Revue des théâtres - 14 octobre 1849

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Anonyme
Revue des théâtres - 14 octobre 1849
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 4 (p. 383-384).


— Les théâtres lyriques, à moins d’une œuvre dramatique sérieuse que rien malheureusement ne fait prévoir, conserveront encore cet hiver la prééminence sur les théâtres littéraires. Déjà ils ont inauguré avec bonheur la saison, et, en attendant la prochaine réouverture du Théâtre-Italien, nous avons eu deux nouveautés piquantes à l’Opéra et à l’Opéra-Comique. La Filleule des Fées, que le premier de ces théâtre a donnée il y a peu de jours pour Mlle Carlotta Grisi, est un charmant ballet, quoique un peu long ; la musique de M. Adam et surtout la danseuse ont été parfaitement accueillies par le public. Mlle Grisi a déployé une grace, une légèreté et une souplesse qui font presque oublier sa célèbre devancière, Mlle Taglioni. Avec la Filleule des Fées, la reprise du Prophète et des Huguenots pour Mme Viardot, l’Opéra pourra monter à son aise la nouvelle partition de M. Auber. Quant à l’Opéra-Comique, sa situation prospère sera long-temps continuée par la Fée aux Roses et Mme Ugalde, la cantatrice à la mode. Il n’a manqué à M. Halévy, pour faire de son dernier opéra petit chef-d’œuvre, que d’avoir pu substituer quelques phrases de récitatif au dialogue banal qui vient çà et là interrompre l’harmonie de sa partition. La fantaisie du sujet, le monde idéal dans lequel il se meut, et que la musique de l’habile compositeur a réussi à peindre avec toutes les délicatesses des plus fines nuances, demandaient cette unité harmonieuse. M. Halévy est certainement poète beaucoup plus que l’auteur de son libretto ; quand sa musique est chargée de la situation, elle l’exprime avec un lyrisme bien loin de la vulgarité où vous rejette le dernier point d’orgue de la prima donna. Après les éclats de sa voix si limpide et si bien perlée, dont chaque note se détache ronde, pure et brillante, qui n’a ni arrière-saveur d’étude ni hésitation, qui chante comme les oiseaux du ciel, pour le bonheur de chanter, quand de ce monde lumineux où cette voix vous laisse vous êtes rappelé à terre par l’émission d’un organe lourd ou commun, le contraste est d’autant plus grand, le désenchantement d’autant plus cruel, que Mme Ugalde, qui est une ravissante chanteuse, dit la prose d’une manière déplorable. Tout le monde eût gagné à ce que M. Halévy fit des récitatifs. La Fée aux Roses nous a rappelé un charmant opéra de M. Auber, le Dieu et la Bayadère, partition pleine d’imagination et d’élégance. Ce n’est pas seulement le dieu Brahma et les pagodes indiennes qui nous font trouver de l’analogie entre ces deux ouvrages, mais bien le sentiment spirituel et fin, l’entente délicate de ce monde fantastique dont tout musicien croit tenir les ailes entre les doigts en mettant des sourdines à son orchestre, et qui cependant a toujours été intraduisible aux esprits vulgaires. M. Halévy, comme M. Auber, possède dans sa mélodie ce charme qui fait danser les sylphes au bout de chaque note ; on sent, au premier accord des instrumens combinés, qu’on est transporté loin du monde réel, que le caprice et la fantaisie vous entraînent. Au premier acte, le trio des trois soprani et la ronde qui le suit, la romance de Nérilha et une grande partie du second acte, sont des morceaux excellens de sentiment et de couleur. Quant à la partie de l’opéra que j’appellerai la partie réelle, elle est traitée avec la consciencieuse supériorité que M. Halévy met en toute chose ; nous n’avons pas à nous occuper de ce côté dans lequel le compositeur a fait depuis long-temps ses preuves.