Revue des Romans/Charlotte Bury

La bibliothèque libre.
Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
◄  Burney Busoni  ►


BURY (mistr. Ch.), romancière anglaise.


COQUETTERIE, 2 vol. in-8, 1835. — La fable de ce roman est bien courte. Deux jeunes filles, Émilie et Frances, nièces du général Montgomery, arrivent toutes deux, quoique pauvres, à faire un brillant mariage, l’une par la coquetterie, l’autre par une grande droiture de cœur et d’esprit. La coquette Frances périt malheureuse et abandonnée par son époux ; la bonne Émilie vit longtemps tranquille auprès du sien. La vie de château, les mœurs de la haute société anglaise sont passées en revue dans ce roman, dont le style est clair, facile, mais quelquefois tissu avec trop peu d’art.

GODOLPHIN, 2 vol. in-8, 1837. — Vernon, habile orateur, ami du prince de Galles et l’appui de l’aristocratie anglaise, meurt sur un grabat sans obtenir une aumône de ceux qu’il a soutenus jadis de sa parole puissante. Lorsqu’il sent que sa dernière heure est venue, Vernon appelle auprès de lui sa fille adolescente ; il la bénit de ses mains glacées, et après lui avoir dépeint l’injustice et l’ingratitude de ce prince qu’il a servi, de ces grands dont il a été la providence au parlement, il lui fait jurer de le venger un jour ; et Constance lui jure de consacrer sa vie à l’abaissement de l’aristocratie. Bientôt, recueillie par sa tante, grande et noble dame vivant au milieu de ce que l’Angleterre a de plus distingué, elle étudie profondément cette aristocratie, et cherche à quelle place elle doit frapper. Tandis qu’elle rêve à sa mission, elle rencontre Godolphin, jeune lord pauvre et beau, doué de toutes les qualités de l’âme et l’esprit. Constance aime Godolphin et en est aimée, mais elle résiste à la voix de son cœur et à l’entraînement d’un premier amour. Il faut que Constance Vernon épouse un grand seigneur opulent qui la place dans une sphère élevée ; elle repousse donc les vœux de Godolphin qui la charment en secret, et elle épouse lord Erpyngham qu’elle n’aime pas. Parvenue à une haute position, pouvant prétendre à tout par son rang, Constance s’attache au parti des whigs, le sert de son influence et s’associe à tous ses triomphes. Ici un intérêt grave s’unit au charme du roman ; au milieu des scènes de la vie du grand monde, on voit se dessiner, d’une façon pittoresque, le mouvement animé des intrigues politiques. Lady Constance Erpyngham gouverne ce monde d’hommes d’État, d’adorateurs, d’ambitieux, et joue ce rôle difficile avec une grâce parfaite, un sens exquis, un esprit admirable. Tout en secondant le mouvement qui amène la nomination du ministère whig et en accomplissant la promesse faite à son père, Constance, devenue veuve de lord Erpyngham, épouse Godolphin qu’elle avait aimé autrefois. Ce mariage eut lieu trop tard pour l’un et pour l’autre : lady Constance était entraînée sans relâche vers les hautes spéculations auxquelles elle avait voué sa carrière ; Godolphin avait cherché jadis l’oubli de ses peines dans les aventures romanesques et les plaisirs bruyants de la dissipation, et lorsqu’enfin ils reconnurent l’un et l’autre qu’ils s’étaient trompés de chemin, et que le bonheur les attendait dans une vie intime et paisible, Godolphin, revenant de visiter à son lit de mort une jeune fille qu’il avait aimée quelques années avant son mariage, périt en traversant un torrent. — Ce livre, dit l’auteur, a pour but de retracer l’influence de notre monde actuel sur les esprits portés à l’idéal et à l’exercice immodéré de l’imagination. Il était difficile de revêtir de plus riches couleurs cet enseignement philosophique, et de peindre avec plus de vérité et de finesse les hautes classes de la société anglaise.

TRÉVELYAN, 2 vol. in-8, 1837. — Trévelyan, homme à la fleur de l’âge et très-honorable, reçoit d’un de ses amis, qui meurt dans ses bras, le soin de veiller sur une fille naturelle de cet ami. Tuteur de la jeune fille, il devient amoureux de sa pupille, qui elle-même aime son tuteur. Un plus jeune amant se présente, un amant moins grave, moins penseur, moins grondeur, fait oublier le tuteur, se fait aimer à son tour, et l’héroïne l’épouse. Délaissée bientôt par son mari, assez mauvais sujet, elle veut se venger avec éclat, et se laisse enlever ; mais à peine la chaise de poste a-t-elle roulé pendant l’espace de quarante milles, que le repentir la saisit ; elle se sauve, se réfugie dans une auberge isolée ; et là, abandonnée du monde entier, elle a recours à la générosité de son tuteur. Trévelyan s’est marié, et occupe dans le monde une place honorable. Il reçoit le message de l’héroïne, vole à son secours, parvient à lui ramener son mari, qui lui pardonne au moment où la jeune personne meurt de chagrin dans l’auberge. — La fable de ce roman n’est, comme on le voit, ni nouvelle ni bien dramatique. L’auteur s’est sauvé par les détails : on s’intéresse à la lutte de Trévelyan contre lui-même ; il n’a pas cessé un instant d’aimer sa pupille, et sa passion, ses combats, le danger de la première entrevue qu’il a avec elle après son mariage, tout cela est admirablement écrit.