Aller au contenu

Revue littéraire — 30 novembre 1839

La bibliothèque libre.



REVUE
LITTÉRAIRE.

La question académique, depuis la dernière fois que nous en avons parlé, a fait du chemin, ou du moins elle a fait du bruit. On ne peut dire que la lutte se soit engagée autour du fauteuil vacant de M. Michaud, puisque jusqu’à présent la candidature de M. Berryer reste la seule sérieuse ; mais la convenance de cette candidature a été fort controversée. Pour nous qui n’avons jamais vu un coin de politique dans cette affaire, qui ne prenons pas M. Berryer si au grave, qui l’estimons seulement un parleur très éloquent et même le plus éloquent de ce temps-ci à sa manière, il ne nous semblait pas que son admission à l’Académie Française fût autre chose qu’une gracieuseté littéraire un peu complaisante peut-être, mais convenable assurément. Dans l’état très peu vital où s’est mise l’Académie, il serait à souhaiter, sans nul doute, qu’elle songeât à s’adjoindre des gens de lettres, des poètes jeunes encore, célèbres déjà, et qui la remissent en équilibre avec le mouvement littéraire de ces dernières années. Mais l’Académie n’en est pas là, à ce qu’il semble ; les hommes éminens, historiens et philosophes, qui y sont entrés en assez grand nombre depuis une dizaine d’années, y ont été comme poussés par des considérations étrangères, par le flot de leur réputation politique et à la faveur plutôt de ce qu’ils avaient de moins spécialement littéraire. Ces hommes prépondérans aujourd’hui, membres, pour la plupart, des autres sections de l’Institut et des grands corps de l’état, cumulant les dignités de tout genre dues à leur mérite, n’ont pas senti très vivement qu’à l’Académie Française ils étaient là peut-être pour introduire plus directement des hommes bien moins arrivés qu’eux à tous égards, mais qui sur ce terrain de littérature les valent, et qui, dans leurs travaux persévérans, n’en sont jamais sortis. C’eût été demander trop, dans notre société actuelle, que tant de générosité et de liberté d’esprit ; même quand on est élevé au sommet, on ne fait que ce qui sert ; et les hommes de lettres non politiques et non journalistes, à quoi servent-ils ? Daigne-t-on s’apercevoir d’eux seulement ? Voilà, en termes assez francs, comment il se fait que les adjonctions illustres, qui n’ont pas manqué à l’Académie Française depuis dix années, ne lui ont pas apporté de force réelle intérieure et de vie spéciale. Les littérateurs distingués qui, par des vers, par des romans, par des travaux appropriés, ont mérité, il y a déjà quinze à vingt ans, de soulever la colère des classiques d’alors, sont encore à attendre justice officielle et académique, si tant est qu’ils s’en soucient. Le reste de la vieille école occupe toujours une bonne moitié des fauteuils de l’Académie où elle se tient coi ; l’autre moitié a été graduellement cédée à d’illustres novateurs dans les branches de la philosophie et de l’histoire, les aînés la plupart des plus humbles confrères que, du haut de la dignité de leurs genres, et dans l’importance de leur vie positive, ils n’ont jamais daigné reconnaître comme des égaux. Il serait trop aisé d’éclaircir tout ceci par quelques noms propres. Le fait est que M. Victor Hugo n’est pas de l’Académie Française et qu’il ne paraît pas certain qu’il y entre bientôt. Il se refuse, on nous l’assure, à se mettre en compétition avec M. Berryer ; du moment qu’on ferait de l’exclusion de celui-ci une affaire d’état, nous concevrions que M. Hugo ou tout autre répugnât à se laisser porter comme adversaire. Enfin on n’a pu jusqu’à présent susciter à M. Berryer aucune concurrence formidable ; je me trompe grace à l’importance de ce tracas, M. Casimir Bonjour (nous avons peine à le dire) n’est pas sans quelque chance, on le prétend. Jamais dans ses choix de pis-aller, l’Académie Française ne serait encore descendue si à terre. À prendre les choses dans un certain sens désintéressé, il serait piquant qu’elle le fît.


Penserosa, poésies nouvelles, par Mme Louise Colet[1]. — Le dernier poète lauréat de l’Académie, Mme Colet, publie, sous ce titre un peu plus pensif qu’il ne lui sied sans doute, un élégant et brillant volume qui lui promet un rang désormais parmi nos muses. Il est impossible de refuser à l’auteur de ces vers l’harmonie, l’éclat, la fermeté, une touche large et sonore. La poésie de Mme Colet ressemble à une belle personne ; elle a des formes et du corps, de l’ampleur et de la démarche ; c’est plutôt dans la physionomie qu’on désirerait quelque chose de plus particulier. Les sujets auxquels se prend le poète sont volontiers extérieurs : Gros et Léopold Robert, un tableau de M. Delacroix, un marbre de Michel-Ange, une imitation de Shakspeare. Pourtant le côté intime ne manque pas ; de nombreuses pièces, où s’exprime le regret de la mort d’une mère, sont faites pour toucher ceux qui ne préfèrent pas, dans les affections profondes, une discrétion plus rigoureuse. La poésie intime doit être très sobre sous peine de devenir suspecte. Gray se plaint une fois, et de la plus douce, de la plus mélancolique des plaintes, et il se tait ; voilà pourquoi l’on y croit. Lamartine répète et varie à satiété ses premières douleurs, et voilà pourquoi l’on n’y croit plus. Le talent sait faire bien des choses ; donnez-lui un peu de sentiment, il simule le reste et il achève. Le cœur exercé discerne toutefois ce qui ne vient pas uniquement du dedans. Mme Colet a fait une jolie pièce au Liseron, qui exprime poétiquement notre conseil :

Aimez le liseron, cette fleur qui s’attache
Au gazon de la tombe, à l’agreste rocher ;
Triste et modeste fleur qui dans l’ombre se cache
Et frissonne au toucher !

Aimez son teint si pâle et son parfum d’amande ;
Ce parfum, on le cherche, il ne vient pas à vous ;
Mais, à l’humble corolle alors qu’on le demande,
On le sent pur et doux !…

Mme Colet s’est donc dit à elle-même tout cela bien mieux que nous ne pourrions ; mais sa nature l’emporte. Nous nous rappelons d’anciens vers d’elle où elle s’appelait la vierge à l’ame véhémente ; l’ardente jeune fille est devenue la jeune femme tout-à-fait intrépide, et qui vise ouvertement au diadème de l’art. Dans une pièce intitulée À ma Mère, on lit des vers lancés à main armée contre la critique :

Mais ce n’est plus l’orgueil, une autre voix m’entraîne,
Ma mère, c’est l’honneur qui me pousse à l’arène
Et qui me fait braver, parmi les combattans,
Le lâche pamphlétaire aux propos insultans.

