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Revue littéraire, 1852/04

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REVUE LITTERAIRE.

Il y a, dans la vie de l’artiste, des momens d’hésitation et de lassitude où, après avoir épuisé une veine heureuse, il se voit forcé d’en chercher une autre pour ranimer autour de son nom l’empressement et le bruit. Entre son succès de la veille et celui qu’il voudrait s’assurer pour le lendemain, il se consulte, il s’interroge, il se met en quête de sources nouvelles où sa verve fatiguée puisse se raviver et se rajeunir. Mme Sand serait-elle arrivée à un de ces instans critiques ? L’archaïsme agreste de ses chanvreurs et de ses faneuses, les traînes et le foin coupé, les beautés du patois berrichon, toute cette poésie rustique à laquelle nous nous sommes prêtés si complaisamment commençait à s’user un peu. On voyait même poindre çà et là des corrompus et des sceptiques qui se demandaient si nous n’avions pas été dupes, et s’il n’y avait pas, sous cette sainte simplicité, sancta simplicitas, comme dit humblement Mme Sand, je ne sais quoi d’arrangé et de convenu qui n’est après tout ni très saint, ni très simple. Il ne faut, donc pas s’étonner que l’auteur du Champi et de Claudie, pris au dépourvu, coure à droite et à gauche, au risque de s’égarer, essayant de rattraper, sous une autre forme, ses bonnes fortunes villageoises, et s’inspirant tantôt de Sedaine, tantôt de Florian, tantôt de Scaramouche. Peut-être, dans les circonstances où nous sommes, un essai de pantalonnade n’a-t-il pas précisément le mérite de l’à-propos ; peut-être est-on, malgré soi, amené à penser que Mme Sand, avec les antécédens et les sympathies qu’en lui connaît, a eu besoin de s’abstraire bien violemment de ses préoccupations graves ou tristes pour ressusciter ainsi la bouffonnerie italienne dans ses plus folles fantaisies : cet essai lui donne-t-il du moins le droit de se représenter comme s’immolant à l’art, comme se dévouant, à ses risques et périls, pour lui frayer de nouvelles voies ou lui rouvrir de nouvelles routes ? Et s’agit-il de crier à l’incompris, à la persécution, presque au martyre, parce que le public n’a pris qu’un médiocre plaisir aux coups de pied de Pascariel et aux coups de rapière de Léandre ? Il est permis d’en douter.

Mme Sand paraît croire que tout le mal est venu de ce que l’on a ignoré ou dédaigné le point d’histoire littéraire auquel se rattachent les Vacances de Pandolphe. Hélas ! ce n’est point là la question. Si la pièce était amusante, si les rôles étaient dessinés avec précision ou finesse, si l’on pouvait démêler quelque chose de neuf ou de clair dans le tissu de l’intrigue, si l’auteur, en un mot, avait réussi à tenir le public attentif ou charmé pendant trois heures, il serait fort superflu de fouiller dans le vieux théâtre pour y trouver la généalogie de Léandre, de Colombine et d’Isabelle. Les érudits pourraient arriver après coup, discuter en quoi l’œuvre diffère ou se rapproche du répertoire primitif de la comédie italienne : l’auteur n’aurait pas besoin de s’inquiéter de cette origine, et il est probable que le succès la lui aurait fait oublier. Par malheur, les recherches historiques les plus consciencieuses, les études les plus approfondies, ne peuvent pas faire que les deux derniers actes de ces Vacances de Pandolphe ne soient pas une série de scènes décousues, jetées au hasard, où l’attention la plus patiente se lasse et se déconcerte à chaque instant, et où quelques traits heureux ne sauraient racheter le vide absolu de l’action, l’incohérence des caractères, et cette impression d’ennui et de tristesse, résultat inévitable de bouffonneries qui ne sont pas plaisantes et de folies qui ne sont pas gaies. Vouloir prouver le contraire à l’aide d’un examen rétrospectif du genre italien, c’est exactement comme si l’on essayait de démontrer qu’un homme ne peut être ni un poltron, ni un sot, parce qu’il a eu des ancêtres spirituels et intrépides.

