Revue musicale, 1850/02

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la république, il n’était pas aussi facile qu’aujourd’hui de manquer à ses engagemens et de fermer pendant deux mois le premier théâtre lyrique de l’Europe. Parlez-moi du théâtre de l’Opéra-Comique, qui du moins se défend avec courage contre les difficultés de la saison. Toujours sur la brèche, il livre des combats acharnés et remporte quelquefois d’assez brillantes victoires. Après le Songe d’une nuit d’été, dont la partition élégante survivra peut-être à la saison qui l’a vu éclore, voici un nouvel ouvrage en trois actes qui promet aussi de vivre plus d’une semaine. Giralda ou la nouvelle Psyché est un de ces contes en l’air auxquels M. Scribe donne plaisamment le nom de comédie, et dont il place la scène dans un pays de fantaisie qu’il appelle l’Espagne. Il s’agit d’une jeune contadina qui s’appelle Giralda et qui doit épouser le meunier Ginès, qu’elle déteste par la très bonne raison qu’elle en aime un autre. Quel est ce fortuné mortel, comment se nomme-t-il, et quelle est sa tournure ? Giralda n’en sait absolument rien. En traversant la forêt prochaine pour aller à Saint-Jacques de Compostelle vendre les produits de sa ferme, elle fit la rencontre d’un cavalier qu’elle a tout lieu de croire aimable, bien qu’elle n’ait pu distinguer ses traits ; mais si Giralda n’a point vu le visage de son mystérieux amant, elle a entendu sa voix, et ses douces paroles sont restées gravées dans le cœur de la jeune fille. Voulant à tout prix rompre le mariage qu’elle est sur le point de contracter avec le meunier Ginès, elle se décide à lui tout avouer. Le meunier, qui est un homme entendu dans les affaires, ferme l’oreille à ces scrupules innocens, et se contente de faire sonner dans sa poche les trois cents ducats qui constituent la dot de Giralda. Sur cette donnée, qui aurait été tout au plus suffisante pour un vaudeville, M. Scribe a déroulé un des imbroglios les plus compliqués et les plus invraisemblables de son théâtre. — La musique est de M. Adolphe Adam, compositeur aimable et facile qui, depuis long-temps, fait sonner ses grelots argentins devant le public. L’auteur du Chalet, du Postillon de Lonjumeau, du Roi d’Yvetot et de beaucoup d’autres partitions légères et pimpantes ne vise point aux tableaux d’histoire, ni aux transports lyriques. Enfant de Paris, M. Adam est né malin et peu mélancolique. Un petit filet de cette gaieté gauloise et tapageuse qui éclate dans les opéras de Grétry et de M. Auber, de la sensibilité et de la dextérité de main, telles sont les qualités qui ont fait sa réputation, et qu’on retrouve dans son nouvel ouvrage. On peut signaler au premier acte de la partition de Giralda un duo pour deux ténors dont Rossini serait en droit de revendiquer sa bonne part, si le divin maestro n’était pas le plus insouciant des hommes. En autre duo plein de grace au second acte, et puis un trio qui n’est pas dépourvu de mérite, sont les morceaux saillans de l’ouvrage. On pourrait désirer que les idées de M. Adam fussent, en général, d’un meilleur choix et d’un style plus relevé ; les rhythmes qu’il affectionne tiennent de trop près à la contredanse, et sa manière d’écrire ressemble un peu trop au sans-façon de son spirituel collaborateur ; mais, quoi qu’il en soit, l’un portant l’autre, l’opéra de Giralda est un ouvrage agréable qu’on entend avec plaisir, et qui pourra traverser l’été.




V. DE MARS.