Revue des Romans/Thomas Moore

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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MOORE (Thomas), célèbre littérateur anglais du XIXe siècle.


LALLA ROOKH, ou la princesse mogole, Histoire orientale, trad. par M. Amédée Pichot, 2 vol. in-12, 1820. — L’original de ce roman poétique a été publié, pour la première fois, en Angleterre, en 1816. Dans la onzième année du règne d’Aureng-Zeb, Abdalla, roi de la petite Bucharie, issu en ligne directe du fameux Gengis-Khan, après avoir abdiqué la couronne en faveur de son fils, entreprit un pèlerinage à la Mecque. En passant à Delhi, il convint d’un mariage entre le prince son fils, et la plus jeune des filles de l’empereur, la belle princesse Lalla-Rookh. Il fut décidé que la cérémonie du mariage serait célébrée à Kachemire, où le jeune roi viendrait à la rencontre de sa charmante fiancée. Le jour fixé, Lalla-Rookh prit congé de son père, et partit escortée de jeunes filles d’honneur, choisies dans tout ce que la Tartarie et le pays de Kachemire avaient de plus charmant, envoyées au-devant d’elle par son futur époux. Pendant les premiers jours du voyage, Lalla-Rookh trouva dans les beautés pittoresques de la contrée de quoi intéresser ses yeux et récréer son esprit, mais elle était jeune, et la jeunesse aime la variété. La conversation de ses dames et de son chambellan, qui seuls étaient admis auprès d’elle, ne suffisait pas pour la distraire ; bref la princesse commençait à s’ennuyer. Par bonheur on se souvint que parmi les serviteurs envoyés par le roi de Bulgarie au-devant de son épouse, se trouvait un jeune et beau poëte de Kachemire, nommé Feramorz. Il fut admis près de la princesse ; son costume était simple et élégant ; après avoir salué respectueusement, il récite successivement quatre poëmes : le premier est intitulé le Prophète voilé du Khorassan ; le second, le Paradis et la Péri ; le troisième, les adorateurs du feu ; le quatrième, la Lumière du harem. Ces quatre poëmes sont interrompus, à la fin de chaque soirée, par la narration des sentiments qu’ils font éprouver à la princesse et à ses filles d’honneur. Cependant la belle Lalla-Rookh n’a pu voir ni écouter impunément le jeune Kachemirien, et, en prêtant l’oreille à sa douce voix, et en lisant dans ses yeux tout ce qu’il n’ose point lui dire, elle sent que les instants les plus délicieux de sa vie viennent de s’écouler. Comme on approchait du terme du voyage, Feramorz n’était plus admis devant la princesse, qui commençait à en ressentir un violent chagrin, et dont la beauté dépérissait à vue d’œil. Bientôt on n’est plus qu’à une journée de marche du but du voyage. Le lendemain la princesse doit être présentée au roi pour la première fois, dans un palais situé sur la rive opposée d’un lac voisin. Le jour indiqué pour la cérémonie arrive. Une barque se présente, et la princesse, de plus en plus triste, y monte après que ses femmes ont jeté sur elle le voile nuptial. Après être entrée dans le canal qui du lac conduit au palais, la princesse arrive dans un salon magnifique où le monarque attendait son arrivée : au bout de la salle brillaient deux trônes précieux ; l’un, sur lequel était Aliris, le jeune roi de Bucharie, et l’autre allait être occupé par la plus belle princesse du monde. Aussitôt que Lalla-Rookh entra dans le salon, le monarque descendit précipitamment de son trône pour courir à sa rencontre, mais à peine avait-il eu le temps de prendre sa main, qu’elle poussa un cri de surprise et s’évanouit à ses pieds… Feramorz était devant elle ! Le roi de Bucharie n’était autre que Feramorz lui-même, qui, sous un humble déguisement, avait accompagné sa jeune épouse depuis Delhi, et qui, après avoir conquis son amour sous la simple apparence d’un poëte attaché à sa suite, méritait d’en jouir comme roi.

