Revue des Romans/George Gordon Byron

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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BYRON (Leo. Noël Gordon, lord), célèbre poëte anglais,
né le 22 janvier 1788, mort à Missolonghi le 19 avril 1824.


Dans le nombre des romans poétiques qui font partie des œuvres de lord Byron, on distingue les suivants :

LE CORSAIRE, roman poétique en trois chants, traduit par E. de Salle. — On prétend que lord Byron a donné quelques traits de son propre caractère à l’esprit sauvage, mais noble encore dans sa dégradation, du corsaire Conrad. Conrad apprend qu’une flotte turque s’avance pour détruire son repaire. Résolu de prévenir le danger et d’attaquer le premier des Turcs, il quitte Médora, sa maîtresse chérie, tourmentée par de noirs pressentiments que lui même partage. Déguisé en derviche, il se rend seul dans le camp de son ennemi, le pacha Séide, qui a relâché dans la baie de Coron, où il donne une fête en attendant le vent favorable. Conrad, introduit devant le pacha, lui dit qu’il arrive furtif de l’île du Corsaire, et lui fait quelques contes jusqu’à ce que ses soldats fassent le signal convenu. Alors il dépouille le costume de derviche, tire son sabre, tombe sur la garde du pacha et la disperse en un instant. Bientôt ses compagnons arrivent et mettent le feu au palais ; mais Conrad, un moment vainqueur, est vaincu à son tour, blessé, fait prisonnier, chargé de fers et jeté dans un cachot ; pendant sa courte victoire il a sauvé des flammes la belle Gulnare, la favorite du pacha. Celle-ci vient le trouver dans son cachot, le délivre, et fuit avec lui. Conrad s’embarque avec sa libératrice, et regagne son île où Médora venait de rendre le dernier soupir. Le corsaire s’éloigne en répandant des larmes ; depuis il n’a plus reparu, non plus que la belle Gulnare.

LARA, roman poétique en deux chants. — Nous retrouvons Conrad et Gulnare dans Lara, quoiqu’ils n’y soient pas clairement désignés ; sans cette supposition Lara ne serait qu’une énigme sans mot. Conrad est donc retourné dans sa patrie ; il a repris le nom de ses ancêtres et est rentré dans leurs domaines héréditaires. On ignore quelle fut la vie de Lara pendant sa longue absence, et l’on ne forme que de vagues soupçons sur un page qui l’accompagne toujours, et dont les mœurs et le langage paraissent étrangers. Lara semble poursuivi par de continuelles terreurs et cherche la solitude. Cependant, invité à une fête par un seigneur voisin, il s’y rend, et est reconnu par un chevalier qui, en le voyant s’écrie : C’est lui. Lara lui demande raison de cette exclamation, le chevalier lui répond qu’il la lui donnera le lendemain devant les seigneurs assemblés ; il sort, Lara le suit, l’assassine, et jette son corps dans une rivière voisine. Bientôt Lara, impatient de son oisiveté, appelle à la révolte et à la liberté les vasseaux des seigneurs voisins, se met à leur tête, et, d’abord vainqueur, est ensuite vaincu et blessé à mort. — La douleur de Gulnare, en recevant le dernier soupir de son maître et son amant, est fort bien exprimée ; l’excès de sa tristesse est surtout admirablement dépeint par ce trait fort simple : « On déchira ses vêtements pour rappeler la vie dans ce cœur qui n’avait plus même le sentiment de sa peine. On découvrit une femme : Kaled revient à elle et ne rougit pas. » Il y a beaucoup de force et de délicatesse dans ce peu de mots.

PARISINA, nouvelle. — Parisina est l’épouse chérie du prince Azo, mais elle brûle d’amour pour un autre ; le complice de ses feux adultères est le jeune et vaillant Hugues, propre fils du prince Azo, qui apprend bientôt la vérité : une nuit que Parisina goûtait les charmes d’un sommeil trompeur, Azo l’entend qui, dans les illusions d’un rêve fatal, adressait au jeune Hugues quelques-unes de ces douces paroles qu’une femme ne doit adresser, même en rêvant, qu’à son mari. Certain de son déshonneur, Azo condamne Hugues et Parisina au dernier supplice. Hugues perdit la vie le jour même ; on ne sait si Parisina perdit aussi la vie ou si elle expia son crime dans l’ennui d’un cloître. — Cette nouvelle est considérée comme le chef-d’œuvre de lord Byron.

