Revue Musicale de Lyon 1904-03-02/À Travers la presse

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À TRAVERS LA PRESSE

La Musique à Programme

À propos de « Roméo et Juliette », de Berlioz

La Renaissance latine publie dans son dernier numéro (15 février) la traduction française due à notre collaborateur, M. D. Calvocoressi, d’une lettre de Wagner, sur les Poèmes symphoniques, de Franz Liszt. Nous y trouvons sur Roméo et Juliette, de Berlioz, l’intéressante opinion suivante :

« Même lorsque j’écoutais une des belles œuvres de cette catégorie — musiques à programme — (il en est de véritablement géniales), il m’arrivait toujours de perdre absolument le fil de la musique ; pour le conserver comme pour le retrouver, tout effort était vain. Tel fut le cas, encore tout récemment, lorsque j’entendis la scène d’amour de la symphonie Roméo et Juliette, de notre ami Berlioz, scène dont les idées musicales sont d’une beauté si saisissante. Le ravissement où m’avait jeté le développement du motif principal disparut pendant que j’écoutais la suite, et ce fut un désenchantement, un franc déplaisir. Je compris que le fil de la musique (c’est-à-dire l’alternance claire et logique de motifs déterminés) une fois perdu, je devais me contenter de motifs scéniques dont aucune circonstance effective ni aucun programme ne me fournissaient la désignation. Ces motifs, on pouvait incontestablement en trouver l’origine dans la célèbre « scène du balcon », de Shakespeare ; mais les avoir fidèlement traités d’après la disposition que le dramaturge avait adoptée, c’était, de la part du compositeur, une erreur grave. Lorsqu’il voulut tirer de cette scène la matière d’un poème symphonique, ce dernier en effet aurait dû sentir que, pour exprimer une idée à peu près semblable, le dramaturge et le musicien ne sauraient employer les mêmes moyens. Le dramaturge s’éloigne moins de la vie ordinaire ; il ne se fait comprendre que s’il manifeste son idée par une action dont toutes les parties constituantes réunies donnent l’impression de cette vie même, de façon que tout spectateur croie participer à cette action. Au contraire, le musicien néglige absolument les circonstances matérielles de la vie, en laisse de côté les contingences, les cas particulier, pour n’en extraire que les éléments essentiels, selon sa propre sensibilité intime, laquelle précisément ne peut se manifester de façon concrète que par la musique. Un poète véritablement doué de sens musical aurait donc fourni à Berlioz cette même scène sous une forme idéale parfaitement concrète ; un Shakespeare la livrant à un Berlioz, afin qu’il la reproduise en musique, aurait fait subir à sa réalisation poétique des modifications. Et ces modifications serait équivalentes à celles qui, introduites par Berlioz dans son œuvre, rendraient celle-ci pleinement intelligible. Mais nous venons de considérer ici une des plus heureuses inspirations du génial compositeur. Mon opinion sur d’autres pages moins heureuses me ferait volontiers réprouver de pareilles tendances, si nous ne devions à ces tendances, encore, la Scène aux champs, la Marche des Pèlerins, etc., scènes de moindre envergure, il est vrai, mais qui nous étonnent et montrent ce qu’il est possible de réaliser dans cet ordre de matière. »

Musiques d’Église

(Extrait d’une des dernières Lettres de l’Ouvreuse de l’Écho de Paris).

« On me demande, astucieusement, mes opinions « définitives » sur la différence d’expression qui sépare la musique et le plain-chant, le vrai, « celui qui vient des Grecs » (comme le jeu de l’Oie). Définitives ! Je n’ai jamais eu d’opinions définitives ! J’espère bien n’en avoir jamais ! Pour le moment, je trouve un peu nigaud (soyons polie), un peu arbitraire, le distinguo qu’on veut établie dans certaines publications plus prétentieuses que compétentes. Au fond, il n’y a qu’une musique, messieurs et mesdames, une seule, qui a revêtu plusieurs formes, dont l’une est le chant grégorien, une autre la polyphonie palestrienne, une autre encore le récitatif du dix-septième siècle, etc., etc. L’excitation sensorielle résultant de la musique me semble en raison directe de la complexité des moyens employés par le compositeur. Donc, la polyphonie vocale et la monodie doivent nous apporter la sensation de calme requise, celle que l’Église recherche particulièrement pour ses fidèles. Donc… Pie x a raison quand il recommande comme « convenant au degré suprême », le grégorien (monodie), « ensuite à un très bon degré la polyphonie classique », enfin la musique plus moderne qu’il n’a jamais été question de chasser des églises, mais que le pape, auquel je persiste à reconnaître quelque compétence, déclare « d’autant plus digne du temple qu’elle se rapprochera du modèle suprême ».