Revue des Romans/Charles Didier

La bibliothèque libre.
Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
◄  Diderot Dinocourt  ►


DIDIER (Charles).


CHAVORNAY, in-8, 1838. — Chavornay appartient à la classe du roman sentimental qui fait venir l’amour après le mariage, et c’est la lutte des passions avec le devoir, dans deux nobles cœurs, que l’auteur entreprend de raconter. Chavornay est né de parents pauvres, mais honnêtes, humbles paysans des montagnes, qui sont parvenus, à force de travail, à laisser un petit patrimoine à leur unique enfant. Après la mort de ses parents, Chavornay vend tout son bien et se décide à en employer le prix à voyager. Sa destinée le conduit à Pise, où elle le rend amoureux de la belle duchesse Hélène d’Arberg. Hélène est assurément une des belles créations littéraires que nous connaissions ; ce n’est point une femme de génie, supérieure aux préjugés sociaux et même aux lois, qui s’indigne contre l’injuste répartition des droits ; c’est tout simplement une femme jeune et belle, l’esprit cultivé, le cœur excellent, que le luxe et les flatteries n’ont point gâtée, qui accorde à tout une tendre bienveillance en échange de l’admiration et de l’amour qu’elle inspire. Trois hommes subissent d’une façon différente l’influence de cette admirable femme : le duc d’Arberg, son mari, amoureux à sa manière, qui aime comme il sent et comme il pense, très-vulgairement ; le second, un jeune comte corse, appelé Campomoro, homme superbe, qui ne comprend l’amour que par le désir, et qui n’est pas scrupuleux sur les moyens de satisfaire ses passions ; et enfin, Chavornay. Lui seul a compris cette belle créature ; pendant que les autres s’arrêtent à l’adoration de la forme, son œil a pénétré la mystérieuse enveloppe, et contemple jusque dans leur sanctuaire les beautés, les vertus d’Hélène ; aussi lui seul l’aime, parce que lui seul la connaît. Hélène n’aime pas le duc d’Arberg, du moins elle n’éprouve pas pour lui ce que Chavornay lui fait éprouver ; jamais elle n’a senti entre elle et lui cette communauté d’idées et de sentiments, cette sorte de connaissance intime qui existe entre elle et Chavornay ; elle est étonnée, elle a peur, et en même temps elle est délicieusement émue. Le bon, l’honnête Chavornay ne pouvait s’abandonner sans scrupule à l’amour qui se révèle bientôt en lui avec violence, et d’ailleurs le respect qu’Hélène lui inspire ne lui permet pas de la désirer coupable. Il prend le seul parti raisonnable dans cette circonstance, il s’éloigne ; mais bientôt la jalousie le ramène, il tremble que la duchesse n’aime Campomoro ; il se bat avec lui, il est blessé, rencontré en cet état par le duc d’Arberg, qui ordonne de transporter chez lui son jeune ami, où bientôt le duc d’Arberg, forcé de partir pour un long voyage, le laisse seul avec Hélène. Voilà donc les deux amants réunis, se voyant tous les jours, vivant sous le même toit, entendant sans cesse les battements de leurs cœurs et leurs soupirs. L’auteur a traité avec habileté et avec talent le chapitre des épreuves ; il n’a dissimulé ni les dangers du combat, ni les difficultés de la victoire. En ce qui touche Hélène, ce morceau est admirable. La pauvre femme ! comme elle résiste et s’abandonne à son amour ; elle le justifie et le combat ; mais ce retour sur elle-même n’a d’autre résultat que de lui montrer sa faiblesse ; c’en est fait, son courage, sa raison, sa volonté, ne peuvent plus la sauver ; elle se voit déjà vaincue, et pourtant, sans doute, son âme repousse avec horreur l’idée du crime. Dans cette extrémité, elle appelle le courage de Chavornay au secours de son courage, elle se met à ses genoux, elle avoue sa faiblesse et son amour, elle le supplie de l’aider dans cette angoisse et de lui prêter sa force. Chavornay se sauve, la duchesse s’évanouit et le duc revient. Hélène lui avoue tout avec tant de courage et d’émotion, que le duc se trouve fort embarrassé de cette confession. Après des efforts inouïs pour combattre sa passion, la duchesse prend le parti de se retirer en Bohême, et part pour cette destination. Dans les premiers jours du voyage, l’exaltation la soutient ; bientôt elle tombe malade, et elle arrive presque mourante à Ferrare, où Chavornay, qui l’avait suivie, arriva tout juste pour recevoir le dernier aveu de son amour et son dernier soupir. — Chavornay est un roman digne du succès avec lequel il a été accueilli lors de son apparition, et qu’il doit non-seulement à une fable intéressante, mais encore à un style élégant, facile, simple et harmonieux.