LES AMOURS DES ANGES, poëme en trois chants, traduit par Davesiès de Pontès, in-12, 1823. — L’auteur suppose que trois anges déchus, pour avoir idolâtré des beautés mortelles, pleurent leur faute, et se lamentent sur la perte des joies célestes que le Créateur avait attachées à leur immortalité. Ils se racontent leurs amours. Mais quelle suavité de pinceau ! Quelle riche variété dans les tableaux qui se succèdent ! Comme ces anges ont aimé, et quelle différence dans le récit de leurs amours, et dans le caractère des beautés dont ils sont épris ! L’une a été vraiment séduite par son céleste amant ; l’autre, dans l’orgueil de son amour ne connaît point de bornes à l’insatiabilité de ses désirs curieux, elle aspire à lever tous les voiles qui cachent à nos yeux les secrets de la création ; la parure fait ses délices, la science son bonheur ; elle veut contempler de près jusqu’aux rayons du feu divin qui jaillissent des ailes de l’ange, et soudain elle est embrasée dans ses bras. Quant au troisième ange, il ne raconte point lui-même ses malheurs : l’innocence, la vertu d’une jeune fille l’ont séduit, non moins que l’éclat de ses charmes, il l’aime surtout parce qu’elle aime Dieu, vers qui elle élève sans cesse ses prières ; aussi leur châtiment est-il borné à la durée du temps qui pousse la race humaine vers le terme de son existence, mais ils doivent revivre glorieux pendant l’éternité. Tel est le triomphe de l’amour chaste et légitime sur les convulsions des désirs et l’intempérance des passions.

MÉMOIRES SUR LA VIE PRIVÉE, POLITIQUE ET LITTÉRAIRE DE RICHARD BRINDLEY SCHÉRIDAN, traduit par J. T. Parisot, 2 vol. in-8, 1826. — Ce livre n’est pas un roman, mais bien une histoire des plus romanesques. La vie de Schéridan présente en effet des rapports si piquants et si curieux, par d’inexplicables bizarreries de caractères et de destinées, qu’on la lit avec autant de plaisir que le roman le plus curieux. — Enfant, il désole son père et rebute ses maîtres par une apparence de stupidité. On ne put jamais lui apprendre l’orthographe, que du reste il ne sut jamais bien ; enfin, tous le déclarent une indéchiffrable bête. À vingt-six ans, il avait fait l’École du scandale ; on le présente à Fox, et l’aimable, le spirituel Fox, déclare qu’il n’entendit jamais rien de plus étonnant que ce jeune homme. Bon fils, l’honneur de sa famille, il décourage, par ses dettes et ses désordres, jusqu’au cœur paternel, et ce père qu’il aimait, dont il faisait la gloire, il ne le voit plus qu’à son lit de mort, pour en recevoir un déchirant pardon. Il devient amoureux de miss Linley, qui bientôt partage sa passion et l’épouse secrètement ; mais pour l’entrevoir quelquefois, il lui faut employer mille ruses, et souvent se cacher sous les vêtements d’un cocher de fiacre pour parvenir à serrer la main qui lui appartenait. — Dans son caractère, même contradiction ; c’est un mélange perpétuel de paresse et d’activité, d’ardeur et d’insouciance. Insulté par un rival, il se bat avec tout le courage de l’amour et de la vengeance. Un récit inexact de ce duel circule dans le public ; Schéridan lui-même le fait imprimer dans un journal afin d’y répondre ; mais cette réponse l’ennuie, il y renonce, et trahit son honneur qu’il venait de défendre au prix de son sang. Il se charge de soutenir l’accusation contre le marquis d’Hastings ; soit indignation profonde contre celui qu’on appelait le Verrès de l’Inde, soit qu’il y trouvât une riche matière d’éloquence, jamais en effet la sienne ne parut plus redoutable ; elle arracha des cris d’enthousiasme à ses amis, à ses adversaires, aux