.

Idomeneo, Re di Creta

Mozart écrivit la musique d’Idoménée à la demande de l’électeur de Bavière. Il était alors organiste au service du Prince Archevêque de Salzbourg et dut solliciter un congé qui lui permît de consacrer tout son temps à la composition de son opéra. Il obtint six semaines de liberté qu’il mit à profit merveilleusement ; malgré les longueurs du livret dont l’auteur l’Abbé Varesco, Chapelain de l’Archevêque de Salzbourg, ne voulait rien retrancher, l’œuvre, commencée en novembre 1780, était finie aux deux tiers pour le premier décembre suivant, et le 29 janvier 1781, on la représentait à Munich, au nouveau théâtre de la Cour. Le public accueillit avec enthousiasme cette pièce qui, cependant ne manquait pas de nouveauté. Dans Idoménée, ce n’est pas seulement la première grande œuvre scénique de Mozart qu’il faut considérer, mais on doit encore se souvenir que de ce Dramma per musica date l’ère de ce qu’on appelle l’opéra classique. Ici, en effet, la structure générale s’en trouve fixée, les formes en sont arrêtées, l’orchestre définitivement établi. En même temps que le début, c’est l’apparition d’un genre nouveau. Mozart l’inaugure avec toutes les ressources de son style. Sa richesse, sa grâce et sa clarté y règnent avec splendeur. Par dessus tout, on y reconnaît déjà ce privilège caractéristique en vertu duquel chez lui la musique peut primer le drame sans que la vérité de l’œuvre en souffre. Ce don est unique ; un enchantement substitue pour ainsi dire à l’action exposée dans le livret une autre action purement musicale, où non seulement les personnages de la tragédie reçoivent des caractères fortement dessinés et fidèles constamment à eux-mêmes, mais où l’on entrevoit comme de nouveaux personnages, fantômes sonores des premiers, vives expressions de leurs sentiments et de leur personne qui circulent autour d’eux, ombres séparées de leurs corps, voix qui dialoguent à part, images, échos ou reflets de leurs gestes, de leurs paroles et de leur figure. Et cette fantasmagorie est lumineuse. Dans quelle atmosphère limpide s’agitent, se poursuivent et se rejoignent les héros multiples de la scène et de l’orchestre ! Grâce à la transparence de l’écriture, nul détail élégant ne se perd, nulle intention expressive ne reste vaine. Mozart conduit ainsi l’auditeur où il veut et comme il veut. Certains chœurs ont toute l’énergie et les accompagnements, de certains airs toute la délicatesse. La voix de Neptune, qui sort de la statue du dieu juste à temps pour sauver la victime destinée au sacrifice par le Jephté crétois est annoncée par les instruments de cuivre comme le sera, dans une première version, la sentence terrible de Don Juan, proférée par la statue du Commandeur. Enfin, quand le maître ne songe qu’à sa musique, quand il oublie la pièce et reste sans visions, quand libre d’émotion, il laisse sommeiller cette puissante volonté d’émouvoir, et rend le spectateur à lui-même, il l’abandonne du moins au charme d’un rêve où flottent en cadence des formes exquises.

GEORGES MARTY

Âgé de quarante ans à peine, M. Georges Marty fut élu par ses pairs, chef d’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire : cet éminent artiste a été en 1901-1902, chef d’orchestre au théâtre de l’Opéra-Comique et est professeur de la classe d’ensemble vocal au Conservatoire national de musique.

M. Georges Marty est né à Paris, le 16 mai 1860 ; il entra à douze ans au Conservatoire et obtint les premiers prix de solfège et d’harmonie ; en 1882, il remporta le grand prix de Rome avec sa cantate Edith.

Il voyagea alors en Italie, en Sicile, en Allemagne et en Tunisie ; il envoya de Rome de nombreuses compositions, entre autres, Merlin enchanté, poème dramatique ; une Suite d’orchestre sur les Saisons ; l’ouverture de Balthazar, etc.

En 1890, il fut chef des chœurs au Théâtre Lyrique (direction Verdhurt) et y monta Samson et Dalida et la Jolie Fille de Perth.

Il passa ensuite à l’Hippodrome, engagé spécialement pour les chœurs de Néron, de Lalo ; et fit partie des grandes auditions musicales de France organisées par la comtesse de Greffülhe en 1892, il est nommé professeur au Conservatoire ; l’année suivante il entrait à l’Opéra comme chef de chant ; pendant la saison d’hiver, 1895-1896, il dirigea comme chef des chœurs et chef d’orchestre les Concerts de l’Opéra : en 1899, il fut le chef d’orchestre du théâtre du Lyceo à Barcelone ; le 30 mai de la même année, le théâtre lyrique de la Renaissance donnait de lui la première représentation d’un drame lyrique en trois actes, le Duc de Ferrare.

Parmi les nombreuses compositions de Georges Marty, citons : Ballade d’hiver (concert Pasdeloup, 1885) ; Matinée de printemps (concert Lamoureux, 1887) ; Lysie, pantomime en un acte (1888) ; une Suite romantique pour orchestre ; de charmantes mélodies, entre autres : la Sieste, Brunette, Sonnet à Ophélie, Dernier vœu, Regrets, Fleur des eaux, Au Matin, Toast, etc. il a aussi composé des pièces de piano à deux et à quatre mains, des pièces d’orchestre et des chœurs, (Les Quatre Saisons, etc.

  1. Le comité actuel dont les présidents d’honneur sont MM. Aynard, Ch. Bordes et Vincent d’Indy est composé de MM. Aguettant, Baldensperger, Baux, Dr Bérard, Bonnet, Brahm, Dr Bret, Cambefort, Raoul Cinoh, Clédat, Dr Courmont, Dulieux, E. Ducoin, Paul Duvivier, Dr Garand, Garin, Gillet, Paul Girard, Godinet, Holstein, M. Isaac, Dr Jasmin, Kæuffer, Lapaine, Lécureux, Leriche, Loret, Maillot, Mariotte, F. Maurice, Mme Mauvernay, Dr Mathieu, Mazille, Morin-Pons, Dr Nicolas, Pagnoud, Dr Rebatel, Robatel, Dr Rochet, Sallès, J. Tardy, Dr Vallas, Léon Vallas, Léo Vignon, Witkowski.