Quelle que soit la violence des coups, il est permis, à nous tous critiques, d’y moins répondre, lorsqu’ils viennent d’une belle amazone. Nous aimons pourtant mieux Mme Colet dans l’expression de l’amour ; son chant d’Héloïse à Abeilard nous semble véritablement très passionné. Abeilard est bien heureux, après tant de siècles et après tant d’hommages de toutes sortes, après Colardeau et le Sic et Non, de recevoir encore, comme au premier jour, de tels rajeunissemens de poésie. Mme Colet termine son volume par une petite pièce intitulée Plus de vers ; c’est là un serment de poète qui ne tire pas à conséquence, et que le succès de son présent volume la décidera vite à rétracter. Livre de poésie à l’usage des jeunes filles chrétiennes[2]. — Voilà un titre bien modeste ; ce volume n’est qu’un choix, à travers la poésie française, des meilleures pièces qui remplissent les conditions de talent et de pureté. Mais ce choix est si curieusement fait, il y a une érudition de si bon goût autour de ces quelques pages çà et là détachées, les notices qui précèdent les pièces de chaque auteur sont touchées d’une main si sûre, qu’on y sent partout le jeu d’un esprit délicat habitué à vivre près des sources. À côté de Polyeucte on trouve nombre de scènes du Saint Genest de Rotrou ; après Athalie on retourne vers Malherbe et au-delà ; chemin faisant, ce sont d’agréables vers très peu connus, cueillis chez Godeau, chez Arnauld d’Andilly, chez Desmarest, chez Pélisson. L’auteur remonte ainsi jusqu’à Charles d’Orléans, et il ne descend pas au-delà de Voltaire. Je veux citer comme vers charmans d’un poète très décrié, ces stances de Desmarest, que son poème épique de Clovis a perdu, que ses comédies n’ont pas sauvé, et à qui Boileau (dit notre auteur) aurait dû quelque réparation pour ce moment de finesse et de grâce. C’est une traduction de l’hymne des saints Innocens : Salvete, flores martyrun, etc. :

Brillez, fleurs des martyrs, dont la troupe innocente
Tombe au lieu de Jésus sous le fer des méchans,
Comme un tourbillon dans nos champs
Rompt les tendres boutons de la rose naissante.

Prémices des martyrs qui pour Christ se dévouent,
Vous mourez pour l’Agneau, plus doux que des agneaux ;
Vous riez devant vos bourreaux,
Et vos petites mains de vos palmes se jouent !


Les Revenans, par MM. Jules Sandeau et Arsène Houssaye[3]. — Ces Revenans sont d’agréables nouvelles qui, dispersées çà et là depuis quelques années par les deux amis, se recueillent aujourd’hui en s’entrelaçant, et repassent ainsi, avec une sorte de nouveauté, sous les yeux des lecteurs. Le talent des deux auteurs s’y montre alternativement dans sa physionomie distincte ; on peut dire qu’ils se font nuance l’un à l’autre. M. Sandeau, le peintre tout ému de Marianna, a plus de sérieux et d’abandon dans le sentiment ; il s’y livre sans trop y sourire ; volontiers quelque grand souvenir élégiaque attriste ou passionne ses petits tableaux ou ses portraits, Cyprien, la Prima Donna, Vingt-quatre heures à Rome, le Jour sans lendemain. M. Arsène Houssaye, qui est moins connu et qui mérite de l’être, offre dans ses pages une douce ironie moqueuse, une grace champêtre légèrement égayée, une fraîcheur qui sent le tableau flamand. Les petites nouvelles intitulées Mathilde, le Joueur de violon, les Aventures sentimentales, ont un charme facile d’esprit et de cœur ; avec moins de largeur et de verve dans le pinceau que M. Alphonse Karr, il n’en a jamais les écarts fâcheux ni ce qui corrompt l’impression. Les sentimens naturels y ont conservé un certain parfum comme du village natal. En s’attachant à de simples sujets, au milieu d’une littérature bruyante, M. Houssaye semble s’être dit quelquefois, avec le Kreisler d’Hoffmann : « Une petite mélodie insignifiante, chantée par une voix médiocre ou jouée avec hésitation, mais loyalement, avec une bonne petite intention, et venant bien du cœur, me guérit et me console. » Les Revenans, en un mot, sont d’une lecture aimable, sans prétention et sans cauchemar.


Géographie ancienne, historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine, par M. Walckenaër[4]. — En 1810, l’Académie des Inscriptions mit au concours un programme ainsi conçu : « Rechercher quels ont été les peuples qui ont habité les Gaules cisalpine et transalpine aux différentes époques de l’histoire antérieures à l’année 410 de Jésus-Christ ; déterminer l’emplacement des villes capitales de ces peuples, l’étendue du territoire qu’ils occupaient, et enfin les changemens qui ont eu lieu dans les divisions provinciales des Gaules sous l’administration romaine. » Le prix fut décerné en 1811 à M. Walckenaër, dont le Mémoire, assez développé pour former plus de mille pages, vient d’être publié pour la première fois. Nous apprenons, dans une introduction, que vingt-huit ans d’études assidues n’ont pas modifié les premiers résultats de l’auteur, et que son travail paraît aujourd’hui tel, ou à peu près, qu’il se présenta jadis à la docte assemblée dont il obtint les suffrages. Nous avons regret de le dire, cette déclaration était parfaitement inutile : il est trop évident que M. Walckenaër ne s’est pas approprié tous les procédés critiques, tous les moyens de vérification que la science de l’histoire a conquis depuis trente ans. La comparaison des idiomes, devenue facile depuis qu’on a déchiffré les langues orientales et recomposé les langues primitives de l’Occident, le rapprochement des monumens matériels et des précieuses reliques de l’antiquité, l’analogie des dogmes religieux, ainsi que des traditions qui en découlent, et pour tout dire enfin, une méthode d’investigation qui tient compte des moindres particularités, ont ingénieusement renouvelé la science des origines. La lumière qu’on a su faire jaillir jusque dans les âges les plus ténébreux, si faible et si incertaine qu’elle soit, permet du moins de distinguer les grandes masses et les mouvemens les plus significatifs. Nous reconnaîtrons volontiers que la plupart des historiens de nos jours, en s’emparant des révélations bégayées par une science née d’hier, s’en servent avec peu de discrétion. Ils ne manquent plus de tracer la généalogie du peuple auquel ils consacrent leur plume ; ils précisent l’emplacement de son berceau, l’époque de son émigration, sa marche et ses temps d’arrêt à travers les régions non encore frayées : ils décrivent la rencontre des hordes errantes et le refoulement des unes par les autres, les oscillations qui en sont la suite, et enfin le classement qui s’opère à mesure que l’équilibre s’établit entre elles. Il se peut que M. Walckenaër repousse comme autant de rêveries les hypothèses de ce genre : ce ne serait qu’une raison de plus pour regretter que les hautes prétentions de l’ethnographie n’eussent pas été discutées par un de ces savans en qui l’on aime à retrouver la parfaite intelligence des textes classiques, la dévotion à la lettre écrite, la sagacité prudente, la candeur littéraire, et, en un mot, les honorables traditions de notre glorieuse école bénédictine.

