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Revue littéraire, 1848 - I

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- Le public philosophique apprendra avec intérêt que M. Cousin vient de réunir dans un cadre régulier et de fixer sous une forme définitive[1] le vaste ensemble de fragmens composés aux différentes époques de son active et glorieuse carrière, et qui touchent aux points les plus délicats de l’histoire de la pensée spéculative. On reconnaît partout, dans ces divers morceaux, le caractère d’un penseur qui ne cultive point l’érudition pour elle-même, mais qui entreprend de donner à l’histoire de la philosophie la valeur et la portée d’une science, et d’asseoir une école nouvelle sur la base d’une critique approfondie de tous les systèmes du passé. Tout le monde connaît le grand morceau sur Abélard, où sont débrouillées pour la première fois les obscures origines de la scolastique et qui restera le point de départ et le modèle de tous les travaux que la philosophie du moyen-âge attend encore. Les articles célèbres sur Xénophane et Zénon d’Elée portent la lumière sur le berceau même de la pensée humaine ; on ne peut trop y admirer un genre de critique et d’érudition que la France ne sera point accusée d’avoir dérobé à l’Allemagne ; je parle de cette érudition forte et sobre, plus occupée de bien user de ses ressources que de les étaler, qui ne se borne point à entasser les textes, mais qui les interprète, et sait aussi, en les interprétant, se défendre des vaines conjectures et des fantastiques analogies ; je parle de cette critique à la fois sévère et élevée, également propre à déchiffrer une date incertaine et à semer les grandes vues, et qui possède enfin l’art merveilleux d’animer les recherches les plus arides par le feu de l’imagination, par la grace et la majesté d’un beau langage. Il faut citer encore, parmi les fragmens qui se rapportent à la philosophie contemporaine, les jugemens portés sur Laromiguière et Maine de Biran. M. Cousin ne cède point à l’attrait banal du plaisir facile et puéril de critiquer ses maîtres ; il se complaît à mettre au grand jour leurs pensées les plus originales, ce qui ne l’empêche pas d’user des droits d’une sérieuse discussion, toujours libre dans sa déférence respectueuse et dans sa loyale équité. D’autres fragmens, moins étendus, méritaient cependant de prendre place à côté de ces grands morceaux. M. Cousin les a soumis à un triage sévère, et nous croyons qu’il a bien fait de retrancher tous les articles qui n’avaient qu’un intérêt de circonstance. On peut dire que tout ce qui reste est digne de l’histoire.

La publication que nous annonçons aujourd’hui est le complément naturel et nécessaire des deux séries de cours où M. Cousin a récemment réuni toutes les parties de son enseignement. Ces diverses leçons, si l’on excepte celles qui sont consacrées aux systèmes de Locke, de Reid et de Kant, contiennent surtout des vues générales sur la philosophie et sur son histoire. Le second volume de la deuxième série pose les fondemens d’une histoire universelle de la philosophie ; il détermine les lois de la formation successive ou simultanée des systèmes, de leur progrès continu ou de leur retour nécessaire ; il peint, ou plutôt il esquisse toutes les grandes époques, toutes les grandes doctrines, toutes les grandes figures philosophiques. M. Cousin, on le sait, a donné à cette noble étude de l’histoire de la pensée humaine une impulsion qui ne s’arrêtera point ; mais, il faut en convenir, à côté des principes manquaient souvent les applications et ces recherches spéciales et détaillées d’érudition et de critique, que des cours ne comportent pas, sans lesquelles pourtant il n’y a pas de solide histoire, et qui ont servi de prélude et de soutien aux entreprises des Brucker et des Tennemann. Ces quatre volumes de fragmens sont donc destinés à fournir en quelque sorte des pièces justificatives à l’enseignement de M. Cousin. Ils forment un tout qui se divise en autant de parties que l’histoire même de la philosophie : Philosophie ancienne, Philosophie scolastique, Philosophie moderne, Philosophie contemporaine. Les fragmens de la philosophie cartésienne, publiés il y a deux ans, font corps avec cette nouvelle série et doivent être considérés comme le premier volume de la Philosophie moderne. Partout le lien de ces dissertations particulières aux vues générales, soit dogmatiques, soit historiques, qu’elles développent, a été marqué ; partout l’unité d’esprit et de principes, parmi d’inévitables diversités, a été mise en relief, en sorte que ces fragmens et ces cours ne forment, à proprement parler, qu’un seul et même ouvrage, fruit d’une même pensée poursuivie avec persévérance à travers tant de vicissitudes, je veux dire le renouvellement des études philosophiques parmi nous, sur le double fondement de la psychologie et de l’histoire.


— Un livre qui a obtenu non-seulement dans l’Université et dans le monde savant, mais encore parmi les gens du monde, un légitime succès, vient d’arriver à sa cinquième édition : c’est le Dictionnaire universel d’histoire et de géographie de M. Bouillet[2]. On sait que l’auteur a réussi à renfermer en un seul volume compacte et peu coûteux la matière des plus vastes et des plus dispendieuses collections, l’histoire et la géographie anciennes et modernes, la biographie, la bibliographie, la mythologie, etc. On sait également que le principal mérite de ce recueil, et ce qui le distingue de beaucoup de publications analogues que la facile érudition de certains écrivains improvise chaque année, c’est la minutieuse exactitude des détails et la vigueur de la méthode. L’édition nouvelle se recommande par deux supplémens importans : 1° une série de notices, par ordre alphabétique, sur tous les personnages célèbres morts depuis quelques années, sans parler du récit des derniers événemens accomplis dans le Mexique, dans l’Inde et surtout dans l’Algérie ; 2° un tableau alphabétique de la population de la France, d’après le recensement terminé en 1847, présentant toutes les localités qui comptent mille ames au moins. À la faveur de ce supplément, qu’on peut se procurer à part pour le joindre aux éditions antérieures du Dictionnaire universel, l’ouvrage de M. Bouillet reste le plus complet des répertoires usuels, sans avoir le défaut ordinaire des recueils de ce genre qui, à peine publiés, sont déjà vieillis. Il faut ajouter que la correction du texte, la beauté du papier et du caractère, et tous les détails de l’exécution matérielle, sont une nouvelle preuve des soins qui ont été apportés à cette utile et consciencieuse publication.



  1. Fragmens philosophiques, pour faire suite au cours de l’histoire de la philosophie, par M. Victor Cousin, 4 vol, in-18, chez Ladrange, quai des Augustins, 19.
  2. Un fort volume in-8, chez Hachette, rue Pierre-Sarrazin.