Revue des Romans/Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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MIRABEAU (Honoré-Gabriel Riquetti, comte de),
né à Bignon le 9 mars 1749, mort à Paris le 2 avril 1791.


LETTRES ORIGINALES DE MIRABEAU, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777-80, contenant tous les détails de sa vie privée, ses malheurs et ses amours avec Sophie Ruffei, marquise de Monnier. Recueillies par L. P. Manuel, 4 vol. in-8, 1792.

Né d’un père qui avait de l’esprit et des connaissances, l’éducation de Mirabeau fut soignée, mais son caractère et les circonstances lui procurèrent bientôt la plus rude, mais aussi la plus instructive de toutes, celle du malheur. Son plus grand ennemi fut son père. Cet homme impérieux et bizarre aperçut bien vite dans la jeunesse de son fils, et dans le premier développement de ses facultés, un esprit d’indépendance dont il fut blessé, et une supériorité de talents qui menaçait sa vanité. À l’occasion d’un aventure galante, il obtint contre lui une lettre de cachet, et le fit enfermer à l’île de Ré, d’où il sortit pour aller servir en Corse. En 1772, il épousa une belle et riche personne, Mlle de Marignan. Pouvant enfin satisfaire ses goûts de dépenses, il se livra à de tels excès de prodigalité, qu’au bout de deux ans son père le fit interdire et confiner dans ses terres par ordre du roi. Ayant rompu son ban pour châtier un gentilhomme insolent qui avait insulté sa sœur, son père, peu jaloux de l’honneur de la famille, le fit enfermer au château d’If, d’où il fut transféré au fort de Joux, en 1776. Avec les moyens puissants de séduction qu’il tenait de la nature, une conversation pleine de charmes, un commerce facile et enjoué, Mirabeau fut bientôt dans les bonnes grâces du gouverneur, qui lui donna la ville de Pontarlier pour prison. Là, il fit connaissance d’une jeune et belle femme, Sophie de Ruffei, mariée fort jeune à un sexagénaire, le marquis de Monnier. Il l’enleva, et cette liaison attira sur sa tête de nouveaux orages ; la famille de Sophie, l’époux outragé, et son père, ce père qu’on retrouve toujours lorsqu’il s’agit de provoquer des mesures de rigueur contre son fils, se réunirent pour demander réparation de cette injure. Mirabeau se réfugia en Suisse, où son amante vint le rejoindre ; et d’où ils passèrent en Hollande. On instruisit son procès en son absence, et le parlement de Besançon le condamna à être décapité en effigie, comme coupable de rapt. L’évasion de Mme Monnier avait cependant été volontaire ; elle avait vingt-quatre ans ; elle était mariée depuis six, Mirabeau n’avait point été compagnon de sa fuite ; il n’y avait donc ni séduction, ni rapt. Il l’avait rejointe depuis, il est vrai, mais cela prouvait seulement qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre ; il n’y avait dont d’autre crime que l’amour, très-excusable au moral, et nul devant les tribunaux. Le gouvernement français ayant demandé l’extradition des deux amants, Mirabeau fut enlevé d’Amsterdam avec sa compagne, qui paya sa faute par une longue détention dans une maison de surveillance. Tous ces faits sont constatés par des témoignages irrécusables, dans les lettres de Mirabeau, qui sont l’objet de cet article ; il est impossible d’en suspecter l’authenticité et la véracité. Par un hasard singulier, c’est entre les mains du pouvoir absolu que ces lettres étaient en dépôt ; et par un hasard non moins remarquable, c’était M. Lenoir, lieutenant de police, qui avait porté l’indulgence jusqu’à se rendre l’intermédiaire de la correspondance des deux amants emprisonnés.

Les lettres de Mirabeau ont un avantage précieux, celui de jeter le plus grand jour sur le caractère de cet homme fameux. Ce ne sont point ici des mémoires pour le public, ni même des confessions, où l’on peut toujours se montrer tel que l’on consent à être vu. Ces lettres, écrites d’un cachot à une maîtresse, et passant par les mains d’un juge, ne devaient jamais être vues par d’autres, et sans le hasard de la révolution, il est probable qu’elles n’eussent jamais vu le jour. Dans ces lettres, qui le ren dront aussi intéressant pour la postérité que son père paraîtra petit et odieux, le talent de Mirabeau pour écrire sur toutes les matières brille de tout son éclat. Sous le rapport du sentiment, c’est le seul ouvrage qui puisse être comparé, pour la vraie chaleur et la vraie sensibilité, aux plus belles lettres de la Julie de Rousseau ; et pourtant quelle disproportion dans le sujet, la situation et les moyens ! Rousseau avait à sa disposition tous ceux d’un romancier qui arrange sa fable, la gradation, le nœud, les incidents, les épisodes, le dénoûment. Mirabeau, au contraire, dans la solitude d’une prison, dans le désespoir, dans l’abandon, et dans l’incertitude, plus cruelle encore, écrit durant quatre années, toujours dans la même situation, n’ayant jamais que le même cri, la liberté et sa maîtresse ; et on lit ces quatre gros volumes de lettres, où il n’y a pas un événement, avec autant de plaisir que le roman le mieux fait et le plus touchant. Jamais on n’a plus fait voir qu’il y a dans l’amour un charme qui n’est qu’à lui : c’est de n’avoir jamais qu’une même chose à dire, et de la dire toujours sans s’épuiser, ni se lasser jamais, et même sans lasser les autres, quand il a l’éloquence qui lui est propre. On sent bien qu’il ne s’agit pas ici des amants vulgaires ; on sait qu’ordinairement rien n’est si insipide pour un tiers que leurs conversations et leurs lettres ; il n’en est pas de même de l’homme supérieur ; comme il porte son génie dans ses passions, il révèle tous les secrets de l’un et de l’autre, et les rend d’un intérêt général. Mais ces mêmes lettres, qui parlent si bien au cœur, qu’on dirait que l’auteur n’a été occupé qu’à sentir et à aimer, parlent en même temps à la raison, de manière qu’il semble qu’il n’ait été occupé qu’à penser. À tous moments on y rencontre des vérités fortement énoncées, des expressions vastes, des réflexions fines ou profondes ; une lettre apologétique qu’il adresse à son père ; un examen des principes contenus dans ses écrits, et mis en opposition avec sa conduite ; un mémoire en forme contre lui, envoyé au lieutenant de police, sont autant de chefs-d’œuvre en leur genre, et réunissent à une dialectique victorieuse, une ironie amère et une élégance noble, sans jamais passer la mesure.

On a encore de Mirabeau : *Ma Conversion. — *Rubicon. — *Le Libertin de qualité, productions obscènes, qui ne présentent qu’une série de tableaux dégoûtants. — Contes et Nouvelles adressés du donjon de Vincennes à Sophie Ruffey, in-8, 1797. — Recueil de Contes et de Nouvelles, 2 part. in-8, 1785.