Revue musicale, 1855/01

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REVUE MUSICALE.

L’année 1855 est encore à son berceau. Sera-t-elle brune ou blonde, et quelle est la destinée que lui réservent les parques Inflexibles ? Quel astre, quel génie ou quelle bonne fée a présidé à sa naissance ? Que nous présage-t-elle d’heureux ou de néfaste ? Descend-elle des régions fortunées où s’amoncèlent les rêves d’or de la poésie divine, et sera-t-elle plus propice à l’art musical et aux œuvres de l’imagination que celle qui l’a précédée, et qui n’est plus qu’un souvenir de l’histoire ? Serons-nous condamnés à vivre encore de stratagèmes et de compromis entre le talent qui n’a pas d’idées et des idées informes qui n’ont pas de vie ? Ne nous viendra-t-il pas un de ces enfans prédestinés au culte de la beauté qui réunisse la science à l’inspiration, qui confonde les faux prophètes et chasse les marchands du temple, dont ils souillent le parvis ? De quelle tribu d’Israël sortira cet Éliacin promis aux nations, ce fils de Mozart et de Rossini ? Ah ! qu’il vienne de l’orient ou de l’occident, qu’il soit de la race de Cham ou de Japhet, pourvu que son règne soit glorieux et qu’il nous délivre du joug de l’impie et des charlatans, nous serons des premiers à lui offrir l’encens et la myrrhe de nos adorations : il est si doux d’aimer et de glorifier le vrai génie !

Et la critique, cette noble faculté de la raison, qui est, après le génie créateur, ce qui honore le plus la nature humaine, sera-t-elle, en l’an de grâce 1855, ce qu’elle est depuis trop longtemps, — un bruit de paroles vaines, une cymbale retentissante qui rend toujours le même son, quel que soit l’objet qui la fasse vibrer ? Ne se dégagera-t-elle pas de l’industrie qui l’enveloppe de ses rameaux flexibles, comme un lierre qui étouffe l’arbre sur lequel il appuie sa fragilité ? Sera-t-elle toujours divisée en deux camps, — l’un composé de condottieri, qui se battent aujourd’hui pour le roi et demain pour la ligue, l’autre formé de partisans aveugles, qui ne voient dans la cause qu’ils embrassent qu’une occasion d’exercer leur faconde et de satisfaire leur vanité ? N’y aura-t-il personne qui s’inquiète plus de l’avenir de l’art que du sort des artistes, et qui défende à ses risques et périls la vérité sainte, si indignement outragée ? Ne surviendra-t-il pas, au milieu de ces consciences avilies, de ces esprits dévoyés et sans boussole, un principe fécond qui relève la critique de l’abaissement où elle est tombée et lui donne un crédit qu’elle n’a plus depuis longtemps ? La presse enfin, sauf de bien rares exceptions, sera-t-elle toujours livrée aux bêtes de l’Apocalypse, et n’aura-t-elle de valeur, en ce qui regarde les œuvres de l’esprit, que celle qu’on accorde à cette phalange intrépide qui, dans les théâtres, soutient le faible, contient le superbe et ramène les égarés ? — Voilà bien des questions qui se posent au début d’une année nouvelle, et dont rien ne fait espérer encore la prochaine solution.

En attendant, le Théâtre-Italien a livré une grande bataille. Un nouvel opéra de M. Verdi, il Trovatore, a été représenté dans les derniers jours du mois de décembre avec un grand appareil de mise en scène. Les partisans de M. Verdi disaient à qui voulait l’entendre que cet ouvrage du compositeur italien dissiperait les nuages qui obscurcissent encore sa gloire à Paris, et que les adversaires de ce qu’ils appellent la nouvelle école auraient la bouche close et seraient condamnés à l’admirer. Nous verrons tout à l’heure ce qu’il faut croire de ce bulletin de conquête et quelle a été l’issue du combat. Disons quelques mots d’abord du sujet de la pièce, c’est un de ces sombres mélodrames pour lesquels M. Verdi a une sorte de prédilection, et qu’on ne supposerait pas sur les théâtres de nos boulevards. La scène se passe en Espagne vers le XVe siècle, il s’agit d’une bohémienne, d’une zingara, qu’un certain comte de Luna fait brûler toute vive parce qu’il l’accuse d’avoir voulu jeter un maléfice sur un enfant qu’il avait au berceau. Il arrive que la fille de cette bohémienne, Azucena, pour venger la mort de sa mère, dont il lui semble entendre encore les gémissemens, enlève l’enfant du comte et lui fait subir la peine du talion en le jetant tout vif dans un bûcher ardent. Mais en voici bien d’une autre ! La bohémienne s’est trompée, et au lieu d’immoler le fils du comte elle a brûlé par mégarde son propre enfant ! Tel est le prologue de la pièce ; au lever du rideau, on apprend bientôt que deux rivaux se disputent le cœur de la belle Léonore, grande dame de la cour qui a une préférence marquée pour un jeune aventurier, Manrico il trovatore, c’est-à-dire le troubadour. Il résulte de cette lutte que le rival de Manrico est le tout puissant comte de Luna, le frère de l’enfant enlevé par Azucena, et passant de surprise en surprise, on éclaircit enfin ce sombre mystère, d’où il ressort que la bohémienne Azucena, que Manrico, qui se croit son fils, et que la belle Léonore meurent tous sous la vengeance du comte de Luna, qui n’apprend que trop tard qu’il vient de sacrifier son propre frère. On pourrait vraiment appliquer à ce tissu d’horreurs ridicules l’épigramme qu’un critique vénitien fit pour une pièce semblable :

