Aller au contenu

Revue littéraire, 1850/11

La bibliothèque libre.

brillé, à demeurer fidèles à elles-mêmes, à leurs traditions, à cette délicatesse ingénieuse, à cette sûreté de goût, à cette humeur charmante dont elles ont laissé la trace lumineuse dans la civilisation française, et, ajouterai-je, à se faire le moins possible les missionnaires d’une religion quelconque, fût-ce même en n’admettant que le meilleur des livres, — la Bible, parmi leurs provisions de voyage ? Entre Mme Aulnoy, cette spirituelle touriste du Versailles de Louis XIV, et l’auteur du Journal d’un Voyage au Levant, près de deux siècles se sont écoulés ; bien des causes sociales qui, au XVIIe siècle, tendaient à faire du voyage d’une femme du monde et d’une femme d’esprit une choses exceptionnelle ont disparu, la face même des pays a changé. Ce qui devrait bien n’avoir point disparu pour notre gloire et notre enchantement, ce qui n’a perdu ni de son à-propos ni de son intérêt, c’est cette grace facile de verve et d’observation digne d’être rappelée de nos jours, et auprès de laquelle pâliraient assurément les déclamations, les prétentions à la science, les prédications de tout genre, les élans lyriques, les enthousiasmes factices, qui sont trop souvent le piège de nos contemporaines abusées. Ch. de Mazade.


Le Roman de la Charrette, d’après Gauthier Map et Chrestien de Troies[1]. — La poésie du moyen-âge, qui a si vivement préoccupé l’érudition du XIXe siècle, continue à être l’objet de laborieuses et persévérantes recherches. On sait combien d’études spéciales ont été publiées sur ce point, combien de monographies ont été entreprises, combien de manuscrits précieux arrachés à la poussière des bibliothèques. Il s’en faut bien que ces travaux soient toujours ce qu’ils devraient être ; les défauts de la littérature courante, la légèreté, la précipitation et même un certain charlatanisme ont trop souvent envahi ces calmes domaines de la science. Heureusement pour le succès défailli de ces tentatives diverses, une illustre et savante compagnie est occupée en ce moment même à y porter la lumière d’une critique sérieuse. L’Académie de inscriptions et belles-lettres, chargée de continuer le vaste monument dont le bénédictins du dernier siècle ont posé les assises, va mettre bientôt sous presse le vingt-deuxième volume de l’Histoire littéraire de la France. Une foule de questions importantes ont déjà été résolues dans cette publication que notre pays connaît si peu, et que toute l’Europe savante nous envie ; le volume, qui achèvera le tableau du XIIIe siècle, reviendra avec de nouveaux et inappréciables documens sur les problèmes les plus compliqués de cette grande époque. Les ardens débats soulevés à l’occasion de la poésie provençale, question de savoir si les romans en prose ont précédé les poèmes, la part qui revient à la France du midi et à la France du nord dans cette littérature inépuisable qui a alimenté l’Europe du XIIIe siècle, tout cela sera éclairé d’une vive lumière par les travaux inédits de M. Fauriel, par la science philologique M. Littré, de M. Paulin Pâris, de M. Lajard, par la critique patiente et la sûre direction de M. Victor Leclerc. En attendant que nous puissions rendre à ce grand travail l’hommage qui lui est dû, nous voulons signaler rapidement un excellent mémoire qui a obtenu les encouragemens de l’Académie des inscriptions, et qui fournit des renseignemens intéressans pour l’histoire des lettres françaises au moyen-âge.