partisans même d’Hastings ; mais par une inadvertance impardonnable, il oublia d’apporter le sac des pièces de conviction, détruisant ainsi par sa négligence l’ouvrage de son génie, et ne donnant plus à la vérité que l’apparence d’une sublime déclamation. Enfin, en Angleterre, ce pays de luxe et de dépenses, le luxe, les dépenses, les plaisirs de sa maison furent longtemps cités, et il achève ses jours dans les horreurs de la misère. Un huissier, la veille même de sa mort, vint le soulever sur son lit de douleur, et veut le traîner en prison. Les menaces et les prières de l’amitié épargnent seules à Schéridan et à l’Angleterre ce dernier opprobe. Il meurt, et le pays jette un cri de regret et d’admiration ; il meurt, et derrière le cercueil qui le porte à Westminster, marchent les ducs d’York, le duc de Sussex, le duc de Bedford, lord Holland, Caning, l’évêque de Londres, tout ce que l’Angleterre compte de plus noble et de plus distingué. — Comment cet homme, qui fut à la fois le Molière et le Démosthène de son pays, tomba-t-il à un tel point de déconsidération et d’isolement, que les hustings de Stafford le rejetèrent, et que la misère accabla ses derniers jours ? Nous pensons qu’en voici la cause : Les opinions de Schéridan sur la révolution française avaient alarmé l’aristocratie anglaise, et quoique depuis il les ait modifiées, ou du moins expliquées, ce corps puissant se retira pour jamais de lui. Il avait survécu aux amis de sa jeunesse, Fox, Richarson, Tickell ; de ses anciens compagnons de débauche, il ne lui en restait plus qu’un ; mais qu’est-ce que l’amitié d’un roi, et surtout d’un roi qu’on n’amuse plus ? Vieilli dans une société nouvelle, il y avait porté les mœurs d’un autre temps ; ses vices n’avaient plus l’excuse de la jeunesse et de la mode ; et comme il n’appartenait plus à la tribune et au théâtre que par des souvenirs, il parut un vieillard qui s’éteint dans la débauche, indigne de son propre talent. Voilà ce que la société peut lui reprocher, l’histoire lui doit une autre justice ; l’homme se dégrada et s’avilit, le citoyen resta noble et pur. Cet or que ses passions prodiguaient follement, il n’en voulut pas pour ses besoins les plus pressants, quand il fallut l’acheter au prix de sa conscience !

L’ÉPICURIEN, traduit par M. A. A. Renouard, in-12, 1827 ; idem, traduit par Mme  Aragon, in-12, 1827. — Ce charmant ouvrage offre un drame attendrissant, dans lequel on remarque des caractères fort bien tracés, et où se trouvent mêlés quelques-uns des tableaux les plus piquants de l’histoire des idées humaines. Trois personnages principaux servent au développement de ce drame : une jeune fille, peinte avec la grâce et l’originalité particulières du génie de Moore, qui représente ce qu’a été, parmi les femmes, la première ferveur des croyances chrétiennes ; un vieux prêtre, païen converti, qui personnifie la gravité et l’autorité des dogmes nouveaux ; un jeune chef de la secte épicurienne d’Athènes, voyageant alors en Égypte, et cherchant à s’assurer, par des études consciencieuses, de la valeur des négations de sa doctrine ; élevé dans l’incrédulité des vérités frivoles, il est conquis au christianisme par ses études et sa bonne foi. — L’action se passe vers la fin du IIIe siècle, sous le règne de Dioclétien. Aliphron, jeune Athénien, chef d’une école de philosophie épicurienne, conçoit le désir de visiter l’Égypte. Il s’embarque pour Alexandrie, et arrive à Memphis à l’époque où l’on y célébrait la grande fête de la lune, et se dirige avec la foule vers le temple d’Isis. Parmi une foule de jeunes et belles vierges qui exécutaient