Ces observations se rapportent surtout au premier chapitre de la Géographie ancienne, qui est, à coup sûr, insuffisant. L’auteur parle très vaguement des colonies tyriennes, phéniciennes ou égyptiennes, qui, suivant la tradition gréco-latine, ont peuplé les terres occidentales. Malheureusement les assertions de la vénérable antiquité se trouvent audacieusement démenties par la science moderne. On sait qu’un infaillible moyen de distinguer les peuples qui ont successivement occupé une contrée, est de débrouiller les élémens qui ont concouru à former la langue qu’on y parle. Or, l’analyse de tous les dialectes européens, depuis ceux qu’on peut considérer comme primitifs jusqu’aux plus récens, a été entreprise avec une ardeur et un ensemble qui présagent les plus brillans résultats. Jusqu’ici, il a été reconnu qu’en effet les Égyptiens et les Tyriens, ou, pour parler plus exactement, les peuples de race arabique, ont dû longer le littoral africain, et pénétrer en Europe par le détroit de Gibraltar ; mais ils ne paraissent pas avoir dépassé de beaucoup la zône méridionale que baigne la Méditerranée. Pour découvrir les véritables ancêtres des peuples européens, il faut se tourner vers la haute Asie, et se représenter, dans l’angle formé par l’Oxus et par l’Indus, une race noblement féconde, laissant déborder de tous côtés sa population exubérante : au midi, procréant cette société indienne dont la littérature sanscrite est l’expression impérissable ; à l’opposé, poussant les générations par flots successifs et les faisant ainsi remonter jusqu’au nord pour les déverser en Europe, où ils se condensent définitivement.

On n’a pas osé décider tout d’abord si les langues des anciens Celtes dérivaient, comme celles de la Germanie, de la source indienne ; mais les doutes se sont dissipés peu à peu, et l’académie à laquelle M. Walckenaër appartient a sanctionné l’affirmative en couronnant des travaux que nous allons bientôt avoir occasion de rappeler. Les six dialectes connus de la langue celtique ont été ramenés par les philologues à deux groupes très distincts ; ce qui autorise à croire que le sol gaulois a été le théâtre d’une double invasion, le champ de bataille où deux races hostiles, quoique d’origine commune, ont dû s’entrechoquer avant de se confondre en une seule. Dans la remarquable Histoire des Gaulois, dont le succès et l’autorité sont d’un favorable augure pour la continuation qui va paraître et qui embrassera l’époque romaine, M. Amédée Thierry s’est ingénieusement servi de ces résultats pour trancher plusieurs difficultés historiques. Par exemple, les dogmes religieux en vigueur dans la Gaule accusaient la coexistence de deux principes inconciliables : un polythéisme aveugle et violent qui déifiait toutes choses, et l’adoration d’une divinité unique et immatérielle, intelligente et juste. M. Amédée Thierry attribue le culte grossier à la race qui la première déblaya le sol pour s’y asseoir, aux Gaëls, dont l’émigration aurait été contemporaine de celle des Pélasges, leurs frères : ainsi s’expliquerait la parenté des idoles gauloises avec celles de l’Olympe, et la facilité avec laquelle une partie de la Gaule adopta la mythologie romaine. Le même auteur pense, au contraire, que cette théologie avancée, pour laquelle les sages de la Grèce professaient une respectueuse admiration, appartenait à la civilisation druidique, c’est-à-dire qu’elle avait été apportée plus tard par la race dite Cymrique ou Bretonne[5], qui s’établit par la conquête à l’extrémité occidentale de l’Europe, dans les régions armoricaines et britanniques, où sa langue n’est pas encore oubliée, où les monumens de sa force subsistent encore. Suivant la même hypothèse, la première irruption des Gaulois en Italie n’eût été que la conséquence du refoulement des peuples gaéliques par les conquérans cymris, ce qui reporterait au VIe siècle avant notre ère l’introduction du druidisme dans les Gaules. On appréciera, par cette seule citation, toutes les ressources offertes à l’historien par la philologie comparée et par des recherches d’ethnographie judicieusement conduites. Sans doute les conclusions qui en découlent ne réunissent pas jusqu’ici tous les caractères de l’évidence : il sera long-temps permis de les adopter ou de les combattre ; mais il nous semble qu’on ne peut déjà plus leur refuser les honneurs de la discussion sans s’accuser soi-même de négligence.

Le véritable point de départ pour M. Waleknaër est le VIe siècle avant notre ère, c’est-à-dire l’époque où il est permis de préciser les dates d’après les autorités classiques. Dès-lors, tous les documens grecs et latins qui peuvent servir à déterminer la circonscription des états et l’assiette des villes sont rassemblés dans un travail qui est devenu pour ces textes la plus judicieuse concordance, le commentaire le plus abondant et le plus décisif. Le géographe rencontre de grandes difficultés quand il remonte jusqu’à ces temps où les populations, dans toute la turbulence du premier âge, n’ont pas encore eu le temps de se condenser et de prendre racine dans le sol. L’instinct ou l’intérêt les groupe en peuplades jalouses, qui, toujours en mouvement, s’entrechoquent, se relancent, s’éparpillent, se fondent l’une dans l’autre : un succès les gonfle démesurément : un revers les amoindrit, au point de les rendre imperceptibles. Pour limiter la place qu’elles ont occupée sur la scène historique, il faut suivre minutieusement la chronologie des faits, et dégager du récit des historiens les résultats définitifs de chaque révolution. Cette méthode, indiquée par le programme du concours, a été celle de M. Walckenaër. Le premier fait saisissable est l’établissement des Grecs de l’Asie mineure sur les côtes méridionales de la Gaule. C’est pour l’auteur une occasion de parcourir les plages méditerranéennes, sur les traces du plus ancien des géographes connus, de Scylax, qui écrivait 492 ans avant Jésus-Christ. Les peuples qu’il y rencontre dès cette époque sont des Liguriens, issus probablement de la famille ibérique, ou tout au moins mélangés d’Ibères. La plus considérable de ces tribus liguriennes est celle des Ségobrigiens qui reçoivent sur leur territoire les aventuriers de Phocée, à qui nous devons Marseille. De tous les peuples répandus dès-lors dans l’intérieur de la Celtique, on ne connaît que ceux qui ont été signalés par Tite-Live, pour avoir débordé à plusieurs reprises sur l’Italie. M. Walckenaër, qui a développé d’une façon fort intéressante les admirables pages de l’annaliste latin, décrit l’itinéraire et les résultats de six expéditions, depuis celle de Bellovèse, 590 ans avant Jésus-Christ, jusqu’à la prise de Rome par Brennus, deux siècles plus tard. La marche d’Annibal à travers la Gaule fait encore époque dans l’histoire de la géographie. On sait que les récits anciens laissent du doute sur le lieu où les Carthaginois ont franchi les Alpes, et que ce point d’érudition a déjà fait éclore nombre de volumes. Suivant M. Walckenaër, le passage s’est effectué vers le lieu où se trouve aujourd’hui Briançon. Vient enfin l’époque où les Romains, après s’être assimilé tous les peuples de l’Italie, envahissent à leur tour la Gaule chevelue. Les matériaux de toute nature ne cessent dès-lors de s’accumuler, et il devient possible de reconstruire fidèlement l’ancien monde.