Toutefois, même en acceptant le point de vue que Mme Sand a cherché à rétablir, il est encore très facile de s’expliquer son échec. Si nous ne nous trompons, cette comédie primitive, ce grenier à sel où a puisé Molière et qu’il pourrait bien avoir vidé, offrait les élémens naïfs, et, pour ainsi parler, synthétiques de tout ce qui commence. Ce répertoire se composait de types classiques, traditionnels, tout d’une pièce, en qui se résumait un monde à part, un monde de passions, de ridicules et de vices, personnifié dans Cassandre et dans Scaramouche, dans Pierrot et dans Colombine. Ces types étaient si franchement accusés et si généralement acceptés, qu’ils s’incarnaient dans l’acteur chargé de les représenter, et souvent se confondaient avec lui. Chez Molière, le type subsiste, mais il se modifie et devient caractère : l’avare, le faux dévot, le misanthrope, la précieuse. Nous le voyons alors se dégager de ces limbes du vieux théâtre, où il conservait sans mélange ses traits, son nom et son costume, pour se rapprocher de la vie réelle, des hommes de son temps, de la société dont il reflète les mœurs et les travers. Alceste, Clitandre, Trissotin, Arnolphe, M. Jourdain, sont encore des personnages de comédie, mais ils sont déjà des gens du monde, et l’on démêle aisément les innombrables analogies que l’immortel comique a su indiquer entre les créations de son génie et les modèles placés sous ses yeux. Plus tard, à mesure que l’analyse pénètre la société et la littérature, un nouveau travail s’accomplit, et efface encore les saillies et les arêtes. Il ne reste plus que des surfaces polies, brillantes, mobiles, où se joue, comme un rayon d’automne, la grace maniérée de Marivaux. Enfin, dans notre siècle où l’analyse est restée souveraine, où les types ont disparu, où la société, gagnée peu à peu par mille transformations successives qui décomposent et morcellent tout, n’offre que des superficies et des nuances, nous ne trouvons plus au théâtre ces personnifications, ces physionomies particulières de la vieille lignée comique, mais des gens qui s’appellent comme nous, vivent de notre vie, et conservent à peine quelques traits distinctifs au milieu de cet effacement général des figures et des caractères. — Un public accoutumé à ces aspects du théâtre moderne pouvait-il tout à coup reculer de deux cents ans, et s’intéresser à ces portraits de famille de la comédie ? — Pour réussir à l’y ramener, il eût fallu du moins un auteur propre à ressusciter ce genre, à y apporter un fonds de gaieté naïve et primesautière qui eût rendu ces types acceptables et possibles. Or, sans déprécier une seule des facultés éminentes de Mme Sand, on doit avouer qu’elle n’est pas gaie. Qu’elle s’en console ! elle a cela de commun avec tous les écrivains célèbres de notre siècle. On chercherait vainement une plaisanterie dans M. de Lamartine ; on sait de quelle lugubre façon M. Hugo a installé dans ses drames le bouffon et le grotesque ; nous ne connaissons rien de plus funèbre que le rire de M. de Chateaubriand, et la gaieté de M. Béranger nous a toujours paru fort problématique. Fille de Jean-Jacques, traductrice élégante de cette sensibilité nerveuse et factice qui fuit la société, au lieu de s’en accommoder et de la peindre, et qui va chercher dans la solitude et la campagne l’aliment de ses secrètes révoltes contre les lois sociales, Mme Sand se trouve placée dans les conditions les plus contraires à ce vieux genre où elle a essayé de retremper sa renommée et son talent. L’analyse appliquée tantôt aux phénomènes psychologiques, tantôt aux spectacles extérieurs, tantôt aux couvres d’art, — voilà ce qui se révèle constamment dans ses livres. Qu’elle étudie la passion dans ses phases les plus subtiles, et l’amène, par décompositions graduelles, jusqu’au découragement et à l’impuissance, qu’elle décrive la nature avec cette admiration pénétrante qui ressemble parfois à de la rancune contre la civilisation et les hommes, ou bien qu’elle entreprenne le commentaire d’une de ces immortelles pages léguées par les maîtres de l’art à l’examen enthousiaste et fécond des esprits supérieurs, c’est toujours le même procédé d’interprétation savante, raffinée, diamétralement opposée à cette naïveté primitive qui nous eût fait croire à Colombine et à Pierrot. Si Mme Sand nous eût donné une étude sur la comédie italienne, comme elle nous a donné, dans le Château des Désertes, une étude sur Don Juan, si elle avait encadré ce travail dans un récit où elle eût pu rester elle-même et déployer ses qualités descriptives, nous sommes sûr qu’elle aurait réussi. Au lieu de cela, elle nous a présenté le pastiche pur et simple, sans aucune préparation qui nous initiât à sa pensée et à ses recherches. Le succès n’était pas possible, et le succès lui a fait défaut.