L’auteur de ce mémoire est un Hollandais, M. le docteur Jonckbloet, professeur à Deventer. La bibliothèque royale de La Haye possède une traduction manuscrite du roman de Lancelot du Lac, document précieux à double titre, qui intéresse vivement l’histoire spéciale de la littérature hollandaise et les problèmes plus généraux qui se rapportent à notre ancienne poésie. M. Jonckbloet a été chargé, par le gouvernement de son pays, de la publication de ce Lancelot hollandais. Le premier volume a paru en 1847 ; la seconde partie exigeait des recherches nombreuses sur plus d’un point et la solution préalable de maintes difficultés philologiques, car le texte hollandais présente çà et là de graves lacunes, et pour essayer de les combler, il fallait comparer entre elles les différentes formes connues de ce vieux poème si cher à nos ancêtres. Or, cette comparaison, dès qu’elle est faite avec intelligence, évoque immédiatement les problèmes les plus ardus de l’histoire littéraire du moyen-âge, ces problèmes qui ont tenu si long-temps en haleine l’érudition conquérante de Fauriel, et sur lesquels le scrupuleux écrivain a laissé en mourant des conclusions toutes différentes de celles que renferment ses publications antérieures. M. Jonckbloet n’a pas reculé devant les obstacles ; il est venu à Paris, il a cherché dans les riches manuscrits de la Bibliothèque nationale tout ce qui pouvait éclairer son sujet, et il est arrivé à des résultats qui ne manquent pas d’importance. C’est l’introduction de ce second volume, publiée à part et rédigée en français sous ce titre : « le Roman de la Charrette, d’après Gauthier Map et Chrestien de Troies, » que nous recommandons à l’attention des esprits studieux.

Le roman ou conte de la charrette est un épisode de ce roman de Lancelot, qui, sous tant de formes différentes, en prose, en vers, en latin, en langue romane, en provençal, dans presque tous les idiomes de l’Europe, en grec même, a ravi l’imagination des vieux âges. On connaît les vers du poète florentin

Noi leggiavamo un giorno, per diletto,
Di Lancilotto, corne amor lo strinse :
Soli eravamo, e.senza alcun sospetto.

Il y aurait de bien charmans détails littéraires à donner sur le poème qui attendrissait ainsi la voix austère de Dante. Les investigations érudites en un tel sujet ont aussi leur avantage et leur prix. M. Jonckbloet s’est attaché, dans son travail, à deux questions principales. On avait déjà longuement discuté, en Angleterre et en France, sur l’auteur de ce roman et sur l’origine des poétiques traditions d’où il est sorti. M. Paulin Pàris, qui a eu le mérite de pénétrer un des premiers ces mystérieux arcanes, ne pensait pas, il y a quelques années, que le Lancelot appartînt aux traditions bretonnes ; lady Guest dans son édition du Mabinoyion, et M. de la Villemarqué dans ses Contes populaires des anciens Bretons, ont soutenu avec succès l’opinion contraire. Quant au nom de l’auteur, les recherches de M. Paulin Pàris (les Manuscrits français) et de M. Thomas Wright (Biographia britannica literaria) ne permettent pas de douter que ce ne soit Gauthier Map ou Walther Map, savant prêtre gallois, auteur du curieux livre de Nugis curialium, qui joua dans les lettres et dans la politique un rôle assez considérable sous le roi d’Angleterre Henri II. Ces points élucidés, restaient encore plusieurs problèmes, dont la solution intéressait spécialement l’éditeur du Lancelot hollandais. Gauthier Map a-t-il écrit son roman en latin ou en français ? la rédaction de Lancelot en prose française est-elle antérieure ou postérieure au Lancelot en vers de Chrestien de Troies ?