les danses sacrées, il en remarqua une plus gracieuse que toutes les autres qui fixa sa destinée. Après la cérémonie terminée, il remonta dans la barque qui l’avait amené, et se dirigeait vers la ville des morts, lorsque dans une nacelle qui passa près de la sienne il aperçut deux femmes voilées, qu’il vit bientôt descendre sur la rive opposée et entrer dans l’intérieur d’une pyramide où Aliphron les suivit. Une chambre sépulcrale en occupait le centre ; à la lueur d’une lampe qui brûlait près d’un cercueil, il reconnut la jeune adoratrice d’Isis, qui, peu de temps après, disparut sans qu’il lui fût possible de savoir par où elle était passée. La nuit suivante, Aliphron revient muni d’une lampe pour tâcher de retrouver les traces de la belle inconnue ; ses recherches le conduisent dans un monde souterrain, où il se détermine à subir les épreuves terribles de l’initiation. Revenu sur la terre, il se trouve comme par enchantement dans un lieu solitaire, à côté d’une jeune femme voilée qui lui a servi de guide, et dans laquelle il reconnaît la jeune vierge dont il est devenu passionnément épris dans le temple d’Isis. Alèthe lui apprend qu’elle a déserté le temple des faux dieux, et qu’elle va se réfugier dans le désert sous la protection des saints anachorètes qui y jouissent en paix de la liberté d’adorer le vrai Dieu, sans craindre la persécution dirigée contre les chrétiens. Aliphron propose à la jeune vierge de la conduire au lieu de son pèlerinage ; il détourne sa barque dans un bras de Nil, et l’arrête au pied d’un roc escarpé qui recèle la retraite sauvage des ermites du désert. L’un d’eux, le vénérable Mélanius, s’avance et reçoit la jeune néophyte ; ne doutant pas qu’Aliphron ne fût chrétien, il lui assigne pour demeure une des cellules taillées dans le roc, et séparée de celle d’Alèthe par un bras du fleuve. Abandonnée dans cette grotte à la plus affreuse solitude, le jeune philosophe païen eut le temps de méditer les livres sacrés que lui avait laissés Mélanius, qui, ayant découvert sa passion pour Alèthe, lui déclare qu’il n’attend que le moment où il le trouvera digne de revêtir la robe de chrétien pour l’unir à sa bien-aimée. De ce moment, l’image d’une félicité inaltérable souriait aux vœux d’Aliphron et d’Alèthe, sur la tête desquels cependant la foudre était suspendue. La persécution venait de se rallumer avec une nouvelle fureur dans tout l’empire romain ; Mélanius et ses deux néophytes sont découverts ; on les conduit dans les murs d’Antinoë ; on les traîne aux pieds des statues d’Osiris et d’Apollon. Sommés de brûler un coupable encens sur l’autel des idoles, ils s’y refusent avec dédain, et leur mort est aussitôt prononcée. L’extrême jeunesse d’Alèthe, sa rare beauté attendrissent la multitude : le cri de grâce sort de toutes les bouches ; l’hiérophante est forcé de suspendre le supplice ; mais sa cruauté lui suggère l’idée perfide de le rendre plus long et plus douloureux ; il fait ceindre le front de la jeune fille d’un bandeau qui fait circuler dans ses veines un poison dévorant ; la jeune fille expire avec calme quoiqu’en proie aux souffrances les plus atroces. — On citerait difficilement un ouvrage qui réunit dans un aussi petit nombre de pages un intérêt aussi soutenu et un charme aussi puissant. La source en est placée dans le caractère des personnages, la pureté de leur caractère et la singularité de leur position.

Nous connaissons encore de cet auteur : Insurrections irlandaises, in-8, 1829. — Mémoires de lord Byron, 4 vol. in-8, 1830. — Voyage d’un Gentilhomme irlandais à la recherche d’une religion, in-8, 1833.