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Revue Musicale de Lyon 1904-03-09/La Passion

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LA PASSION

Les représentations populaires du drame de la Passion sont en Allemagne et en Suisse une manifestation répandue de l’art, et une occasion précieuse d’éducation esthétique. La réputation du spectacle grandiose d’Oberammergau est universelle. Sans atteindre de telles proportions, le spectacle auquel nous étions conviés dimanche nous apparaît comme une très heureuse initiative, à laquelle il convient de ne pas ménager les encouragements et les louanges, d’autant que le succès en a été aussi vif que mérité.

Le drame de la Passion qui rappelle les origines mêmes du théâtre médiéval, puisque au moyen âge toute manifestation intellectuelle naissait de l’Église, est donné dans la paroisse suburbaine de Notre Dame des Anges.

La situation même de la salle, derrière les lônes de la Vitriolerie, dans ce coin de paysage à deux pas du quartier le plus populeux de la ville, disposition des chœurs dans des tribunes voilées, l’orchestre couvert à la manière de l’Opéra-Comique ou des Théâtres allemands, l’allure à la fois sacrée et mondaine du spectacle, donne à ces représentations une couleur locale intense, savoureuse, piquante, propre à réveiller l’attention du critique blasé par la quotidienne habitude des théâtres lyriques et des salles de concerts. Il y a là une note curieuse de Folk-lore, que nous nous reprocherions de ne pas signaler aux intellectuels que passionne la recherche de cette mode nouvelle.

Le scénario, emprunté aux Évangiles, se compose de tableaux vivants, de scènes parlées et de chœurs. Deux récitants, figurent le Christ et l’Évangéliste, et commentent, de l’avant-scène, les parties mimées du drame.

L’action se noue à l’entrée du Christ à Jérusalem, pour se terminer à la Résurrection. L’auteur, qui s’est caché sous le voile modeste de l’anonymat, s’en est tenu à la lettre même de l’orthodoxie évangélique, sans faire intervenir la tradition, toujours quelque peu sujette à controverse. La scène du désespoir et de la pendaison de Judas par exemple n’a rien emprunté aux travaux de l’exégèse moderne. Le traître se pend classiquement avec sa ceinture. Nous voilà loin de Strauss, de Renan, des gnostiques et des caïnites. Ceci d’ailleurs n’est pas un reproche.

La partition empruntée aux meilleures sources, avait été arrangée par le Kappelmeister Maillot, qui avait déjà sur la même scène organisé une fort intéressante représentation du Mystère de Noël. La musique du drame de la Passion avait été prise pour les deux premières parties à Bach et à Hændel et pour le Chemin de Croix à Alexandre Georges. Le désaccord qui semble au premier aspect résulter du voisinage de ces deux écoles si différentes, s’est trouvé n’être en fait qu’un agrément de plus : les pages exquises de Hændel, la simplicité merveilleuse de Bach formaient un contraste intense, mais nullement déplaisant avec l’œuvre colorée, vivante, moderne, orchestralement surtout, d’Alexandre Georges.

L’orchestre, qui comptait cinquante instrumentistes, a donné, grâce à sa disposition sous la scène les meilleurs effets de sonorité et de fondu. Il convient de louer grandement M. Maillot pour la mise au point remarquable à laquelle il est arrivé, et, plus encore peut-être pour les résultats excellents qu’il a obtenu de ses chœurs : ceux-ci, bien que n’étant pas composés de professionnels, ont interprété d’une façon tout à fait intéressante les pages les plus complexes de la partition, et notamment cet admirable O vos omnes, de Vittoria, d’autant plus difficile qu’il est chanté sans accompagnement.

Aux récitants, MM. Millet et Morin, était confiée la tâche de dire les thèmes de Bach, dans les deux premières parties : ils l’ont fait, l’un avec un talent indiscuté ; l’autre, d’une très belle voix, au timbre chaud et sympathique.

Quant aux rôles scéniques, ils étaient tenus exclusivement par des amateurs, dont une légère pointe d’accent lyonnais ne déparait pas les qualités de conviction et de sincérité. Citons avec éloge l’artiste chargé du rôle de Juda, dont la diction sobre et la bonne tenue scénique, ont mis en lumière une des plus curieuses pages du drame.

En résumé, nous sommes heureux d’applaudir à une initiative des plus honorables, dans une ville où les initiatives sont rares et méritoires. Le drame de la Passion fait le plus grand honneur à ceux qui l’ont organisé et spécialement à l’excellent chef d’orchestre Maillot. C’est une chose trop exceptionnelle de voir le peuple s’intéresser à une musique aussi purement classique que le Bach et le Hændel, pour que la Revue Musicale ne l’ait pas signalé et n’y ait pas applaudi.

Edmond Locard.