Revue littéraire - 31 mai 1851

La bibliothèque libre.
Revue littéraire - 31 mai 1851
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 10 (p. 983-984).

ESSAIS SUR QUELQUES POINTS DE LÉGISLATION OU DE JURISPRUDENCE, par M. Biondeau, de l’institut[1]. — Cet ouvrage, composé d’opuscules divers antérieurement publiés, touche à de nombreuses questions. À côté de morceaux qui se réfèrent à une réforme des classifications juridiques, à des projets de codification générale, à côté d’un essai sur l’effet rétroactif des lois, d’un essai sur les contrats nommés au point du vue de nos codes, à côté enfin d’un exposé scientifique du jus in re et du jus ad rem, de l’actio in rem et de l’actio in personam, d’observations sur le code civil de la Louisiane et celui des Pays-Bas, — on trouve des études curieuses sur les principes généraux de la législation. C’est ce dernier côté de l’ouvrage de M. Blondeau qui doit surtout appeler notre attention. Le fondement de tout ordre social est dans la loi, et les obligations qui en dérivent pour tous et pour chacun sont le véritable lien qui unit les hommes ; mais quelle sera la source de la loi ? — Le pouvoir arbitraire du souverain, la conscience humaine éclairée par la raison, ou l’utilité particulière de la société ? — Ici les opinions diffèrent, et la dispute commence. Le droit, dit Montesquieu avec cette hauteur de génie qui le caractérise, est la raison humaine en tant qu’elle gouverne les peuples de la terre. Et sa définition donnée, il fait naître les lois des rapports nécessaires des choses et des êtres. Les rapports des peuples entre eux donnent naissance au droit des gens, les rapports des citoyens dans un état avec eux-mêmes ou avec le gouvernement au droit public et privé. — De la sorte, règle vivante, la loi sort des entrailles même des choses qu’elle a pour objet de régir, elle déclare le droit plutôt qu’elle ne le crée, et lui prête force et action plutôt qu’existence substantielle. Hobbes, pour qui la guerre est l’état de nature, regarde la défense comme la première loi : d’où la nécessité de ne pas retenir le droit pour soi, de le quitter en partie pour le transporter à autrui. Du droit ainsi transporté naît le pouvoir social, constitué pour la défense et omnipotent sous cette seule condition : le salut public. Rousseau pense aussi qu’à considérer humainement les choses, les lois de la justice sont vaines parmi les hommes, et, à l’exemple de Hobbes, il en conclut que la volonté du souverain fait la loi. Toute la différence réside dans le nom et la qualité du souverain, qui s’appelle ici le peuple et le nombre. Enfin une école a été fondée par Bentham, qui, donnant au droit une autre origine, a prétendu le faire sortir de l’utilité, ralliant au même titre et les lois naturelles issues de rapports indéterminés et les lois créées d’autorité par la fantaisie du pouvoir. M. Blondeau appartient à l’école de Bentham. Pour lui comme pour le maître, l’intérêt général est la source véritable et la mesure commune des bonnes lois, et les droits et les obligations sont des enfans de la loi subordonnés comme elle à la règle fondamentale d’utilité publique.

Que faut-il penser des opinions si diverses qui se sont fait jour depuis le XVIIIe siècle sur l’origine des lois ? Renfermant chacune une portion de vérité, elles pèchent également par défaut de largeur. Trop philosophique peut-être, la doctrine de Montesquieu semble pencher vers une idée de droit général, immuable, éternel ; que des esprits imprudens s’en emparent, et voilà les droits de l’homme proclamés, non-sens abstrait dont la verve ironique de Joseph de Maistre a fait si rude justice. Les opinions de Hobbes et de Rousseau ne peuvent soutenir l’examen ; la souveraineté, indépendante de la justice et s’élevant contre les lois de la nature, ne saurait se concevoir. Roi ou peuple, l’homme ne puise point sa souveraineté en lui-même, mais dans l’accord de sa volonté avec l’équitable, le possible et le nécessaire. Quant à l’intérêt considéré comme règle unique de la loi, rien de plus triste et de moins décisif. Avec cette doctrine, plus d’obligation morale et partant plus de conscience, plus de sanction suprême. Le droit devient une arme, et le devoir n’a désormais pour le représenter que la force. De tout ceci que conclure ? C’est que le droit a des sources différentes, la raison et le cœur de l’homme, les nécessités variables du temps, des circonstances, des lieux, la nature et le génie des peuples ; c’est qu’enfin le pouvoir contribue lui-même à créer, à maintenir le droit par la forme de la loi qui la rend claire à chacun, par la promulgation qui la fait connaître de tous, et par la sanction pénale qui ne permet pas qu’on la viole impunément.


P. Rollet.

  1. Chez Durand, rue des Grés.