MAZEPPA, nouvelle. — On sait que Mazeppa, qui fut si fidèle à Charles XII, et qui périt si misérablement, était Polonais. Surpris dans une intrigue galante avec la femme d’un gentilhomme, il fut attaché sur un cheval indompté ; ce cheval, qui était né dans l’Ukraine, y reporta Mazeppa, mourant de faim et de douleur. Rendu à la vie, Mazeppa par son courage, devint bientôt l’hetman des cosaques de l’Ukraine. C’est l’histoire de ses amours et de la terrible punition qui les suivit qu’il raconte au roi de Suède, lorsque, fuyant ensemble après la bataille de Pultawa, ils cherchaient à gagner le rivage du Borysthène.

LA FIANCÉE D’ABYDOS, roman poétique en deux chants. — La Fiancée d’Abydos est l’un des poëmes les plus réguliers de lord Byron. La belle Zuléïka, nourrie avec Sélim, qu’elle croit son frère, a conçu pour lui un amour aussi vif qu’innocent. Mais Sélim ne devait pas le jour au père de Zuléïka, au pacha Giaffar ; Sélim était le fils d’Abdallah, que Giaffar son frère a empoisonné pour s’emparer de son héritage. Par un de ces mouvements de pitié qui se glissent dans l’âme des tyrans les plus féroces, comme malgré lui, Giaffar a épargné son neveu, et l’a fait élever dans le sérail, sous le nom de son propre fils, mais il semble se repentir d’avoir reculé devant un dernier crime, et chaque jour il menace Sélim. Cependant celui-ci sait et quelle est sa naissance, et quelle fut la mort tragique de son père : un esclave fidèle lui a révélé ce mystère d’horreur ; plusieurs fois il fut tenté de venger le sang par le sang, mais Giaffar est le père de Zuléïka. Sélim, pour échapper au sort qui l’attend, forme le hardi projet d’enlever Zuléïka : tout est préparé ; des pirates gagnés doivent recevoir les deux amants sur leur esquif. À minuit, Zuléïka se rend dans une grotte dont l’issue donne sur le rivage de la mer : elle ignore les desseins de celui qu’elle regarde comme son frère. Bientôt Sélim paraît, il se jette aux genoux de sa bien-aimée, lui raconte sa destinée, ses craintes, son espoir, ses projets. Zuléïka attendrie consent à partager son sort ; ils vont donc fuir ensemble. Mais le soupçonneux Giaffar épiait les démarches de Sélim : il s’avance suivi de ses soldats. Sélim, quoique seul, parvient à gagner la mer ; déjà la chaloupe allait le recevoir ; mais prêt à s’y jeter, il s’arrête pour voir encore Zuléïka : en ce moment une balle l’atteint et le renverse sans vie. Zuléïka ne lui survécut pas. — Ce poëme est un des plus vraisemblables et des plus intéressants de lord Byron. Les sentiments qu’éprouve Zuléïka pour Sélim, qu’elle aime avec l’innocence d’une sœur et la tendresse d’une amante, et la touchante erreur de la nature trompée, répandent beaucoup de charmes sur la première partie ; la seconde est admirablement terminée par la mort de Sélim.

LE GIAOUR, roman poétique. — Le Giaour est un tissu incohérent d’atrocités sombres et froides ; il est difficile de tuer en quarante pages plus de monde que lord Byron n’en immole dans ce poëme. Outre un combat qui coûte la vie à un grand nombre de soldats, l’Hélène de cette bataille est enfermée dans un sac et jetée vivante à la mer, et des deux rivaux, l’un, Hassan, tombe sous les coups de son rival, et l’autre, le Giaour, périt de désespoir, après avoir envoyé à la mère d’Hassan la tête de son fils. Quand on arrive à la fin de ce poëme, on croit sortir d’un rêve effrayant.