Et pourtant çà et là, dans cette couvre manquée, on retrouve encore la trace d’un talent supérieur : il y a la scène du premier acte, Pedrolino et Violette agenouillés et se parlant de leur amour aux pieds de Pandolphe endormi ; il y a la jolie chanson berrichonne qui eût mérité un autre cadre ; il y a un petit rôle de notaire facétieux et égrillard parfaitement réussi. Peut-être, en songeant à ces charmans détails, est-on tenté de penser qu’en effet Mme Sand a été jugée cette fois avec rigueur ; mais ce qui est positif, c’est qu’elle se trompe sur la vraie cause de cet excès de sévérité, et qu’elle ferait mieux de l’attribuer à une de ces réactions fréquentes qui suivent les engouemens irréfléchis. La chute des Vacances de Pandolphe pourrait bien n’être que l’expiation du succès exagéré de ces scènes rustiques dont on s’était, nous le croyons, trop pressé d’admirer la vérité et le naturel. Pedrolino et Violette ont payé pour le Champi et pour la Fadette, pour Claudie et pour Sylvain. Il est donc temps que Mme Sand abandonne ce filon d’où elle a tiré tout ce qu’il pouvait lui rendre, qu’elle sorte de cette longue idylle où elle nous a toujours fait l’effet du loup devenu berger, qu’elle renonce aux pastiches de Florian et de Sedaine, et qu’elle revienne à son vrai genre : la passion encadrée dans le paysage.

Toute cette pièce des Vacances de Pandolphe n’est qu’un perpétuel contraste, une lutte fatigante entre la manière de Aime Sand et la tâche qu’elle avait entreprise. À tout moment, son sujet et ses personnages sortent, malgré elle, des régions fantasques où elle s’efforce de les maintenir, pour reprendre pied dans la vie réelle. On se demande alors si l’on a réellement à faire à Pierrot, à Violette, à Colombine, à Pascariel, à Léandre, ou bien à un amoureux et à une ingénue de village, proches parens de Sylvain et de Claudie, à des fripons et à des courtisanes fort peu différens des héros de nos vaudevilles. Pourquoi le premier acte est-il le meilleur ? C’est que le personnel du vieux théâtre s’y montre à peine, et que ces deux amans naïfs, aux pieds de ce docteur bourru et bonhomme, forment un gracieux tableau, auquel on peut s’intéresser sans aucune préoccupation archéologique ou érudite. Nous n’affirmerons pas, comme les amis de l’auteur, que, dans cette nouvelle édition de Pierrot, Mme Sand a voulu réhabiliter l’idée spiritualiste et chrétienne, c’est-à-dire l’amour vrai triomphant des instincts matériels et grossiers qui dominent chez l’ancien Pierrot : ce sont là de bien grands mots et des prétentions bien hautes pour cette figure enfarinée ; mais enfin ce Pedrolino gauche et crédule, gardant, sous son air de niaiserie et de bêtise, sa finesse villageoise, et sauvé des périls dont on l’entoure par la sincérité de son amour pour Violette, ne déplaisait à personne et pouvait suffire au succès. Par malheur, dès que nous entrons dans le sujet même, dès que nous retrouvons, sous ces ombrages vert-pomme, les vrais personnages du répertoire italien, nous voilà désorientés. Où sommes-nous ? Dans le Berry ou aux portes de Bergame ? Quel est ce langage ? Du berrichon retrouvé par Mme Sand, ou du vénitien de Casanova ? Où finit la réalité ? où commence le caprice ? Ce Pandolphe est-il un docteur de comédie ou un avocat de cour d’assises ? Ce Pascariel, un aïeul des premiers, Crispins ou un descendant des derniers Robert-Macaires ? Cette Colombine, une soubrette matoise, fille de Lisette, ou une suivante primitive, mère de Frosine et de Nérine ? Tout cela n’est ni assez fantastique, ni assez réel, ni assez fou, ni assez raisonnable, ni assez vieux, ni assez moderne. Si complaisant que soit le spectateur, il lui est impossible de s’abandonner un seul instant à cette gaieté factice et forcée, qui s’agite et se démène dans le vide. Léandre a beau se cambrer et prendre des poses de matamore ; Pascariel a beau faire parade de ses friponneries et de ses prouesses : on ne rit pas, et l’on éprouve au contraire ce genre de souffrance qui consiste à se sentir invinciblement triste devant un effet d’hilarité. Maintenant, à ces hésitations, à ces anxiétés permanentes, à ce manque absolu de parti-pris, à ce lamentable débat entre un auteur qui veut faire rire et un public qui s’obstine à rester sérieux, ajoutez une succession d’entrées et de sorties que rien n’explique, et vous comprendrez aisément cet échec que rien ne pouvait conjurer, ni le zèle maladroit des amis, ni même une de ces préfaces posthumes où, de temps immémorial, les auteurs maltraités exhalent leur mauvaise humeur en récriminations tardives contre l’ignorance de la critique ou du public.