Plusieurs savans, dont l’opinion est confirmée par celle de M. Walckenaër, ont avancé que, pour les quatre premiers siècles de notre ère, la Gaule transalpine est de tous les pays celui dont la géographie politique peut être rétablie avec le plus de précision. Quand César pénétra dans la Gaule, la population se trouvait répartie en tribus qui reconnaissaient le pouvoir absolu et héréditaire d’un chef, et en petits états, dont la constitution se rapprochait plus ou moins des formes républicaines. Les Romains, pour affermir leur conquête, proclamèrent le respect des usages et des intérêts établis ; mais, comme il leur était plus facile sans doute de s’arranger avec les représentans des villes qu’avec ces petits despotes qui conservaient religieusement la tradition de leur indépendance, les rusés tuteurs de la Gaule favorisèrent de tout leur pouvoir l’institution des états populaires aux dépens de la farouche aristocratie. Cérialis, dans un beau discours que lui prête Tacite, se fait un titre de cette politique auprès des Gaulois révoltés. « Les tyrannies et les guerres intérieures, leur dit-il, ont désolé votre pays, jusqu’au jour où vous avez reconnu nos lois[6]. » Cette manœuvre eut plein succès. Dès les premiers temps de l’empire, tous les peuples qui composaient la nation gauloise avaient adopté le régime municipal, et, quoique les anciennes terres nobles conservassent en grande partie leurs franchises, elles n’étaient pas moins incorporées au territoire des cités. Or, le christianisme, qui ne tarda pas à s’organiser politiquement, éleva un siége épiscopal pour chacun des peuples gaulois, et la circonscription de chaque cité devint la limite d’un diocèse. Le gouvernement civil changea ; les bornes administratives furent souvent déplacées ; les peuples se confondirent : seule, l’Église demeura imperturbable au milieu des ruines, de sorte qu’une carte de la France ecclésiastique avant 1789 indiquerait rigoureusement, assure-t-on, la position relative des peuples gallo-romains. Ce genre de preuve n’est peut-être pas à l’abri de toute objection, malgré l’autorité qu’il emprunte de plusieurs noms célèbres. Nous avons beaucoup plus de confiance dans l’Analyse des itinéraires anciens, résultat d’un travail immense qui suffirait seul à fonder une renommée durable. Cette opération a conduit M. Walckenaër à la découverte de cinq mesures différentes employées dans la Gaule transalpine ; savoir : des stades de trois proportions en usage dans les diverses régions maritimes ; dans l’intérieur du pays, le mille romain de soixante-quinze au degré, et la lieue gauloise de quinze cents pas romains ou cinquante au degré, ce qui représente exactement le double de nos lieues communes.

Si, comme description topographique, le livre de M. Walckenaër ne laisse rien à désirer, on pourrait peut-être lui reprocher de ne pas justifier pleinement son titre de Géographie historique. Ainsi on aimerait à trouver quelques indications, ou, à défaut de renseignemens positifs, quelques conjectures archéologiques, sur l’aspect des diverses contrées gauloises. Il eût été possible sans doute de jeter quelques lueurs sur ces étranges villes druidiques, qui ne devaient avoir ni temples ni édifices publics, puisque le culte s’exerçait dans les mystérieuses profondeurs des forêts, que l’administration toute pratique ne conservait pas d’archives, et que les actes de la vie civile s’exerçaient à ciel ouvert. Il y avait encore des différences à signaler entre les places fortes (oppida), qui probablement faisaient souvent partie du domaine des chefs indépendans, et les villes (urbes), siéges des cités ou confédérations populaires. Ces cités étaient de constitutions fort différentes ; toute l’échelle des combinaisons politiques paraît y avoir été essayée, depuis la tutelle sacerdotale jusqu’à la démocratie : ce sont là des renseignemens sur lesquels un géographe devrait appeler l’attention. Pour les temps postérieurs à la conquête, l’auteur s’est contenté de noter la fondation des villes nouvelles, et de déterminer les divisions de la Gaule en provinces, c’est-à-dire des circonscriptions purement arbitraires et qu’on modifiait suivant les exigences de l’administration. Sans se perdre dans les détails infinis du régime gallo-romain, il eût été utile d’ajouter que les cités et leur banlieue n’occupaient que la moindre partie du territoire ; que tout le reste était subdivisé en cantons ruraux formés par la réunion des domaines des puissans ou propriétaires libres ; que chacun de ces cantons, sorte de principauté indépendante, ne se rattachait à la cité métropolitaine que par les liens de la fiscalité ; qu’il avait d’ailleurs son administration, son code spécial, ses franchises, nombre de châteaux et de bourgades, et enfin sa petite capitale, où résidait l’officier romain, où se trouvait le temple commun, le tribunal, les marchés.

Sur le déclin de l’empire, le nord de la Gaule n’est plus qu’un champ de bataille, où les Germains viennent défier insolemment les légions romaines. Cette région prend dès-lors un aspect étrange, qui n’a pas été suffisamment caractérisé. Les documens historiques des IIIe et IVe siècles parlent sans cesse de villes détruites, de champs dépeuplés, de terres en friches qu’on fait reverdir en y transplantant des vétérans légionnaires et des barbares. M. Walckenaër, qui déclare que ces établissemens ont été trop peu remarqués, est loin de leur accorder lui-même toute l’attention convenable. Au IVe siècle, la région menacée par les Germains est en grande partie concédée, à titre de bénéfices militaires, à des Lètes, ou à des barbares admis à la condition létique. Mais ces Lètes, dont M. Walckenaër se débarrasse avec quelques lignes, ont soulevé plus d’un système. Suivant l’abbé Dubos, le mot lœti n’est pas le nom d’un peuple, mais tout simplement l’adjectif latin qui a le sens de contens ou joyeux, et il prétend que les barbares reçus à titre de colons l’ajoutaient au nom de leur tribu, pour témoigner leur joie de partager ce que les empereurs appelaient avec emphase la félicité romaine. On a avancé que le mot letus (participe du verbe inusité lere, oindre) était comme le nom de picti, donné aux Écossais, attribué aux peuples qui avaient coutume de se peindre le corps à la façon des sauvages. Sans avoir égard au témoignage formel de Zozime, qui présente les Lètes comme un peuple d’origine gauloise, plusieurs savans ont cherché leur berceau dans la Germanie ; M. Walckenaër en a fait une tribu de Sarmates.

Arrêtons-nous à une opinion beaucoup plus probable, et qui a pour elle l’avantage de concilier tous les textes anciens, celle qui fait du mot lète la traduction latine d’un terme celtique qui aurait eu la signification de défricheur ou de pionnier[7]. Sous le règne d’Auguste, dit le savant Perreciot, les victoires de Drusus, ayant balayé toute la rive droite du haut Rhin, laissèrent vacans des espaces considérables, où se précipitèrent tout ce qu’il y avait dans la Gaule de pauvres et de gens sans aveu[8]. Ces colons, qui payaient la dîme aux Romains et supportaient plusieurs charges militaires, furent tout naturellement appelés défricheurs ou lètes, mot qui, de qualificatif, se transforma, avec le temps, en nom de peuple, et de peuple réellement gaulois[9]. Mais vers la fin du IIIe siècle, la supériorité appartenait aux Germains, et la position des défricheurs installés dans les provinces transrhénanes n’était plus tenable. Il y eut alors division parmi les Lètes ; une partie fit cause commune avec les vainqueurs : ce furent ceux qui ont été depuis qualifiés de Lètes-allemands ou barbares ; mais le plus grand nombre préféra repasser le Rhin, et reformer de nouveaux établissemens sur la rive gauche, où le malheur des temps avait multiplié les terres en friche. Obtenir les champs où reposaient leurs ancêtres, c’était pour ces malheureux rentrer en possession d’un patrimoine. Ce sentiment tout naturel est le meilleur commentaire d’une phrase fort obscure, adressée par le rhéteur Eumènes à l’empereur Maximien. « Le Lète rétabli dans ses droits en vertu du postliminium[10], le Franc reçu à discrétion, cultivent les champs dévastés des Nerviens et des Tréviriens. Les déserts qui avoisinent Amiens, Beauvais, Troyes, Langres, refleurissent par le fait des barbares. »

