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Revue des Romans/Auguste Hilarion de Kératry

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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KÉRATRY
(Auguste-Hilarion), né à Rennes le 28 décembre 1769.


MON HABIT MORDORÉ, ou Joseph et son maître, 2 vol. in-12, 1802. — Cet ouvrage est du nombre de ceux qu’il ne faut point analyser, parce que son mérite consiste dans les détails : on y trouve des faits qui rappellent des souvenirs agréables, des traits de morale placés à propos ; quelques autres qui, trop souvent, font oublier le sujet, et l’Habit mordoré est moins un roman qu’un résumé d’observations sur une infinité d’objets qu’il eût été difficile de mettre en action. C’est pour cela, sans doute, que M. Kératry a divisé ses deux volumes en quatre-vingt-quatorze chapitres, dans lesquels il s’abandonne à son imagination. Le style est pur, mais on y trouve quelques mots qui ne doivent pas être entendus par des oreilles délicates.

LES DERNIERS DES BEAUMANOIRS, ou la Tour d’Helvin, 4 vol. in-12, 1824. — Un jeune homme qui va s’engager dans les ordres religieux est surpris par la nuit et l’orage ; il frappe à la porte d’un château : on lui accorde l’hospitalité. Le prix de cette hospitalité funeste est de veiller auprès d’une jeune fille qui vient de mourir. Ni la voix de la nature et de la morale également outragée, ni ce caractère d’une religieuse horreur que la mort imprime à ceux qu’elle frappe, ne peuvent arrêter le plus horrible des sacriléges : le prêtre, épouvanté de lui-même, s’éloigne. Cependant la jeune fille n’était que plongée dans une léthargie profonde : elle revient bientôt à la vie. Le crime dont elle n’est point complice, retombe sur elle. L’infortunée, en devenant mère, apprend qu’elle a cessé d’être vierge. — Le nombre des personnages est fort borné dans ce roman ; cinq seulement y jouent un rôle actif : Mme de Beaumanoir, Clémence sa fille, Mme Allote, le curé du village M. Lewy, et le médecin M. Bonnet. Mme de Beaumanoir, restée veuve à vingt ans, n’a point voulu former d’autres nœuds ; sa tendresse est partagée entre Clémence sa fille et Mme Allote, l’amie de son enfance : Mme de Beaumanoir, Mme Allote et Clémence, c’étaient trois sœurs de femme qui battaient à l’unisson. Quand Mlle de Beaumanoir semble ravie à la terre, la tristesse est égale chez les deux amies qui lui survivent ; quand elle revoit la lumière, leur joie est pareille. Rien de plus touchant alors que le tableau de leur félicité, dans le tableau de M. Kératry ; la mort paraît ne les avoir désunies un moment que pour leur faire mieux goûter combien l’une était nécessaire au bonheur des deux autres. Mais bientôt Mlle de Beaumanoir met au monde l’enfant qu’elle a conçu dans les bras de la mort, et dès ce moment tout bonheur a fini pour la Tour d’Helvin. Mme de Beaumanoir ne peut résister à ce coup affreux ; elle expire au bout de quelques jours. Mme Allote, la compagne de ses jeunes années, ne tarde pas à la joindre dans la tombe, et Clémence ne leur survit un peu de temps que pour revoir l’auteur de tous ses maux, lui pardonner et lui léguer son fils, dont il est le seul appui sur la terre. — Un des caractères les plus heureusement tracés, c’est celui du pasteur Lewy ; simple curé de village, tolérant sans parler de tolérance, charitable sans faire de sermons sur la charité, n’ayant d’autre philosophie que celle de l’Évangile, où il trouve des consolations pour toutes les peines, des espérances pour toutes les misères.

SAPHIRA, ou Paris et Rome sous l’empire, 3 vol. in-8, 1835. — Le sujet de Saphira est l’amour du jeune peintre vénitien Salvini, sans autre fortune que son pinceau, sans autre noblesse que son talent, pour la fille du comte de Saint-Maur, grand seigneur de la France d’autrefois, émigré revenu dans sa patrie, remis en possession de tous ses biens et dignitaire de la cour impériale. Quoique le sujet du roman soit annoncé dès le début, on n’y voit longtemps que l’amour d’un jeune homme obscur et pauvre, sans titre, sans nom, sans existence, qui n’attend rien que du succès de ses travaux, pour l’unique héritière d’un grand nom et d’une grande fortune, destinée à tout autre qu’à un artiste. Tous les progrès de cette passion dévorante sont développés dans le roman avec autant d’imagination et de feu que de naturel et de vérité ; ils amènent des épisodes pleins de charme, comme celui du tableau où le peintre a représenté une bonne action de Saphira, dont le hasard a voulu qu’il fût témoin, ou des scènes d’un grand caractère, comme la fameuse fête donnée à l’occasion du mariage de Napoléon par le prince de Schwartzemberg. Arrachée à une mort certaine et sauvée de l’effroyable catastrophe qui termina les plaisirs de cette folle nuit, par le dévouement de Salvini, Saphira, sous la voûte de feu qui menace de les écraser, lui a juré d’être à lui ou de n’appartenir jamais à un autre ; et dans la bouche de cette jeune femme, ce n’est pas une vaine parole, enfant d’un délire passager ; ce serment, elle saura le tenir, mais à quel prix ? Séparée de Salvini par une barrière insurmontable, comment lui appartenir ? Ici est le nœud de cette histoire. Subjuguée par l’ascendant du prince de Claramonte, qui l’avait demandée au comte de Saint-Maur pour Salvini, et auquel elle avait été refusée (prince que l’auteur fait passer alors d’un rôle secondaire et tout d’observation à la plus grande énergie d’action et de volonté), Saphira, sans chagriner son père, sans faire violence à sa religion et en respectant les lois impérieuses du monde, acquitte la dette de son cœur, et sous le nom du prince s’unit à Salvini. Mais bientôt abandonnée de ce Salvini, pour prix du beau sacrifice qu’elle lui a fait, Saphira expie dans les larmes et la solitude de son palais le tort d’avoir répondu par trop de confiance à l’amour du jeune artiste. Le noble prince de Claramonte ne souffre pas seulement de son malheur comme son meilleur ami, et de l’infidélité du peintre comme d’un crime envers lui-même ; dévoré par une passion secrète, il se reproche d’avoir confié à Salvini l’existence d’une femme qui aurait fait son bonheur à lui et dont il n’aurait pas trahi l’amour ; mais il étouffe sa passion, et ne songe qu’à retirer Salvini de l’abîme où il s’est plongé. Il était trop tard ; Salvini meurt, purifié par le repentir ; les lois et la société sont vengées, et Saphira ne porte plus en vain le nom du prince de Claramonte. — Tel est cet ouvrage original dans sa conception, plein de situations fortes, semé d’observations fines et heureusement exprimées.

Nous connaissons encore de M. Kératry : Le Voyage de vingt-quatre heures, in-12, 1800. — Frédéric Styndall, ou la fatale Année, 5 vol. in-12, 1827.