Si nous sommes disposé à trouver presque rigoureux cet arrêt unanime porté contre les Vacances de Pandolphe, que dirons-nous en revanche du nouveau drame de M. Gozlan ? Il serait assurément injuste de nier les qualités de cet esprit bizarre, ami de l’éblouissement et de l’imprévu. Toutefois, en s’obstinant à écrire pour le théâtre, M. Gozlan méconnaît les intérêts de sa renommée et les aptitudes de son talent. Il peut exceller dans le détail et la ciselure, couvrir de paillettes un paradoxe plus ou moins brillant qu’accepte ensuite tant bien que mal le lecteur blasé ou bénévole ; mais le théâtre ! le théâtre qui ne vit que de vérité, de bon sens, de communication prompte et directe avec la foule, et où la première condition de réussite pour un écrivain est de faire si bien vibrer ses sentimens et ses pensées dans l’aine des spectateurs, qu’ils s’imaginent penser et sentir avec lui ! Passé à l’état de système, le paradoxe supprime, pote ceux qui s’y complaisent, toutes ces régions intermédiaires, tous ces points de contact par lesquels l’auteur dramatique a prise sur son auditoire : il les maintient dans une sorte d’isolement cellulaire, c’est-à-dire dans l’état le plus défavorable à cette entente rapide, à ces échanges magnétiques, à cette assimilation soudaine de mille esprits dans un seul, élémens nécessaires de tout succès de théâtre. Et puis, qu’arrive-t-il ? Lorsque ces habitués du paradoxe, cédant aux exigences de leur tâche, essaient de se rapprocher du public pour lequel ils écrivent, ils ne connaissent plus ni proportions, ni distance, ni mesure ; ils passent du sophisme à la banalité. D’impossibles et de faux qu’ils étaient, ils voudraient devenir vrais : ils ne deviennent que vulgaires.

Ce serait, en effet, faire trop d’honneur aux Cinq minutes du Commandeur que d’y voir une œuvre paradoxale : c’est tout simplement un gros mélodrame fort inférieur, comme contexture, aux pièces du boulevard, et où l’on chercherait en vain ces éclairs, ces saillies originales, à l’aide desquels les auteurs à grandes prétentions d’art et de style prétendent racheter les défauts de leurs conceptions dramatiques. Nous l’avouons, ce titre, les Cinq minutes du Commandeur, nous avait alléché. Nous espérions trouver là un souvenir de Molière, d’Hoffmann et de Mozart, une sorte de second don Juan, continué et repris après la scène terrible du souper, et nous nous expliquions d’avance l’attrait de ce sujet poétique,

Dont chacun veut parler et que nul ne comprend,
Si vaste et si puissant qu’il n’est pas de poète
Qui ne l’ait soulevé dans son cœur et sa tête,
Et pour l’avoir tenté ne soit resté plus grand.


