Revue des Romans/Georges Trouchard-Lafosse

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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TOUCHARD-LAFOSSE, fécond romancier.


LE LUTIN COULEUR DE FEU, ou mes Tablettes d’une année, in-12, 1821. — Le Lutin de M. Touchard a le ton brusque, l’humeur gaie, la saillie franche et spirituelle ; souvent le naturel du Diable de le Sage, et une forte teinte d’officier de cavalerie. Il fronde librement et parle d’abondance, quoiqu’avec pureté. On aurait peut-être quelques mots à lui dire sur ce qu’il a fait grande et très-grande la part de l’esprit malin ; mais à quoi bon censurer les mœurs, si ce n’est avec force, et quelquefois avec amertume. Du moins n’y a-t-il pas de misanthropie dans ce Lutin couleur de feu, qui est parfois couleur de rose, et qui prend de temps en temps la couleur plus foncée de Pigault-Lebrun dans ses bons moments.

L’HABIT DE CHAMBELLAN, ou les Jeux de la fortune, 4 vol. in-12, 1827. — On voit dans ce roman une fille naturelle de Louis XV, Mlle d’Olbreuse, qui, pendant l’émigration, a connu à Londres le comte d’Angerville, dont elle a eu un fils. Sous le nom d’Ulrique, et retirée dans une maison de sœurs hospitalières, Mlle d’Olbreuse, qu’un décret a rappelée en France, jouit à la cour de Napoléon d’un certain crédit ; elle en profite pour obtenir une clef de chambellan à son ancien ami, en exigeant de lui qu’il fera donner à leur fils une brillante éducation. Mais celui-ci, sorti du lycée et placé ensuite dans les gardes d’honneur, doit à sa valeur des distinctions plus flatteuses, des grades, des décorations, et le titre de baron. Blessé à la bataille de Leipzig, il est recueilli chez un riche libraire de cette ville, tout dévoué à la nation française, et dont la fille devient bientôt amoureuse du jeune officier. Celui-ci ne reste point insensible aux aimables qualités de sa belle garde-malade ; mais un voyage en chaise de poste, tête à tête avec une demoiselle Laure, qui court après un autre séducteur français, lui fait bientôt oublier ses serments. De là une double intrigue amoureuse, qui permet à l’auteur d’amener entre les deux sentimentales Allemandes une lutte généreuse, dont l’issue est la retraite de Laure dans un couvent, et l’union des deux amants. — Cet ouvrage appartient à l’école de Pigault-Lebrun ; mais les caractères n’y portent point l’empreinte originale du crayon qui a tracé les portraits de M. Botte et de Mon oncle Thomas.

LA PUDEUR ET L’OPÉRA, 2 vol. in-12, 1833. — Le principal personnage de ce roman est une jeune fille que sa vocation appelle à parcourir la carrière difficile de l’opéra. Grâce aux bons procédés d’un ouvrier ébéniste, nommé Jean Nicot, Victorine s’élance d’une condition inférieure à la position brillante de cantatrice distinguée. Dans le but de partager ses appointements, un intrigant, M. de Saint-Are, s’attache à ses pas et parvient à s’en faire aimer ; malgré ses crimes, malgré les noirceurs dont il se rend coupable, Victorine l’aime toujours et repousse la passion modeste de Nicot. Enfin le voile tombe : Victorine reconnaît trop tard son erreur et l’injustice de sa conduite envers l’ouvrier qui la protégea comme un bon génie. Nous laissons au lecteur la surprise du dénoûment de ce roman, où l’on trouve des aperçus ingénieux, et une critique souvent spirituelle dirigée contre la classe supérieure de la société.

LES RÉVERBÈRES, 4 vol. in-8, 1834. — On sait que M. de la Reynie, lieutenant de police, fut celui qui le premier fit éclairer les rues de Paris. Frappé des désordres qui se commettaient nuitamment dans les rues de la capitale, il pensa avec raison que, semblable à l’ange des ténèbres, le vice s’enfuirait à l’approche de la lumière, et il inventa les réverbères. L’auteur a supposé que le livre de police du temps, où les histoires de nuit se trouvaient consignées, lui est tombé entre les mains, et il s’est mis à les transcrire pour notre édification. Les Réverbères sont une jolie collection de contes intéressants, écrits surtout avec beaucoup d’esprit et d’originalité. Quelques faits attribués à de grands noms, pourront bien peut-être choquer les idées admises sur leur compte : par exemple, on n’aimera pas à voir celui qu’une juste admiration a surnommé l’Aigle de Meaux, courir Paris en bonne fortune ; mais on rira de bon cœur de la rivalité de M. de la Reynie et de Mme de Sévigné, rivalité dont l’auteur ne nous dit qu’à moitié la cause : Mme de Sévigné, à ce qu’il paraît, gardait rancune au lieutenant de police de ce que son invention récente avait mis en lumière sa liaison avec Bussy-Rabutin. Les Réverbères ne nous apprennent pas l’autre partie du secret de cette petite guerre d’épigrammes ; mais on peu supposer que ce simple et bon M. de la Reynie avait à se venger de l’ennui que lui avait sans doute causé, un jour de brumeuse humeur, la lecture des lettres de la prétentieuse marquise. — M. Touchard-Lafosse met aussi en scène toutes les célébrités amoureuses de notre histoire, depuis Marguerite de Bourgogne et Catherine de Médicis, jusqu’à la charmante Gabrielle et Ninon de l’Enclos. Si tout cela n’est pas très-édifiant à lire, c’est au moins très-divertissant.