Auditori, m’accorgo che aspettate
Che nuova della pugna alcun vi porti :
Ma l’aspettate in van, son tutti morti.


« Je m’aperçois, auditeurs, que vous attendez des nouvelles de l’issue du combat, mais vous attendez en vain, car ils sont tous morts. »

Nous sommes parfaitement à l’aise avec M. Verdi, dont nous n’avons jamais méconnu les qualités et dont nous avons toujours combattu les défauts. Ses qualités consistent dans le sentiment des effets dramatiques, dans un nombre assez restreint d’idées mélodiques qui ne sont pas dépourvues d’originalité, dans une certaine fougue passionnée, dans l’instinct du rhythme et de la combinaison des morceaux d’ensemble. Ses défauts, plus considérables que ses qualités, sont la violence habituelle du style, l’absence complète de grâce et d’imagination, une harmonie pauvre, une instrumentation sauvage dépourvue de variété, une grande uniformité dans la combinaison des effets, qui sont presque toujours les mêmes. Voilà ce que nous avons eu occasion de remarquer dans Nabucco, le meilleur des ouvrages de M. Verdi, dans Lombardi, dans Ernani, dans i Due Foscari, dans Luisa Miller.

Né à Busseto près de Parme le 9 octobre 1814, M. Verdi, qui est âgé de trente-neuf ans, a déjà composé dix-neuf opéras qui ont tous obtenu un très grand succès en Italie. Il Trovatore, dont le poème est de Cammarano, a été écrit à Rome pour le théâtre Apollo, où il a été représenté le 17 janvier 1853.

Il n’y a pas d’ouverture, mais une simple introduction où un subalterne. Fernando, raconte l’histoire de l’enfant enlevé par la bohémienne. Ce récit, encadré dans un rhythme assez piquant, n’a rien de particulièrement remarquable, si ce n’est que les fréquentes interruptions du chœur sont presque toutes à l’unisson, procédé commode que M. Verdi emploie constamment dans tous ses ouvrages. Le chœur d’un mouvement rapide qui vient après, et qui est également écrit à l’unisson, est assez original et produirait beaucoup d’effet, s’il était moins court. L’air que chante Léonore en racontant à son amie Inès les circonstances où elle vit et entendit pour la première fois Manrico le troubadour rappelle trop fidèlement la cavatine d’Ernani. Toutefois nous signalerons dans cet air un passage délicieux, celui qui accompagne ces mots :

Dolci s’udiro e flebili
Gli accordi d’un liuto.

La phrase musicale monte par degrés chromatiques, et puis s’arrête sur une note accentuée (le fa) pour reprendre son cours jusqu’au si aigu, qui prépare heureusement la cadence. L’allégro qui en forme la seconde partie est dans ce style haché et violent que M. Verdi affectionne, et qui, pour un compositeur qui vise avant tout à la peinture des passions, présente un contre-sens. Après une romance de ténor dans laquelle il trovatore exhale dans la solitude et le silence de la nuit l’amertume de son âme,

Deserto sulla terra
Col rio destin in guerra
È sola speme un cor,
Al trovator.