Les concessions de terres n’étaient pas gratuites ; elles imposaient une redevance en espèces, des corvées militaires, un service actif au besoin, et en tout temps une consigne si rigoureuse, qu’elle a fait douter si la condition du Lète appartenait à l’esclavage ou à l’ingénuité. Or, on en vint à appeler terres létiques toutes celles qui imposaient de pareilles charges aux colons, quelle que fût d’ailleurs leur nation. Il n’y a donc pas lieu à s’étonner de voir dans la Notice des dignités de l’empire plusieurs corps militaires désignés sous le nom de Lètes-teutons, Lètes-bataves, Lètes-francs. C’est que ces barbares, en se mettant au service des Romains, avaient accepté le contrat létique, ou peut-être parce qu’ils se trouvaient enrégimentés avec des Lètes véritables. On nous pardonnera d’avoir insisté sur ce fait, en raison de sa double importance en géographie et en histoire. D’abord, l’indication de plus de trente colonies militaires, sans compter celles dont les traces se sont effacées, prouve qu’elles ont occupé une grande place dans les provinces du nord. Il nous semble, en second lieu, que des recherches sur les établissemens de cette nature conduiraient les historiens vers l’une des sources trop négligées de notre droit public. En effet, si les peuples de la confédération franque se montrèrent moins exigeans dans le nord, que ne le furent au midi les Bourguignons et les Visigoths, n’est-ce pas parce que déjà les provinces rhénanes étaient en grande partie occupées par des hommes d’origine germanique ? Le lète gallo-romain est-il autre que le lite des Francs ? La jouissance d’un domaine, à charge de subordination et de service actif, n’a-t-il pas conduit à la hiérarchie féodale ? et les obligations imposées aux colons enrégimentés n’ont-elles pas de nombreux rapports avec la servitude qui pesa plus tard sur les hommes de main-morte ?

En signalant ces omissions, nous n’avons pas l’orgueilleuse pensée de surprendre en défaut la forte érudition de M. Walckenaër. Il va de lui-même au devant des critiques, en déclarant dans sa préface que des difficultés de publication l’ont empêché d’utiliser tous ses matériaux. N’est-il pas infiniment regrettable que son troisième volume, consacré à la concordance des itinéraires anciens, ne soit qu’une sèche indication des distances, et que l’auteur n’ait pas pu produire le résultat de trente années de recherches, c’est-à-dire une série de mémoires où chacune des routes de la Gaule romaine est décrite ? Les découvertes qu’on a faites en archéologie, depuis l’époque où le vieux Bergier écrivait sa belle Histoire des grands chemins de l’Empire, ont, à coup sûr, prêté au travail inédit de M. Walckenaër le piquant de la nouveauté, et l’importance attachée aujourd’hui à tout ce qui se rapporte aux moyens de communication, offrirait, ce nous semble, une garantie à l’éditeur. Le courage lui viendra, il faut l’espérer, avec le succès de la Géographie ancienne, qui, malgré la sécheresse et l’insuffisance de quelques détails, a conquis une place des plus honorables dans les bibliothèques historiques.


De l’affinité des langues celtiques avec le sanscrit, par M. Adolphe Pictet (de Genève)[11]. — Nous venons de dire que la parenté des idiomes celtiques avec le groupe indo-européen n’avait pas été admise sans contestations par plusieurs philologues. Notre Académie des Inscriptions ne resta pas indifférente à un débat qui devait établir les droits généalogiques de la famille gauloise. Un prix offert par elle en 1834, a provoqué de consciencieuses recherches qui paraissent avoir dissipé les incertitudes par la conformité de leurs résultats. Un des livres couronnés, celui de M. Eichoff, a été analysé dans cette Revue. Il nous reste à signaler le mémoire de M. Pictet, dont la publication a été plus tardive, quoiqu’il ait partagé les honneurs du concours. Les travaux de cet ordre sont de ceux qui commandent à la critique un silence prudent ; il faut accepter en s’inclinant le jugement rendu, quant au fond, par les juges compétens du tribunal académique. Nous ajouterons seulement que nous avons remarqué dans cette œuvre d’un étranger une clarté d’exposition et une aisance de langage que l’aridité du sujet fait particulièrement valoir.

La famille des langues celtiques est formée par la réunion de deux branches distinctes : la première est le gaëlique, qui comprend trois dialectes, l’irlandais, le manx, en usage dans l’île de Man, et l’erse, qui est la langue des montagnards de l’Écosse. Ces trois dialectes sont considérés comme des altérations de la langue qui la première a retenti sur le sol gaulois ; et, en effet, à les voir précisément relégués vers les extrémités occidentales de l’Europe, il est permis de conjecturer, comme l’a fait M. Amédée Thierry, que le grand corps des Gaëls a été violemment rompu par une seconde race d’envahisseurs, et refoulé jusqu’aux dernières limites de notre continent. La seconde branche, appelée cymrique ou bretonne, désignation préférable selon M. Pictet, est encore parlée, mais avec des nuances diverses, dans le pays des Galles, dans la province de Cornouailles et dans notre Bretagne française. Or, dans chacun des pays où résonne encore l’écho des âges lointains, il s’est trouvé des antiquaires qui en ont saisi et noté les accens. Tous les mots ont été recueillis, interprétés, décomposés, coordonnés en glossaires, ramenés aux lois grammaticales. Ce n’est pas tout : ces récits qu’on se transmet dans les chaumières, sans les comprendre, ces chants qui ne sont plus pour le paysan qu’un roucoulement instinctif, la science les a matérialisés par l’impression, et ils ont pris rang dans les bibliothèques, sur le rayon destiné aux curiosités littéraires. Il ne fallait pas moins que cet ensemble de documens, empruntés à tous les dialectes, pour qu’il devînt possible de rétablir le fonds primitif du langage, et d’évoquer, en quelque sorte, le génie de l’ancienne Gaule. Aussi n’est-ce plus par les preuves dont se contentaient autrefois les étymologistes, par des consonnances souvent menteuses, par des rapprochemens de mots pris au hasard dans les dictionnaires, que l’affinité du celtique et du sanscrit nous est démontrée : elle résulte de l’accord de leurs lois, de l’esprit qui leur est commun. Les termes de comparaison établis par M. Pictet, sont : 1o le système phonique, 2o la dérivation et la composition des mots, 3o les formes grammaticales. « Ces trois sections, ajoute-t-il avec raison, comprennent tous les élémens principaux du problème. Deux langues, dont les analogies s’étendent à ces diverses parties de leur organisme, doivent avoir à coup sûr une même origine. » Cette méthode est d’autant plus satisfaisante que les exemples sur lesquels elle s’appuie mettent en regard des radicaux sanscrits un grand nombre de mots celtiques, et qu’ainsi la vérification matérielle vient à l’appui de la preuve analytique.