SOUVENIRS D’UN DEMI-SIÈCLE, 6 vol. in-8, 1836. — Les Souvenirs d’un demi-siècle parcourent quatre années de notre histoire, depuis 1789 à 1794. Ils indiquent en passant les grands faits, et montrent l’impression qu’ils produisent plutôt qu’ils ne les racontent ; ils peignent surtout la vie intérieure des Français à cette époque, et n’oublient aucune cérémonie. Nous indiquerons la fête de la Fédération, comme un tableau d’une grande vérité. L’apparition des œuvres littéraires importantes, livre ou pièces de théâtre, s’y trouve aussi enregistrée soigneusement, et c’est en quoi ils se distinguent des mémoires qui les ont précédés ; mais ce qui en assurera le succès, c’est la profusion d’anecdotes dont ils sont parsemés. L’anecdote est partout ; on la trouve dans le boudoir, dans la salle à manger, dans les coulisses, dans le carrefour, au sein de l’assemblée constituante, et ce n’est pas là qu’elle est la moins piquante.

RODOLPHE, ou À moi la fortune, 2 vol. in-8, 1837. — Deux jeunes gens de vingt-quatre à vingt-cinq ans, quittent Aix pour aller chercher fortune à Paris : l’un, Menardi, est animé de nobles sentiments ; l’autre, Rodolphe, est disposé d’avance à tout faire pour réussir. L’honnête Menardi s’éprend d’une jeune veuve qu’il suit en Italie, et que des brigands enlèvent et dépouillent de tous ce qu’elle possédait. Menardi, au désespoir, revient à Marseille, hérite d’un de ses oncles de plusieurs millions, retrouve sa charmante veuve, et partage sa fortune avec elle. Rodolphe, après avoir travaillé à la Minerve et fait des sermons pour un évêque, s’attache à la femme d’un agent de change dont il épouse la fille, après avoir procuré à son beau-père futur les moyens de gagner plusieurs millions. — On pourra juger du style et des idées de l’auteur par le passage suivant  : « Savez-vous ce que c’est aujourd’hui que les lettres ? c’est du papier et de l’encre d’impression ; c’est du noir et du blanc en feuilles et en volumes ; c’est un objet matériel vendu avec une intelligence commerciale plus ou moins subtile ou plus ou moins heureuse. L’art de réussir en écrivant, comme en vendant du cirage, consiste à exposer savamment sa marchandise. Le mérite des vers ou de la prose, ainsi que la qualité du cirage, se déduit de l’habileté du marchand à se faire des chalands. Voilà, voilà les lettres ! … du cirage plus ou moins luisant, mais convenablement porté. Après cela, que le volume gâte le cœur, que le cirage brûle les bottes, poëte, historien, dramatiste, romancier ou décrotteur, vous n’en ferez pas moins fortune, si vous avez bien spéculé. » — En réponse à cette boutade d’un esprit chagrin, nous opposerons la définition de l’homme de lettres par M. de Pongerville, un des hommes qui comprennent le mieux la mission et le caractère de l’écrivain. « Le véritable écrivain, dit-il, regarde la littérature comme un sacerdoce qu’il doit exercer religieusement ; il n’en souille point la pureté par des actions cupides, par une vanité mesquine ; il ne veut ajouter à l’éclat de sa renommée que le titre d’honnête homme. Interprète des vérités utiles, il les met en circulation avec le sceau du talent ; plein de courage pour défendre les libertés publiques ou l’honneur national, il ne descend jamais dans l’arène des passions vulgaires. Patriote sans aveuglement de parti, philosophe sans intolérance, il honore le mérite et la vertu dans quelque rang qu’il les trouve. Il n’oublie pas surtout que la noblesse du caractère donne une nouvelle force au talent. »

Nous connaissons encore de cet auteur : La Révolution, l’Empire et la Restauration, in-8, 1828. — Les Marionnettes politiques, 4 vol. in-12, 1829. — L’Homme du peuple, 5 vol. in-12, 1829. — Le Roi de la révolution, in-8, 1831. — Le Pont des soupirs, 2 vol. in-8, 1832. — Le Bouquet de Romainville, 2 vol. in-8, 1833. — Les jolies Filles (voy. Lamothe-Langon). — Jean Ango, 2 vol. in-8, 1835. — Les Amours d’un poëte, 2 vol. in-8, 1835. — Marthe la Livonienne, 2 vol. in-8, 1836. — Chroniques des Tuileries et du Luxembourg, 2 vol. in-8, 1837.