romance qui est d’un caractère triste et distingué, — surtout la phrase ascendante qui précède la cadence, — vient un trio entre Léonore, le comte et Manrico. Ce trio violent et passionné, qui a le grave défaut d’être écrit à deux parties, puisque le soprano et le ténor chantent toujours à l’unisson, termine le premier acte. Le second acte s’ouvre par un chœur de bohémiens avec accompagnement de marteaux frappant sur des enclumes et toujours à l’unisson, après lequel la zingara Azucena raconte à Manrico le sort affreux de sa mère. Le chant qui développe ce récit ne manque pas d’originalité, et Mme Borghi-Mammo le dit comme une grande artiste qu’elle est. Le chœur qui complète ce récit, toujours à l’unisson, prépare la seconde partie de l’air de la zingara, qui est d’une couleur plus sombre et plus vigoureuse. Le duo pour ténor et contralto, entre Manrico et Azucena, est fort décousu, et c’est à peine si on distingue le passage en ut majeur que Mme Borghi-Mammo accentue avec beaucoup d’énergie. Le meilleur morceau du second acte, qui est aussi l’un des meilleurs de tout l’ouvrage, c’est l’air de baryton dans lequel le comte exprime son amour pour Léonore. Cet air, dont M. Graziani chante l’andante d’une manière charmante et qu’on a grande raison de lui faire répéter, est suivi d’un chœur, coupé d’une manière originale, qui sépare la première partie de l’allégro qui la complète. Cette seconde partie de l’air n’est malheureusement pas aussi distinguée ; on remarque surtout dans l’accompagnement l’intervention d’un cornet à piston qui produit l’effet d’une scène de bal masqué, autre contre-sens qui donne la mesure des prétentions de M. Verdi. Le chœur de religieuses qui se chante derrière les coulisses n’a rien de saillant, et le finale qui termine le second acte se recommande par la petite phrase entrecoupée que chante Léonore, et qui forme le début d’une quintette ou pesso concertato, comme le qualifie l’auteur. Ce morceau d’ensemble, avec accompagnement de chœur, a de la couleur et produit un assez bon effet. Le troisième acte, qui a pour titre : Il figlio della Zingara, débute par un chœur, toujours à l’unisson, qui rappelle celui du quatrième acte des Huguenots, et ce n’est pas là le seul emprunt que M. Verdi ait fait à Meyerbeer. Le trio pour contralto, ténor et laisse, entre le comte, Azucena et Manrico, produit de l’effet, mais un effet violent, qui fatigue par sa monotonie. L’air de ténor avec accompagnement de chœur que chante Manrico est d’un style tourmenté, commun, et termine assez pauvrement le troisième acte.

Le quatrième acte, qui est le plus important de tous, mérite aussi que non l’analysions de plus près. Manrico, il trovatore, et la zingara ont été arrêtés par l’ordre du comte et jetés dans une prison. Léonore vient exprimer sa douleur dans un air qu’elle chante au pied de la tour où est entériné son amant. Tout à coup on entend un chœur invisible de voix étouffées qui, dans l’obscurité de la nuit, laissent échapper ces tristes paroles :

Miserere d’un alima gia vicina
Alla partenza che non ha ritorno.


« Ayez pitié d’une âme prête à partir pour le voyage sans retour. » Ce chœur, d’un style religieux, et sur lequel plane le glas d’une cloche mortuaire, fait tressaillir la pauvre femme, qui exprime ses angoisses par un fragment de mélopée pleine de trouble et de terreur. Après ce premier épisode, une voix plaintive, qui est celle de Manrico, chante, du haut de la tour où il est enfermé, ces paroles non moins significatives :

Ah ! che la morte ognora
E tarda nel venir
A chi desia morir.
Addio, Leonora…


<i Ah ! que la mort est lente à venir pour celui qui la désire. Adieu, Léonore… » La mélodie, soutenue d’un simple accompagnement de harpe, est d’une mélancolie touchante. Le chœur funèbre recommence à chanter la strophe déjà entendue, que Léonore accompagne de ses cris concentrés, après quoi Manrico répète une seconde fois aussi son éternel adieu, qui vient s’enchaîner au chœur, auquel s’ajoute la partie de Léonore, qui s’écrie avec désespoir :

Di te… di te scordarmi


« T’oublier ?… moi t’oublier ? jamais ! » en poussant de sublimes sanglots. Cela est beau, d’un grand et pathétique effet, et si M. Verdi composait souvent de pareilles scènes, il n’aurait pas d’admirateur plus enthousiaste que nous. Il est à regretter que Léonore persiste à chanter toute seule après un morceau si émouvant, et nous aurions même désiré qu’il terminât la pièce. Le duetto pour soprano et baryton que le comte chante avec Léonore, qui pour sauver son amant promet de se donner à son puissant rival, renferme quelques passages heureux ; mais nous prêterons celui, pour contralto et ténor, que la zingara et Manrico chantent dans leur cachot. L’andante en sol majeur,

Ai nostri monti
Ritorneremo…


rappelle une mélodie de Schubert. Le terzettlno entre la zingara, Manrico et Léonore, qui vient annoncer si son amant qu’il sera bientôt libre, produit de l’effet par l’originalité du rhylhme qui le caractérise, et la scène finale, où Léonore expire sous les yeux de son amant et du comte, qu’elle a trompé en s’empoisonnant plutôt que de lui appartenir, est aussi fort belle, surtout la partie de Léonore, que Mme Prezzolini joue et chante d’une manière admirable.