Nous aurions dû nous souvenir que M. Gozlan met d’ordinaire tout son esprit dans ses titres, et que Notre Fille est Princesse, la Queue du chien d’Alcibiade, la Main droite et la Main gauche, éveillent une foule d’idées auxquelles ces pièces répondent fort rarement. Il en est de même de ce commandeur et de ces cinq minutes. Il s’agit d’un commandeur de Malte, et nous demanderons dès le premier mot à l’auteur comment il a eu l’idée de faire reposer l’intérêt de son drame sur l’amour de ce commandeur, à qui ses vœux interdisent de se marier ? Rendre compte de cette œuvre informe serait, du reste, tout-à-fait impossible. Tirée d’un roman-feuilleton, le Dragon rouge, elle trahit à chaque instant son origine, et l’on dirait que M. Gozlan ne s’est pas même donné la peine d’en déguiser la forme primitive, car la moitié de sa pièce se passe en récits moins vraisemblables à coup sûr et moins naturels que celui de Théramène. Accumulation d’événemens et d’aventures, contradictions perpétuelles dans les caractères, série de tableaux qui n’ont entre eux aucun rapport et que l’on pourrait multiplier à l’infini, suivant le caprice de l’auteur ou la patience du public, exclamations emphatiques, héroïsme de tréteaux, duels impossibles, résurrection soudaine de gens percés de part en part, en un mot tout l’attirail du mélodrame sans aucun de ses effets pathétiques ou émouvans, tel est cet ouvrage, dont nous n’aurions pas parlé, s’il ne nous offrait l’occasion d’indiquer une fois de plus le contraste toujours croissant des succès réels avec les succès factices, de ceux que ratifient les applaudissemens de la foule avec les éloges complaisans de cette oligarchie littéraire qui formule ses jugemens comme Vertot faisait ses sièges. Cette séparation de plus en plus tranchée entre le vrai public qui ne vient au théâtre que pour se distraire ou s’émouvoir- et celui qui y apporte d’avance ses admirations et ses épigrammes contribue pour beaucoup à cet affaissement littéraire que nous sommes, hélas ! forcé de signaler à chaque nouvelle épreuve. On se plaint que la littérature languisse : eh ! comment en serait-il autrement ? Comment espérerait-on ramener l’intérêt, la passion, le mouvement et la vie vers ces luttes de l’intelligence et de l’art, lorsque le dénoûment en est prévu et réglé par les juges du camp, lorsqu’ils s’amusent, par insouciance ou par jeu d’esprit, à fixer, avant le combat, les termes de la défaite ou de la victoire ? Autrefois, à l’époque où la nouvelle école avait ses dieux, ses néophytes et son cénacle, on échangeait sans doute avec trop de complaisance les panégyriques et les apothéoses ; mais du moins il y avait alors de l’entraînement et de la chaleur, un air de conviction ardente dans l’enthousiasme comme dans la haine : aujourd’hui, on dirait des gens vieillis et fatigués qui ne veulent pas qu’on les dérange, et ne prétendent qu’à assurer, par des concessions réciproques, leur quiétude et leur repos. Ils rendent leurs arrêts sans y croire, et ne prennent au sérieux ni ces renommées qu’ils consacrent, ni ces œuvres qu’ils encensent, ni ces triomphes qu’ils proclament. Uri mot d’ordre est donné, le nom de l’auteur court de bouche en bouche : il signifie éloge ou blâme, succès ou chute, et tout est dit ; il n’y a plus qu’à se conformer au programme. Quoi de surprenant si, au milieu de ces accommodemens souscrits par l’indifférence au profit de la vanité, l’art en définitive s’amoindrit, et perd peu à peu son autorité et son charme ? On le sait : quand les augures commencent à ne plus pouvoir se regarder sans rire, c’est que les religions sont bien près de s’éteindre et les temples de s’écrouler. A. DE PONTMARTIN.


RECUEIL DE L’ACADÉMIE DES JEUX FLORAUX. Toulouse, 1851. — Les travaux de la province ont été plus d’une fois dans cette Revue l’objet d’une attention vigilante. Il est utile parfois de se rendre compte du’mouvement intellectuel des départemens. Nous ne sommes point de ceux, en effet, qui croient qu’on ne peut parler et cultiver les lettres qu’à Paris. D’estimables études sorties de quelques académies départementales montreraient suffisamment ce qu’il y a d’excessif dans cette prétention. Parmi ces institutions modestes de la province, l’académie des Jeux floraux, on le sait, occupe un des premiers rangs. Elle peut se faire justement honneur de son antiquité, quand elle y puise le sentiment qui a dicté l’intéressante publication des Monumens de la langue romane. Dans cet ordre de travaux, l’académie toulousaine peut poursuivre avec fruit, avec succès, des explorations qui ont du prix non-seulement pour l’histoire littéraire des provinces méridionales, mais pour l’histoire littéraire universelle. C’est par là qu’elle peut se faire honneur de son caractère traditionnel. Si, par ce genre d’études, l’académie des Jeux floraux peut se rattacher, à quelques égards, au mouvement de l’érudition contemporaine, elle a aussi son côté vivant et actuel par ses concours annuels d’éloquence et de poésie. Nous ne voulons point dire que dans cette éloquence et cette poésie il ne se trouve parfois un certain accent provincial assez distinct, et qu’il n’y ait surabondance de ces lieux-communs qui ont passé de nos jours pour de la poésie. Ces morceaux néanmoins en valent bien d’autres qu’on publie à Paris. La prose a également sa part dans le recueil des Jeux floraux. On y peut remarquer un discours de M. Rodière, professeur de droit à la faculté de Toulouse, sur les lettres et la profession littéraire. Le rapport sur le concours, œuvre du secrétaire perpétuel M. de la Jugie, est d’une critique simple, juste et nette. M. de la Jugie d’ailleurs est lui-même un poète des Jeux floraux, auteur de quelques fragmens distingués. Si ces sociétés littéraires de province, dont l’existence modeste ne laisse point d’être utile, sans sortir de leur sphère, avaient une idée suffisante de leur rôle, peut-être plus que jamais seraient-elles appelées à exercer une heureuse influence de direction et d’action autour d’elles, dans ce mouvement intellectuel dont le foyer principal reste à Paris sans doute, mais qui ne se compose que d’une série de rayons convergeant de tous les points de la France. CH. DE MAZADE.



V. de Mars.