Revue Musicale de Lyon 1904-02-03/Le Système de Métrique et de Rythmique Musicales

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Le Système de Métrique et de Rythmique Musicales

de M. RIEMANN

Il est permis de dire, en employant un cliché connu, que le Système de métrique et de Rythmique musicales[1] de M. Riemann, paru il y a quelque temps déjà, répondait à un réel besoin. Aucune question n’est plus vitale, pour la musique, que celle du rythme, et il n’en est pas qui ait été jusqu’ici plus totalement négligée. M. Riemann est, je crois, à peu près le seul à l’avoir approfondie, à avoir tenté de ramener à des règles précises, à des principes universellement valables, les données que l’artiste applique instinctivement. Jusqu’ici, il fallait chercher l’ingénieuse théorie rythmique du pédagogue allemand dans divers de ses ouvrages, où elle restait éparse. La voici maintenant méthodiquement exposée en un volume assez dense, mais où des exemples notés empruntés aux grandes œuvres classiques occupent une place considérable et jettent sur les explications techniques, parfois compliquées, une singulière lumière. L’ouvrage est divisé en deux parties très distinctes. Dans la première (Rythmique) qui est surtout analytique et où est posé le principe esthétique du rythme, M. Riemann cherche à dégager, d’abord l’élément unitaire de ce rythme, la « cellule », pour arriver ensuite par une synthèse, à l’édifice rythmique, à la phrase musicale, étudiée dans la deuxième partie (Métrique). Dans cette deuxième partie nous sont donnés les principes pratiques, aussi utiles pour l’analyse que pour la connaissance des règles de l’écriture, qui sont la conséquence logique des généralités énoncées et expliquées dans la première.

Pour M. Riemann (et je pense que tous seront d’accord avec lui sur ce point) les éléments de rythme et de mètre propres à la musique sont foncièrement différents de ceux du langage et n’ont leur raison d’être que dans la seule musique.

Le principe essentiel d’une idée musicale envisagée en soi ne saurait provenir que d’un rapport, et par définition, ce rapport devra être le plus simple possible. Ce sera donc un rapport formé de deux termes irréductibles. Le premier est un énoncé, un élan (temps léger, anacrouse) et le deuxième une conclusion, la résolution du mouvement (temps lourd). La valeur de ces deux termes ne saurait être absolument la même : afin qu’ils soient aussi nettement différenciés que possible, il faut que non seulement l’accentuation mais aussi la durée en soient en principe inégales. Notre élément premier aura donc l’aspect suivant :

[partition à transcrire]

Ce qui revient à dire que la forme de mesure la plus simple te qui se comprenne le plus aisément est la forme ternaire, celle où le temps lourd a une valeur double de celle du temps léger.

Nous voyons également qu’en fait une « mesure » réelle est tout autre chose qu’une mesure écrite, et qu’il est logique de considérer la barre de mesure comme placée entre le temps léger et le temps lourd, c’est-à-dire non à la limite, mais à l’intérieur même de la mesure.

Ce n’est point là, d’ailleurs, le seul malentendu auquel ait donné lieu l’écriture conventionnelle de la musique. Les barres telles que les emploient la plupart des compositeurs sont souvent placées arbitrairement et ne correspondent à aucune réalité rythmique. La véritable mesure ne peut comprendre que deux, ou trois temps effectifs. Selon le cas, une mesure écrite peut soit ne comprendre qu’un seul temps (mouvement très vif, scherzos, etc.) et alors il en faut deux ou trois pour constituer une mesure réelle, ou au contraire être formée de plusieurs mesures réelles (mesure à quatre temps, à six-huit lent, à neuf-huit lent, etc.).

Ce schème primordial de l’unité rythmique, du motif, est également celui des unités moins minimes de la phrase musicale. Nous avons reconnu dans le motif une valeur initiale (légère), puis une deuxième valeur (lourde) qui est la réponse, le conséquent de la première. Considérons maintenant le motif entier comme une unité indivisible : il deviendra unité initiale, et en vertu du principe posé plus haut devra être suivi de sa réponse, qui sera un nouveau motif semblable. Ainsi est formé, par groupement de deux motifs, un élément métrique, une proposition si l’on peut dire. Que cette proposition, envisagée comme un tout, se complète à son tour d’un conséquent égal à elle, et ce sera la période, soit un groupe de quatre mesures. Deux telles périodes consécutives, l’antécédent et le conséquent, forment la phrase complète.

La phrase compte donc forcément huit mesures, en principe du moins. Dans la pratique, nous savons qu’une phrase musicale en comprend un nombre indéterminée, qui peut être supérieur ou inférieur à ce chiffre de huit. En fait on peut ramener n’importe quelle phrase musicale au type théorique établi par M. Riémann ou à une modification régulière et rationnellement analysable de ce type.

Voici, rapidement indiquées, les diverses modifications possibles.

1o L’unité initiale légère (mesure et par extension groupe de deux mesures, voire antécédent, quatre mesures, entier), peut être élidée. On trouve même des exemples de ce que M. Riemann appelle début ex abrupto, c’est-à-dire se produisant sur la sixième (et même septième) mesure d’une phrase.

2o Des mesures intercalaires peuvent intervenir au cours d’une phrase, ou plutôt une mesure, un groupe, une période entière peuvent se répéter (c’est ce qui se produit généralement à la suite des cadences rompues).

3o Une mesure, un groupe, une période peuvent se trouver élidés, dans le cours d’une phrase, par synérèse. Un exemple très clair d’une telle synérèse nous est fourni par le cas où la note terminale d’une phrase est énoncée en même temps que la première note de la phrase suivante, ce qui revient à dire que la dernière (huitième) mesure d’une phrase est en même temps la première de la phrase suivante.

À moins de vouloir écrire non pas un article, mais un volume, je dois me borner à énoncer les principes généraux donnés par M. Riemann, en en laissant de côté la démonstration. Cette démonstration, d’ailleurs, est assez simple et très logique : nous savons que certaines harmonies, certaines suspensions ne peuvent pas occuper indifféremment n’importe quelle place dans la phrase. À plus forte raison les cadences sont dans le même cas. Or, chaque fois que nous trouvons une anomalie apparente dans la place occupée par de telles formations typiques, l’analyse nous démontre, selon le cas qu’il y a élision, synérèse ou répétition.

D’ailleurs, M. Riemann a donné de l’excellence de sa théorie la meilleure des preuves, en montrant dans les analyses qu’il a publiées des œuvres de clavier de Bach, que cette théorie s’appliquait de façon absolument complète auxdites œuvres. Et c’est précisément à cause du haut intérêt que présente le système de M. Riemann, et de l’utile procédé d’analyse qu’il nous fournit, que j’ai cherché ici à en expliquer les principes élémentaires. Une aussi courte étude ne peut montrer que très imparfaitement toute l’ingéniosité de ce système. Peut-être au moins contribuera-t-elle à appeler l’attention des lecteurs de cette revue sur les solides et utiles travaux de M. Riemann.

M.-D. Calvocoressi.

  1. Leipzig, Breitkopf et Haertel, 1903, in-8vo