Nous avons signalé tout ce qu’il y a de remarquable dans l’opéra de M. Verdi que vient de représenter le Théâtre-Italien : — au premier acte un chœur, quelques passages de l’air de Léonore, la romance que chante il trovatore, et le trio final, qui rappelle celui d’Ernani sans le valoir ; — dans l’acte suivant, le chœur des bohémiens, le récit de la zingara, d’un caractère étrange et original, le bel air de baryton que chante le comte avec le chœur qui intervient, et le finale ; — au troisième acte, un trio, un air de ténor ; — au quatrième, la grande et belle scène du Miserere, quelques parties du duo entre la bohémienne et il trovatore, et la scène finale. Si maintenant nous essayons de saisir le caractère général de cette partition et de lui assigner un rang, soit dans l’œuvre de M. Verdi, soit comme une production absolue de l’art, nous dirons qu’elle ne s’élève pas au-dessus d’un mélodrame. Le style en est tendu, morcelé et très inégal ; — les phrases sont courtes, les rhythmes souvent ingénieux, mais tourmentés et visant à l’effet, les transitions brusques, l’harmonie pauvre et très peu variée. Non-seulement M. Verdi manque d’imagination, de flexibilité et de grâce, mais il ne possède point cet art suprême de développer une idée, de l’enrichir d’images accessoires, de ce superflu de la poésie que Voltaire trouvait si nécessaire à la vie. Cette vérité dramatique, dont les musiciens de génie tels que Gluck, Jomelli, Mozart, Weber, Rossini, Spontini, n’ont pas été moins préoccupés que M. Verdi en Italie, et que M. Wagner en Allemagne, serait la négation même de l’art, si on la dépouillait des ornemens de la poésie. Lorsque dans le Roi Lear une fille du roi refuse à son vieux père déchu ce superflu de l’existence auquel il est habitué depuis si longtemps, il répond à cette fille dénaturée : « Les besoins ne se raisonnent pas, il n’y a pas un mendiant qui n’ait du superflu. N’accorde à la nature que ce que la nature demande, et tu ravales l’homme au niveau de la bête. » Telle est aussi la réponse qu’on doit faire à ces réalistes impuissans qui voudraient ravaler l’art au niveau de la vérité prosaïque. Qu’ils aillent dans les cours d’assises ou qu’ils lisent la Gazette des Tribunaux, ils trouveront là ce qu’ils cherchent, des émotions poignantes et la vérité qu’ils aiment. L’art, c’est la poésie, l’expression de la vérité choisie.

Ce n’est pas que M. Verdi soit à confondre parmi les pionniers grossiers de la musique de l’avenir. Il est trop bien doué de certaines qualités mélodiques pour ne pas en connaître tout le prix. Il s’exagère seulement la portée de quelques sophismes qui ont cours depuis quelque temps, et il ne résiste pas assez aux tendances violentes de sa manière. Son instrumentation est toujours monotone, remplie de placage et de maigres accords qui mâchent à vide, et qu’aucun dessin mélodique ne vient relier ensemble. Toutefois nous avons remarqué dans il Trovatore plusieurs tentatives d’amélioration et comme une velléité de vouloir jeter sur le squelette harmonique une draperie mélodique, de sustenter l’orchestre par une idée. Nous ne saurions trop engager M. Verdi à persister dans cette bonne voie.

Indépendamment de l’attrait qui s’attachait à l’opéra de M. Verdi, il y avait aussi, à la première représentation, le désir d’entendre le nouveau ténor qui débutait, M. Beaucardé, qui a créé à Rome le rôle d’il trovatore. D’origine française, M. Beaucardé possède une voix gutturale d’un timbre inégal qui ne manque point de mordant, mais de flexibilité, comme tous les chanteurs qui se sont formés avec la musique de M. Verdi. Il joue avec feu, même avec exagération, et chante fort bien la romance du quatrième acte. Mme Borghi-Mammo obtient un très grand succès dans le personnage difficile de la zingara, et Mme Frezzolini est admirable, comme cantatrice et comme comédienne, dans la scène capitale du quatrième acte. Quant à M. Grazziani, qui possède une des plus belles voix de baryton qu’on puisse entendre, il chante son air du second acte de manière à laisser espérer qu’il y a en lui l’avenir d’un virtuose de premier ordre, s’il travaille.