Il paraît donc hors de doute que la nation gauloise est issue d’une grande famille appelée vaguement indo-germanique, qui, dès les premiers âges du monde, s’est assise majestueusement au sud-est de la mer Caspienne, et au sein de laquelle s’élabora le Zend, la langue de Zoroastre, qu’on commence à déchiffrer. Mais dans l’état présent des recherches, il y aurait de la témérité à pousser plus loin les conjectures, et à pressurer les mots pour en faire sortir des démonstrations historiques. Par exemple, dans l’appendice qui termine son mémoire, M. Pictet suppose que le berceau d’où s’échappèrent les Hindous et les Celtes, fut placé sous un ciel plus chaud qu’on ne le dit communément, et voici la raison qu’il allègue : d’abord, la racine du mot qui, en sanscrit, signifie matelas de coton, se retrouve avec les inévitables changemens dans plusieurs dialectes celtiques ; ensuite, le mot sanscrit sardûla, qui signifie tigre au propre, et au figuré fort, véhément, reparaît dans le mot irlandais sartulaid, qui exprime également la force ; ce qui annonce doublement, selon M. Pictet, que la langue-mère s’est formée dans un pays favorable à la culture du coton, et sous la zône ardente où se rencontre le tigre. M. Pictet, nous le savons bien, n’a pas voulu proclamer une découverte, mais montrer par une seule étincelle tout ce qu’on peut tirer de lumière du choc ingénieux des mots. Il fallait du moins signaler le danger de cette méthode divinatoire, et préparer pour les imaginations aventureuses le frein salutaire de la critique. Ne laissons pas oublier que la philologie comparée, pour mériter confiance, doit opérer sur une série de mots disposés à l’avance et embrassant tout un ordre d’idées, de telle sorte que les similitudes ne puissent pas être raisonnablement attribuées au hasard. Une autre cause d’erreur existe encore : la prononciation de ces idiomes qui ne sont pas d’un usage commun, est toujours fort incertaine, et les mots mis en comparaison n’étant pas écrits avec les caractères qui leur sont propres, mais avec ceux de notre alphabet moderne, il pourrait arriver que cette double traduction occasionnât d’étranges méprises. Au reste, M. Pictet sent pour lui-même la nécessité d’appuyer ses hypothèses futures sur une base large et solide. Le travail que l’Académie a sanctionné n’est pour lui qu’un premier pas dans la voie des recherches. Il a dessein d’étudier successivement des groupes de racines, des catégories de mots, et déjà, nous dit-il, le rapprochement des noms d’animaux dans toutes les langues qui se rapportent au groupe indo-européen, a fait briller à ses yeux plus d’un éclair inattendu.


Histoire du droit de propriété foncière en occident, par M. Édouard Laboulaye[12]. — Encore un livre couronné par l’Institut. L’Académie des Inscriptions, qui produit fort peu, se fait sans doute un mérite des travaux qu’elle provoque annuellement. S’il est parfois utile de fomenter l’émulation, n’y a-t-il pas des inconvéniens très réels à ces programmes qui ne laissent pas à l’auteur la libre disposition de son plan, à la date de rigueur qui assujétit la pensée à la dure loi de l’échéance. L’Allemagne, à notre connaissance, ne délivre pas de médailles à ses savans, ce qui ne l’empêche pas de régner avec éclat dans la carrière de l’érudition.

C’est un livre d’ailleurs plein de science et de talent qui nous suggère ces réflexions, parce qu’il nous semble que l’auteur n’eût pas mérité les reproches que nous allons avoir à formuler, s’il ne s’était pas engagé dans les barrières d’un tournoi académique. Un tableau exact des révolutions de la propriété résumerait l’histoire de l’humanité entière, car les hommes ne s’agitent tant dans ce monde que pour arriver au bien-être dont la possession du sol est la plus sûre garantie. Pour remplir dignement un tel cadre, il faudrait avoir suivi chaque peuple à son tour dans les diverses manifestations de son existence, et savoir tout de lui, depuis les actes de sa politique extérieure jusqu’aux plus intimes secrets de son organisation. Mais, quand on s’est condamné à répondre à jour fixe aux questions posées par une académie, on songe moins à épuiser un sujet qu’à en présenter les généralités d’une façon saisissante. C’est ce qu’a fait M. Laboulaye. Il a cherché de larges traits et des nuances vigoureuses pour caractériser les grandes époques de la civilisation occidentale. Le volume soumis au public se divise en deux parties : constitution romaine, et établissement des barbares. Un autre volume, qui doit suivre, comprendra l’époque féodale et sera terminé par des considérations sur l’état actuel de la propriété foncière et sur son avenir en présence du prodigieux développement de la propriété mobilière. Pour chacune de ces époques, le droit de propriété est étudié dans ses rapports avec le régime politique, la législation civile, l’organisation de la famille. Cette triple exploration annonce une connaissance approfondie de ce que les jurisconsultes appellent l’histoire intérieure du droit. Nous reprocherons toutefois à l’auteur de ne procéder que par des conclusions générales, comme si l’Occident tout entier n’avait jamais formé qu’une seule société. Il domine les faits de si haut, que les détails lui échappent. Il cède trop aisément à la tentation d’expliquer le droit par des images, genre d’interprétation plein de dangers, même pour les plus grands génies, et qui a fait dire aux juges sévères que l’auteur de l’Esprit des Lois n’avait fait trop souvent que de l’esprit sur les lois, Quelques lignes donneront une idée des effets que M. Laboulaye affectionne : il s’agit de la distinction qui existait, dans l’ancien droit romain, entre la propriété quiritaire ou privilégiée et la possession restreinte des provinciaux. « Quand Justinien abrogea ces distinctions qui le gênaient, et qu’il ne comprenait plus, il fit comme l’Arabe qui brise sans pitié la pierre des tombes égyptiennes sur lesquelles il a planté sa chétive masure, et qui se rit dédaigneusement de ces signes bizarres, langue sainte dont le barbare a perdu le secret. » Ces quelques mots forment tout un chapitre, le XIVe du second livre. L’image est brillante ; malheureusement elle ne reflète dans les esprits qu’une idée fausse. L’impression qui en reste est défavorable à Justinien, qu’il eût été plus juste de louer, pour avoir effacé du livre de la loi un privilége abusif et déjà tombé en désuétude.

Mettons-nous au point de vue de l’auteur. Embrassons d’un seul coup d’œil le tableau d’ensemble qu’il expose, et demandons-nous si pour la France en particulier il est d’une exactitude satisfaisante. M. Laboulaye entre en matière par un résumé de savans travaux de Niebuhr, qui ont montré dans l’ancienne Rome deux sortes de propriété : le dominium, ou domaine privé, bien patrimonial, dont l’inviolabilité ne fut jamais contestée ; et les possessions, ou terres publiques dont le fonds appartenait à l’état, mais dont la jouissance pleine et entière était obtenue, en vertu d’un bail perpétuel, par les familles patriciennes. Une exploitation commune à ces possessions et aux propriétés patrimoniales du noble fermier finissait par confondre ces deux natures de biens, de telle sorte que leur séparation devenait impossible, et que le contrat de bail obtenait en réalité toute la puissance d’un acte d’acquisition. Ainsi se formaient ces vastes domaines qui, selon l’unanime témoignage des politiques anciens, causèrent la ruine du sol italique. Ce que la plèbe demandait avec tout l’emportement du désespoir, c’était non pas la spoliation des héritages paternels, mais une répartition plus équitable des terres publiques, réserve sacrée de l’état, acquisition commune à laquelle chacun avait contribué de son sang et de ses sueurs. La lutte eut pour dernier résultat le renversement de la constitution républicaine : ainsi le voulait la loi fatale des révolutions. Quand un abus porte profit à une classe entière, il ne peut plus être corrigé que par un déclassement brutal, par une refonte générale et hasardée de tous les élémens dont la société se compose. Ces débats intérieurs de la république romaine, éclairés par le rayonnement des plus vives intelligences, seront l’éternelle leçon des hommes d’état.