Sur le premier point, M. Jonckbloet, malgré l’opinion contraire de plusieurs érudits célèbres, cite et commente des textes irrécusables. Gauthier Map lui-même raconte que c’est par l’ordre du roi Henri II qu’il a écrit ce roman en français, et le traducteur hollandais parle de l’œuvre française de Gauthier Map. C’est donc en français, c’est dans cette parlure plus délitable que nulle autre, comme dit Brunetto Latini, que le roman de Lancelot a été rédigé par un prêtre du pays de Galles : nouveau et précieux témoignage de l’influence exercée déjà par notre idiome, même en ces âges lointains ! La seconde question, plus compliquée et aussi importante peut-être à cause de tout ce qui s’y rattache, n’est pas moins heureusement débrouillée. M. Jonckbloet a confronté pour la première fois les pièces du procès ; il publie un extrait du roman en prose de Lancelot du Lac intitulé li Contes de la Charete, et il met en regard le même conte versifié à la fin du XIIe siècle par Chrestien de Troies et son continuateur Godefroy de Leigny. L’exacte analyse que M. Jonckbloet donne de ce double travail et les judicieuses remarques que lui suggère cette comparaison ne laissent aucun doute sur la question de priorité. Le récit en prose, plus simple, plus clair, parfaitement lié aux autres parties du roman, est manifestement le fond primitif sur lequel s’est exercée la versification élégante et légère de Chrestien de Troies. Chrestien de Troies a choisi un épisode pour en faire une œuvre à part ; il supprime tout ce qui unit l’épisode au roman, ou bien même, n’étant point gêné par la logique unité de l’ensemble, il ne s’inquiète pas de contredire çà et là les événemens et les situations antérieures. Il est évident, en un mot, que ce Conte de la Charrette est un fragment du Lancelot en prose que le brillant trouvère a essayé de s’approprier par droit de poésie. Cette preuve habilement présentée, l’auteur en déduit toutes les conséquences ; on a remarqué, par exemple, certaines relations entre un autre roman de Chrestien de Troies, Perceval, et le Lancelot de Gauthier Map ; or, le Perceval du trouvère étant postérieur à son Conte de la Charrette, c’est toujours au Lancelot en prose qu’il faut revenir, comme à la source originale des poèmes de Chrestien de Troies. Je crois que cette thèse est démontrée d’une façon péremptoire dans le travail de M. Jonckbloet ; il me paraît incontestable que les rédactions en prose du Merlin, du Saint-Graal, du Lancelot, ont précédé les poèmes de Chrestien de Troies sur le même sujet. Est-ce à dire cependant que M. Jonckbloet ait résolu la question tout entière, la question de savoir si les romans du moyen-âge ont été rédigés en prose avant d’être mis en rimes ? Dans ce débat particulier, — élevé par les érudits entre Chrestien de Troies et Gauthier Map, l’hésitation n’est plus possible ; mais il y a un autre problème, un problème plus étendu que celui-là, et M. Jonckbloet ne paraît pas avoir assez nettement distingué ces deux aspects de la discussion. Parce qu’il a bien établi que le roman en prose de Map a précédé, le conte versifié de Chrestien de Troies, a-t-on le droit de conclure du particulier au général ? est-on autorisé à affirmer que partout, au moyen-âge, les poèmes chevaleresques ne sont que des remaniemens d’ouvrages en prose ? Quelques lignes de son mémoire sembleraient indiquer cette prétention, non justifiée encore, et qu’une critique sévère ne saurait admettre. Que le patient investigateur puisse arriver un jour à ce résultat, nous ne voulons pas le nier absolument ; il est difficile d’avoir une opinion arrêtée sur ce point, et la circonspection est le premier des devoirs dans l’étude si compliquée de la poésie du moyen-âge ; toujours est-il que cette question exigeait un examen spécial et tout un ensemble de preuves que ne donne pas le savant mémoire dont nous parlons. Nous inclinerions même, s’il faut le dire, vers la solution opposée. M. Paulin Pàris a très bien montré qu’il s’est accompli, vers la fin du XIIe siècle, une complète révolution dans la poésie. Nombre de vieux poèmes, dont la rudesse ne convenait plus à la culture nouvelle des esprits, ont été refondus par les trouvères du temps de Philippe-Auguste, et présentés à une société plus délicate sous une forme neuve et brillante. C’est là une curieuse découverte, désormais acquise à l’histoire littéraire. Le poème de la Chanson d’Antioche, refait et rajeuni au temps de saint Louis par le trouvère Graindor, est un des plus intéressans exemples de ces révolutions de la poésie et du langage au sein d’une époque dont nous ne sommes guère habitués à distinguer les phases diverses. Pourquoi les poèmes chevaleresques de la Table-Ronde ne seraient-ils pas aussi une confirmation de cette règle ? Pourquoi ces rédactions en prose, qui ont précédé les œuvres de Chrestien de Troies, ne seraient-elles pas elles-mêmes une transformation de poèmes plus anciens ? Nous soumettons ces simples demandes à M. Jonckbloet. Les savantes recherches dont son mémoire est rempli prouvent qu’il comprend tous les problèmes de cette vieille littérature, et, après les résultats qu’il a obtenus, il est permis de lui signaler des difficultés nouvelles.

