Revue des Romans/Félicité de Choiseul-Meuse

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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CHOISEUL-MEUSE (Mme la comtesse Félicité de).


EUGÉNIE, ou N’est pas femme de bien qui veut, 4 vol. in-12, 1813. — Les peintres grecs plaçaient dans leurs ateliers, à la vue de leurs élèves, de bons et de mauvais tableaux : les premiers pour servir de modèles et leur montrer ce qu’il fallait imiter ; les seconds pour leur faire voir ce qu’il fallait éviter. Eugénie est un tableau de la dernière espèce, un tableau qui n’est ni moral ni édifiant. — Eugénie n’est point une prude ; elle ne ressemble en aucune façon à ces héroïnes des anciens romans, qui, toujours vertueuses et cruelles, résistaient dix ans au moins à leurs amants, toujours tendres et constants ; elle ne ressemble pas non plus aux héroïnes des romans modernes, qui croient qu’on ne peut éprouver dans la vie qu’une seule passion digne de ce nom, qu’on ne peut aimer qu’une fois véritablement. Eugénie aime souvent, et toujours fort bien, à l’exception de son premier amant, qu’elle croyait aimer de bonne foi, en prenant pour un véritable amour ce qui n’était qu’un mouvement passager de préférence ; à l’exception du huitième encore, parce qu’il était vieux et laid. Il serait difficile de décider lequel elle aimait le mieux du second, du troisième, du quatrième, du cinquième, du sixième, du septième, du neuvième, et peut-être de quelques autres. Eugénie avait assez bien résisté à son premier amant, d’abord parce qu’elle ne l’aimait guère, ensuite parce qu’il était passablement sot : elle résista de même au second, ou plutôt la résistance vint de celui-ci, non qu’il fût insensible aux irrésistibles attraits d’une aussi charmante personne, mais parce qu’étant ecclésiastique et retenu par des devoirs sacrés, il sut triompher de la passion la plus vive et la plus partagée. Mais Eugénie ne sut pas aussi bien résister au troisième, qui réussit à la séduire par des moyens peu délicats, grossiers même, en allumant son imagination et ses sens par d’infâmes lectures et d’indécents objets, et qui, trouvant leur effet trop lent encore, emploie un moyen plus criminel, le même dont Lovelace s’est servi contre Clarisse, qui en mourut de douleur. Eugénie n’en meurt pas ; après avoir un peu grondé le comte de Ligny, elle lui pardonne, lui donne volontairement tous les droits d’un amant, et l’aime avec une telle fureur, que, lorsqu’elle n’en est plus aimée, lorsqu’il l’a abandonnée, qu’il a voulu la céder à un autre et a eu l’audace de lui en faire la proposition, elle se livre aux excès les plus déplorables !… Il y a cependant un épisode plus révoltant encore ; c’est celui où Eugénie, dans l’espérance d’un mariage éventuel, subordonné à des circonstances qui ne peuvent jamais arriver, se soumet, par un misérable calcul, à des conditions dégradantes qui l’avilissent tout à fait, conditions qui se réalisent sans que le mariage se réalise pour cela. Nous n’entrerons pas plus avant dans ce tissu d’immoralité, et nous croyons en avoir dit assez sur ce roman pour que la mère en interdise la lecture à sa fille. Nous ajouterons seulement, pour l’acquit de notre conscience, que les personnages qui ont part aux aventures si diverses et si variées de la malheureuse Eugénie, sont tous assez bien peints, surtout celui de Saint-Prix, celui de tous ses amants qui eut sur sa vie entière la plus longue et la plus cruelle influence.

LA FAMILLE ALLEMANDE, ou la Destinée, 2 vol. in-12, 1814. — Quoique cet ouvrage ne soit qu’en deux petits volumes, on y trouve l’histoire de trois générations : la mère, la fille et la petite-fille. Le sort de ces trois personnes est très-différent ; l’une épouse un homme qu’elle n’a jamais vu, l’autre prend un mari qu’elle déteste, et la troisième est obligée de faire une sorte de violence à l’amant auquel elle s’unit. Aucun de ces mariages ne tourne à bien, et l’auteur semble avoir pris à tâche de prouver qu’il est difficile qu’une femme soit heureuse. Sans être trop compliqués, les événements qui surviennent dans la Famille allemande sont assez multipliés pour amener une agréable variété de scènes ; les personnages qui la composent habitent successivement l’Allemagne, l’Italie et la France, et quoique l’auteur ne se pique pas d’une grande fidélité dans ses tableaux, il y a parfois de l’intérêt et des traits heureux dans ce petit ouvrage. On y remarque surtout le caractère aimable d’une bonne mère, rivale de sa fille sans le savoir, et qui fait à cette fille ingrate les plus grands et les plus pénibles sacrifices, dont elle est bien mal récompensée ; mais le cœur d’une mère est payé de ses sacrifices par ces sacrifices mêmes. Nous conseillons aux femmes de lire ce roman ; elles y verront que tous les agréments qu’elles conservent à trente ans sont ternis, ou plutôt effacés par la fraîcheur impertinente d’une fille de seize ans qu’on a sans cesse à ses côtés. On nous dira que toutes les femmes savent cela : sans doute, mais on croirait qu’elles l’oublient quelquefois.

Voici encore ce que nous connaissons de Mme Choiseul-Meuse : Coralie, suivie de Mélusine, in-12, 1799. — *Alberti, 2 vol. in-12, 1799. — Aline et d’Ermance, 3 vol. in-8, 1810. — Elvire, ou la Femme innocente et perdue, 2 vol. in-12, 1809. — Cécile, ou l’Élève de la pitié, 2 vol. in-12, 1816. — Amour et Gloire, ou Aventures galantes, etc., 4 vol. in-12, 1817. — Les Amants de Charenton, 4 vol. in-12, 1818. — Les Nouvelles contemporaines, 6 vol. in-12, 1818. — Le Retour des fées, contes, 2 vol. in-12, 1818. — Oréna, 4 vol. in-12, 1820. — Marianne, 3 vol. in-12, 1821. — *Paris, ou le Paradis des femmes, 3 vol. in-12, 1821. — Camille, ou la Tête de mort, 4 vol. in-12, 1822. — L’Héritage de mon oncle l’abbé, 2 vol. in-12, 1822. — Le Remords, 3 vol. in-12, 1822. — Le Chapelain de Chambord, 4 vol. in-12, 1824. — Georges le Terrible, 3 vol. in-12, 1824. — Mémoires de madame Adoure, 4 vol. in-12, 1824. — Entre Chien et Loup, par l’auteur de Julie ou J’ai sauvé ma rose, 2 vol. in-12.

« Julie, ou J’ai sauvé ma rose, et Amélie de Saint-Far, deux romans très-licencieux, ont été longtemps attribués à Mme Choiseul-Meuse, qui, loin de chercher à dissuader le public de cette opinion, l’a encore accréditée par la publication des deux romans d’Amour et Gloire et Entre Chien et Loup, qui portent sur le frontispice : par l’auteur d’Amélie de Saint-Far et de Julie, ou J’ai sauvé ma rose ; mais on sait aujourd’hui d’une manière positive que ces deux romans sont de Mme de Guyot. » (France litt., tom. 2.)