Quoique l’histoire de nos ancêtres ait été tristement laissée dans les ténèbres, on croit distinguer qu’à l’époque où les lois agraires agitaient la société romaine, la nation gauloise était en proie à des convulsions de même nature.

Comment le sol gaulois se trouvait-il partagé entre les cités, ou petits états déjà constitués, et les rois, comme disaient les Latins, c’est-à-dire les chefs de tribus, qui sans doute résistaient avec une sauvage énergie aux envahissemens de la civilisation ? Quel était le rôle des classes inférieures ? Ces ambactes, dont l’antiquité a parlé diversement, étaient-ils des esclaves sans personnalité, comme ceux des Romains, ou bien des cliens attachés aux nobles, comme César l’a donné à entendre, ou une caste condamnée au travail, supposition autorisée par la signification du mot ambachter, qui se retrouve dans les langues teutoniques ? Ou enfin, formaient-ils cette foule plébéienne que César a montrée abattue sous le joug de l’aristocratie ? Rechercher l’état des personnes, c’est établir la condition des terres, c’est faire l’histoire de la propriété. M. Laboulaye s’est abstenu de soulever des questions qu’il n’est pas possible de résoudre avec autorité : c’est trop de discrétion en pareille matière. Il y a en histoire des doutes savans, qui sont aussi instructifs que la discussion d’un texte. Les premières pages de toutes les annales manquent toujours de précision, et les faits sortent forcément de certaines conjectures, comme l’arbre des racines qui disparaissent dans le sol. Il ne serait pas permis de négliger absolument l’âge celtique, si l’on écrivait spécialement l’histoire du droit de propriété dans notre pays. On sait, en effet, qu’à l’exception de la province qui, plus d’un siècle avant César, avait subi dans toute sa rigueur le droit de conquête, la Gaule, épuisée mais non rendue, obtint du vainqueur le libre exercice de ses lois et la consécration des intérêts existans. Après César vint la phalange des jurisconsultes, qui entreprit de compléter par la discussion l’œuvre ébauchée par les armes. La propriété, nécessairement ébranlée par la conquête, fut replacée sur une base dont le plan appartenait au génie romain. Mais cette restauration fut à coup sûr lente et laborieuse, et il serait peut-être fort difficile de dire à quelle époque de l’ère gallo-romaine elle se trouva pleinement accomplie.

Pour l’époque où la loi romaine devint le droit commun dans la Gaule, nous soumettrons à M. Laboulaye quelques observations, moins comme des critiques que comme l’expression de nos doutes. Son livre établit seulement deux nuances dans les conditions de la propriété : le droit quiritaire, qui fut le privilége des Romains nés à l’ombre du Capitole, et le droit provincial. Nous croyons cependant que les titres de la possession dans les provinces étaient loin d’être uniformes. C’est par la Gaule que nous en jugeons. N’y avait-il pas une grande différence entre la condition des propriétaires ruraux qui avaient la libre disposition de leurs fonds, et jouissaient même de certains priviléges attachés à la terre, et celle des citadins, qui, pour la plupart enrégimentés en corporations, ne possédaient que comme usufruitiers, bien qu’ils augmentassent le fonds commun par leur industrie ? La classe qui tenait dans les cités gallo-romaines le rang de la bourgeoisie moderne, les décurions, pouvaient posséder en propre ; mais ce droit écrit dans la loi n’était qu’illusoire, puisque leurs biens, hypothéqués en garantie des impôts dont ils étaient les collecteurs responsables, finirent par être engloutis par le fisc, qui devint ainsi propriétaire d’une grande partie du territoire. La loi des colonies militaires n’était pas non plus celle qui régissait les colons attachés aux glèbes patrimoniales. Pour prouver enfin que la propriété était constituée dans la Gaule d’une façon fort capricieuse, il suffirait de rappeler l’inégale distribution des charges publiques. Des recherches sur la fiscalité romaine, dirigées dans ce but, ne seraient pas un vain jeu d’érudition. Pour celui qui a pénétré profondément la constitution économique des peuples, l’histoire n’a plus d’obscurités. Les mouvemens révolutionnaires ne sont plus que les symptômes prévus d’un trouble intérieur.

La seconde section du livre, l’époque germanique étudiée par rapport à notre pays, laisse beaucoup moins à désirer. Il en devait être ainsi, puisque la terre gauloise a été le principal théâtre de la rénovation dont les Barbares furent les instrumens. On y trouve pourtant quelques assertions qui provoquent la controverse. Il nous semble que l’auteur n’a pas assez souvent mis à contribution le recueil des lois barbares, qui sont avant tout, comme on l’a dit avec vérité, une sorte de code rural. Un chapitre de vingt-cinq lignes, intitulé Partage des terres, ne tient pas dignement sa place dans une Histoire de la Propriété. Après avoir rappelé dans ce même chapitre que les Bourguignons et les Wisigoths s’approprièrent une partie des terres dans le pays où ils s’établirent, M. Laboulaye ajoute : « Quant aux Francs, qui n’étaient point, comme les Bourguignons et les Goths, des peuplades marchant sous la conduite d’un roi, mais simplement quelques bandes germaines unies par la conquête sous un nom de guerre, on ne voit point qu’ils aient dépouillé les anciens possesseurs. Il y avait sans doute dans les Gaules plus de terres incultes et domaniales qu’il ne fallait pour les satisfaire tous : c’est du moins ce qu’on peut juger par ces domaines immenses attribués aux rois francs, comme terres du fisc. » L’opinion commune fait généralement honneur aux Francs de cette générosité, mais elle est fort contestable. Du moins, ceux qui les premiers arrachèrent à Stilicon le droit de cohabitation sur les rives du Rhin, et qui, mêlés aux Belges, formèrent la nation des Ripuaires, obtinrent ou s’approprièrent des lots de terre, comme les autres barbares : le titre LX de la loi des Ripuaires ne permet pas d’en douter. M. Laboulaye dit encore (page 244) : « La population libre était dans les villes, » et plus loin (page 259) : « Les cités laissées aux Romains, la campagne fut découpée en cantons, etc. » Ces passages donneraient à penser que la population romaine a été violemment comprimée dans les villes ; ce serait se faire une idée très fausse de cette perturbation sans exemple dans les annales du monde, et que l’on a appelée la conquête faute d’un nom qui lui convînt.

Les Romains de condition libre ne furent pas relégués dans les villes, puisqu’ils conservèrent, tout le monde le sait, la moitié ou au moins le tiers des propriétés cantonales où ils faisaient habituellement leur résidence. Les biens du clergé, déjà considérables, furent en général respectés, et le clergé était romain. On serait même tenté de croire que l’autorité impériale, qui conservait encore le prestige de la force, s’étudiait à contenter les barbares, et à adoucir en même temps les angoisses de la spoliation dont les Romains étaient victimes. Tous les Germains n’ont pas été établis aux dépens des fortunes privées ; les monumens authentiques distinguent les concessions ou fonds de terre détachés du domaine public, et les sorts ou terres provenant de déchirement des propriétés particulières. Il était expressément défendu, par le code des Bourguignons, d’exiger un sort quand on avait déjà obtenu une concession, et, par une clause de la même loi, le Bourguignon qui voulait vendre sa part de terre, était obligé d’accorder la préférence à son consort, c’est-à-dire au Romain que le sort lui avait donné pour hôte.