Ce n’est pas seulement l’introduction de M. Jonekbloet que nous avons voulu recommander au public français ; le texte hollandais du Lancelot qu’il a publié contient des choses très précieuses pour nous. Ce sont, par exemple, des fragmens du cycle d’Arthur, qui ont disparu de nos bibliothèques, ou qui du moins ont échappé jusqu’ici à toutes les investigations. Le traducteur hollandais, d’après l’usage du temps, a inséré dans son texte maints épisodes de cette épopée amoureuse et chevaleresque, de ces brillantes Mille et une Nuits du moyen-âge. Il nous a révélé ainsi des richesses que nous pensions perdues ; elles n’étaient que dérobées aux regards sous les voiles de la vieille langue hollandaise. M. Jonekbloet, qui aime la France et qui se sert assez facilement de notre idiome, nous doit la traduction de ces documens. Si nos paroles le décidaient à entreprendre ce travail, nous serions heureux d’avoir attaché à notre pays, par un lien de plus, un esprit laborieux et modeste qui peut apporter un utile concours au débrouillement de nos origines littéraires.

S.-R. TAILLANDIER.


AVENIR DES ARMÉES EUROPÉENNES, par M. le général Roguet[2]. — La guerre des rues avait, et depuis trop long-temps, ses annales : elle devait avoir aussi sa théorie répressive. M. le général Roguet vient d’écrire sur cette triste matière un livre utile et pratique. En traitant un sujet qui réveille dans tous les cœurs des souvenirs douloureux, l’auteur a voulu oublier que ses préceptes militaires pussent jamais devenir applicables en France : c’est aux armées européennes qu’il s’est adressé, et les leçons qu’il donne sont de celles qu’on a intérêt à méditer en tout pays. Aux hommes d’ordre, ce livre doit inspirer une sécurité nouvelle, en leur apprenant jusqu’où peuvent aller les ressources de la répression ; — aux révolutionnaires incorrigibles, il démontre, avec la précision de la science, que les émeutes, les tours de main, n’ont plus de chances de succès au milieu de sociétés trop cruellement averties. Dans un rapide historique, l’auteur retrace, du point de vue spécial où il s’est placé, les plus mémorables épisodes des guerres civiles qui ont ensanglanté l’Europe depuis le moyen-âge jusqu’à nos jours. Cette étude lui fournit les bases principales du système qu’il applique à la guerre des rues. Il recherche d’abord quel parti il convient de prendre pour réprimer la révolte. Faut-il occuper et défendre toute la ville, se concentrer dans un grand quartier militaire ou dans une position contiguë, prendre une position extérieure de ralliement ou enfin s’éloigner tout-à-fait de la capitale ? Il y a là cinq solutions techniques entre lesquelles la science militaire doit se prononcer : c’est à la première de ces cinq solutions, c’est-à-dire à la défense et à l’occupation de la ville entière, que sont consacrés les principaux développemens du livre. L’auteur traite le système de l’occupation de manière à ce qu’à un moment quelconque de la crise, et suivant les circonstances, on puisse nécessairement adopter un ou plusieurs des autres plans. Il donne une statistique neuve et complète des forces de l’émeute comme des moyens de la répression, ainsi qu’une série de principes fondamentaux dans ce genre de guerre. Il étudie ensuite les mesures générales de défense dans toute la ville supposée occupée, l’emploi de la troupe de ligne et de la garde nationale, les dispositions à observer pour l’emplacement de mairies-casernes-magasins dans chaque arrondissement : ces établissemens, toujours groupés de la manière la plus convenable, forment, sous les ordres des généraux de brigade revêtus des pouvoirs de l’état de siége, autour des quartiers-généraux et des réserves divisionnaires, un réseau de positions secondaires, véritables citadelles actives, fortes de la réunion la plus complète de tous les moyens de défense et d’approvisionnement. Autour de chacune de ces positions principales, un cercle de positions tertiaires est occupé par des détachemens mixtes de troupes de ligne et de gardes nationales de l’arrondissement. Le réseau du quartier-général central, des positions principales ou divisionnaires, des positions secondaires ou subdivisionnaires, des positions tertiaires, est approvisionné en vivres et munitions de tous genres pour toutes les éventualités. Enfin des principes sont posés pour le fractionnement des troupes et du commandement, pour la division et la subdivision du théâtre de la lutte, tant entre les murs de la ville révoltée que hors de son enceinte.