Le succès raisonnable et modéré qu’a obtenu au Théâtre-Italien le nouvel opéra de M. Verdi nous rassure pour l’avenir, parce qu’il n’a rien de commun avec le fol engouement dont ce compositeur est l’objet au-delà des monts, et qui s’explique d’ailleurs par l’état d’exaltation morale où se trouve l’Italie, ainsi que par l’absence de toute tradition. M. Verdi aura sa place au soleil de notre civilisation, et il sera classé au-dessous de Bellini, dont il n’a pas la distinction ni la tendresse ; après Donizetti, dont il ne possède pas la maestria, le brio et la flexibilité, et à une si grande distance de Rossini, que celui-ci doit le considérer comme un barbaro.

L’Opéra vient d’obtenir un franc et légitime succès avec un joli ballet intitulé la Fonti. La Fonti était une danseuse, italienne qui, vers 1750, faisait les délices de Florence, où elle tournait, comme on dit, toutes les têtes. Éprise du comte de Monteleone. qui partage son amour jusqu’à lui offrir sa main, elle rencontre dans le père de son amant un obstacle insurmontable au bonheur qu’elle a rêvé. Après bien des vicissitudes, la Fonti devient folle et meurt de désespoir à Rome, au milieu des joyeusetés du carnaval. Ce canevas, habilement disposé par M. Mazilier, présente une succession de tableaux où la Rosati est ravissante de grâce et de vérité mimique. Il y a surtout le tableau de la prison où M. Mérante, qui représente le rôle d’un danseur amoureux de la Fonti nommé Carlino, est d’un comique très plaisant. La musique facile et spirituelle de ce ballet est de M. Th. Labarre, qui n’en est pas à son coup d’essai.

Nous allions presque oublier de mentionner le Muletier de Tolède, opéra-comique en trois actes, que M. Adam a fait représenter au Théâtre-Lyrique ; mais M. Adam en a parlé lui-même sans aucun faux scrupule ; de plus M. Berlioz, qui déteste la musique de M. Adam, a fait l’éloge du Muletier de Tolède, pour que M. Adam, qui déteste la musique de M. Berlioz, fasse l’éloge de l’Enfance du Christ. En face de ces justes méconnus, nous imiterons la sage politique de Pilate.


P. SCUDO.


REVUE LITTERAIRE.

M. Félix Clément vient de publier un recueil fort bien fait de fragmens choisis parmi les poètes latins du moyen âge. Déjà M. Ampère dans son Histoire des Origines de notre Littérature, M. Saint-Marc Girardin dans sa série publiée, ici même sur l’Epopée chrétienne, avaient appelé l’attention sur ces écrivains trop oubliés ; ils avaient réussi à prouver la valeur historique et philosophique de leurs poésies sans trop en exagérer le mérite littéraire. M. Félix Clément n’a pas tout à fait la même réserve : dans l’introduction qu’il a placée en tête de son intéressant ouvrage, dans les notices et dans les notes qui accompagnent ces fragmens, nous avons cru trouver, parmi beaucoup de vues justes et ingénieuses, quelques opinions qui nous ont paru assez hasardées. S’il se bornait à professer pour beaucoup de ces poètes une admiration que nous ne pouvons nous empêcher de trouver excessive, il n’y aurait pas lieu sans doute de s’en étonner : quand on s’est livré comme lui à de laborieuses recherches pour déterrer des hymnes et des séquences inédites dans des manuscrits et des antiphonaires inaccessibles au commun des mortels, rien de plus naturel que de s’exagérer la valeur de ces découvertes ; c’est l’histoire de tous les antiquaires. Ce qui nous a paru moins acceptable, ce sont les argumens par lesquels il cherche à justifier son admiration et à l’imposer à ses lecteurs, c’est surtout, sa prétention perpétuelle d’opposer ces poésies à celles des poètes de l’ancienne Rome, et d’en démontrer la supériorité relative. À cet égard, nous devons confesser que nous ne sommes pas encore converti.

M. Clément se propose de populariser dans nos écoles la lecture des poètes chrétiens. Il ne proscrit pas assurément celle de Virgile et d’Horace, mais il voudrait y joindre l’étude des poètes du moyen âge. « Connaissons, dit-il, les Grecs et les Romains le plus que nous pourrons, admirons-les pour ce qu’ils valent ; mais sans les bannir de nos études, au nom de la vérité, des