Indiquer dans un travail d’érudition quelques points douteux, quelques omissions inévitables, c’est reconnaître l’exactitude des autres parties. Ni le savoir, ni la pénétration, ni l’ardeur généreuse, ne manquent à M. Laboulaye ; qu’il cède moins facilement au dangereux désir de donner du relief aux idées, qu’il se demande, avant de résumer audacieusement les faits, s’ils ont été mis hors de doute par la discussion, si les formules générales s’appliquent strictement aux détails, et il pourra, nous n’en doutons pas, opposer d’excellentes études sur le droit public, à celles que l’Allemagne savante compte aujourd’hui parmi ses plus beaux titres. Déjà M. Laboulaye possède les qualités qui seront toujours de rigueur dans une école française. Son premier livre est clair et animé, d’une concision qui engage, d’une lecture séduisante, malgré quelques incorrections qu’on remarque, parce qu’elles font tache dans un bon style. Mais ce livre doit prendre rang parmi ceux qui ont le rare privilége de se reproduire, et l’auteur pourra, tôt ou tard, en combler les lacunes et en adoucir les traits hasardés.


Rappelons, en terminant, un résultat que nous avons déjà signalé plus d’une fois, mais sur lequel on ne saurait trop insister, si véritablement la littérature est un écho de la pensée nationale. Les compositions légères et de pur agrément deviennent plus rares de jour en jour. Quand on recueille, comme notre tâche est de le faire, le peu qui se produit de ces fleurs d’imagination, on en trouve quelques-unes encore que la sève n’a pas abandonnées, et qui doivent même un éclat particulier à la pâleur et au dessèchement du reste ; mais le groupe dans son ensemble est mesquin et fané, comme ces bouquets d’arrière-saison qu’un souffle d’hiver a surpris. Au contraire, les productions sérieuses et d’une portée utile gagnent en nombre d’une façon très remarquable, eu égard surtout au ralentissement général des presses françaises. Ce nouveau caractère devient frappant dans la classe des livres sans cachet, que le courant de la fabrique envoie au commun des lecteurs. Nous sommes loin du temps où il fallait l’amorce du plaisir pour attirer les intelligences vulgaires et inexercées : le moyen de les allécher aujourd’hui est plutôt de leur promettre une nourriture substantielle, fût-elle même d’une digestion un peu laborieuse. À considérer l’ensemble de ce phénomène, il est d’un heureux augure. Il indiquerait que l’esprit public est en travail chez nous ; que cette reine du monde, appelée l’opinion, a senti, comme tant d’autres royautés vieillies, l’urgence de se réformer, et de substituer à l’aveugle loi du caprice la noble représentation du savoir et de l’expérience. Mais, pour l’observateur littéraire, il n’est pas temps encore de se féliciter. La prétention d’instruire les masses, et d’éclairer les sentiers de la vie pratique, ne se justifie pas plus facilement que celle de ravir les esprits par la magie du talent, et de les intéresser aux passions menteuses d’un monde idéal. Il y aura un choix fort difficile à faire entre tous ces livres qui s’annoncent gravement. Suivre avec une attention vigilante les travaux de ce genre, indiquer la place qu’ils tiennent dans leur spécialité, mettre en vue l’élément nouveau qu’ils y apportent, les résumer de temps en temps par des études originales, où le critique disparaîtrait pour laisser le champ libre au trouveur : telle devrait être, dans l’état présent de la société, la digne et véritable mission d’un recueil périodique. C’est aussi celle que la Revue ambitionne. Si elle promettait de la remplir complètement, elle mériterait d’être accusée de présomption par les hommes qui ont l’habitude des épreuves sévères, et qui savent combien est lente et scabreuse la vérification des théories et des faits. Toutefois la nouvelle tendance des esprits, dont la Revue aime à signaler les indices, rendra l’accomplissement de sa tâche beaucoup plus facile. Elle craindra moins d’accumuler les travaux d’un intérêt positif, puisque le public se prononce ouvertement pour les lectures qui portent profit.

  1. Delloye, place de la Bourse, no 13.
  2. Leleux, rue Pierre-Sarrasin, no 9.
  3. Deux vol. in-8o, Desessart, rue des Beaux-Arts, 15.
  4. vol. in-8o, en y comprenant l’Analyse géographique des itinéraires anciens ; avec un bel Atlas de 9 cartes. Chez Dufart, rue des Saints-Pères, no 1.
  5. L’hypothèse qui divise la nation gauloise en deux familles peut s’autoriser du passage suivant de M. Walckenaër lui-même (tome 1er, page 98) : « Les auteurs anciens semblent avoir confondu sous la même dénomination les Cimbres et les Gaulois. Cicéron dit : C. Marius influentes in Italiam Gallorum copias repressit. Ceux qui, sous Brennus, firent le voyage de Delphes, et qui sont désignés par tous les historiens comme des Gaulois, sont appelés Cimbres par Appien, Galli quos Cimbres vocant. Lucain semble aussi confondre ces deux appellations quand il fait Cimbre celui qui tua Marius, que Tite-Live et les autres font Gaulois. Enfin Plutarque donne à connaître que les Cimbres et les Gaulois se servent de la même langue. » Le témoignage d’Appien a d’autant plus de force, que le mot Brenn ou Brennus, en langue cymrique, n’est pas un nom propre, comme les Latins l’ont cru, mais le titre du commandement.
  6. Tacite, Histoire, liv. IV, chap. 74.
  7. Leton, letoun, jachères, gazon, friches. Dans le Diction. celte-breton de Legonidec, page 306.
  8. « Levissimus quisque Gallorum, et inopiâ audax, dubiæ possessionis solum occupavere. » Tacite, de Moribus Germanorum.
  9. Le lien national était très faible dans l’antiquité : les sociétés se formaient très facilement, et on pourrait citer plusieurs exemples de peuples qui ont tiré leur nom de leur campement ou de leur fonction. Ainsi, les tribus cantonnées sur le Rhin pour la défense du fleuve constituèrent la nation des Ripuaires, dont le code nous est resté.
  10. « Nerviorum et Treverorum arva jacentia, Lætus postliminio restitutus, et receptus in leges Francus excoluit : quidquid infrequens Ambiano ac Bellovaco et Tricassino solo, Lingonicoque restabat, barbaro cultore revirescit. » (Panégyriques d’Eumènes, dans le Recueil des historiens de France, tome ier, page 714). Le postliminium, ou droit de récupération, autorisait à reprendre la chose qui était tombée induement au pouvoir d’un étranger pendant l’absence du propriétaire légitime. La distinction établie à ce sujet dans la phrase d’Eumènes entre le Lète et le Franc est très remarquable.
  11. Grand in-8o, chez Benjamin Duprat, rue du Cloître-Saint Benoît, no 7.
  12. 1 vol.  in-8o, chez Durand, libraire, rue des Grès, no 4.