Telles sont les dispositions générales préliminaires et invariables en cas d’émeute. Viennent ensuite les prescriptions de détail pour la marche et l’établissement des troupes, lorsque les circonstances ordonnent de les mettre en mouvement. M. le général Boguet indique la manière de diriger ces nouvelles opérations ; il traite des cheminemens le long des rues, à travers les places, de maison en maison, de chambre en chambre, — de l’attaque des barricades et des positions diverses. Il ne perd jamais de vue, au milieu des complications de cette guerre des rues, que les deux camps appartiennent à la même nation ; il éloigne toute pensée d’antagonisme politique ce sont les devoirs du soldat citoyen qu’il trace, devoirs souvent rigoureux, mais que la passion ne domine jamais. Les intérêts à défendre sont trop importans pour qu’il soit nécessaire de faire appel à d’autres sentimens qu’à ceux du patriotisme.

Un dernier chapitre résume et complète les dispositions permanentes ou accidentelles indiquées dans le livre : nous avons remarqué tout un ensemble de mesures proposées pour qu’en cas de révolte, et au premier signe du télégraphe, de grandes circonscriptions administratives et militaires s’établissent dans le pays, protégées par des forces imposantes, et formant, sous la direction du gouvernement central, autant de gouvernemens éventuels. Il y a là un essai de solution, au point de vue militaire, de cette question de la centralisation si souvent agitée depuis quelque temps. Quelques pages sur les causes générales de l’anarchie terminent cet intéressant traité, où les considérations politiques et morales viennent à chaque page éclairer et fortifier les considérations militaires. À lire de pareils écrits, empreints d’un sentiment élevé d’ordre et de discipline, on reprend confiance dans le temps et le pays où les devoirs militaires sont encore si noblement compris, et où le soldat est prêt à servir au besoin la civilisation de sa plume comme de son épée.


— Le Théâtre-Italien a fait son ouverture par la Sonnanbula de Bellini, chantée par Mlle Sontag et M. Calzolari. Mlle Sontag est toujours une charmante cantatrice, et M. Calzolari nous promet un ténor distingué ; la cantatrice dans le rôle d’Amina et le ténor dans le rôle d’Elvino ont mérité et obtenu les applaudissemens de la salle. C’est ce que nous avons à dire de plus flatteur pour l’administration. En somme, le début de la nouvelle troupe n’a pas tenu les promesses des journaux : Morino ne fera pas oublier Morelli, qu’il eût été habile de retenir, et peut-être eût-on mieux fait de fortifier les chœurs que de rafraîchir la salle. Nous ne voyons pas non plus venir encore les talens nouveaux qu’on nous annonçait pour justifier la révolution opérée au Théâtre-Italien depuis l’ouverture, et déjà nous sommes à la moitié de novembre, la Sonnanbula seule a paru sur l’affiche vraiment lilliputienne, — fort peu anglaise par bon goût sans doute, — du Théâtre-Italien, et nous craignons quelque peu de ne voir, en fait de nouveautés, que cette trop fameuse Tempesta pour défrayer l’hiver. Cependant on assure que l’on va répéter l’opéra de Ricci, Crispin et la Mort, qu’on applaudissait à Venise l’hiver dernier. Pour nous, qui nous intéressons à la prospérité de ce beau théâtre, nous le souhaitons vivement ; nous souhaitons surtout que les artistes éloignés forcément ou volontairement reviennent apporter le secours de leur talent à la nouvelle direction : Mlle Alboni, Mlle Véra, Mario, Morelli, Ronconi même, qu’il serait beau à M. Lumley de rendre à la scène italienne, si déjà un autre théâtre ne l’a enlevé, comme le bruit en a couru. Il ne faut pas que cette manie de division et d’éparpillement qui a fait tant de ravages dans d’autres régions pénètre au Théâtre-Italien ; il ne faut pas que la présence de M. Lumley soit une cause ou un prétexte d’éloignement pour aucune grande renommée. Cest en cela que la véritable habileté se montre effectivement, et sans doute on n’y fera pas défaut au Théâtre-Italien ; c’est par là surtout qu’on peut nous rendre cette grande école de chant que la révolution de février est venue disperser. Telles sont les seules réflexions que nous inspire pour le moment le Théâtre-Italien, sur lequel nous aurons l’occasion de nous étendre davantage, lorsqu’il nous aura montré les richesses qu’il doit tenir en réserve, s’il ne veut pas tromper nos espérances.


V. de Mars.

  1. Publié par le docteur W.-J.-A. Jonckbloet. La Haye, 1850, chez Belinfante.
  2. Un fort vol. in-32, chez J. Dumaine, rue et passage Dauphine, 36.