LE SIÉGE DE CORINTHE, roman poétique. — C’est encore un Turc, un renégat, qui est le héros du Siége de Corinthe. Obligé de fuir Venise où il est né, Alp s’est réfugié chez les musulmans, abjurant à la fois sa religion et sa patrie ; mais ce qu’il regrette le plus, c’est la belle Francesca, la fille de Minotti, celle à qui plus d’une fois il donna de mélodieuses sérénades dans l’heureux temps de sa jeunesse. Alp ne sait point si Francesca répond à ses feux ; mais il sait que depuis son exil on a vu Francesca plus rarement dans les bals, et plus souvent dans les églises, et lord Byron prétend que Alp en conçut beaucoup d’espoir pour ses amours. Cependant Minotti est allé s’enfermer avec sa fille dans les murs de Corinthe, que les Turcs assiégeaient. Alp, animé par l’amour et par la vengeance, se fait remarquer au milieu des Turcs, et, dans un dernier assaut, décide la victoire en leur faveur. Mais pendant qu’il cherche sa maîtresse au milieu du carnage et des décombres, il apprend qu’elle s’est donnée la mort ; en même temps une balle, partie d’une église voisine, vient frapper l’apostat. — il règne dans ce petit poëme un épouvantable fracas ; l’intrigue se noue par un coup de canon, et se dénoue par l’explosion d’un magasin à poudre. On y trouve des beautés de détails assez nombreuses, et le caractère d’Alp le renégat est tracé avec énergie.

BEPPO. — Beppo est un joli conte, qui finit d’une manière assez piquante. Beppo est un marchand de Venise, que les revers de fortune ont contraint d’abandonner sa patrie. Sa jeune épouse, la belle Laura, a paru d’abord inconsolable de son absence, mais, grâce au plus aimable des comtes italiens, elle s’est enfin consolée. Après quelques années, Beppo revient. Dans ses voyages, il s’est fait Turc, et, pour n’être pas reconnu à Venise, il ne change point de costume. Son turban et sa longue robe le déguisaient si bien à tous les yeux, que dans un grand bal, où Laura se trouvait avec le comte, elle ne le reconnut point, quoiqu’il ne cessât de la regarder et de la suivre. Lorsque le jour fut prêt à paraître, Laura et le comte se retirèrent. Mais quand leur gondole s’arrêta devant la maison de Laura, ils furent bien surpris de voir qu’en face d’eux était assis le Turc inévitable. « Monsieur, lui dit le comte en fronçant le sourcil, votre présence inattendue m’obligera à vous demander quel motif peut vous attacher ainsi à nos pas. J’aime à croire que c’est une méprise. — Monsieur, répond le Turc, ceci n’est point une méprise. La dame qui est près de vous est ma femme. » Laura ne proféra pas un mot. Qu’aurait-elle pu dire ? Mais le comte invita poliment l’étranger à entrer dans la maison, où nous invitons le lecteur à le suivre pour assister au dénoûment.

CHILDE-HAROLD, roman poétique. On peut comparer Childe-Harold à ces héros voyageurs des romans de Voltaire, qui ne rencontrent jamais sur leur chemin que désordres, troubles, injustices, calamités. Childe-Harold ressemble beaucoup à Candide ; mais Candide rit de tout, trouve que tout est bien : Childe-Harold prend tout au sérieux et trouve tout fort mal. S’il parcourt l’Espagne, s’il assiste à ses courses galantes, si ses beautés voluptueuses aux yeux noirs, au tendre sourire, lui font de douces agaceries ; tous ces plaisirs le laissent insensible : rien ne distrait sa sombre pensée des maux que l’ambition et la conquête y vont accumuler ; au milieu des délices de la paix, il ne rêve que coups de canon et vautours, il ne voit que des loups et des poignards. S’il traverse la Belgique, à peine donne-t-il un regard à ses fertiles campagnes et à l’heureuse industrie de son peuple ; mais il s’arrête longtemps dans les plaines sanglantes de Waterloo pour en évoquer les mânes des guerriers que le fer y moissonna. À Venise, au milieu des folies du carnaval, il se prend à gémir sur les palais déserts et la grandeur éclipsée de cette ville autrefois si florissante. — Childe-Harold est un des ouvrages les plus importants de lord Byron ; les notes dont chaque chant est accompagné sont fort intéressantes, et souvent même plus amusantes que le texte. M. de Lamartine a donné une suite à ce poëme, sous le tire de : Dernier chant du pèlerinage de Childe-Harold.

On peut encore mettre au nombre des romans poétiques de lord Byron : Don Juan, poëme en XVI chants.

Nous citerons aussi : Le Vampire, précédé d’une notice sur lord Byron, suivi de la mort de Colmar et Orla, des Adieux de lord Byron à son épouse, des Ténèbres, etc., in-8, 1811. — Correspondance de lord Byron avec un ami, comprenant aussi les lettres écrites à sa mère, du Portugal, de l’Espagne, de la Turquie et de la Grèce, dans les années 1809-11, et des souvenirs et observations ; le tout formant une histoire de sa vie de 1808 à 1814, par Dallas, 2 vol. in-8, 1824.